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Philippe Desterbecq nous propose un exte sur l'automne

Publié le par christine brunet /aloys

Automne

Il attend. Avec patience. Il a toujours aimé l’automne et il attend sa proie paisiblement, comme un chasseur à l’affut. Il regarde tomber les premières feuilles. 

Il aime cette légère brume qui enveloppe les arbres de son écharpe vaporeuse. Il aime l’or qui, petit à petit, colore les feuilles qui finiront par mourir comme tout un chacun. Il aime l’écureuil qui voltige de branche en branche, vole une noisette, une châtaigne qu’il s’empresse de cacher dans un endroit qu’il finira par oublier, plantant ainsi, sans le savoir, les futurs arbres qui peupleront la forêt. 

Il aime la forêt, le calme qui y règne, le chant des oiseaux qui saluent le lever du jour. Il aime l’attente. Il sait qu’un corps à moitié dénudé finira par faire son apparition. Le plus souvent, ce sont des hommes qui courent dans le bois. Les femmes se méfient. Des prédateurs pourraient rôder dans les environs, des mâles alpha prêts à les dévorer. C’est comme ça qu’il se nomme : Alpha. Ce n’est évidemment pas son nom de baptême. C’est comme un pseudonyme, une appellation qu’il s’est donnée à lui-même. Il est le dominant, le leader, celui à qui personne ne résiste. 

Chez certaines espèces animales comme le loup, l’alpha jouit d’un accès privilégié aux femelles. Parfois, il se réserve même leur exclusivité.
Que se passe-t-il si une femelle fait de la résistance ? Lui le sait. Il prend et que celle qu’il a choisie soit d’accord ou pas ne change rien à l’affaire. D’ailleurs, si elle lui résiste, elle n’en est que plus attirante. 

Chaque année, c’est en automne que ses sens se réveillent. La sève qui descend dans le tronc jusqu’aux racines de l’arbre monte en lui et il devient chasseur, braconnier, traqueur, prédateur. 

Il fait une seule victime par an, toujours en automne, au moment où la nature la met en veilleuse, s’endort sous un épais tapis de feuilles multicolores. 

Il sait qu’elle va arriver. Il la guette depuis des jours. Elle est réglée comme une horloge. Chaque matin, à la même heure, elle apparait dans ses vêtements collés à son corps perlé de gouttes de sueur. Elle est belle comme l’aube. Il a retardé sa mise à mort pour pouvoir continuer à l’observer, jour après jour, dans la fraicheur matinale, sous les premiers rayons faiblards du soleil d’octobre. 

Elle ne le sait pas encore, mais aujourd’hui, elle va rencontrer l’alpha, le mâle suprême : lui ! Tout le monde n’a pas cette chance. Il entend déjà le bruit de ses pas sur les feuilles mortes, sa respiration un peu haletante. Il sent déjà son parfum d’automne, doux et capiteux. 

Ses sens à lui sont aiguisés. Il est prêt. Le loup va sortir de sa tanière pour son repas annuel. Il sort ses griffes en même temps qu’il sort des fourrés. 

La proie a compris. Elle s’arrête, mais c’est trop tard, le fauve a déjà bondi…

 

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"Et les vieux dans tout ça", un texte en 4 parties signé Carine-Laure Desguin... Part 4

Publié le par christine brunet /aloys

 

Et les vieux dans tout ça ( 4, suite et fin)

 

Quelle poésie, écoutez tous cet artiste ! Écoutez-le ! Car vous êtes artiste n’est-ce pas ? Oh, dites oui, dites oui ! Écoutez cet homme mes amis, écoutez-le !

  Non, je ne suis pas un artiste, je suis quelqu’un qui a des idées, voilà tout ! Et j’aime la poésie, celle qui bulle dans les cafés refroidis et …

  Fred ne continue pas, il se sourit car il vient d’inventer un mot, bulle, bulle utilisé en tant que verbe. Il est content de cette idée.

   Vous êtes un artiste alors, il n’y a aucun doute ! Et ces idées, vous les vendez ? Vous avez une galerie d’idées ? Vous avez des albums d’idées ? Des livres d’idées ? Vous les encadrez, dites, ces idées ?

   Non, ce sont des idées, voilà tout. Seulement voilà, je ne veux plus voir pleurer les vendeuses et pour ma prochaine idée, j’ai une autre idée.

   Les phrases de Fred provoquent un attroupement et tout le monde écoute l’homme qui marche pieds nus sous le dôme.

   Je vous photographie, s’exclame un journaliste !

   Quelle bonne idée ajoute l’épouse de l’architecte !

   Clic clac clic clac. Six ou peut-être sept appareils se mettent à crépiter, car si un journaliste a l’idée de photographier un homme aux pieds nus, c’est que l’idée peut s’avérer géniale.

   À présent la nuit s’installe et des lumières de toutes les couleurs jaillissent d’un peu partout, du haut du dôme, des ascenseurs, et des lits médicaux électriques. Une vision de toute beauté.

   Quel jeu de lumières, entend-on de droite et de gauche, quel jeu de lumières, ils ont pensé à tout ! Des étincelles de lumières qui s’étoilent en provenance des lits électriques, quel art, quel art !

   À propos, les œuvres ne sont pas encore visibles ? questionne le journaliste.

   Monsieur Désarbre prend la parole et madame Holter approuve chaque mot que monsieur Désarbre expulse.

   La demande est telle que nous avons lancé un tirage au sort, vous voyez l’ampleur de cette idée ! Une seule œuvre est arrivée, les autres seront présentes demain, c’est promis. Ce fut toute une organisation. Chaque établissement a procédé à un tirage au sort. Obligatoire car les postulants étaient si nombreux. On ne peut quand même pas les entasser les uns sur les autres. Nos œuvres d’art doivent respirer !

  À ces mots, les regards cherchent l’endroit où l’on a placé la première œuvre.

   La première œuvre arrivée est allongée au quatrième étage ! Montez, montez chers amis, je vous en prie ! crie monsieur Désarbre, avec dans la voix des tonnes d’exaltations.

   Devant le lit, une plaque de cuivre pareille à celle que l’on trouve sur le bord inférieur des tableaux, dans les musées. Une infirmière astique du mieux qu’elle le peut la plaque de cuivre.

   L’épouse de l’architecte s’approche et lit Firmine Lesage. C’est bien ça ? demande-t-elle à l’infirmière.

   Oh je ne sais pas, je n’ai pas encore eu le temps de lire le nom de cette œuvre, j’astique ! Attendez. L’infirmière rive ses yeux vers la plaque de cuivre et puis dit oui c’est bien ça, l’œuvre s’appelle en effet Firmine Lesage.

   Des exclamations fusent. On s’approche de l’œuvre endormie, on se bouscule, on prend des selfies. Oui, c’est ça, attendez, je recule, essayez de prendre le visage de l’œuvre, j’aimerais nos deux visages sur la photo. L’infirmière sourit et sur le lit de l’œuvre, prend des poses suggestives. 

   Une odeur nauséabonde est à présent perceptible. Et du lit s’écoule un liquide brunâtre, plic, ploc, plic, ploc. Firmine Lesage s’éveille et s’écrie je viens de pisser, y’a-t-il quelqu’un pour me changer oui ou merde ?

 

   Au rez-de-chaussée, Fred et Phil, bras dessus bras dessous, zigzaguent entre les visiteurs.

   Fred, toutes ces lumières, ça me rend folle.

   Viens m’man, laissons cette idée sur la place du Manège, j’ai une autre idée qui me carrouselle dans la tête.

 

Carine-Laure Desguin

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"Et les vieux dans tout ça", un texte en 4 parties signé Carine-Laure Desguin... Part 3

Publié le par christine brunet /aloys

Et les vieux dans tout ça ( 3 )

 

Bonjour mademoiselle, vite, vite, je désire cette paire de baskets mauves, celles exposées dans la vitrine centrale, entre les bottillons orange et les bottillons vert pomme. Vite, vite, je vous en supplie.

   Oui, monsieur, bien entendu, ce sont des baskets pour femmes, de préférence.

   De préférence ? Vous voulez dire que ce n’est pas obligatoire ?

   Oui, c’est ça, si vous voulez…

  Si je veux ? Oh moi, ce que je veux, c’est que vous vous pressiez et surtout je ne veux pas entendre des sanglots en provenance d’une arrière-boutique.

   Monsieur, vous êtes certain que tout va bien pour vous ?

   Je ne veux pas vous entendre pleurer et surtout je désire au plus vite cette paire de baskets mauves, celles de la vitrine, ne cherchez pas plus loin.

   Bien, voilà.

   La vendeuse se dépêche, attrape les baskets et les emballe au plus vite. Ce n’est pas tous les jours qu’elle entend ça, un mec qui désire ne pas la voir pleurer. Les hommes qu’elle connaît aiment les larmes, les sanglots, et les mouchoirs.

   Merci mademoiselle. Et j’espère que vous n’avez pas de grand-mère car c’est terrible vous savez, une grand-mère qui n’est pas tirée au sort. Si elle n’est pas tirée au sort, quel sort peut-on encore lui réserver ? Merci et gardez la boîte, je vous en prie, je les consomme au plus vite.

   S’il vous plaît monsieur, voici une paire de baskets mauves pointure trente-neuf.

   Trente-neuf ?

   Oui, vous n’aimez pas ce chiffre, trente-neuf ?

   Oh moi, vous savez les chiffres, ils m’importent si peu. Je les aime ces chiffres, uniquement lorsqu’ils sont écrits en lettres. Ce que j’aime plus que tout, ce sont les idées, les projets, et puis les idées qui deviennent des dômes. Je chausse du quarante-deux. Mais deux trente-neuf feront bien l’affaire, ça nous fait septante-huit si je compte bien et dans septante-huit, on place au moins une fois quarante-deux. Au revoir mademoiselle. Et merci de ne pas avoir pleuré.

   Fred se demande si deux trente-neuf, ça prend un s, ou pas. Il se dit que l’idée est poétique. Il la retient. Qui sait, cette idée sera-t-elle un jour un projet. Et l’occasion d’inaugurer l’acte. Et puis de s’acheter un costume, un polo. Et une paire de baskets mauves très flashy.

   Le soir de l’inauguration, le soleil n’a pas encore capitulé. C’est le printemps, après tout. Et tout le monde est là au rendez-vous. Certains amènent des fleurs et d’autres, des sourires. Des airs satisfaits s’inscrivent sur leur visage, comme si l’idée venait d’eux, comme s’ils s’octroyaient le droit d’une revendication quelconque. Par chance, pas trop de manifestants sur la place du Manège puisqu’à la télé l’audimat explose. Téléréalité : des peoples qu’on enferme dans les cuisines d’un hôtel cinq étoiles à Paris, lequel trouvera la roquette parmi toutes les salades proposées ?

  Au milieu de tous ces gens bien sapés, Fred et Phil sont perdus, presqu’hébétés. Phil pense que l’idée de Fred étant devenue un projet et puis une réalité, un dôme donc, Fred recevrait encore une fois les honneurs, de beaux mots, un discours, puisqu’il est l’auteur de cette idée. Non, ça ne se passe pas comme ça. C’est monsieur Désarbre, l’échevin de la culture et madame Holter, la directrice de tous les hôpitaux de la ville, qui croulent sous les félicitations et se tordent les bras à cause des poignées de mains des uns et des autres, des ministres et tout le gratin de la ville et du royaume.

   Un verre de champagne à la main, Fred et Phil déambulent parmi tous ces gens. Ils écoutent. Les phrases qu’ils entendent sont surprenantes, vraiment. Et des idées jaillissent aussi. C’est facile à présent de pondre des idées, quand l’idée de départ est là, un dôme haut de quatre étages, tout en verre : une coupole en verre, des murs en verre. Des miroirs grossissants sont même suspendus au-dessus du dôme, pour qu’un maximum de gens profite de ce haut lieu culturel. Sur les toits des immeubles avoisinants, des dizaines de personnes sont là, jumelles entre les mains. Ils regardent. Acharnés. Surtout, ne rien perdre du spectacle. Une répétition. Puisque toutes les œuvres humaines ne sont pas encore installées, ce geste, tenir les jumelles bien serrées entre les mains, ils le répèteront souvent.

  C’est facile de se pavaner sous ce dôme quand au départ, l’idée est de quelqu’un d’autre. Un grand type sûr de lui s’approche de monsieur Désarbre et demande : Vous pensez essaimer l’idée ?

   Ah, mon cher, ce n’est plus une idée, c’est un dôme !

   Phil et Fred écoutent. Une fois qu’ils entendent le mot idée, ils sont attentifs, on ne sait jamais, on pourrait citer le nom de Fred.

   Oui, suis-je bête ! Et ce dôme, pourrait-il se trouver dans d’autres villes ?

   Celui-ci, non ! Il restera ici ! C’est notre dôme ! Avec notre personnel et surtout nos œuvres d’art, ah ah ah !

   Vos œuvres d’art ?

   Oui, c’est l’essence même de l’idée. Des vieux hyper-visibles de l’extérieur ! Un musée de chairs humaines ! Les vieux seront à l’honneur, toujours ! On ne pourra plus leur faire aucun mal, ils ne subiront aucun sévices puisque les soins seront donnés sous le regard de tous ! Vous voyez, quelle évolution ! Les vieux seront protégés, ici, sous ce dôme ! Quel Art ! Et les visites, vous avez songé aux visites ? Les vieux se plaignent, dans ces maisons de repos traditionnelles, de ne recevoir aucune visite. Ils tombent dans l’oubli, reçoivent le morceau de tarte le jeudi soir, en prévision du dimanche après-midi. Ici, il n’est plus question d’être oublié ! Le musée d’art de chairs humaines attirera beaucoup de visiteurs chaque jour, même le dimanche !

  Et le week-end également ? demande l’épouse de l’architecte.

  Bien entendu ! On ne peut abandonner les vieux durant le week-end, sous prétexte que c’est le week-end ! Car le dimanche, chère dame, c’est le week-end !

   Oh, fabuleux, s’écrie l’épouse de l’architecte, tout en se tournant vers son mari qui lui, d’un air convaincu dodeline de la tête, pour signifier qu’il approuve.

   Phil se sent rassurée, apaisée. Le dôme sera ouvert chaque jour. Chaque jour, Fred pourra donc lui rendre une petite visite et il lui soufflera ses nouvelles idées. Fred a préféré ne pas trop parler de ce tirage au sort. Il n’est pas certain que ce soit une bonne idée. Quoique. On ne peut surcharger le dôme. Les vieux, ça se respecte, faut pas les étouffer.

   Le soir s’avance et les rayons du soleil s’orangent de part et d’autre des grandes surfaces de verre. Quelqu’un s’écrie regardez comme c’est beau, c’est d’une beauté, ces faisceaux de lumière orangée et verdâtre et bleutée, un signe du ciel, c’est certain. Des dizaines de regards observent les hauteurs du dôme et les smartphones se déclenchent. C’est d’une poésie… Et puis c’est classique, dans les inaugurations, les artistes s’expriment et un rien, la moindre petite chose, une exclamation, un soupir, le battement d’ailes d’une mouche devient de la poésie. Un rien, ce peut-être aussi un chien qui lève la patte sur un pied de tabouret ou quelque chose comme ça, un verre qui s’éclate contre le carrelage, tout quoi.

   Vous n’avez pas froid aux pieds ?

   Fred baisse les yeux, regarde ses pieds et lâche : Je n’ai pas froid aux pieds.

   Regardez, regardez, quelle poésie, un homme aux pieds nus ! Vous êtes un artiste je suis certaine que vous êtes un artiste, dites-moi oui, dites-moi oui ! La dame au chapeau jaune questionne. De grandes certitudes sont ancrées au fond de ses yeux, elle est certaine de se tenir devant un artiste, un vrai, un vivant, un qui parlerait de ses idées.

   Je suis pieds nus car les baskets mauves ont la pointure trente-neuf, que je chausse du quarante-deux, que deux fois trente-neuf n’égaleront jamais quarante-deux et que je ne voulais plus voir pleurer une vendeuse.

   Quelle poésie, écoutez tous cet artiste ! Écoutez-le ! Car vous êtes artiste n’est-ce pas ? Oh, dites oui, dites oui ! Écoutez cet homme mes amis, écoutez-le !

  Non, je ne suis pas un artiste, je suis quelqu’un qui a des idées, voilà tout ! Et j’aime la poésie, celle qui bulle dans les cafés refroidis et …

  Fred ne continue pas, il se sourit car il vient d’inventer un mot, bulle, bulle utilisé en tant que verbe. Il est content de cette idée.

 

À suivre …

 

Carine-Laure Desguin

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"Et les vieux dans tout ça", un texte en 4 parties signé Carine-Laure Desguin... Part 2

Publié le par christine brunet /aloys

Et les vieux dans tout ça  ( 2 )

 

Pour l’occasion, m’man, quelle occasion ?

   Dans deux jours, c’est l’inauguration, tu sais bien ! On ne parle que de ça !

   Ah oui, l’inauguration. Oui, c’est une bonne idée ça, un nouveau costume. Une nouvelle chemise. Et un nœud pap ou une cravate, m’man, tu préfères quoi ?

   Fred, j’irais bien débroussailler tout ça avec toi, ton histoire de nœud pap ou de cravate. Je vieillis, mes peaux se fanent. Tu trouveras bien une jeune et jolie vendeuse qui t’assommera de ses conseils. Dis-lui que c’est pour l’inauguration, elle te dénichera quelque chose de bien, quelque chose de flashy.

   Depuis tout ça, l’idée, le projet, les travaux, l’inauguration, tu n’arrêtes pas de me dire que tu vieillis, que tu te fanes, que tes rides sont comme des sillons sur des terres agricoles. J’en ai marre, m’man, non, tu ne vieillis pas, c’est pas pour toi, ce dôme, c’est pas pour toi.

   Là, Fred, tu mens un peu. Bien sûr que cette idée elle t’a été soufflée parce que tu espérais que ta mère soit protégée, soignée et mise à l’honneur. Et maintenant, tu te débines. Ce dôme ne profiterait qu’aux autres petites vieilles, ce serait mieux ainsi, ouais… Il y en a plein les rues, des vieux et des vieilles, ouais… Ta mère, tu la voudrais pour toi tout seul. Oui ou non, Fred Vilain ? N’en parlons plus mais je sens bien moi que mes forces s’effritent. Je fatigue. Je décline. Essuyer la vaisselle me tue. Couper ma côtelette me tue. Et je mets les phrases dans le désordre. Tu le vois bien que je ne la lave plus chaque jour, cette vaisselle. Parfois même, je lave les assiettes et j’oublie de les essuyer, c’est un signe ça. Je te le dis, quelle belle idée de génie tu as eue, voilà que tu viens d’inventer quelque chose qui servira l’humanité entière, mon Fred. Les vieux se déglinguent seuls chez eux. Alors…

   Un costume, oui, c’est ça, un costume. Une veste et un pantalon. Et puis, si vous aviez une chemise, et un nœud pap ou une cravate. Qu’en pensez-vous mademoiselle, une cravate ou un nœud pap ?  C’est pour l’inauguration.

   La vendeuse, une petite blondasse qui semble évacuée de la planète mars par expulsion atmosphérique comprimée, prend l’air étonné de celle que le choix entre une cravate et un nœud pap désarçonne et bouleverse.

  Oui quoi, c’est pour l’inauguration. M’man m’a bien dit de ne pas oublier de le signaler ça, que c’est pour l’inauguration. Vous me conseillez un nœud pap ou une cravate ?

   La cravate, c’est un peu démodé et le nœud pap, ce serait plutôt pour une cérémonie.

   Une inauguration, ça vaut bien une cérémonie, non ? C’est quand même une inauguration qui aura lieu dans le dôme, vous savez, le dôme, le fameux dôme…

   Le dôme ? lâche la pipelette d’un air de plus en plus égaré.

   Oui, le dôme, le fameux dôme de la place du Manège, le nouveau musée dont les murs sont de grandes surfaces de verre en quadruple vitrage, pour la chaleur et tout ça. Le dôme quoi, le premier musée qui abritera des œuvres d’art en chairs humaines vivantes, vous voyez ce que je veux dire ?

   Fred Vilain s’en veut. Ce mot, musée, il veut l’abolir, le dépoussiérer. Il voudrait le reprendre mais ce serait sans succès. Les mots lancés ne se reprennent pas. Fred a déjà essayé de les rattraper mais jamais il n’y a réussi.

   Sur ce, la vendeuse commence à sangloter. Elle cherche dans un tiroir un mouchoir ou quelque chose comme ça qui ferait office et, ne trouvant rien d’autre, elle déballe un slip neuf exposé sur le premier rayon, se mouche, essuie ses larmes avec la partie renforcée (celle qui reçoit les deux bourses pour ceux qui n’auraient pas compris) et s’assoit sur un tabouret bancal, juste derrière le comptoir.

   Quoi, vous n’aimez pas la culture ? Alors vous en pensez quoi de ce nœud pap ? Vous préférez une cravate, c’est ça ? Je peux comprendre pourquoi vous pleurez, c’est affligeant, ce dilemme, le choix entre un nœud pap et une cravate.

   La fille, pliée en deux, la tête compressée entre les genoux, ne cesse de pleurer. Ses longs cheveux se mélangent entre les poignées des tiroirs et ses sanglots masquent la musique de la radio. Ramdam Music, une radio locale passe non-stop des chansons francophones. La Grande Sophie chante « …les fraises, sucrer les fraises, sucrer les fraises… » Fred hésite, la blondasse pleure-t-elle pour le nœud pap ou pour la cravate ? Ou alors elle s’alarme pour la Grande Sophie qui ne pige pas comment sucrer les fraises. Une jeune dame l’air distingué mais le visage soucieux entre, lâche un vague bonjour à Fred et balaie du regard le magasin. Vous êtes seul ? Où se trouve ma vendeuse ? Vous attendez là depuis longtemps ?

   Fred n’a pas le temps d’ouvrir la bouche, la gérante aperçoit derrière le comptoir sa vendeuse, pliée en deux, qui verse toutes les larmes de son corps la tête plongée dans un des tiroirs.

   Amélie, tu es malade ? Cours dans l’arrière-boutique, on ne se donne pas ainsi en spectacle !

   La fille, le visage recouvert par le slip d’homme, court à petits pas entre les rayons et file vers l’arrière-boutique.

   Veuillez l’excuser monsieur, c’est ma vendeuse. Je me suis absentée durant une demi-heure, les paperasseries, vous savez, et tout ça. En ce moment elle a des problèmes familiaux, la pauvre, c’est si difficile à gérer pour elle. Sa grand-mère, voyez-vous, sa grand-mère. Une pauvre petite vieille en perte totale d’autonomie qui pisse sur les carrelages de la cuisine jusqu’au living et qui oublie d’éteindre les plaques de cuisson. Bref, je vous ennuie avec ces détails. Et dans ces résidences aux noms si jolis, résidence du Bon Accueil, résidence du Val Joli, eh bien, les places sont très chères… et rarissimes !

   Oui, je sais.

   Ah, vous savez ?

   Oui, je sais.

   Je vous ennuie cher monsieur, vous n’en avez que faire des soucis de ma vendeuse, je me doute.

   Justement, ça m’intéresse.

   Ça vous intéresse ? Vous êtes bien le seul homme concerné par le sort des personnes âgées !

   Oui, enfin non, je ne suis plus le seul, nous sommes plusieurs à présent. Les mouvements de foule, vous savez. Et cette grand-mère, que devient-elle dans l’histoire ?

   Ah oui, la grand-mère ! Justement, vous savez, le dôme…

   Oui, je sais.

   Ah, vous savez ? Je disais, heuuu…

   La grand-mère ?

   Oui, c’est ça, j’en perds le fil de ma mémoire.

   Le vieillissement, sans doute.

   Vous croyez ?

   Oui, c’est certain. La grand-mère ?

   Ah oui, la grand-mère ! Justement, ce nouveau bâtiment, ce dôme, le tirage au sort, eh bien, loupé pour la grand-mère ! Amélie ne peut donc caser sa grand-mère. Seulement une dizaine de personnes peuvent s’installer sous ce dôme. C’est honteux quand même. Tout le monde devrait avoir le droit de regarder mourir sa grand-mère sous une immense cloche de verre. Non ?

   Je m’interroge. Je réfléchis. Je pense que je préfère un pantalon et une veste mais pas forcément un costume. Et aussi un polo, vous savez, un polo à manches courtes, avec un crocodile au niveau du cœur. C’est pour l’inauguration.

   L’inauguration ?

   Oui, l’inauguration du dôme, place du Manège.

   Ah oui, c’est vrai, l’inauguration, j’oubliais.

 

   Après une heure de palabres et d’explications et puis ce bruit, ce bruit régulier comme un métronome, les sanglots de la petite blonde qui ne sait plus quoi faire de sa grand-mère, Fred sort de la boutique. Il se dit que c’est vrai ça, tout le monde devrait avoir le droit de regarder mourir à petits feux sa grand-mère sous une cloche de verre. C’est un droit, après tout, et pas un privilège. Dans la rue, il s’arrête devant une vitrine. Les reflets du soleil dans ces grands carreaux l’aveuglent et sous l’ombre de sa main qu’il porte en visière, Fred aperçoit une paire de baskets mauves. Très flashy, ça plaira à Phil.

 

À suivre …

 

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"Et les vieux dans tout ça", un texte en 4 parties signé Carine-Laure Desguin... Part 1

Publié le par christine brunet /aloys

 

Et les vieux dans tout ça  ( 1 )

 

 

 

 

   Un type qui a des idées, j’aime ça. Fred, je le connais depuis, depuis combien de temps déjà ? Il me semble que je l’ai toujours connu ce Fred, voilà, c’est ça, je l’ai toujours connu. Et Fred, il a des idées plein les poches, les poches de son froque, les poches de son blouson, toutes ses poches quoi, et si son aquarium avait des poches, Fred aurait des idées dans les poches de son aquarium. Fred, c’est le magicien des idées et moi, un type qui a des idées, j’aime ça. S’il s’agit de Fred Vilain, celui qui, celui que… ? Oui, il s’agit de ce Fred-là, celui-là, c’est bien ça, oui, celui-là. Bah non, il n’est pas fou, il a des idées, voilà tout.

   Fred, il m’a raconté tout de cette idée de génie, celle qui est devenue une réalité. Tu dois rien zapper, m’a-t-il dit, rien du tout. Tu promets ? Comment ? Fred ne peut pas écrire ses idées ? Écrire, oui, bien sûr qu’il peut écrire, mais disons que pour le moment, Fred est occupé. Il pense, il a des idées. Alors voilà, l’histoire de cette idée qui est devenue réalité, c’est moi qui l’écris. Aujourd’hui je me dis que, tout bien réfléchi, j’étais là, j’étais vraiment là. Les pleurs de la vendeuse blondasse, ils me chahutent encore les oreilles et pour le tirage au sort, les petits morceaux de papier avec des noms inscrits dessus, je les ai vus, oui, je les ai vus. Les petits morceaux de papier pour le tirage au sort, oui, c’est bien ça. Les jours suivants, j’étais là au milieu de la foule, devant le dôme, ça, c’est vrai, j’étais là. Et tous ces gens, je les ai entendus, oui, je les ai entendus. Bordel, ça valait le coup d’écouter leurs éclats de voix. Du vrai purin. Je vous le dis, du vrai purin.

 

  Jamais Fred Vilain n’aurait imaginé que son idée provoquerait autant de vagues. Des vagues de contestations, vous comprenez. De nos jours, les gens ne sont contents de rien. Bah oui, de violents mouvements de foule secouent Charleroi depuis l’annonce de, de, de.... Y’a les coups de gueule de l’un ou l’autre politique jaloux de l’idée géniale de Fred, et ceux des opposants aux afficionados de la Ligue des Droits de l’homme. Y’a les responsables religieux (toutes religions confondues) qui élèvent la voix pour lancer des mots comme honte, irrespect, etc. Toutes les bonnes consciences, quoi. Voilà, les pièces sont posées, je commence le récit.  Au présent de l’indicatif, vous serez donc aspiré dans l’histoire jusque dans le le le…, j’en dis pas plus.

   Non, vraiment, Fred Vilain ne comprend plus rien. Entassé dans son vieux fauteuil recouvert de poils de chats (Fred aime tous les humains mais aussi tous les animaux), il sirote une tasse de café refroidi. Il regarde sans vraiment la voir cette tasse jaune vintage avec inscrites dessus, en lettres bleu marine, le mot Banania. Et le visage de cet Africain lui sourit. Pour un peu Fred lui demanderait bien ce qu’il désire boire ou manger, à cet Africain. Quand même, Fred, n’exagère pas, inutile de pousser ton humanisme jusque-là ! La gentillesse pose ses limites, parfois. Et puis, Fred est conscient que pour l’Humanité entière, il a donné. À cause de son idée, vous avez deviné. Pour lui, cette idée, c’est une idée de génie qui pour une fois colle aussi bien aux amoureux de l’Art qu’au très hermétique monde médical. Et ne nions rien, il y a tous ces petits plus qui ne sont pas négligeables. Les caisses de la ville se renflouent (mais ça, Fred n’y avait vraiment pas songé, mais alors vraiment pas) puisque les touristes commencent à remplir les hôtels, les personnes âgées voire très âgées sont mises à l’honneur et pas reléguées aux calendes grecques, et les infirmières ainsi que tous les autres prestataires de soin ne bossent plus dans l’ombre mais en pleine lumière. Tout devient donc transparent. Alléluia. D’ailleurs, quelques jours avant l’inauguration, Fred fut reçu comme un roi par le bourgmestre et son collège échevinal avec champagne brut de brut et tout le tralala dans la grande salle du premier étage, celle au parquet ciré et aux épaisses tentures de velours rouge lourdes d’évènements grandioses et autres festivités glauquesques (un adjectif qui vient de naître). Une salle réservée aux invités d’honneur, aux VIP qui contribuent au rayonnement de ce putain de Pays Noir aux quatre coins de la planète.

   Alors Fred ne comprend pas. Les gens sont donc tellement ingrats. Ils râlent quand la machine remplace l’humain. Et voici un projet qui met l’humain au cœur du système et les manifs succèdent aux manifs. Savent-ils pourquoi au juste ils manifestent ? Déambulent-ils dans la ville pour le plaisir de contester ? Parce que les premiers rayons du soleil sont propices à la balade et qu’il faut sortir la famille et les petits animaux ? Parce que les journalistes sont là, brandissant leurs caméras, alors, on n’sait jamais, on pourrait être filmé et puis alors frimer devant les voisins ?

 

   Sur la place du Manège, les travaux ont commencé depuis plusieurs semaines. C’est juste après le carnaval que les grues et les pelleteuses sont apparues, les confettis s’agglutinaient encore entre les pavés et les plus innocents pensaient que ces monstres étaient là juste pour ça, pour extraire les confettis d’entre les pavés. Vous vous rendez compte clamaient-ils ? Les politiques sont fous ! Ils galvaudent notre pognon ! Vous avez vu ces bulldozers ? Tout ça pour enlever les confettis d’entre les pavés !

 

   Depuis, des émeutes surviennent presque chaque jour et des dizaines de policiers protègent les ouvriers et leurs matériaux. Malgré tout ce brouhaha dans son quartier, quand il rive ses yeux au-delà de sa tasse de café refroidi, Fred est content. Son idée devient une réalité. Enfin des monticules de poésies seront visibles par tous, sans aucune discrimination. Les artistes du monde entier salueront cette œuvre magistrale. L’Art pour le bien de tous ! L’Art au service de tous ! L’humain au cœur même de l’Art ! Bien sûr, il est prévu que pour les visiteurs, ceux qui veulent rentrer au sein même du site afin de pouvoir respirer tout ça à pleins poumons, les vieilles chairs, les humeurs nauséabondes et les évaporations des matières fécales et urinaires, une modeste entrée sera demandée. On ne peut pas respirer gratos cet amas de déjections corporelles. Un euro. Qu’est-ce qu’un euro de nos jours ? Pour tous les autres, ceux qui seront assis en rangs d’oignons sur les gradins installés en hémicycles concentrés tout autour du site, ce sera gratos. Du moins, pendant les premiers mois. Par la suite, les autorités trancheront, payer, pas payer, cela dépendra du succès de la manœuvre.

   Pour Fred Vilain, tout cela semble limpide comme de l’eau de roche. Qu’importe les manifs, les grues, les euros. Son idée devient, voilà. Et pour Phil, la mère de Fred, c’est une chance. Phil vieillit, elle le sent bien, elle s’essouffle à chaque fois qu’elle remonte à pied, tirant son caddie à carreaux jaunes rouges et noirs (signe d’une grande belgitude), avec grande peine la rue de la Montagne vers son quartier chéri, celui de la ville haute. Et cette perspective, celle de savoir qu’elle pourrait un jour prochain s’installer sous ce, sous ce… sous ce dôme la remplit d’une joie indescriptible. Alors, Phil ne comprend pas, mais alors vraiment pas, lorsque chez Sandra, la coiffeuse, elle entend des chuchotements, des bribes de mots à peine perceptibles qu’elle devine quand même. C’est la mère de ce Fred Vilain, c’est la mère de ce Fred Vilain, ce Fred Vilain, vous savez, celui qui, celui que…

   Les premiers jours, elle se redresse et sourit à toutes ces femmes, elle pense que c’est un honneur. Et puis, elle déchante lorsqu’une apprentie lui rase le crâne et s’exclame : Voilà, vous qui aimez l’exposition des chairs, les rides de votre crâne sont bien plus visibles de cette manière, voyez comme ces sillons sont jolis, et si vous voulez, je vous installe une loupe en guise de parapluie et toutes ces rides seront grossies dix mille fois, ça vous convient comme ça ? Là, Phil ne capte pas du tout le pourquoi de cette contestation. Mais alors là, vraiment pas. Les gens sont donc ingrats. Et incultes avec ça ! Ils clament aimer l’Art et vouloir déposer l’humain à l’épicentre d’un tout, et ils ventilent de l’hostilité aux premiers sursauts d’une poésie mille fois plus humaine que celle reconnue jusqu’à présent. Une poésie qui ondule de mouvements perpétuels ! Une poésie réinventée ! Avec des tentacules vers tous les autres arts, la photographie, la peinture, la littérature ! Un must ! Du jamais vu ! Du multidisciplinaire, pour reprendre une expression très mode. Et en bonus, l’humain au cœur du sujet !  Phil décide alors de narguer l’opinion publique et sur le dos de tous ses manteaux, vestes et gilets, elle coud cette phrase : Je suis la mère de Fred Vilain. Bien fait pour tous ceux qui lisent sur le dos des autres.

 

   Place du Manège, un dôme s’érige, l’idée de Fred Vilain. Phil se réjouit. L’idée de son fils sera réelle, très bientôt. Des guerres de mots sont déclarées, qu’importe. Des vagues de chair humaine s’insurgent et se soulèvent, qu’importe. L’art, c’est l’art. Tout est poésie lorsqu’on regarde les choses de la vie avec les yeux du poète. Et Fred Vilain, c’est un poète, un vrai, un grand. Phil en est intimement persuadée. Et elle ne dit pas ça parce que Fred Vilain est son fils, non. Déjà tout petit, Fred prenait soin des vieilles chairs presque mortes, ou mortes. Phil se souvient très bien de cet oiseau aux ailes bleues retrouvé entre les muscaris et les jonquilles dans le parc Reine Astrid. Fred avait ramassé l’oiseau aux ailes bleues dont les yeux, deux perles vitreuses, viraient à vive allure vers la nécrose. Et, une fois rentré, Fred n’avait fait ni une ni deux : dans le dictionnaire, il avait cherché le mot empaillé.

   Fred, tu crois pas qu’un nouveau costume, pour l’occasion ?

   Pour l’occasion, m’man, quelle occasion ?

   Dans deux jours, c’est l’inauguration, tu sais bien ! On ne parle que de ça !

   Ah oui, l’inauguration. Oui, c’est une bonne idée ça, un nouveau costume. Une nouvelle chemise. Et un nœud pap ou une cravate, m’man, tu préfères quoi ?

 

À suivre …

 

Carine-Laure Desguin

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Fin de l'extrait "Dieu m'a raconté..." de Jean Destrée

Publié le par christine brunet /aloys

 

- Ah! ah! je t'ai bien eu! Comment s'est terminée cette petite querelle de famille?

- Vous êtes encore là, vous? Vous avez donc décidé de me casser les pieds avec vos élucubrations?

- Allons, allons! Ne t'énerve pas, sois beau joueur. Je parie que tu pensais à moi. Je me trompe?

- En attendant ma soirée a failli être gâchée par votre faute. 

- J'en suis navré mais je n'y suis pour rien. Ce n'est pas moi qui te mets dans cet état, c'est toi. Tu supputes, tu ergotes, tu gamberges, tu te rends malade et tu dis que c'est ma faute. Tu es bien comme les autres, tu me rends responsable de tes problèmes familiaux alors que c'est toi qui t'énerves et qui deviens malade.

- Bon! Admettons que vous n'y êtes pour rien, mais j'aimerais savoir vos intentions. Qu'est-ce que vous me voulez à la fin? Je ne vous ai pas appelé et vous savez bien pourquoi. Je n'ai pas besoin de vous. Je suis fatigué, j'ai besoin de dormir et de plus, je n'ai pas terminé mon travail.

- Libre à toi de penser que je n'existe pas, mais laisse-moi te dire qu'on ne s'en tire pas aussi facilement avec moi. Je suis coriace et persévérant. C'est dans ma nature divine. Avoue que tu as peur de moi. Oui, tu as peur, parce que je fais peur et c'est pour cela que les hommes, d'habitude si audacieux, se font tout petits quand ils entendent parler de moi. Ah! Qu'elle est triste, l'humanité. Moi qui aurais aimé avoir avec les hommes un dialogue d'égal à égal. C'est foutu une fois de plus. Quand je fais montre d'apparaître, tout de suite, ils rentrent dans leur coquille, se jettent à genoux et marmonnent des orémus pour essayer de me calmer alors que je viens vers eux en ami.

- Il y a de quoi. Avec tous les cataclysmes que vous avez provoqués depuis que la terre tourne. Mais croyez-moi, je n'ai pas peur. Pourquoi avoir peur de quelque chose qui n'existe pas. 

- Cela reste à prouver. 

- Je sais. Nous sommes à la même enseigne. Je n'arriverai jamais à prouver que vous n'existez pas et vous ne prouverez jamais que vous existez. Donc nous sommes quittes. Mais à la différence près que dans le doute, il vaut mieux s'abstenir. Et comme vous ne voulez pas être pris de doute, vous êtes dans une impasse. J'ai cet avantage sur vous que j'ai encore la solution du doute tandis que vous, si vous vous mettez à douter de vous-même, vous n'êtes plus dieu et vous n'existez plus.

- Diable! Oh! Pardon! Que c'est bien dit. Je n'avais pas pensé à cela.

- Je n'ai aucun mérite; la vie m'a fait réfléchir et j'en suis arrivé à refuser d'admettre des vérités révélées ou supposées telles. D'ailleurs ces vérités n'ont jamais été prouvées.

- Tu as peut-être raison de me rappeler à l'ordre. Cela va me faire réfléchir à tout ce qu'on a voulu me faire faire, à toutes les paroles qu'on a mises dans ma bouche et que je n'ai jamais prononcées, à tous les gestes que j'aurais posés et que je n'ai jamais posés. Ce sont les hommes qui ont voulu que j'existe. Parce que cela les arrangeait bien.

- Ne mettez pas non plus tout sur le compte des hommes. Ils sont peut-être tordus, machiavéliques, de mauvaise foi, manipulateurs mais à mon avis incapables d'inventer une telle supercherie.

- Détrompe-toi. Ce sont bien les hommes qui m'ont créé. Souviens-toi de ton cours d'histoire et replonge-toi dans la période de l'apparition de l'homme.

- Ah oui! Adam et Ève! Le paradis terrestre, le serpent et la pomme, le péché originel, l'expulsion hors de l’Éden et la condamnation à gagner sa vie à la sueur de son front. On connaît.

- Eh bien! Non! Tout cela est faux parce que tu sais bien que le monde ne s'est pas fait – je dis bien fait et pas a été créé – en sept jours mais en quelque quinze milliards d'années. Rappelle-toi le chanoine Lemaître et son Big Bang, Galilée et sa théorie héliocentrique, Darwin et l'évolution. Rappelle-toi la découverte de la petite Lucy, du Pithécanthrope, de l'homme de Spy et de l'homme de Cromagnon. 

- Et alors?

- Tu ne vois pas? Tu n'as pas encore compris que ce n'est pas moi qui ai fait tout cela. D'ailleurs pourquoi aurais-je créé l'homme alors que j'ai tout ce qu'il me faut dans mon paradis. Je n'avais pas besoin de me mettre sur le dos une créature supplémentaire qui allait – je le savais de toute éternité – me créer les pires ennuis. Je ne suis pas masochiste au point de gâcher mon bonheur éternel avec les anges en inventant une créature irrationnelle, orgueilleuse, vaniteuse, agressive, guerrière, prête à tout pour conquérir le pouvoir et le garder.

- Merci pour l'homme! Vous êtes réellement peu amène à son égard. Et vous dites que vous êtes dieu! Ma parole, votre statut vous est monté à la tête.

- Ne sois pas injuste. Ouvre tes yeux et regarde autour de toi. Tu ne vois que guerres, rapines, compromissions de toutes sortes, corruption au plus haut niveau du pouvoir et les rois n'y échappent pas. Chacun court après le fric et tuera son semblable pour lui prendre ce qu'il a. Ce n'est pas moi qui ai fait ça, ce n'est pas dans mon esprit de bonté. Non je refuse d'avoir fait ce personnage indigne du paradis qu'il a aussi inventé.

- C'est fini ce déversement de fiel et de vinaigre? Venons-en au fait. Pourquoi venez-vous me raconter tout cela? J'ai autre chose à faire, je vous l'ai dit. J'ai du boulot et je suis fatigué; laissez-moi tranquille. 

- Je m'en vais mais je reviendrai car j'ai beaucoup de choses à t'apprendre.

 

    J'ai un affreux mal de tête; à croire qu'elle va éclater. Je me couche et essaie de m'endormir. Je sens ma femme qui se colle à mon côté. Elle a chaud et moi, je grelotte.

 

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JOUR 2... Jean Destée et "Dieu m'a raconté..."

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

- Bon! Maintenant ça suffit! J'ai autre chose à faire qu'à perdre mon temps à philosopher. Je vous ai déjà dit que j'avais beaucoup de travail. Retournez d'où vous venez et laissez-moi terminer. D'ailleurs l'heure du souper va sonner. J'ai faim.

- Jean! Jean! tu viens? Il est presque huit heures. On mange. Il ne manque plus que toi.

- J'arrive tout de suite, le temps de terminer un paragraphe et je suis à vous.

- Ne traîne pas sinon ta soupe sera froide.

- Oui! oui! je viens tout de suite.

 

Je descends lentement l'escalier en proie à la plus grande perplexité. Ma femme est déjà à table avec les enfants. Je dois avoir une drôle de mine car elle me fait une réflexion, ce qui lui arrive rarement.

 

- Toi, tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu es malade? 

- Pas spécialement. Je suis un peu fatigué. J'ai beaucoup travaillé aujourd'hui et je n'ai pas encore fini. Après le souper, je remonte achever; j'en ai bien pour jusqu'à onze heures.

- Tu ne regardes pas "Thalassa" avec nous? susurre ma fille, la bouche encore pleine de tartine au jambon.

- Malheureusement non; pourquoi? C'est intéressant?

- Oui, c'est sur la pêche au requin en Méditerranée. Reste avec nous, papa! Pour une fois que tu es à la maison. C'est bientôt, le temps d'une pub.

- D'accord, mais après je vais achever ce boulot.

 

     Évidemment, je ne dis pas ce que j'ai entendu, je passerais pour un joyeux farfelu. Pour faire plaisir à ma fille, je vais regarder la télé. Je pense à mon fantôme qui subrepticement s'insinue dans mon univers. C'est qu'il se met à occuper mes pensées, ce personnage insaisissable qui se prend pour dieu. Encore un peu et il va se mettre entre ma famille et moi. Allez! Au diable! Dieu de mes deux…

 

- Qu'est-ce que tu racontes, interrompt ma femme. Qui envoies-tu au diable ainsi?

-  Personne, je me parlais à moi-même.

- Tu vois bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi. Tu parles tout seul et quand on t'interroge, tu réponds de travers.

- Je ne te réponds pas de travers, je te dis que je me parlais à moi-même. Je ne vois pas en quoi cela te choque. N'en parlons plus, veux-tu, c'est inutile de nous disputer pour une peccadille.

- Ah! Parce que c'est une peccadille de s'inquiéter de ta santé, tu ne manques pas d'air. Tu n'es pas bien, je le vois. Tu as la mine de quelqu'un qui couve quelque chose et tu voudrais que je ne m'en fasse pas. C'est bon! 

- Bah! Ne te fâche pas. C'est vrai que je me sens fatigué. Un peu de calme me fera du bien. Où est-elle cette émission?

- Sur France 3. Dépêche-toi, papa, c'est déjà commencé, tu as raté le début.

 

    Je raterai bien autre chose. Je vois l'émission mais j'ai l'impression de ne rien y comprendre. C'est la première fois que je me trouve dans cet état de semi-inconscience. J'entends tout ce qui se dit mais comme dans un rêve, comme si j'étais sous le coup d'une sorte d'hypnose. J'entends ma fille faire des réflexions. Son frère la rabroue  et je me dois d'intervenir avant que la discussion ne tourne à l'aigre. Personne ne me répond comme si je n'avais rien dit. Je monte. Je suis incapable de travailler et je vais me coucher, à la fois désorienté par ce que je ressens et réjoui de n'avoir pas dû intervenir pour calmer les deux gosses. Je me couche et essaie de m'endormir.

 

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Jean Destrée nous propose sur plusieurs jours (!) les premières pages d'un texte "Dieu m'a raconté"...

Publié le par christine brunet /aloys

Jour 1...

  I



 

   

 

       Je ne sais toujours pas comment c'est arrivé. Les choses les plus bizarres et les plus farfelues vous tombent dessus brutalement, comme les collisions de voitures ou le coup de tonnerre. Je travaillais à mon bureau quand je fus distrait par quelqu'un qui me parlait. D'abord, je ne pris guère attention car, autant vous le dire, il est difficile de me distraire quand je travaille. Ma femme me le reproche d'ailleurs trop souvent. Donc une voix m'interpella.

 

- Hé! Tu m'entends? 

- Quoi encore? 

- Hé! Ne fais pas semblant de faire le sourd! Tu sais qui je suis?

- Non, et ça ne m'intéresse pas.

- Je vais te le dire quand même: c'est moi, Dieu! 

- Allez, arrêtez de donner les coups de bâton à la lune! Je ne suis pas d'humeur à rire.

- Mais tu as très bien compris, c'est moi, Dieu.

- Taisez-vous donc et laissez-moi travailler en paix. J'ai six cours à préparer pour demain.

- Ô homme de peu de foi! Vous êtes bien tous pareils, des Saints-Thomas à qui il faut mettre les points sur les "i" pour leur faire accepter la vérité.

- Bon! Admettons que vous êtes ce que vous prétendez être. Qu'est-ce que cela va changer? Vous  n'empêcherez pas la terre de tourner.

- Bien sûr que non. Je ne vais tout de même pas faire d'exception aux lois de l'Univers que j'ai moi-même mijotées et mises en route.

- Ça, c'est vous qui le dites.

- Je ne suis pas le seul à le dire. D'ailleurs, on a beaucoup écrit sur moi et sur ce que j'aurais fait ou pas au cours de mon éternité.

- Ça ne prouve rien. Les bouquins, ça se laisse écrire. On fait beaucoup de dégâts avec les livres.

- Tu as raison. Les hommes sont dangereux avec leurs inventions.

    - Vous pouvez en parler, des hommes, c'est vous qui les avez créés, si l'on en croit les légendes. Laissez-moi vous dire une chose: si ce qu'on dit est vrai, que vous avez créé l'homme à votre image, vous ne devez pas être très fier de vous, comme le disait Robert Escarpit.

- Halte-là! Je proteste! Ça n'est pas vrai! Je n'ai pas créé l'homme, je proteste, c'est une supercherie. Ce serait plutôt le contraire.

- Ah bon! c’est une première nouvelle! C'est bien la meilleure. Vous n'auriez pas créé l'homme?

- Bien sûr que non!

 

     Je sens que la conversation va tourner au vinaigre et je n'ai pas l'intention de polémiquer avec un fantôme. C'est vrai, enfin. Je suis en plein travail et soudainement, "on" m'interrompt pour me dire qu'"on" est dieu et qu'"on" n'a pas créé l'homme. Mais l'autre continue de plus belle.

 

- Tu peux me croire, je n'ai rien à voir avec ces légendes de la création du monde. Je n'ai rien fait de tout cela.

- Mais alors, les bouquins sont faux? Notez que je ne crois pas à toutes ces balivernes. Mais si tout cela n'est que supercheries, vous allez créer le chaos dans la civilisation occidentale. Quel bordel! Avec tout ce qu'il y a déjà de catastrophes, si vous vous y mettez, vous aussi, qu'est-ce qui nous attend ? La bombe atomique, comme à Hiroshima? Allons allons! Soyons sérieux!

- Mais je suis tout ce qu'il y a de plus sérieux. Attends que je t'explique. C'est l'homme qui a inventé les dieux pour conjurer ses peurs et justifier ses conneries. Quand quelque chose va mal, on me le met sur le dos. J'en ai marre à la fin d'être le bouc émissaire de toutes les bêtises que l'homme a commises depuis qu'il est sur la terre et souvent en mon nom.

  Je commence réellement à m'impatienter car l'individu insiste. On dirait qu'il le fait exprès de me sortir de telles sottises auxquelles je ne crois pas plus qu'à l'existence de dieu.

 

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Un texte signé Edmée de Xhavée sur le thème de "terreurs nocturnes"... Thème proposé pour la revue !

Publié le par christine brunet /aloys


 

C’est qu’avec mon nœud pap ‘, je sais que j’ai l’air con. Elle tient absolument à ce que je le mette pour me différencier des autres, les braillards du quartier comme elle dit. Alors bon, le soir ils me voient tous avec mon nœud pap’ et se fichent de moi. « Quel minet ! » « Et le frac, tu l’as laissé chez le teinturier ? » « T’as l’air trop con ! » (et la… je suis bien d’accord…) « La nuit, tous les chats sont gris, sauf ceux qui ont un nœud pap’ fluo, hahahaha ! ». Car oui, il est fuschia et fluo. J’ai de la chance qu’en plus il ne joue pas jingle bells, ça ne doit pas encore exister…

 

Ceci dit, elle m’adore et j’aurais du mal à supporter qu’elle m’adore moins. Son lit est chaud et paisible, sent bon le frais – même si hier je dois admettre qu’il y avait une petite odeur de pieds, elle était restée en tenue cocooning toute la journée avec des chaussettes anti-dérapantes. Mais d’habitude ça va, c’est plaisant, et je me colle avec tant de passion contre son dos qu’il lui est arrivé de se retrouver sur la carpette. Ce sont des choses qui arrivent…

 

Mais pour en revenir à la nuit et ses effrois, il faut quand même que dans le quartier, on sache que ce jardin, cette femme et ces parterres… c’est sous ma surveillance. À moi, en somme. Alors je sors, je m’arrête sur le seuil de la porte de la cuisine, je bombe le torse (que j’ai assez velu, qu’on se le dise…) et je pars d’un pas de crocodile, le nœud pap’ se dandinant un peu, vers la troupe de va-nu-pieds du quartier. Sac-à-puces a une oreille déchirée et pue du bec que c’est pas possible (oui, pire que les pieds sous la couette…), Pisse-partout a perdu une dent devant et a vraiment une tête de gargouille quand il retrousse les babines pour me faire peur. 

 

Peur… j’ai, et comment ! mais n’en dis-rien, cher journal, car ce n’est pas la peine qu’ils aient un autre motif de rire de moi. 

 

Je prends donc l’air insouciant, gratte sous les rosiers pour y déposer un cadeau de plus - le jardinier crie toujours bien fort en les trouvant, mes hommages, je pense qu’il est ravi – et puis je m’assieds bien en vue pour me toiletter. Hop la patte arrière levée à la Rudolf Nureyev, gracieux et distant, je les guette de sous mes paupières. 

 

Sac-à-puces est toujours le premier à être vulgaire. Il pousse un grondement effroyable comme le bébé de la voisine, qui m’avait fait sursauter et sautiller de côté comme un crabe la première fois que je l’ai entendu… Il me regarde, aussi, bombant le torse – un peu pelé et croûteux, car dans sa cour des miracles il donne et prend des raclées quotidiennes, raison de ses oreilles frangées – et fouettant l’air de sa queue maigrichonne. Alors son second, Pisse-partout, fait le blanc-bec et se met aussi à couiner d’une voix de fausset, faisant mine de vouloir me sauter dessus et me dépouiller de mon nœud pap‘ probablement. 

 

Je continue mes soins de beauté, et comme je ne suis pas encore castré – elle me l’annonce comme un grand jour merveilleux assez proche, soi-disant mes pipis sentiront l’eau de rose et je deviendrai gras à lard, qu’elle dit – j’envoie un jet qui transformerait en statue de sel le premier qui s’approcherait, et de fait les rosiers commencent à avoir le teint jaune. 

 

Ensuite, dans les hurlements réunis des deux minables palaces à tiques et puces, je m’avance en roulant des mécaniques et m’arrête sous le mur où ils font tout leur cinéma, et puis j’utilise mon arme secrète. Les plus tendres des miaou miaou sortent, stridents, déchirants, de ma petite bouche innocente, et elle surgit à la porte : Ludovic, où es-tu ? Encore ces deux horribles matous nauséabonds ? Brave, mon Ludovic, tu défends bien ton territoire, viens maintenant ! Croquettes time !

 

Et comme souvent, elle a pris dans sa réserve de pommes de pin ce qu’il faut pour canarder les deux nigauds qui s’enfuient de mes terres, indignés. 

 

La terreur du quartier, c’est moi !

 

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"La route à suivre", un texte de Bernadette Gérard-Vroman publié dans la revue AURA

Publié le par christine brunet /aloys

 

La route à suivre

 

C’est la déroute, je le redoutais, les dés sont lancés mais le jeu n’envisage rien de bon. Tous dans le même bateau, et pourtant si seuls, nous tenons bon, certains mieux que d’autres. C’est une question d’équilibre, garder le cap, ne pas faire fausse route. Et pour éviter le pire, laisser aller la plume, pour que viennent se former des mots qui tiennent la route, à défaut de se jeter dans la soute. Tous dans le même bateau, l’esprit à l’étroit, le corps tordu, avec, au-dessus de nous, il suffit de lever les yeux, ou de tourner les pages, tant d’espace pourtant…

 

Les yeux fixés sur la partition d’un menuet en si bémol majeur de Bach, dont j’essaie de laisser échapper les notes d’un piano blanc, mon morceau est très vite interrompu par l’arrivée d’une nuée d’oiseaux en migration, que je vois passer à toute vitesse, entre deux toits voisins : un ballet aux couleurs rougeâtres de toute beauté vient émerveiller mes yeux.  Ma curiosité prend le pas et interrompt de suite le menuet.  Étrange cette couleur… serait-ce une espèce aux tons lie de vin, comme le pinson des arbres, qui migre en masse depuis quelques jours ?  Comme pour me sortir de mon rêve, un nuage d’oiseaux noirs, de taille différente, et moins rapide, passe, pour me prouver le contraire.  Je me replonge dans le menuet, et quelques portées plus loin, un même spectacle de plumes s’impose devant moi, d’abord en rouge, et puis en noir, et ce, à trois reprises.  Un peu plus haut, un nuage aux tons rosés, est témoin, lui aussi, ou est-il complice de ce jeu, filtrant les derniers rayons du soleil et les projetant sur ces oiseaux ?  Et si tout ceci n’était autre qu’un message d’amour, dont la terre a tant besoin ?

 

« Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide, le Poète serein lève ses bras pieux, et les vastes éclairs de son esprit lucide lui dérobent l’aspect des peuples furieux. »

Charles Beaudelaire

                                     

 

 

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