Une partie de ping-pong échevelée, un tête à tête décoiffant entre l’épouse et la maîtresse d’un directeur d’industrie décédé depuis deux ans… Voilà ce que nous propose Carine-Laure Desguin avec « Mises à nu ».
L’épouse veut savoir… Tout savoir jusqu’aux détails les plus salaces. Et la maîtresse, comme un ultime pied de nez s’exécute avec une pointe de cruauté qui ravit le lecteur (faut dire que l’épouse est fort peu sympathique… Mais nous y reviendrons). Elle lui raconte tout… enfin presque. Ironie, hargne, agressivité, menaces, humour noir… L’auteur utilise toute la panoplie des émotions liées au combat engagé pour nous tenir en haleine (curiosité mal placée ? Assumons !) et nous faire réagir au fil des passes vindicatives des deux femmes.
Jeu complexe où les personnages n’ont rien de lisse même s’ils ont un petit côté conventionnel qui, justement, est amusant (le cliché de situation, des personnalités en présence interpelle en nous amusant… Curieusement, il donne un rythme à l’ensemble) : la maîtresse est « plus » jeune, aimante, libre, indépendante financièrement, et peu intéressée par son apparence ; l’épouse, elle, est à la fois plus âgée, trop sûre d’elle et de l’emprise qu’elle pensait avoir sur feu son époux, vénale, bon chic-bon genre, calculatrice et autoritaire. Duo de choc !
Tout le long de l’échange, une question revient en boucle : le combat se soldera-t-il par un K.O. ?
D’ailleurs, tiens, l’épouse était-elle si aveugle que cela aux frasques extraconjugales de son mari ? Au fil des pages, on la découvre si manipulatrice que je me demande…
« Mises à nu » (dans tous les sens du terme), voilà un livre qui fait sourire… Mais oui ! Vous ne me croyez pas ? Lisez-le !
J'ai rencontrée Joëlle Rochard au salon des Ecrits grains à La Penne-sur-Huveaune... Ma voisine de table pour tout vous dire. L'univers qu'elle a créé avec son illustratrice, Agnès Perruchon, m'a franchement interpellée : le monde d'Oupakine... Un petit personnage bleu vraiment très attachant. Les textes sont bien menés, totalement adaptés à leur public (mais que j'ai lus avec grand plaisir!), les graphismes sont attractifs et Oupakine est...
Je laisse la parole à l'auteur !
MAIS QUI EST OUPAKINE ?
Oupakine est un personnage imaginaire, tout bleu, qui a des pattes de lapin, de petites oreilles et un ventre tout rond. Une nuit de grand vent, il est tombé de son étoile sur un grand lit de nuages, où il joue tout le jour. Le soir, il demande aux étoiles de lui raconter des histoires pour s’endormir.
LE MONDE D’OUPAKINE
Le Monde d’Oupakine est une collection de livres jeunesse ayant l’ambition de réunir des albums papier et albums numériques de qualité, tant au plan des histoires, de la langue, qu’au plan des illustrations et de l’impression. Les histoires sont pour certaines des contes originaux et pour d’autres des histoires plus proches de notre monde moderne.
Elle s’adresse à des enfants de 4 à 8 ans mais l’âge étant une affaire de maturité, l’indication reste relative.
J’écris les textes et Agnès PERRUCHON les illustre. Notre totale complicité donne une vraie cohérence à l’album et plus de force aux messages qu’il véhicule, messages que les parents pourront reprendre avec l’enfant pour l’aider à vaincre ses peurs, découvrir et comprendre le monde d’aujourd’hui.
A ce jour, deux albums ont été édités sur papier : « Plume et l’ogre » et « Gare à l’orage ! »
Ils sont disponibles sur le site : www.joellerochard.com
Au fait, qui est Joëlle Rochard ?
Elle a obtenu une maîtrise de lettres modernes et est diplômée de l'IAE (Institut d’Administration des Entreprises). Elle a été professeur de Français en coopération, professeur des écoles certifiée en remédiation pédagogique et enseignante référente handicap pour le suivi des projets personnalisés de scolarisation.
Chez Itak éditions, collection « Pourquoi dit-on ? » (2 tomes), elle a réuni 20 histoires expliquant 20 proverbes aux enfants de 6 à 9 ans.
Puis, en collaboration avec l’illustratrice Agnès Perruchon, elle a publié « Plume et l’ogre » et « Gare à l’orage » (premiers ouvrages de la collection « Le monde d’Oupakine »).
Dans ce huis-clos percutant, Carine-Laure Desguin met en scène deux femmes, une infirmière et sa patiente.
Mais qui sont Marielle et Madame Libert ? Quelle malsaine relation les unit ?
Elles ne sont pas amies, certes non, … pourtant si proches !
Par la force de ses mots, sans mièvrerie, l’auteure déshabille les deux protagonistes, attirant le lecteur dans la violence et la sensualité d’un effeuillage verbal.
A travers un échange haletant et intime, CL Desguin dévoile habilement les sentiments ambigus de chacune de ses deux héroïnes. La haine et le mépris se disputent la première place dans cette étrange joute.
Au plaisir de la lecture sans repos possible, l’auteure offre un dénouement qui ravira plus d’un lecteur.
Un long long dialogue, une sorte de Strip-Talker, car au fil des accusations, défenses, révélations, remises en perspective, phrases cinglantes et autres armes verbales, les deux combattantes se mettent à nu, et c’est un régal…
Je ne peux faire « long » moi aussi sous peine d’en dire trop ou de mal le dire, ce qui serait nuire à cet absolute must read ! Mais vous présenter les dames encore vêtues telles qu’on les rencontre en début de lecture, oui.
L’une, c’est la veuve. Veuve d’une compagnie qu’on appelle fièrement « mon mari », d’un statut social, d’amis « du couple » qui commencent à prendre de la distance, de souvenirs de train de vie (les vacances de standing, la belle villa qui fait envie, les ex-collègues jalouses, espère-t-elle, car elle, elle a épousé le boss), et surtout de tout ce qui lui a échappé (l’infortunée créature n’a pas eu les mains assez grandes pour s’emparer de tout, après tout elle n’était qu’une petite main de bureau avant son mariage à l’arraché).
L’autre, la jeune femme impulsive et vraie, à qui l’homme manque, ainsi que son amour, leurs rires heureux, leurs merveilleuses étreintes emplies d’amour et de plaisir, les rendez-vous coquins et passionnés, le présent partagé dans la conscience que d’avenir, il n’y en aurait pas et qu’il fallait donc le vivre sans réserves. Dix ans de tout ça, ça n’a plus rien d’une aventure, c’est une vie d’amour.
À chacune son mépris… l’une fronce le nez en doutant de toutes ses forces qu’on ait pu la tromper avec « ça », une fille « qui ne ressemble à rien », à laquelle elle affirme presque rythmiquement qu’elle la hait, la déteste, voudrait la tuer, tant la comparaison lui est odieuse et le crime conjugal d’autant plus impardonnable. L’autre méprise la voracité vénale, la bêtise, le superficialité et le manque de vrai chagrin de sa lamentable opposante, et en a même un peu pitié : un être aussi mal construit est presque un monstre.
Je vous laisse, je l’espère, en proie à une curiosité brûlante, qui vous donnera l’envie de suivre ce déshabillage implacable.
{Mises à nu -Carine-Laure Desguin - Editions Jacques Flament 12 €}
MISES A NU, c’est un dialogue percutant entre Christine et Marielle. Les deux femmes que tout sépare pourtant, de l’âge jusqu’au statut social, se connaissent depuis longtemps. Ce jour-là, Christine a une question très précise à poser à Marielle. Le secret est alors dévoilé, Marielle en a décidé ainsi.
Quatrième de couverture :
Toutes les femmes ont des secrets, madame Libert. Quelle est la femme qui ne dissimulerait pas, tout au fond d’elle-même, quelque chose d’inavouable, quelque chose rien qu’à elle ? Et c’est si beau, parfois, un secret. J’en oublie votre question. Parce que vous aviez une question à me poser n’est-ce pas ? Quelle est cette question ?
Extrait :
[…] — Je continue ou vous en avez assez entendu ? Ah oui, en parlant de voitures... Je vous annonce que s’il insistait pour que vous gardiez chacun votre voiture, c’était bien entendu pour avoir plus de facilités pour venir chez moi. Venir avec votre voiture, cela aurait été comment dire... inconvenant, oui c’est bien le mot, inconvenant.
— Continuez, je veux souffrir encore. Rassurez-vous, je ne m’évanouirai pas. C’est la rage qui maintient ma conscience en éveil.
— Puisque vous insistez... Souvent, j’étais nue sous mon long manteau gris et je portais des cuissardes. J’ouvrais la porte du garage. Étienne était là, il attendait. Je déboutonnais alors mon manteau et qu’importe si une voiture passait dans la rue. Dans ces moments-là, on se fout de tout, on ne pense qu’à offrir du plaisir à celui qu’on aime.
— Voyez-vous donc, quel altruisme !
— Ensuite, Étienne garait sa voiture dans mon garage. Bien souvent, il suçait un bonbon et lorsque nous nous embrassions la première fois, le bonbon migrait de sa bouche à la mienne. C’était un de nos rituels. […]
C.-L. Desguin est née à Binche un soir de carnaval. Elle a commis pas mal de choses en littérature et dans d’autres espaces aussi. Sa dernière publication : Misha, le poisson rouge et l’harmonica (Éditions Lamiroy, 2021). Ses textes poétiques (ou pas) se lisent dans des revues littéraires comme Aura, La Nouvelle Revue des Élytres, etc. MISES À NU est son deuxième texte théâtral.
Présentation du recueil collectif "Faits d'hiver/ 20 journées ordinaires de la vie de 50 femmes"
chez Jacques Flament Éditeur, 2022
(560 pages – 40,00 €)
LES AUTEURES
Cinquante auteures se sont investies et ont consacré beaucoup de temps à l'écriture du recueil. Les cinquante auteures viennent d'horizons différents et manifestent des sensibilités diverses. Elles sont de tout âge et de toute condition. Les textes reflètent assez bien une représentation des personnes qui composent la société dans laquelle nous vivons.
Savoir que quarante-neuf autres femmes parcouraient le même type de chemin, écrivaient elles aussi leur journal au quotidien avait, n'en doutons pas, quelque chose d'émouvant et d'excitant pour chacune de ces auteures.
Les espaces blancs entre les différents journaux des cinquante auteures sont agrémentés d'extraits de journaux de femmes au renom des plus éclatants, il s'agit en effet de Georges Sand, Anne Franck, Anaïs Nin, Marta Hillers et Virginia Woolf.
L'OUVRAGE
Comme le signale Jacques Flament, le livre, qui est de format A4, fait plus de deux cent cinquante mille caractères soit dix fois plus qu'un roman classique. Il pèse un kilo et demi de bonheurs, de joies, de plaisirs, de blessures, de colères, de craintes, de solitude, d'amour, d'amitié, d'ironie, de détresse, de tendresse. Il offre de nombreuses heures de lecture en perspective et "cinquante nuances de plaisir…littéraire" comme l'a écrit Valerie Morales, une des diaristes.
Bordo Moncsi a, par exemple, écrit un texte très émouvant sur la mère, l'enfance, la douleur. Carine-Laure Desguin a, par exemple, quant à elle écrit un texte très fort et très poignant sur le quotidien des infirmières en période de pandémie.
On découvre dans le recueil de la poésie aussi bien que des pages qui s'en tiennent à des faits précis, de l'humour aussi bien que des réflexions philosophiques. La plupart auraient probablement pu commencer l'écriture de leur journal de bord comme l'a fait Micheline Boland : "Cher journal, je me livrerai à toi sans calcul…"
La couverture apparaît comme un magnifique kaléidoscope : elle est, en effet, constituée des portraits des auteures.
Tous les textes de ce recueil ont été écrits par des femmes durant la période s'étendant du 21 décembre 2021 au 9 janvier 2022, soit durant une vingtaine de jours pour passer de l'année 2021 à 2022. Il y a eu des désistements, des hésitations, des rajouts au fil de l'aventure. Ce fut une très grande aventure pour l'éditeur Jacques Flament qui lui consacra quarante-deux journées de travail consécutives après avoir reçu les textes.
Le journal ou le journal intime est un genre littéraire à part entière. Ce journal certaines s'en servent dans l'ouvrage pour parler de l'actualité, des livres, de la nature, de leur vie familiale, de leurs émotions, et cetera. On en vient ainsi à parler plutôt de journal personnel. Cela devient alors un récit littéraire qui peut se rapprocher de l'autobiographie par le fond.
L'ambition du recueil est de mettre en avant des femmes auteures que l'on ne rencontre pas habituellement sur le devant de la scène littéraire, mais dont l'écriture n'a souvent rien à envier à leurs illustres consœurs médiatisées. Les Éditions Jacques Flament remplissent ainsi pleinement leur rôle de découvreur, défricheur et donnent à lire à contre-courant de la scène littéraire des textes qui parviennent à séduire.
Une vie entière avec l’impression de s’être trompée de A à Z sur l’évolution de nos sociétés européennes (qui englobe les Etats-Unis), d’avoir perdu ses illusions politiques en chemin et de conclure par l’absurde, voilà à quoi ressemble ce livre magnifiquement écrit mais d’une vérité crue, celle d’un échec qui se résume à la fin de la vie de l’écrivaine par une profonde désillusion, qui confine à l’absurde : tout ça, pour ça !
Barbara Flamand a été de toutes les batailles de l’ultra gauche pour se rendre compte à l’heure du bilan qui approche qu’elle avait tout faux ! Ceci n’est qu’un avis bien sur, et je présume qu’elle ne voit pas les choses de cette façon, mais l’URSS a disparu, la Russie s’est effondrée avec le mur de Berlin et le communisme n’a plus d’adeptes sérieux en dehors de la Corée du Nord et de Cuba. Tout ça, pour ça !
« Snobée en Belgique, ignorée en France, il fallu qu’une éditrice praguoise réalise enfin la portée de ses textes et fasse l’effort de les traduire en… tchèque, pour les faire paraître par la suite dans notre pays. » Il a fallu du temps, mais elle a tenu bon et Barbara Flamand est devenue une écrivaine prolifique, respectée, controversée certes, mais d’une totale sincérité. Elle a publié 13 recueils de poèmes, deux romans, deux essais, et diverses pièces de théâtre pour clôturer en 2021 aux éditions Bernardiennes par ce livre étonnant qui raconte sa vie teintée de tristesse et de désillusion malgré son titre paradoxal « Il était une fois… le bonheur ».
Très jeune, la petite Barbara s’est vite rendue compte (dès ses 12 ans) que la religion ne reposait sur rien de sérieux et que nous n’étions en fin de compte que des primates plus évolués que les singes, donc pas des bêtes à bon dieu. Elle prit alors le parti de l’espoir un peu fou, en se donnant aux sirènes de l’ultra gauche et de l’athéisme dont elle devint une ardente combattante.
Elle a tout expérimenté, depuis la vente du drapeau rouge dans les rues de Prague, à diverses amours de passage jusqu’au jour ou elle rencontre enfin (c’est elle qui l’affirme) un homme qui venait de perdre sa femme depuis quelques mois (il fait 25 ans de plus qu’elle) et trouve en elle, l’égérie qui réussira à combler ce vide, Marcel ! Elle vivra alors une passion complète jusqu’à son décès, même si elle reconnait avoir vécu entretemps diverses amours lesbiens. Dans la vie rien n’est jamais simple, surtout lorsqu’on parle de sentiments !
Une vie d’aventures bien remplies mais qui se clôture en fin de compte, vers la fin de son parcours, par une grande solitude, le constat décourageant sur le plan politique du triomphe de l’ultra libéralisme et d’un dernier décès, celui de sa chienne Laika sur qui elle avait reporté le trop plein d’amour qu’il lui restait. Une chienne, au lieu de l’homme !
Personnellement je retiendrai surtout de « Il était une fois… le bonheur » la première partie du livre où elle raconte avec une simplicité et une franchise désarmante, l’histoire de sa vie. Ça commence avec une gosse perte de temps, dieu, (je l’écris avec ostentation en lettres minuscules), jusqu’au jour où dans une nacelle, à la foire entre ciel et terre, elle se sentit libérée et capable de choisir. Elle venait d’avoir 12 ans ! « Je ne crois plus en Dieu, parce qu’il n’existe pas… je n’ai pas besoin d’aide, ma conscience me suffit. » explique t-elle au curé de sa paroisse, désemparé. Et tout était dit.
Après quoi elle fit la connaissance de son premier grand amour qui l’emmena à Prague, mais ce n’était pas le bon (il était violant et un peu barjot) et divorça, puis rentrée en Belgique fit la connaissance de Marcel, un responsable du « Drapeau Rouge » beaucoup plus âgé qu’elle mais dont l’aura et l’intelligence firent main basse sur son esprit partagé entre son engagement politique sans retenue et l’amour inconditionnel d’une amoureuse séduite par son aura politique… un amour total qui ne se démentira pas jusqu’ajour où intervint l’accident et le décès de l’ être aimé : « C’était un samedi fin d’après-midi, il sortit de la voiture et s’écroula. Les infirmiers de l’ambulance ne purent le ranimer. Il était bel et bien mort ! »
Dans le même temps elle fait la connaissance de Simone, une jeune fille effrontée qui du jour au lendemain l’initie au monde lesbien ! Une expérience ravissante qui lui apprit qu’on pouvait aimer de plusieurs façons et qui dura plusieurs années.
Et voilà ! Une vie qui se résume en quelque phrases, des amours compliquées, un parcours politique chaotique qui ne mène nulle part et fort heureusement pour nous, lecteurs, une existence consacrée à l’écriture (elle ne cessera jamais de coucher ses impressions sur papier) qui au fil des ans tissera l’histoire mouvementée mais décevante sinon absurde du communisme.
« La jeunesse d’aujourd’hui n’est plus celle qui se voulait le fer de lance dans le futur. Il s’agit de se caser au mieux dans une société sans but ! Je la quitterai cette société en ayant perdu l’espoir des lendemains qui chantent. »
Je pourrais évidemment vous parler des autres textes de cet ouvrage où elle raconte des histoires fortement influencées par ses convictions politique (les ouvriers d’une part et les méchants ou minables patrons de l’autre) mais je les trouve à tort ou à raison trop engagés, parfois d’une façon simplistes, pour être représentatifs. D’autant plus que ces « patrons » sont la plupart du temps des ouvriers qui ont réussi et travaillés dur pour y arriver.. Soit.
« Il était une fois… le bonheur » est un très beau livre, remarquablement écrit, et témoin d’une époque où la gauche, on pourrait même ajouter l’ultra gauche, faisait rêver une partie de la jeunesse obnubilée par le rêve des lendemains qui changent, mais ne parvint jamais à concrétiser. »
Ce qui m’a littéralement convaincu dans ce livre controversé mais passionnant, c’est le « ton », la finesse de l’écriture, et l’incroyable franchise d’une vie passée pour rien (ce n’est qu’un avis bien sur), et totalement consacrée à un idéal déchu. Au confins de l’absurde !
« Quel sens ? Question que beaucoup ne posent pas. Et d’ailleurs ils n’ont pas besoin d’un sens. C’est sage. Car la question posée, le mot qui saut dans la tête est l’absurdité… Vivre pour mourir ! Mourir: le gouffre. ? L’abime ? ».
« le Mystère Spilliaert » un des meilleurs romans de Kate Milie. Mais est-ce bien un roman ?
Kate Milie parle comme une mitraillette, mais réfléchit longuement avant de s’exprimer, elle a un débit ultra rapide mais tout est pensé dix fois, documenté avec sérieux et le résultat d’un long travail de réflexion… bref, elle est exactement le contraire de ce qu’elle parait être. Si vous avez pigé la manière dont elle fonctionne vous avez tout compris, sinon tant pis pour vous et repassez un autre jour.
Car depuis 2009, où elle a fait paraître son premier bouquin, cette autrice (ben oui, on est désormais obligé de nommer les écrivains avec le féminin correspondant si on ne veut pas courir le risque d’être désavoué publiquement) cette autrice a réussi à prendre une véritable place parmi les noms qui comptent dans la littérature belge. Depuis son premier polar (« Une Belle Epoque ») où elle s’est positionnée comme une écrivaine particulière, ses livres étant autant des descriptions de l’Art Nouveau que des histoires haletantes avec des assassins et des enquêtes compliquées, elle est apparue différente et originale.
Pas de problème du coté de l’écriture où on s’est rapidement rendu compte qu’elle savait écrire mais c’est surtout du côté de l’ambiance qu’elle se fit remarquer, avec des histoires qui toutes sans exceptions tournaient autour de Bruxelles et s’attardaient sur les courbes et arabesques de l’Art Nouveau qui fit le must des architectes entre 1890 et le début de la première guerre mondiale.
On peut dire sans lui lancer de fleurs (parce que c’est vrai), que Kate Milie est devenue une sorte de spécialiste de ce style et tous ses romans édités depuis, qu’il s’agisse de « l’Assassin Aime l’Art Déco », de « Noire Jonction » ou de « Peur sur les Boulevards » (tous édités chez 180 degrés) ne sont en définitive que des variations sur ce thème de l’Art Nouveau, avec en toile de fond, Marie une jeune guide touristique, qu’épaulent un journaliste et un flic qui connaissent bien les lieux interlopes ou parfois peu connus de la capitale, mais toujours attrayants sinon remarquables (l’adjectif étant considéré ici comme « curieux » ou « à marquer d’une pierre blanche ou… noire ».
Mais si je vous en parle ce mois-ci, c’est pour vous présenter un ouvrage vraiment très original qu’elle vient de publier et qui mérite dix fois être lu : « Le Mystère Spilliaert » et pour une fois il ne s’agit pas d’une enquête policière, encore que ce bouquin soit rédigé de la même façon. Car le sieur Leon Spilliaert a existé (1881– 1946). C’était un artiste dans tous les sens du terme et qui a laissé derrière lui des tableaux remarquables, pas toujours appréciés à leur juste valeur, relativement peu connus comme ils devraient l’être, mais témoins d’une époque où le symbolisme, l’expressionisme et même le surréalisme se confondaient. On ne peut d’ailleurs l’associer à aucune école sinon toutes à la fois. "Jusqu’à présent ma vie s’est passée, seule et triste, avec un immense froid autour de moi" écrivait-il en 1909, il n’avait pas trente ans ! Tout est dit, solitaire et très seul !
Peu de gens le connaissent, hormis les spécialistes, et sa fin de vie fut à l’image du personnage, discrète et retirée, encore que sur le plan pécuniaire il ait toujours vécu à l’aise, appartenant à une famille aisée d’Ostende (son père était parfumeur de la Cour). Il a connu et fréquenté des poètes comme Maeterlinck et Verhaeren, correspondait avec Nietzsche et Lautréamont et fut un proche de James Ensor qui ne le tenait cependant pas en très grande estime … Bref, il n’a pas vécu la vie difficile et bouleversée d’un poète maudit, mais celle d’un fils de famille qui n’a jamais du compter ses sous à la fin du mois, ce qui n’est pas très romantique. Il avait une santé fragile (il souffrait d’ulcères sévères à l’estomac et d’insomnies) et ses dernières toiles moins connues l’amenèrent même à dessiner encore et toujours des arbres ! Bref, qu’avait t-il de si particulier que Kate Milie lui ait consacré un livre ? Et surtout l’ait intitulé le « le Mystère Spilliaert » ?
Tout part d’un tableau exposé au musée d’Ixelles « l’Homme Chancelant ». « Un homme, vu de dos, vêtu d’une redingote, coiffé d’un haut-de-forme, erre la nuit, en bord de mer, le long des majestueuses Galeries royales d’Ostende. Il semble tituber, tend une main hagarde vers les imposantes colonnes. Qui est cet homme ? Un noctambule égaré sur la digue après la fermeture des cabarets ? Un promeneur perdu ? Un être dévasté venu confier une douleur intenable à la mer ? ». Une toile de jeunesse de Spilliaert qui toucha Kate Milie en plein cœur.
Et Kate elle est comma ça. Quand quelque chose la touche, elle y va à fond. Elle veut comprendre. Ce tableau lui a parlé et désormais elle va consacrer une année complète de sa vie de romancière à cet artiste méconnu ou presque et lui dédier un atelier d’écriture qui deviendra en même temps un livre (là on retrouve l’auteur de roman policier). Et quel livre !
Deux lecteurs et participants à ce atelier, Adrienne et William, la quarantaine, vont devenir ses cobayes, donner leurs impressions, leur ressenti et en même temps participer à la confection du livre, séduits par le spleen troublant et la personnalité sombre de Spilliaert (surtout durant sa période « jeunesse ») où il créa ses toiles les plus marquantes, souvent dessinées à l’encre de Chine et à la craie pastel. En fait, ils vont d’une certaine façon co-écrire ce livre et visiter de chapitre en chapitre les différents lieux où l’artiste a laissé, cent ans plus tôt, les traces de son passage. A Ostende bien sur, l’Hôtel Métropole à Bruxelles, Paris le long des quais de la Seine… partout où son génie la trimballé.
Un livre qui n’en est pas un, mais qu’il a fallu écrire quand même, sur un peintre qui n’appartient à aucune école mais a fréquenté les plus grands au début du siècle passé et dont on commence seulement avec pas mal de retard à reconnaître le talent, une autrice qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus et se lance à corps perdu dans une œuvre méconnue qui va peut-être revoir le jour… L’exemple de Van Gogh est là pour nous ramener à plus de modestie et nous rappeler que la notoriété ou le succès ne sont pas toujours le résultat du génie, mais plus souvent de l’art de se vendre.
Qu’il s’agisse de « l’Homme Chancelant », de la « Baigneuse », de la « femme sur la Digue », de « la Porteuse d’eau » ou plus simplement du portrait de son ami « Emile Verhaeren », tous ces tableaux commencent désormais à faire parler d’eux et Léon Spilliaert sort de l’ombre. Il n’en demandait pas tant. Tout comme le livre que Kate Milie lui a consacré à une époque où les gens se demandaient le pourquoi et le comment d’un tel intérêt ? Certains appellent cela de la prémonition, d’autres du flair… Demandez lui, à mon avis c’est tout simplement l’intérêt pour le beau.
Ainsi un peintre sort de l’anonymat où il se complaisait, pour devenir soudain un « Nom » et (je me trompe peut-être, mais je ne crois pas) un talent très original où une certaine discrétion voulue risquait de l’enfermer ! Ce n’est pas la première fois que des artistes se révèlent après leur mort et souvent cela arrive parce qu’ils sont redécouverts à leur corps défendant par des amateurs d’art, parfois des galeristes ou des gens plus visionnaires, plus affutés que d’autres.
Avec « le Mystère Spillaert » Kate Milie a donc réussi à sortir des limbes un peintre d’une grande originalité tout en écrivant un roman (mais est-ce bien le terme exact) de toute beauté qu’elle considère d’ailleurs comme un de ses écrits les mieux pensés.
Oui, cet Adopuscule est, au départ, habillé comme un livre pour ados. Jeunes ados, même. Après tout, Misha a un ciré rouge, un carnet rose toujours ouvert à la page « Aujourd’hui », et son aventure commence alors qu’elle parle à tu et à toi avec un poisson rouge qui ne va pas trop bien.
Ici, les jeunes ados peuvent certes continuer la lecture, mais aussi inviter les grands au régal des mots.
La conversation prend fin, et c’est un somptueux défilé d’images en cinémascope qui prend la relève, accompagnant la petite Misha le long de fleuves, rus, canaux et rivières aux noms pleins de couleurs et d’odeurs – il y a même, tenez-vous bien, celles de ces laines vagabondes trempées par des mains gercées et rougies dans la Vesdre verviétoise – et aussi des wagons au bruit si triste, remplis de visages aux regards morts et de souvenirs de vies d’avant l’étoile. L’affreuse étoile.
Un envol d’oiseaux déposés sur leurs fils en une mélodie écrite sur le ciel pépie et bruisse, Misha semble enlever le gris des choses et les rendre plus belles, parfois plus légères, les souffrances éphémères, les surprises dignes de figurer à la page « Aujourd’hui ». Comme le noble Thibault de Géramont qui, ma foi, se déplace avec une étrange escorte et une requête administrative bien précise.
Tout ça – et plus encore ! – au son de l’harmonica. Jusqu’au canal des suicidés où Yvan joue de l’harmonica. Olga l’écoute. Elle entend, dans le souffle joyeux d’Yvan, arriver l’enfant au ciré rouge…