Je suis un enfant de Bruxelles. Né à Bruxelles, mais pas à saint-Pierre. J’ai habité Bruxelles, mais pas dans les Marolles. Mon enfance a été bercée par un dialecte tellement fleuri qu’il m’est resté gravé dans la mémoire. C’est le paradoxe de mon écriture : le ket des beaux quartiers rencontre le petit peuple de la plèbe.
Mes personnages sont des figures que j’ai connues dans les années 1950, et que j’ai ramenées au XXIe siècle. Dans ces romans, les nostalgiques du Congo Belge côtoient des buveurs de gueuze d’après-guerre et des keums d’aujourd’hui.
Je me fiche de la vraisemblance, je raconte des histoires, des flooskes, des traminot-polars zwanzés :
C’est le brol aux Marolles (Édilivre)
Cahots dans le métro (Édilivre)
Cartache ! (Bernardiennes)
Manneken Pis ne rigole plus (Bernardiennes)
***
Un traminot-polar zwanzé ?
Wadesma da veui eet ? Qu’est-ce donc cela ?
« Il s’agit d’une approche cybernétique et transcendantale, quasi oulipienne, de la desserte ferroviaire subjacente en milieu urbanisé. »
Ça, c’est une zwanze, tu comprends ? Mais une de technocrate avec une barbe, une épée et un chapeau à cornes et que tu rencontreras pas sur le trottoir gauche en descendant la rue Saint-Ghislain ou dans un caberdouche de la rue des Prêtres.
Un traminot-polar zwanzé, c’est net la même chose, sauf que c’est juste le contraire ; c’est un roman policier humoristique qui se passe à Bruxelles.
Tu rencontres là-dedans des tronches colorées au lambik racontées par Roza, une rame de métro qui a sa langue bien pendue avec un accent qui ne vient pas du vieux Nice, ça tu as déjà compris, newo.
Le commissaire Carmel qui boit de la gueuze comme toi tu bois du Cacolac, sa fille Arlette adepte de sports de combat, et madame Gilberte qui va kocher les rames au dépôt et qui cause avec ses copines de comptoir de la brasserie Pill de madame Bertha où-ce qu’il y a des anciens et des nouveaux colons du Congo qui viennent se frotter la panse en dégustant un stoemp au moambe et saucisses arrosé de faroet de pékèt. Entre-temps, il y a quelques morts et une enquête de police un peu déjantée. Tout ça dans les rues de Bruxelles.
À la fin du livre, tu trouves un lexique pour si tu es né à Villeneuve-Loubet ou bien que tu habites à Houte-Si-Plou et que tu ne comprends rien à tout ce bazar. Juste net comme ici en-dessous. Ara !
Roza-la-Rame : Je peux aussi te dire quelque chose ? Un traminot-polar, qu’il dit que c’est, le Georges ! Un traminot-polar ! Moi, je te pose une fois la question : ses histoires, est-ce que ça a quelque chose à voir avec le tram ? Rien du tout, que je te dis. Il sait quamême raconter des carabistouilles quand il s’y met, celui-là !
C’est pas traminot-polar, mais métro-polar, qu’il doit dire, ce zievereir. Ou bien comme ma copine Fred, pour faire chic : un métro-pol. Tu ne trouves pas que ça sonne mieux ? Un métropole. Tu vois tout de suite les madames chichi avec leur chienchien qui viennent chichi-roter un thé de Chichine à la terrasse pour qu’on les voie bien.
Un métro-pol, ça j’aime, dis ! Moi, je suis une rame de métro de Bruxelles, et je n’ai pas une langue en bois, je te préviens. Je raconte des histoires de crimes et de fafouleries des hommes (mais aussi un peu des femmes, tu sais) qui montent dans mes wagons. Parfois, je sors dehors prendre la température, et ça, mon cher ami, c’est pas de la barbe à papa ni des smoutebolles, mais c’est quand même comme ça un tout petit peu la foire du Midi, newo ?
Tu as le commissariat où ça tourne comme dans la roue de la mort, et puis la brasserie Pill où-ce que ça ressemble à un fritkot de luxe, et de temps en temps, il y a un peï qui se met à tirer dans le tas, juste comme toi sur les pipes en plâtre de chez Buffalo Bill, et des castars qui se battent comme des veuivechters, ou des grandes gueules, c’est comme tu veux.
Les personnages, non plus, c’est pas du tout-venant de chez Nounkel Ware. Qu’est-ce que tu veux, c’est des gens avec un genre. À Bruxelles on dit avec un jââre, ça fait plus vrai.
Quand tu vas t’asseoir dans un café, ça s’appelle « Chez Méï Moeyal » ou « Chez les bons amis de Pitje Schaveiger », tu commandes une demi-gueuze et tu regardes autour de toi. Je te garantis pas que c’est la salle de lecture de la Bibliothèque Royale ou le dôme de l’Institut, mais tu entends parler une langue universelle. Un mélange de flamand, de français, de lingala, de roumain, d’italien, d’espagnol et des tas d’autres que je ne connais même pas comment on les appelle. Quand tu sais plus dans une, tu continues dans l’autre, et tout le monde se comprend. La demi-gueuze, ça aide à la comprenure ; au plus que tu en bois, au mieux que tu deviens polyglotte. Ça ils ne te diront pas au journal tévé, car ils sont payés par Cacolac au lieu des brasseurs bruxellois.
Tu as déjà compris que je raconte des flooskes. Allez, de la fiction, si tu préfères. Une rame de métro qui t’explique qu’elle sort de son tunnel et qui va regarder les gens, c’est pour du rire. Va pas en faire une cause pour ton avocat, il cause déjà assez.
Même la police sort du Grand Guignol. Tu vois très bien le commissaire Carmel avec un bicorne, qui reçoit des coups de balai sur son dos, et un ket avec une pinnemouch qui rigole dans un coin, juste sous une fresque montrant l’agent 15 de Hergé.
Bon, on va commencer, va chercher une bouteille de gueuze dans le frigo, enlève le bouchon et mets-toi seulement à lire en buvant un coup de temps à autre. Ça va te faire du bien, tous les deux, mais pas le bouchon.
LEXIQUE :
flooskes : inventions
zwanze : blague à la Bruxelloise
caberdouche : bistrot
lambik : bière bruxelloise
newo : n’est-ce pas ?
kocher : nettoyer
stoemp : purée de légume
faro : bière bruxelloise
pékèt : genièvre wallon
Ara !: voilà !
zievereir : radoteur
fafouleries : vantardises
smoutebolles : beignets au sucre
fritkot : friterie, baraque à frites
castars : mecs
veuivechters : cherche-misère
Nounkel Ware : Oncle Édouard
Meï Moeyal : mêle-tout
Pitje Schaveiger : Pierre le Ramoneur
ket : gamin, équivalent de Titi ou de Gone
Georges Roland
http://www.georges-roland.com