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Philippe Desterbecq nous propose un exte sur l'automne

Publié le par christine brunet /aloys

Automne

Il attend. Avec patience. Il a toujours aimé l’automne et il attend sa proie paisiblement, comme un chasseur à l’affut. Il regarde tomber les premières feuilles. 

Il aime cette légère brume qui enveloppe les arbres de son écharpe vaporeuse. Il aime l’or qui, petit à petit, colore les feuilles qui finiront par mourir comme tout un chacun. Il aime l’écureuil qui voltige de branche en branche, vole une noisette, une châtaigne qu’il s’empresse de cacher dans un endroit qu’il finira par oublier, plantant ainsi, sans le savoir, les futurs arbres qui peupleront la forêt. 

Il aime la forêt, le calme qui y règne, le chant des oiseaux qui saluent le lever du jour. Il aime l’attente. Il sait qu’un corps à moitié dénudé finira par faire son apparition. Le plus souvent, ce sont des hommes qui courent dans le bois. Les femmes se méfient. Des prédateurs pourraient rôder dans les environs, des mâles alpha prêts à les dévorer. C’est comme ça qu’il se nomme : Alpha. Ce n’est évidemment pas son nom de baptême. C’est comme un pseudonyme, une appellation qu’il s’est donnée à lui-même. Il est le dominant, le leader, celui à qui personne ne résiste. 

Chez certaines espèces animales comme le loup, l’alpha jouit d’un accès privilégié aux femelles. Parfois, il se réserve même leur exclusivité.
Que se passe-t-il si une femelle fait de la résistance ? Lui le sait. Il prend et que celle qu’il a choisie soit d’accord ou pas ne change rien à l’affaire. D’ailleurs, si elle lui résiste, elle n’en est que plus attirante. 

Chaque année, c’est en automne que ses sens se réveillent. La sève qui descend dans le tronc jusqu’aux racines de l’arbre monte en lui et il devient chasseur, braconnier, traqueur, prédateur. 

Il fait une seule victime par an, toujours en automne, au moment où la nature la met en veilleuse, s’endort sous un épais tapis de feuilles multicolores. 

Il sait qu’elle va arriver. Il la guette depuis des jours. Elle est réglée comme une horloge. Chaque matin, à la même heure, elle apparait dans ses vêtements collés à son corps perlé de gouttes de sueur. Elle est belle comme l’aube. Il a retardé sa mise à mort pour pouvoir continuer à l’observer, jour après jour, dans la fraicheur matinale, sous les premiers rayons faiblards du soleil d’octobre. 

Elle ne le sait pas encore, mais aujourd’hui, elle va rencontrer l’alpha, le mâle suprême : lui ! Tout le monde n’a pas cette chance. Il entend déjà le bruit de ses pas sur les feuilles mortes, sa respiration un peu haletante. Il sent déjà son parfum d’automne, doux et capiteux. 

Ses sens à lui sont aiguisés. Il est prêt. Le loup va sortir de sa tanière pour son repas annuel. Il sort ses griffes en même temps qu’il sort des fourrés. 

La proie a compris. Elle s’arrête, mais c’est trop tard, le fauve a déjà bondi…

 

Publié dans Textes

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Rubenia Timmerman en dédicaces... Petite pub !

Publié le par christine brunet /aloys

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Un article sur Christine Brunet dans le magazine "Bruxelles Culture" signé Bob Boutique

Publié le par christine brunet /aloys

Christine Brunet, une écrivaine dont vous ne sortirez pas indemne !

 

Article dans Bruxelles Culture - novembre 2021

Auteur : Bob Boutique

 

 

Je voudrais vous parler aujourd’hui d’une écrivaine française pour qui j’ai une profonde admiration et qui est devenue une grande amie ! En principe dans ces chroniques de « Bruxelles Culture » on se limite à ce qui est bruxellois, non par opposition à nos amis du reste du pays ou d’ailleurs (ce serait tout simplement ridicule) mais parce qu’il faut bien se limiter. Donc je vais déroger ici à nos principes mais pas tout à fait… car l’auteure en question, Christine Brunet, une française, s’occupe activement depuis une bonne dizaine d’années de la littérature belge et est d’ailleurs devenue un membre important de la maison d’édition Chloe des Lys que dirige avec sagesse Laurent Dumortier et dont le siège se trouve en Belgique, à quelques pas de Tournai, à Barry plus exactement. (A ne pas confondre avec Paris comme certains l’entendent par erreur sans prendre la peine de vérifier l’orthographe !)

 

Le premier roman de Christine Brunet « Nid de Vipères » a été publié chez cet éditeur en 2011 et tout de suite il a compris qu’il détenait là une écrivaine prometteuse, qui depuis s’est affirmée comme une spécialiste affirmée du thriller moderne. Nous sommes aujourd’hui en 2021, elle vient de publier son onzième roman « La Roche des Corbeaux », et ce n’est pas prêt de finir. D’autant plus que ses héroïnes Aloys Seigner (Axelle) commissaire divisionnaire et médecin légiste suivi quelques livres plus tard dans « convergence » par la doctoresse Gwen Saint-Syrq (sa véritable identité est floue et beaucoup moins avouable), sont des personnages très particuliers qui se connaissent et se suivent d’histoire en histoire pour former une véritable famille d’héroïnes. Une saga qui se complique depuis quelques années par de nombreuses excusions dans la science fiction où le présent se confond avec les mondes parallèles. Il faut lire, c’est original, très bien écrit et à mon avis l’auteure n’a pas fini de nous étonner ni de nous intriguer.

 

Christine Brunet est née dans le Midi, à Aubagne, et la plupart de ses récits démarrent dans cette région qu’elle connaît comme sa poche, mais là s’arrête toute comparaison avec la patrie de Marcel Pagnol, car ses livres sont à mille lieues de l’ « asseng » de Marseille et donnent froid dans le dos ! Qu’il agisse de « Gwen Adieu », de « HX13 » ou de « Vénus en Ré » pour citer ses dernières créations, ses histoires sont toutes abominables et écrites au fer rouge avec des récits à limite de la folie sanguinaire et mettent en exergue des héroïnes qui finissent toujours par se sortit des mauvais pas où les mènent leurs enquêtes, mais toujours à deux doigts du désespoir ! On ne lit pas  un ouvrage de Christine Brunet pour se marrer et si en fin de parcours l’histoire se termine plus ou moins bien c’est toujours avec des blessures personnelles, des stigmates psychologiques extrêmes, à la limite du sacrifice…  Je ne sais pas si Christine Brunet en est consciente mais elle tord l’esprit de ses héroïnes comme de vieilles chaussettes et si elles en réchappent (car elle finissent toujours par avoir le dernier mot) ce n’est jamais sans y laisser un part de leur intégrité physique et mentale !

 

D’ailleurs quand on connaît bien l’auteure, il y a une chose qui frappe : Elle ne parle jamais pour rien, pour bavarder, non. Elle se montre toujours d’un sérieux qui ne semble pas grand chose à voir avec ce qu’on attend en général d’une méridionale dont la faconde est proverbiale. Rédactrice en chef sur internet des « petits papiers », administratrice de éditions Chloe des Lys et depuis quelques années présentatrice puis réalisatrice de l’émission « ACTU-tv », Christine Brunet est devenue une des responsables belges (en fait presque belgo-française) de la maison d’édition de Laurent Dumortier « chloe des Lys » et personne ne conteste son professionnalisme.

 

Ajoutez à ce curriculum vitae imposant que cette écrivaine qui continue à publier ses livres avec une régularité de métronome est une polyglotte avérée. Elle a appris le tchèque et le russe à l’université Charles de Prague, l’arabe au Caire, l’anglais à Preston en Angleterre etc… sans oublier peut-être le plus étonnant, ceci explique sans doute cela: elle a déjà parcouru les quatre coins du globe, de  Madagascar au Ladakh et du delta de l’Orénoque au désert de Gobi et continue à arpenter (entre deux livres) le monde dont elle parle avec une précision et une documentation dignes d’un guide professionnel. Bref, c’est plus qu’une romancière désormais reconnue en France comme en Belgique, une véritable personnalité.

 

Voici en annexe la liste des ouvrages qu’elle a publiés, encore que cette écrivaine très prolixe a dans ses cartons une multitude d’autres romans, certains très anciens, qui peut-être ne verront jamais le jour ?

 

  • Nid de Vipères, Chloe des lys 2011
  • Dégâts Collatéraux, Editions du Pierregord 2011
  • Le Dragon Bleu,  Editions du Pierregord  2012
  • E16, Chloe des Lys 2012
  • Non Nobis Dominé,  Editions Gascogne 2013
  • Poker Menteur, Editions Gascogne 2014
  • Convergences, Editions Gascogne 2016
  • Vénus en Ré,  Editions Gascogne 2017
  • HX13, Editions Gascogne 2018
  • Gwen Adieu, Editions Gascogne 2019
  • La Roche des Corbeaux,  Editions Gascogne 2021

 

Quelques avis de lecteurs choisis au hasard et que vous trouverez sans peine sur internet :  

 

J’ai commencé ce livre sans savoir qu’il existait des tomes précédents. Ma lecture n’a pas vraiment été gênée de ne pas les avoir lus…

 À partir de cet instant, j’ai été complètement aspirée dans le livre et j’ai à tout prix voulu dénouer moi-même cette histoire…

J’ai bien croché au style d’écriture, qui se lit agréablement, sans accroc et sans fioriture, tout en ayant des descriptions suffisantes pour suivre l’histoire…

 

Et pour terminer Christine brunet elle-même interviewée par une de ses lectrices fidèles, Cathie Louvet :  

 

Aucun livre ne me « suit » mais je dois dire que j’ai des auteurs incontournables, sans doute de ceux que les lecteurs considèrent aujourd’hui comme « dépassés ». Ce sont des écrivains qui ont façonné mon imaginaire, dont j’ai lu et relu les écrits et qui ont su m’emporter dans leur univers : Jules Verne, Alexandre Dumas, Maurice Leblanc… Dostoïevski, Proust, L’Abbé Prévost, Molière, Hugo et j’en passe…

 

Pour moi, un roman policier, un thriller, un sf (science fciction)  n’est crédible que lorsqu’il colle à la réalité. La base est donc la documentation. J’apprends à chaque roman, je rencontre des tas de spécialistes, je découvre, je me documente, je voyage… Passionnant !!! Je sais à présent crocheter une serrure (ça peut servir), reconnaître les différents insectes nécrophages, ou des dépôts sédimentaires. Je suis incollable sur la Main rouge ou les Vorys, sur les rayonnements alpha ou gamma… Tout ce travail est un enrichissement personnel incroyable que je tente de partager avec mes lecteurs…

 

je ne peux pas écrire sous la contrainte. Si je m’oblige, c’est mauvais. Par ailleurs, imaginer une scène, un dialogue, une rencontre me prend parfois plusieurs jours… des jours durant lesquels les images me hantent, m’agacent, me perturbent… mais durant lesquels je n’écris rien. Lorsque la scène est « prête », qu’il y a tout (les couleurs, les odeurs, certaines réparties, les sensations) je l’écris d’une seule traite, la tête dans le guidon, avec frénésie… Ce n’est que lorsque cette étape est terminée que je laisse mon imagination poursuivre son travail…

 

Voilà ! Vous en savez assez ! Je pourrais ajoute mille autres choses mais à quoi bon ! Christine Brunet se lit avant tout !  Et tout se trouve dans ses livres. Mais attention ! Autant vous prévenir. Vous n’en sortirez pas tout à fait indemne et commencer à la lire risque de vous rendre addict. 

 

BOB BOUTIQUE

 

Publié dans Article presse

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Jean-François Foulon a lu "L'envers du miroir", de Rolande Michel

Publié le par christine brunet /aloys

 

Je termine à l’instant le dernier roman de Rolande Michel, qui nous décrit la vie quotidienne d’un couple, description qui, au fil des pages, se transforme en une véritable descente aux enfers. Quoi de plus banal et de plus normal, quand on est une jeune fille un peu naïve, de rêver au prince charmant ? Quand en plus on est issue d’un milieu pauvre, ce fameux prince prend souvent les traits d’un garçon appartenant à un autre milieu, plus aisé, plus cultivé, plus civilisé, moins rustre.

D’un autre côté, quand on est un jeune ingénieur à l’avenir prometteur, rien de plus normal non plus que de trouver séduisante la jolie jeune fille qui travaille dans la librairie où il vient commander une revue littéraire. C’est une petite librairie et la revue ne s’y trouve pas. La vendeuse, visiblement, n’en connaissait même pas l’existence. Mais elle est si jolie ! Alors, il revient, une fois, deux fois. Et puis l’histoire commence, comme un conte de fées.

Il y a d’abord un premier rendez-vous, intimidant pour tous les deux (il faut plaire, ne pas décevoir). Puis une relation commence, un « nous » magique surgit chez ces deux solitaires. Pour elle, perdue dans un quartier populaire et qui aurait bien voulu en sortir car elle se sentait différente, c’est une occasion inespérée. Quant à lui, surchargé de travail à l’usine où il travaille comme chef de projets, il n’avait pas encore remarqué jusque-là que passer du temps auprès d’une jeune fille donnait à la vie un tout autre sens. Les voilà donc heureux tous les deux et très contents d’être ensemble.

Mais il y a les autres, la famille, les voisins. Sarah a peur de présenter à ses parents un peu frustres ce jeune homme si bien sous tous rapports. Que va-t-il penser d’eux (et donc d’elle) ? Heureusement tout se passe bien et amoureux comme il est, il ne trouve rien à redire. Il faut alors aller rencontrer sa famille à lui. C’est un autre milieu, cultivé. Assez mal à l’aise quand on lui pose des questions sur la littérature ou le cinéma, Sarah parvient à s’en sortir en donnant des réponses fort vagues. Ouf ! elle a réussi son examen d’entrée.

Voilà le décor planté. La suite est bien différente et on ne va pas la raconter ici. Le bel ingénieur, qui voyage beaucoup pour son travail, rencontre une autre femme, autrement plus intéressante et cultivée que Sarah. Il se rend compte alors qu’il n’a rien à dire à cette dernière. Certes elle est très belle, mais cela s’arrête là. Il décide de rompre quand elle lui annonce qu’elle est enceinte. Il n’a plus le choix. Dans son milieu à lui, on assume ses responsabilités. Les voilà donc mariés pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire car ils n’ont rien à se dire. L’enfant est mort à la naissance, laissant le couple face à lui-même. Lui se noie dans le travail, tandis qu’elle, désœuvrée à la maison, sombre petit à petit dans l’alcoolisme. Les années passent, toutes identiques et désespérantes. C’est à peine si Sarah croise encore son mari à la maison. Ou bien il est en mission à l’étranger, ou bien il rentre très tard.

Cette descente vertigineuse dans l’enfer d’un quotidien morbide et désespérant, l’auteur nous la dépeint admirablement. D’une plume allègre, qui ne s’arrête jamais, elle nous entraîne dans les différents cercles de cet univers dantesque. Quand il referme livre, le lecteur se dit qu’il a bien de la chance de ne pas mener la même vie que Sarah. Mais il se dit aussi que sa vie quotidienne à lui est tout de même parfois un peu morne et qu’elle ne correspond pas toujours à ce qu’il aurait pu imaginer autrefois.  Alors ? Ne serait-il pas temps pour lui de se ressaisir ? Oui bien sûr. Mais qu’il fasse attention aux princes charmants ou aux femmes trop belles.

 

Jean-François FOULON

 

Publié dans avis de lecteurs

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Résultats concours "Catastrophe, les envahiseurs arrivent !"

Publié le par christine brunet /aloys

Les participants : 

Texte 1 : Philippe Desterbecq

Texte 2 : Séverine Baaziz

Texte 3 : Gabriel Rasson

Texte 4 : Carine-Laure Desguin

Texte 5 : Micheline Boland

Texte 6 : Christian Eychloma

Texte 7 : Christian Eychloma

 

Et notre gagnant avec 3 votes : Christian Eychloma ! Bravo

Pour info texte 2 : 2 voix

texte 5 : 1 voix

 

Merci à tous les auteurs participants !

Publié dans concours

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Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 7 C'est le dernier ! Votez jusqu'à 18 h ce soir sur ce post

Publié le par christine brunet /aloys

Collision temporelle…

 

À peine croyable, malgré l’évidence. Là, on n’était plus au cinéma. Non, non… Ils arrivaient vraiment ! Un truc bizarre en orbite, d’étranges avions furtifs survolant à toute vitesse les principales agglomérations de la planète, ça n’avait rien d’une galéjade et ça foutait salement les jetons…

L’incrédulité avait pourtant été de mise au tout début, avec ces drôles de messages transmis en boucle par leur vaisseau et relayés par toutes les chaînes de télé et de radio. Des messages rassurants, amicaux, diffusés dans des versions vieillies de toutes les langues du monde.

Passé l’effet de surprise, le président Matron avait pris fermement les choses en mains. Il s’était adressé aux Français dans un discours solennel d’où il ressortait qu’en tant que futur dirigeant du futur gouvernement mondial - rien de moins -  il avait déjà pris contact avec les étrangers, au nom  des peuples de la Terre. 

Bien qu’un peu sceptiques car habitués aux déclarations jupitériennes du personnage, ses auditeurs, admirateurs et détracteurs confondus, durent bien se rendre à l’évidence lorsqu’il apparut qu’une délégation des ces nouveaux arrivants était bel et bien attendue à l’Élysée. 

Ce jour-là, Matron et Lastex, son Premier ministre, se tenaient debout derrière une des hautes fenêtres du premier étage de  l’ancien hôtel particulier de la rue du Faubourg-Saint-Honoré,  surveillant discrètement  la pelouse du palais de l’Élysée où devait avoir lieu l’atterrissage de l’engin amenant les plénipotentiaires. 

Lastex ôta ses lunettes et, histoire de dissimuler sa nervosité, entreprit de les nettoyer consciencieusement tout en se  tournant vers Matron.

« Heu… ne devrions-nous pas descendre afin d’être prêts à les accueillir ? » suggéra-t-il prudemment.

« Tu plaisantes ? » s’étonna sincèrement le président en pointant un menton autoritaire. « Attendons plutôt qu’ils arrivent et laissons-les mijoter un peu pendant que quelques sous-fifres leur annonceront que je m’apprête à les recevoir !

-  Ah… Oui, oui, bien sûr ! Mais peut-être qu’alors, un ou deux sénateurs, même si le Sénat n’a pas été consulté…

- Ah là, c’est carrément de l’humour ! s’esclaffa Matron. Je n’allais quand même pas leur demander leur avis ? Pourquoi pas l’Assemblée nationale, tant que tu y es ? »

Puis ils s’interrompirent en entendant un sifflement allant crescendo. Lastex replaça ses lunettes sur son nez et pointa du doigt une espèce de gros ballon qui, décélérant rapidement, se posa ensuite lentement au milieu des jardins.

Les membres du comité d’accueil réduit s’approchèrent prudemment de la grosse boule opaque posée sur ses quatre pieds articulés. Le président et son Premier ministre, quant à eux, retinrent leur souffle pendant qu’une porte s’ouvrait toute grande sur un côté du bizarre engin. 

Ils n’en crurent d’abord pas leurs yeux en voyant débarquer des personnages empanachés et portant perruque, à la démarche lente et majestueuse, et dont l’accoutrement les désignait comme arrivant tout droit de l’époque de Louis XIV !

Lastex, estomaqué, bouche bée, demeurait subjugué par la toilette des femmes, leurs coiffures d’une incroyable excentricité, leurs longues jupes de brocarts d’or surchargées de dentelles et de passementeries. 

Matron, de son côté, au comble de l’incrédulité, n’arrêtait pas de secouer la tête en observant les chapeaux à plumes des hommes, leurs jabots de dentelles, pourpoints, baudriers,  hauts-de-chausses et bas de soie. Des gens de cour avançant cérémonieusement, un pas après l’autre, dans leurs souliers à talons garnis de rubans. 

Reprenant peu à peu ses esprits, il se tourna vers son Premier ministre.

« Tu crois que ces cons pourraient être venus de si loin pour se foutre de nos gueules ? » demanda-t-il d’une voix où perçaient la frustration et la colère.

« Vous m’en demandez trop, monsieur le président… » répondit Lastex, ennuyé. « Qui oserait ? Oui, qui oserait faire preuve d’une telle inconvenance à votre égard ? Même originaire d’une autre planète ?  Non, inimaginable, ce serait aller trop loin… 

- Descendons tout de suite voir de près ces rigolos ! » décida Matron en bombant le torse.

En les apercevant au bas du perron, un de ces loufoques personnages, sans doute le chef de la délégation, s’avança en martelant le sol de sa canne à pommeau d’argent et, arrivé devant les deux hommes, s’inclina respectueusement en ôtant et agitant largement son chapeau.

« Je me fais une grande joy de connoistre enfin Vostre Majesté que je salue très humblement ! » déclara-t-il avec emphase. « Et je vous dirai, s’il Luy plaist de m’entendre, mon admiration pour Sa très grande Gloire et la forte implication qu’Elle donne aux affaires de son Estat… »

Matron, ébahi quoique flatté, se pencha à l’oreille de Lastex.

« Qu’est-ce que c’est que ce galimatias ? Et ce putain d’accent du terroir ? » chuchota-t-il. Puis, d’une voix autoritaire : « Qu’on aille me chercher la ministre de la Culture ! 

  - Je suis là, je suis là, Sire, heu… monsieur le président ! » répondit Rosine Batelot qui se trouvait justement derrière eux. « Permettez-moi de vous aider… »

Un dialogue s’établit alors rapidement en vieux français entre la ministre de la Culture et ces extravagants visiteurs, dialogue d’où il ressortit très vite que ces derniers étaient tout aussi surpris et gênés que l’était le locataire potentiellement à vie de l’Élysée.  

Et l’on commença à subodorer l’alpha et l’oméga de toute cette histoire lorsque Rosine Batelot expliqua que ces humanoïdes incroyablement évolués avaient capté par hasard, depuis leur propre planète, des images de la vie sur Terre au dix-septième siècle... 

« Comment ça ? Comment ont-ils pu recevoir ces images alors que la télé n’était pas encore inventée ? » fit judicieusement observer Matron à qui on ne racontait pas de faribole.

« Ils n’utilisent pas les ondes radio. Les ondes lumineuses leur suffisent, et elles se diffusent partout à la vitesse que l’on sait. Ce qui fait que, plus on regarde loin dans l’espace, plus on regarde loin dans le temps, Votre Excellence, heu… monsieur le président ! » précisa la ministre qui avait de la culture. 

« Mais les éléments sonores, hein ? Le son, quoi ! 

- Des techniques incroyablement élaborées leur auraient permis de le reconstituer et d’apprendre ainsi, entre autres langues, le français de l’époque ! » 

Elle fit signe à Varan, le ministre de la Santé qui se pointait avec un masque sur le nez, de ne pas l’interrompre, comme il en manifestait visiblement l’intention.

« Puis, décidant alors d’une petite visite pour achever de satisfaire leur curiosité, poursuivit-elle, ils se sont tout naturellement vêtus à la mode de nos ancêtres avant d’embarquer pour un voyage assez rapide via ce qu’ils ont appelé une torsion de l’espace, ou un truc comme ça. Bon, là, je n’ai pas tout compris… Mais les choses avaient évidemment un peu changé chez nous entre-temps ! 

- Un trou de ver… » intervint Lastex sur un ton pontifiant. « Votre torsion de l’espace, on appelle ça un trou de ver !

- Si vous voulez… » répondit Rosine, un peu vexée. 

« En tout cas, trou de ver ou chas d’une aiguille, ils sont là et bien là, avec leurs plumes et leurs fanfreluches ! s’énerva un peu Matron. On en fait quoi, maintenant ? »

Varan, tirant sur son masque, s’approcha.

« Attention, monsieur le président… Sont-ils au moins vaccinés ?

- Ah, vous, foutez-moi la paix avec vos conneries, hein ! Il y a gros à parier qu’ils n’ont pas besoin de vos conseils…

« Alors, si j’osais vous suggérer, monsieur le président…

- Ouais, enfin, vos suggestions, jusqu’à maintenant… » répondit Matron avec un haussement d’épaules. « Mais allez-y quand même…

- Vous avez compris que ces gens voyagent incroyablement vite… Alors, pour assurer définitivement votre réélection, imaginez une seconde que vous, entre tous les chefs d’État, soyez officiellement invité sur cette planète éloignée ! Tenez, si ça se trouve, vous pourriez peut-être faire l’aller-retour dans la journée !

- Je crois discerner où vous voulez en venir, mon petit Varan… » répondit Matron en se caressant le menton, soudain intéressé. 

Les négociations ne durèrent pas longtemps et Matron, le port royal, accompagné de sa petite troupe de courtisans extra-terrestres, monta à bord de l’engin qui décolla et… ne revint pas.

Ce qui explique aujourd’hui la soudaine disponibilité, pour un nouveau candidat, du trône de l’Élysée. 

 

Publié dans concours

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Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 6

Publié le par christine brunet /aloys


Les orphelins


Fendant les sombres flots de mers enténébrées
Vos arches franchissaient des gouffres insondables
Et vos regards hautains embrassaient des nuées
De mondes décadents et de peuples minables,
Quand, jaillissant d’un pli de l’espace et du temps
Dans notre ciel piqué de fleurs d’éternité,
Soudain resplendissants, vos vaisseaux arrogants
Battirent le rappel des nations apeurées.

Échoués sur nos grèves, naufragés comme Ulysse
Dont la nef éprouvée par des remous furieux
Avait été jetée dans de vastes abysses,
Démiurges ombrageux, géants talentueux,
Vous veniez nous conter le spectacle dantesque
D’astres étincelants dans leurs limbes fumeuses,
Lançant leurs langues d’or, en folles arabesques,
Pour noyer de lumière d’opaques nébuleuses…

Vous aviez contemplé du haut de votre ennui,
Par delà Capella, au large d’Orion,
Ce rougeoyant creuset, dans un coin de nos nuits,
Concoctant la folie des civilisations,
Les stellaires beautés qui cachent la laideur
Des foyers moribonds, des soleils rabougris
Qui s’enfoncent sans fin dans des fosses d’horreur
Où errent à jamais les mondes engloutis.

Puis, vos voiles gonflées d’un vent mystérieux,
La proue de vos croiseurs tournée vers d’autres ports,
Repoussant, méprisants, nos prêtres obséquieux,
Vos cyniques adieux scellèrent notre sort
Quand, sourds à nos soupirs, votre dédain profond
Imprima dans nos âmes un amour frelaté,
Et l’atroce amertume du mortel abandon
D’un cosmos déserté par nos divinités.

Dominant les vallées, tutoyant les nuages,
Depuis, toujours plus haut, nos vaniteuses tours
Grimpèrent à l’assaut du récurrent mirage
De ces fanaux lointains qui nous fuyaient toujours.
Juchés sur le sommet d’immenses pyramides
Nous durcîmes nos cœurs en de vains sacrifices,
Crucifiant à jamais, sous les cieux impavides,
Les fils de nos filles, les filles de nos fils.
 

Publié dans concours

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Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 5

Publié le par christine brunet /aloys

LES ALGUES VERTES



 

C'était un lundi d'été, de la fenêtre de sa chambre, Véronique observait la piscine de la maison voisine lorsqu'elle remarqua sur une grande partie de sa surface des sortes de longs rubans verts et des formes ovales d'un vert un peu plus soutenu. "Ils ont encore fait la fête, pensa-t-elle. Et voilà que l'on retrouve ici et là des serpentins et des gros confettis verts. Jusqu'où iront-ils dans leur négligence ? Pourquoi n'avaient-ils pas recouvert leur piscine comme ils le font quand ils reçoivent des gens accompagnés de bambins ?"  

"C'est quand même bizarre que je n'aie rien entendu", constata-t-elle après un bon moment de réflexion. "Après tout ce n'est sans doute pas aussi grave que je l'estime. Je n'évalue sans doute pas correctement le problème. Ils ont encore voulu faire dans l'originalité. Il suffira peut-être qu'ils tirent sur des fils que ma vue trop imprécise ne me permet pas de distinguer pour enlever tout ça. Mon début de cataracte me joue probablement encore un vilain tour", finit-elle par conclure, choisissant de ne pas s'enliser dans des réflexions stériles et de passer à autre chose. 

Véronique avait près de quatre-vingts ans et elle était veuve. Elle n'appréciait guère ses voisins. Ils n'avaient pas du tout le même mode de vie que le sien. Ils étaient jeunes, désinvoltes, bruyants. Ils garaient leur voiture devant sa propriété, même devant son garage. Ils déposaient leurs poubelles sur le trottoir d'en face. Ils laissaient leur chat s'installer où bon lui semblait dans son jardin ou sur sa terrasse sans jamais tenter de le rappeler. Leur chat avait ainsi déjà cassé des verres restés sur la table de la terrasse.      

Véronique ferma la fenêtre et partit se balader le long de la rivière située à quelques kilomètres de chez elle avec l'intention de prendre des photos. Arrivée sur le chemin de halage, elle s'étonna de voir les mêmes rubans verts que ceux qu'elle avait observés chez ses voisins. Certains se trouvaient sur l'eau, d'autres sur les berges. À cet endroit, il ne pouvait être question de serpentins et de confettis lancés par les voisins et encore moins de motifs décoratifs. Quant à son problème de vue, comment aurait-il pu occasionner une déformation de sa perception de cet environnement sans avoir eu d'incidence sur celle des jardins et des péniches ? 

Les hypothèses affluèrent des plus loufoques aux plus probables ! Avait-on affaire aux retombées d'incivilités en rapport avec le cortège folklorique du week-end, à une pollution liée à l'utilisation d'engrais, à un sabotage orchestré par un groupuscule quelconque ou à une façon d'interpeller d'écologistes originaux ?  

Malgré la chaleur, Véronique se mit à frissonner lorsqu'elle constata qu'il y avait des traces vertes sur le cuir blanc de ses baskets… Ces baskets, il était certain qu'elle ne les enlèverait qu'avoir avoir passé des gants, qu'elle les emballerait ensuite dans du papier journal avant de les placer dans un sac poubelle ou mieux qu'elle les brûlerait…  

Véronique prit peur et resta perplexe. Elle ferma les yeux. Elle imagina qu'une pellicule verte recouvrait les trottoirs, les pièces d'eau, les fontaines, les boulevards de la ville toute proche. Elle se représenta les toits parés d'un tapis végétal vert. C'était une catastrophe !  

Quand elle rouvrit les yeux, il lui sembla que les rubans verts avançaient tels des serpents et que les formes ovales gonflaient. Elle voulut prendre des photos, mais elle n'y parvint pas tant elle tremblait. 

Elle aurait souhaité crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Surtout ne pas rester là, exposée à ces choses qu'elle n'arrivait pas à nommer. Surtout s'abstenir de toucher une seule de ces choses !  

Prenant le risque de tomber, Véronique pressa le pas pour rentrer au plus vite chez elle. 

Sitôt franchi le seuil de sa villa, elle se brancha sur la radio régionale. On y alertait les auditeurs à propos de la prolifération d'algues vertes. Ce phénomène était supposé consécutif au retour dans la région d'une troupe de scouts partie en vacances dans une cité balnéaire d'un pays limitrophe. Selon le journaliste, la cité balnéaire dont il était question avait été aux prises avec le phénomène dès la fin du printemps. Les autorités communales y avaient adopté des mesures strictes pour évacuer des tonnes d'algues et obligeaient le personnel à revêtir une combinaison et un masque protecteurs pour s'en approcher. On évoquait la conséquence d'imprudences répétées d'adolescents ayant franchi une zone pourtant devenue interdite d'accès au public. Par ailleurs, on pouvait aisément localiser les territoires où habitaient les scouts incriminés, car ceux-ci étaient à première analyse tous plus ou moins contaminés. 

En s'informant un peu, Véronique apprit que ses jeunes voisins avaient des parents parmi ces scouts. 

Le jour même, tous les journaux télévisés, tous les bulletins d'information des radios nationales, toutes les gazettes en ligne évoquaient le phénomène. Les réseaux sociaux s'emballaient. Les suppositions étaient aussi nombreuses que variées. 

Le lendemain, toute une équipe d'hommes harnachés comme des cosmonautes nettoya la piscine des voisins.  

Bientôt, on évoqua la présence de ces algues à d'autres endroits dans le pays et dans d'autres pays voisins. Cette apparition n'avait plus guère de limites. 

Pour Véronique, il s’agissait bel et bien d’une invasion. Entendre ou lire sur la toile les propos de journalistes et de scientifiques à ce sujet la rendait comme folle. Elle aurait voulu échapper à tout cela en s'abandonnant à un long, très long au sommeil même si ses sommeils  n'étaient désormais plus peuplés que de cauchemars. Dans ses rêves, elle se voyait habillée d'algues, se nourrissant d'algues, vomissant des algues, marchant sur des algues, tombant sur des algues. Un jour, d'un geste, en absorbant juste une pilule, Véronique mit fin non pas à l'invasion d'espaces par les algues, mais à l'invasion de sa tête et de son cœur. 

 

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Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 4

Publié le par christine brunet /aloys

Il n’y aura pas de parthénogenèse




 

    Jirons, l’élu, intégra l’impulsion du vaisseau. Il s’accroupit et d’un geste vif (parce que le temps basculait), il souleva la grille phosphorescente, celle du laborultima. Il descendit alors à toute vitesse (parce que le temps basculait), les cent quarante-quatre marches. En hyperconscience, il décrocha et enfila sa combinyloxygénérante en ayant soin de ne pas la déchirer (parce que le temps basculait) car c’était un modèle unique tissé pour ce jour J. Derrière lui, des forêts alanguinaires, des champs de blémarites, des étangs visqueux sur lesquelles surnagent des blobs et de vastes terres grippavores asséchées depuis la dernière nuclitorffe. Ensuite il plongea dans le liquide tiède et bleuté qui tourbillonnait vivement à cette heure tardilunaire. Jirons, l’élu, était de plus en plus excité car depuis le temps qu'il attendait ce jour J et cet instant XYA, il n'y croyait plus (et aussi parce que le temps basculait). C'était gravé pourtant dans chaque écran et à chaque quadrilunaire, ça clignotait au dimillième, aveuglant même les derniers unisextérilisables. Donc l'instant XYA, pour Jirons, l’élu, c'était une ascendation qui devait surgir absolument (parce que le temps basculait) d’un moment quadrilunaire à l’autre. 

    Après une dizanane de suositez et toujours en état d’hyperconscience, il était debout devant la Grotalib. Il appuya la paume de sa main droite contre un amaglandé de codes hyéroglyphés et un anneau de la Grotalib lui souffla son nom, Jirons donc, l’élu, et lui instilla « in sangui veritas » une autorisation pour pénétrer dans l’allée centrale (parce que le temps basculait) d’où s’innervaient les labyrinthes bunkèrisés qui alimentaient le dodécagynécée.

    Une fois propulsé dans l’épicentre de l’allée centrale, il souleva son bras droit et renversa sa main droite de façon à ce que sa paume reçoive les rayons omégastrom et que la séquence alpha du processus démarre (parce que le temps basculait). Une terrible détonation se fit alors entendre et des fumées s’échappèrent des labyrinthes bunkérisés. Des bruits sourds ne cessaient d’atteindre les tympans de Jirons, l’élu. Celui-ci s’écroula et son corps entier se fondit dans les mailles serrées de sa combinyloxygénérante. 

    Douze créatures apparurent, se libérant entre elles des algues et des champignons polypores qui les maintenaient en survie. La plus grande d’entre elles ramassa la combinyloxygénérante et l’accrocha à une exostose d’une des parois qui entourait la tribu terrienne (parce que le temps basculait). 

    La Grotalib s’ouvrit par le dessus et on vit dans le ciel rougeâtre une sphère phosphorescente qui s’approchait, c’était le vaisseau dans lequel treize créatures extraterrestres attendaient depuis des lames-lumières cet instant XYA. 

    L’histoire d’un nouveau monde pouvait commencer. Parce que le temps basculerait bientôt.

 

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Concours : "Catastrophe, les envahisseurs approchent !" Texte 3

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Les criquets de l’Est

Aurélien regarde ses champs. Le froment a bien poussé cette année : il y a eu de la pluie ou du soleil, juste quand il fallait. Il a rarement connu une si bonne alternance climatique. De quoi se réjouir, d’autant que le prix des semences a bien augmenté cette année, vu la conjoncture. 

Il a le cœur voilé, pourtant. Pas parce que Marion sa femme est à nouveau malade, cela il s’y est habitué, depuis les années, elle ne supporte pas les variations de températures, qui n’ont cessé de s’accentuer. Au début, ce fut difficile de tenir la ferme sans elle, mais les enfants ont grandi et ils lui sont d’une aide appréciable ; ils ont hérité de sa vigueur, Dieu merci.

Il passe la main sur les grains, dans quelques jours il pourra moissonner, ils seront à maturité. Il doit encore un peu attendre, avec le blé il ne faut pas anticiper. 

En écoutant la radio, il a eu un gros coup de blues. D’ordinaire, les secousses du monde et de son pays l’indiffèrent, il a bien trop à faire avec les bêtes et les cultures. Mais là, c’est autre chose.

On annonce qu’en Sibérie, les criquets ont proliféré, fin de saison. Ce sont des mutants, des criquets géants, qui se reproduisent à répétition. Avec la chaleur qu’il fait là-bas (42 degrés de moyenne ce mois) et l’humidité provenant de l’évaporation de surface du Lac Baïkal, ces insectes se sont multipliés. Une estimation prudente des autorités russes chiffre à plus de sept cents milliards le nombre de ces insectes. Ils ont tout ravagé en Sibérie et poussés par un désastreux vent d’est, ils ont déjà traversé le Kazakhstan et sont entrés en Ukraine. Ils auront de quoi s’occuper dans le grenier de l’Europe, mais leur voracité est insatiable : plus ils mangent, plus ils grossissent, plus ils grossissent, plus ils mangent.

On redoute qu’ils viennent par ici et si ça arrive, ce sera fichu pour ses récoltes, les criquets vont tout bouffer. Ses voisins partagent ses appréhensions. S’il pouvait, il mettrait bien du pesticide, mais depuis quelques années, c’est interdit, le bio est devenu obligatoire. Les amendes en cas d’infraction sont trop salées pour s’y risquer. Il en a marre de tous ces écolos !

Il va se coucher, il n’y a rien à faire, de toute manière. On verra ça demain. Marion est déjà au lit, endormie, elle ronfle doucement. Aujourd’hui, il a vu dans ses yeux qu’elle sait sa fin proche. Il entend les enfants qui jouent aux cartes et envie leur insouciance. 

Mâchant son pain au lever du soleil, il allume le poste. Les criquets sont arrivés dans le centre de l’Allemagne. Il a ouvert une carte et tracé une ligne, ils sont pile en direction de chez lui. Difficile de prévoir précisément quand ils viendront : cela dépend de la nourriture qu’ils trouveront sur leur chemin.

Il allume la télévision. On ne parle que de ça. On voit des images du ciel dégagé puis, lorsque les criquets entrent dans la zone de la caméra, c’est off, le soleil est coupé et il fait tout noir. On entend un paysan allemand expliquer qu’alors la température chute brutalement, tant l’ombre est dense.

Il allait éteindre, dégoûté, lorsqu’un journaliste évoque que le vent pourrait tourner, il tend légèrement au Nord-Est.  On verra.

La journée passe, sans grand changement : les criquets se posent, mangent et repartent. Ils sont encore loin, mais ils approchent, à peine déviés par le vent.

Aurélien va se coucher. Il regarde Marion endormie ; des images d’elle lui traversent l’esprit, quand elle était jeune et vigoureuse. Comment fera-t-il pour tout payer, s’il perd ses plantations de l’année ? 

Un voisin a suggéré d’allumer des feux, mais il n’y croit pas, ils sont trop nombreux et il y a le risque de tout faire cramer.

Après quelques heures de mauvais sommeil, il se lève. On n’entend rien dans la ferme, hormis les vaches dans l’étable, qui secouent leurs chaînes.

Il cherche des informations. Son cœur bondit : le vent a tourné au sud-ouest, très soutenu, c’est presque un vent de tempête.  Quelqu’un explique sérieusement que cette inversion du vent provient des criquets qui, refroidissant l’atmosphère, ont provoqué un fort changement de pression atmosphérique. Un fake, sans doute.  Par contre, un ouragan semble bien se préparer à la frontière. Une autre source d’inquiétude …

Quelques heures ont passé, quand il apprend que les criquets ont été violemment éparpillés dans l’atmosphère par le typhon, le danger s’est éloigné. Le cataclysme est resté localisé à la frontière et le temps est revenu au calme, un calme insolite. Tout s’est neutralisé.

Il pense à sa chance : il pourra vendre son grain à prix d’or, c’est la loi du marché et il s’en frotte les mains. Il ne voit rien de mesquin à cette pensée, il sait trop bien que c’est chacun pour soi. 

C’est passé tout près … la prochaine fois, il va déguster. En attendant …

 

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