Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

textes

Neuvième en ré mineur, un extrait de "Chansons de Roland" un roman de Georges Roland

Publié le par christine brunet /aloys

 

rolandtete

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NEUVIEME EN RE MINEUR

 

 

I. CHAOS. ALLEGRO MA NON TROPPO.

 

Des mots jaillissent. Éclatent en gerbes ignées.

Ce n’est rien encore, que ce marasme en halo.

Il en vient de partout comme des rafales.

Des mots douloureux, des paroles balbutiées avec un peu de bave

aux commissures du stylo.

Puis d’autres, ravageurs, aux attributs de scandale, comme des

pets sonores et odorants lâchés en ribambelle dans le murmure

confus des gens de haute connaissance.

D’autres encore, la bouche en cœur, l’auriculaire levé.

D’autres enfin, indignes de gésir aux meilleures poubelles de

messieurs cravatés de soie et de sobre élégance,

Une main sur le téléphone, l’autre sous une jupe griffée.

Des mots sans tête, mais avec queue.

Des mots aux regards belliqueux.

Des mots - mots des, qui se bousculent

Avec des rondes et des majuscules

Ils m’arrivent dans la main, la font trembler,

Et mon cerveau a du mal à les rassembler.

II. SCHERZO. MOLTO VIVACE.

Émerge soudain de toute cette cacophonie,

Une fanfare de phrases rythmées en alexandrins,

Quatrains sonnets virelais et ballades,

Le trouvère accède à la stéréophonie !

François, Pierre, Joachim, Vidocq, Mandrin,

Passés à la moulinette, resservis en salade

Et la poésie y devra trouver son content.

On termine en queue de poisson,

La muse au yeux pers s’est fait la malle

Avec Hadès, Bouddha, Mahomet ou Jésus.

On se retrouve dans un champ après moisson,

La rime en banqueroute, quelques pieds en cavale.

Il n’y a plus rien, de ce qu’on a écrit.

 


 

III. ADAGIO E MOLTO CANTABILE.

Le calme serein arrête la plume, retient la main.

Un peu de douceur s’il vous plaît, c’est l’heure des caresses.

Regarde par-dessus ton épaule, mon frère, la lande paisible

Où paissent les gigots, sans peur du lendemain.

Rengorge tes ardeurs, caudine-toi à la confesse

De tes péchés de chère et de chair,

Fais ton possible pour contenir tes étalons en hexamètres.

Purifie-toi à l’eau lourde de la science en chemin.

Il faut te recycler, il faut brouter avec les autres.

La même pâtée aux hormones, le même rouge à lèvres.

Bien sûr, vu de ce pont, ils ne chantent pas, tes lendemains !

Nous sommes tous parqués aux jardins d’un Le Notre

Où luxe, calme sont les seules voluptés, pauvre Charles,

Où le grave paradis des dieux n’est plus qu’artificiel.

Si le H est encore de mise, il faudra bien se sublimer :

Un shoot de shit, une dose de rêve ; défonce-toi !

Au pied des tours en décollage vertical, dors d’un sommeil

confortable...

Dors, petit, ils vont te caraméliser.

 

 

IV. FINALE AVEC CHŒUR. PRESTO.

 

Le cœur bat à cent et trente. C’est rapide : on suit à peine le tempo.

Sur le front, les veines saillent comme des rivières.

Les yeux s’exorbitent, la bouche tombe en bâillement.

Saute encore, continue, enfonce-toi dans cette musique obsédante !

Elle s’accélère au rythme des flux du sang dans tes artères.

Et la sérénité revient : il était temps, les pantins !

Haut, les chœurs ! C’est le moment de cantiquer !

Scandez-nous un Schiller de la bonne époque, âmes délicates.

D’étincelles des dieux, rallumez nos clopes éteintes !

Notre souffle perdu, notre halètement, à vouloir tout aérobiquer,

Retrouvons-le dans une suprême et divine éclate.

Faisons-en notre hymne, notre péan !

De Français en Franglais, de lance-pierre en bombarde,

Dans ma paume je serre une main un peu moite.

Alors, malgré vos têtes vertes, vos bouches de fouineur,

La déprime, c’est pour demain ! Ce soir, on loubarde !

On se verdeterrise dans les raves et les boîtes !

Et l’accord final, d’hallucinogènes multicolores, sera toujours

En ré mineur.

 

(extrait de « Chansons de Roland » éditions bernardiennes)

 

 

Georges Roland

 

www.georges-roland.com

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Extrait du roman "Orages" de Céline Gierts

Publié le par christine brunet /aloys

 

giertstete

 

"Il est des vies, que la surprise a désertées depuis longtemps. Où les jours coulent sans saveur, à peine tièdes.  Même la douleur a fui ces âmes tant appliquées à mimer la danse absurde de l’existence sans but. Elle faisait partie de ces êtres-là, à qui quelqu’un manque pour toujours…

 

Elle observait depuis longtemps sa vie, plus qu’elle ne la vivait. Lorsque la mort nousorages ( cover ) vole notre raison d’être, lorsqu’elle bafoue le ciment de notre existence, tout en laissant des amarres qui nous empêchent de fuir, des responsabilités que personne ne peut prendre à notre place, seule la sauvegarde de l’illusion peut nous maintenir à flots…

 

Elle s’y appliquait depuis plusieurs années comme une coquille vide qui erre dans un monde flou, tentant de continuer son chemin sans qu’on la remarque, en attendant secrètement, la fin du spectacle qu’elle n’avait pas choisi… 

 

Mais l’attente est la petite étincelle de l’espoir.

 

Si le cœur peut encore battre sous un regard,

Si un sourire d’ange peut encore l’émerveiller,

Si des larmes peuvent encore couler,

Cette âme n’est pas tout à fait morte, elle attend pour reprendre son envol….un jour…."

 

 

Céline Gierts

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Retour sur le salon de Vannes... par Sophie Vuillemin

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes/vuillemin.jpg

 

Salon de Vannes. 19 Juin 2011.

 

Un salon connu et reconnu. Josy et moi, après des retrouvailles glamour sur le parking de la Foirfouille (mais pourquoi y'a toujours du vent, de la pluie, de l'eau dans nos sandales et les pieds couleur schtroumpf à cause du froid quand nous participons à des salons ?), partons direction Vannes.

A Vannes, il y a Jean Teulé, Guy Carlier, Françoise Dorin, Véronique Olmi, David Foenkinos, et j'en oublie, bref, des pointures de l'écriture qui éviteraient les rimes en ure.

Le salon a lieu dans les jardins des remparts, je dis : "on pourra jamais se garer, ils ont mis des barrières partout." mais Josy baisse la vitre de la voiture et crie "On est des auteeeeeeurs!" Clac, ni une, ni deux, le type en gilet jaune écarte une barrière métallique et libère une place pour nous. Il demande si l'emplacement nous satisfait. Je n'en reviens pas.


On nous remet un badge de pro. Un sac empli de goodies. Une jeune hôtesse me souhaite un bon salon. C'est clair, j'me la pète grave.

On nous sert un buffet de folie. Les allées grouillent de visiteurs. On se prend pour des stars. Enfin, presque, les stars ne photographient pas tous les coins de stands, elles ne s'extasient pas "oh, tu as vu, on a un autocollant", elles n'essaient pas de récupérer les tee shirts des hôtesses.

 

Mais je me demande si les stars de l'édition ont autant ri que nous lors de cette formidable journée ! 

Je remercie sincèrement:

-L'association des Ecrivains Bretons, et plus particulièrement Josette David, qui m'a permis de participer à cette manifestation

- Mes voisines de stand, Josy, Lisa lo Bartolo et Josiane Begel, pour leur bonne humeur.

- Et bien sûr, les organisateurs pour la qualité de leur accueil. 

 

 

Sophie Vuillemin

http://sophievuillemin.over-blog.com/

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un extrait de "l'étoile magique" de Philippe Desterbecq

Publié le par christine brunet /aloys

 

Phil D

 

 

 

Lulu, qui se levait toujours dès la première sonnerie, accourut dans la chambre de son frère.

Lève-toi, il est l’heure pour …

Mais il s’interrompit aussitôt et fit demi-tour.

Où es-tu ? cria-t-il.  Maman ? Tu n’as pas vu Pierrot ?

Je suis ici idiot ! répondit l’aîné.

Lulu ouvrit à nouveau la porte de la chambre.  Son œil scruta les quatre coins de la pièce mais il ne vit rien.

Où te caches-tu ? lança le petit.

Mais je suis ici, juste devant toi ! Tu es aveugle ou quoi ?

Pierrot comprit alors immédiatement la situation.  Il courut vers son miroir mais son image ne s’y refléta pas.

Lulu ?

Maman, j’ai peur ! hurla le petit.

Que se passe-t-il encore ? cria maman de la cuisine.  Dépêchez-vous ou vous serez à nouveau en retard.

Ne bouge pas, dit Pierrot à son frère et surtout, ne dis rien.  Je suis là.  Avance ta main et touche-moi.  Tu me sens ?

Lulu hocha la tête sans ouvrir la bouche.

Je suis invisible, continua l’aîné.  Tu ne peux pas me voir mais je suis bien là et tu peux m’entendre.  C’est l’étoile, tu comprends ? Je lui ai demandé … Allons, ne pleure pas ! J’ai besoin de ton aide.  Tu vas dire à maman que nous n’avons pas faim, qu’il est tard et que nous partons tout de suite.  Dis-lui que je suis déjà sur le chemin et que je t’attends.  Ne lui dis surtout rien d’autre. O.K. ?

Lulu hocha à nouveau la tête sans mot dire.  Il n’était toujours pas rassuré.

Pierrot ne prit même pas la peine d’ôter son pyjama et descendit l’escalier en prenant bien garde de ne pas faire grincer les marches.  Il attendit son frère sur le chemin.

 

Pierrot et son frère arrivèrent à l’école dix minutes après huit heures.

Eh, les copains, vous êtes là ? cria Pierrot.

Ah ! Enfin ! répondit la voix de Jojo.  Nous sommes tous là sauf Luc.  Il a dû lui arriver quelque chose.

Je suis là, répondit celui-ci mais il faut absolument qu’on redevienne visibles.

Tu es fou, intervint le petit Michel.  On n’a pas encore commencé à s’amuser !

Moi si, dit Charles le gros.  Je me suis réveillé très tôt ce matin, il faisait encore noir.  Je me suis levé pour aller aux toilettes et, stupeur, je n’avais plus de corps ! Enfin, je n’avais plus de reflet dans la glace.  Je me suis alors recouvert d’un drap blanc et j’ai réveillé mes frères et sœurs.  C’était la première fois qu’ils voyaient un fantôme.  Ils ont eu la trouille de leur vie ! Ce que je me suis marré ! Je vous jure que je me suis bien vengé de toutes ces années où ils se sont moqués de moi et de mon embonpoint !

Moi, c’est pas si drôle, l’interrompit Luc.  Ma mère, ne me voyant pas dans mon lit ce matin, a averti la police.  Ils ont lancé un avis de recherche.

Mes parents croient à une fugue, dit Fred.  Ils ont dit qu’ils avertiraient la police si je n’étais pas rentré ce soir.

Les miens se disputaient tellement fort qu’ils n’ont rien remarqué, dit Charles le mince.

Ecoutez les gars, on sonne, coupa Jojo.  Il paraît qu’on a un nouveau prof.  Allons lui faire sa fête !

 

Les enfants s’installèrent à leur place. 

Mes enfants, je m’appelle Monsieur Cournebuche, dit l’instituteur étirant légèrement les lèvres du côté droit ; je suis le remplaçant de Monsieur Ansiau.

Monsieur Tournebouche ? lança Marco qui se trouvait à l’extrême droite de la classe.

Des rires commencèrent à fuser.

Silence ! tonna le nouvel enseignant.  Je vous prie de lever le doigt pour demander la parole.  Et je rectifie, je m’appelle Monsieur Cour-ne-buche, articula-t-il.  Qui a parlé ?

Tous les regards se tournèrent vers le côté droit du local mais personne n’était assis de ce côté-là.

Monsieur Tournebouche ? lança Fred assis à l’extrême gauche de la classe.

Les regards se tournèrent de ce côté.  Mais là encore, ils ne rencontrèrent que le vide.

Qui a parlé ? demanda l’instituteur rouge de colère.

Aïe ! cria Géraldine, la fille assise au premier banc.

Que se passe-t-il mademoiselle ?

On m’a pincée, monsieur !

Petite sotte ! Comment pouvez-vous donc dire une chose pareille ? Il n’y a personne à côté de vous.  Si c’est pour distraire vos camarades, je vous préviens que …

Il ne put terminer sa phrase.  Une craie venait d’atterrir sur son bureau.

Qui a lancé ce projectile ? demanda-t-il.

Cette craie a bougé toute seule, monsieur, dit Géraldine.  Je l’ai vue se déplacer.  Elle était dans la rainure du tableau.  Tout à coup, elle s’est soulevée et … Regardez !

Géraldine montrait du doigt le frotteur qui se soulevait lentement.

Monsieur Cournebuche se retourna et vit le frotteur tomber sur le sol.

Ce frotteur était mal placé, c’est tout ! dit l’enseignant intrigué.

Mais je vous assure qu’il s’est soulevé ! répondit Géraldine.

Je l’ai vu aussi, dit Julien, le frère jumeau de Géraldine.  Nous sommes dans une école hantée.  Vous ne le saviez pas ?

Taisez-vous, je ne crois pas aux …

A ce moment, toutes les lampes s’allumèrent et s’éteignirent d’un coup.

C’est un faux contact, assura Monsieur Counebuche.  N’ayez aucune crainte !

Il fut interrompu par un cri.  C’était Lucie, la première de classe, la plus sage et la plus attentive, qui se débattait avec un agresseur invisible.  Celui-ci lui défaisait son chignon si bien placé sur sa tête.

Mais que faites-vous mademoiselle ? demanda l’instituteur.

Mais je vous assure, monsieur, que …

Et elle tomba dans les pommes.  Monsieur Cournebuche se précipita pour la relever mais, au moment où il fit le premier pas, un pied invisible le fit trébucher et il s’étala de tout son long.  Les rires retentirent dans toute la classe.

L’instituteur se releva et se planta devant le tableau.  Tout rentra dans l’ordre.  Monsieur Cournebuche commença sa leçon.  Il prit une craie, écrivit au tableau mais, au fur et à mesure qu’il copiait, ses écrits s’effaçaient.  Il n’avait pas le temps d’écrire une ligne complète que celle-ci disparaissait mystérieusement.

Le pauvre homme ne se laissa pas démonter.  Il était décidé à percer le mystère.

Prenez votre cahier de dictées et copiez : « L’automne.  L’automne est ma saison préférée, … ».

A ce moment, la porte extérieure s’ouvrit toute grande ; un vent froid s’engouffra dans la classe, amenant avec lui une grande quantité de feuilles mortes qui recouvrirent quelques bancs.

C’est l’automne qui entre, cria une voix venant de la cour.

L’instituteur se précipita dehors mais il ne vit pas une âme.  La porte claqua dans un grand fracas et des forces invisibles la maintenaient fermée.  Il avait beau pousser de toutes ses forces, elle ne cédait pas.  Tout à coup, il entendit une voix qui disait : « Lâchez tout ! ». La porte s’ouvrit d’un coup et Monsieur Cournebuche se retrouva le visage contre terre…

 

 

 

Philippe Desterbecq

philippedester.canalblog.com

philibertphotos.over-blog.com

 

http://www.bandbsa.be/contes2/etoilemagiquerecto.jpg

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Extraits du roman « Histoire en paroles » de Danièle Deydé

Publié le par aloys.over-blog.com

 

 

9782874594793 1 75

 

 

Extraits du roman «  Histoire en paroles » de Danièle Deydé

 


Mickaël, quinze ans, sa grand-mère, puis sa mère prennent, tour à tour, la parole pour dire leur histoire. Chacun, avec des mots qui lui sont propres, va tenter de briser le silence qui a pesé sur leur vie. Mais des non-dits, des mots impossibles à prononcer continuent à hanter le présent.

 

Mickaël

Je vis seul avec ma mère depuis trois ou quatre ans, je sais plus très bien parce que j’ai des problèmes avec le temps et avec la mémoire aussi. Avant, c’était ma grand-mère qui s’occupait de moi. Ma vie, c’est toute une histoire pas très drôle et c’est peut être pour ça que je suis dérangé dans ma tête. Avec ma mère, je suis plutôt content parce qu’elle est plus cool que ma grand-mère ; elle est plus jeune et elle m’a manqué ; alors, j’en profite même si c’est pas tous les jours dimanche. Elle voudrait que je sois un petit garçon bien sage qui fait son travail avec application, qui aide à la maison, un petit bien poli, bien propre et pour ça, j’ai du mal. D’abord, je suis plus un petit garçon et j’aime pas qu’on me donne des ordres, j’ai assez obéi dans le temps.

…..

L’école, j’aime pas ça et, je l’ai dit, j’ai pas de mémoire. Quoique je fasse, je me trompe, je fais des fautes et c’est jamais bien…… Et puis, j’ai du mal à être avec les autres, ça dérape toujours pour un mot ou pour un geste. Je préfère être seul. Avec les garçons, tout de suite, ça tourne mal. Y en a toujours un qui veut montrer qu’il est le plus fort, que, toi, l’autre, tu es un minable. Avec les filles, c’est différent, j’ai peur. Je les trouve jolies, mais elles sont là, elles paradent, elles veulent t’en mettre plein la vue et elles se moquent de toi. Je les comprends pas, c’est comme si on parlait des langues différentes. Alors, je garde mes distances. Les profs aussi me font peur. Ils disent que je travaille pas, mais ils se rendent pas compte que j’y arrive pas. Je sais pas comment faire pour travailler. Moi aussi, j’aimerais réussir, avoir des bonnes notes si je pouvais ! Et, au moins, ça ferait plaisir à ma mère.

 

Jacqueline, la grand-mère

Nous sommes le quinze octobre. Il est dix-huit heures trente. Les jours déclinent déjà très vite. On s’achemine vers l’hiver comme je m’achemine vers la vieillesse. J’ai cinquante-six ans depuis trois mois et je me sens très vieille.

Je suis restée tout l’après-midi dans l’ombre de mon vieil appartement. Je viens d’allumer une lampe pour écrire. Il faut que je me vide la tête, que je mette mes pensées sur le papier car je n’en peux plus.  La vie est si injuste. Elle ne m’a rien donné et, pourtant, j’ai essayé de faire pour le mieux, il me semble.

J’ai cinquante-six ans, je pourrais en avoir quatre-vingts que cela ne ferait pas grande différence.

…..

J’ai perdu tous ceux qui faisaient partie de ce que l’on a coutume d’appeler une famille. Je ne regrette rien : la famille peut être la pire des choses. Finalement, oui, je suis bien seule, mais qui ne l’est pas ?  On est toujours seul au bout du chemin. Et, moi, je commence à le voir, ce bout.

Pourtant, c’est sûr, je suis en bonne santé, mais je n’ai plus envie de continuer, je me vois mal vivre encore vingt ans ou plus. Quand je pense à ma jeunesse, que d’illusions m’habitaient ! J’avais des rêves qui, peu à peu, se sont évanouis.

 

Cendrine, la mère

J’ai été une adolescente à la dérive, tellement perdue et seule que j’étais prête à faire n’importe quoi, à suivre n’importe qui. Mickaël, lui, est différent, il est renfermé, il ne s’exprime pas et il m’est difficile de savoir ce qu’il ressent, de deviner s’il est heureux, malheureux ou carrément indifférent. Moi, à son âge, je criais ma douleur, mais personne ne semblait m’entendre et se préoccuper de moi. J’essaie, en tant que mère, de parler à mon fils, je voudrais l’écouter comme j’aurais aimé, à l’époque, être écoutée, mais, lui, ne peut pas parler, il a du mal à dire quelque chose de lui. Les mots ne sont pas ses amis. Sans doute, son enfance et tous ses malheurs l’ont fait se fermer, se replier sur soi, mon pauvre petit ! Et, maintenant, il garde tout en lui et ça doit lui faire mal.

……
Aujourd’hui, Mica a quinze ans, il n’est plus un enfant et je sais que je vais devoir lui parler, lui dire le passé ; ce que je n’ai encore jamais pu faire.  C’est tellement difficile de trouver les mots adaptés quand ils s’adressent à son propre enfant, de ne pas travestir la vérité et de ne pas lui faire encore mal.

Je vais lui parler, je sais qu’il est plus que temps de le faire, mais il va me falloir beaucoup de courage. Je ne peux plus me cacher davantage. Il faudra que je remonte bien loin dans le temps, à ma propre enfance pour qu’il comprenne… peut être.

 

 

Danièle Deydé


Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Premier chapitre du roman de Marcel Baraffe, Ultiméa

Publié le par aloys

9782874594595_1.75.jpg               

 

 

« Entre toutes les expéditions que nous eûmes à mener dans l’Univers au cours de ces quinze derniers millions d’années·, la plus étonnante, la plus enrichissante, la plus excitante même fut certainement celle qui nous fit découvrir Gaïatéa… »

         Lorsque les premiers signes de ce message s’affichèrent en même temps dans les espaces HC de chacun des Ultiméens, fussent-ils à cet instant aux confins de l’univers, tous comprirent qu’un pas important venait d’être franchi et que désormais plus rien ne serait comme avant. L’époque d’une communication intergalactique se traînant à la vitesse de la lumière était bel et bien révolue. En mettant (selon l’expression gaïatéenne) « à portée de voix » les communautés les plus lointaines, l’intelligence ultiméenne qui semblait jusqu’à présent avoir atteint ses limites, était parvenue à sauter un obstacle que l’on avait toujours cru infranchissable. Cette avancée aurait pu, s’ils avaient eu la possibilité d’éprouver des sentiments, faire naître en chaque Ultiméen la fierté d’appartenir à une espèce aussi évoluée. Si aucun, cependant, ne ressentait  le moindre frémissement de satisfaction, ils ne pouvaient nier  cet assaut de curiosité, léger certes et purement intellectuel, qui les avait saisis. Les explications techniques viendraient ensuite. Pour le moment, ils se contentaient de prendre connaissance du contenu d’un message envoyé du vaisseau-mère à l’occasion, était-il précisé, d’une Assemblée Extraordinaire du Grand Conseil Ultiméen ; la première jamais organisée. Ils ne se doutaient certes pas encore que cet événement allait marquer le début d’une ère bien plus étonnante encore que ce qui n’était finalement qu’un simple progrès en matière de communication.

         «… Gaïatéa. Nous en ignorions à l’époque le nom et même l’existence. Nous recherchions, en ce temps là, dans les galaxies que nous traversions des traces de vie que nous avions pour mission d’observer afin d’en décrire mais aussi d’en surveiller l’évolution. Nous avions sur toutes les autres espèces un avantage certain puisque nous n’étions pas soumis aux contraintes du temps et de l’espace. En tant que créatures à masse quasiment nulle, nous nous déplacions à des vitesses sensiblement égales à celle de la lumière alors que notre immatérialité nous assurait une chance d’éternité à laquelle nul avant nous n’avait pu sérieusement prétendre.

         Après un voyage qui dura lui-même deux millions d’années, nous repérâmes à la périphérie du disque d’une galaxie un peu moins éloignée que les autres, une planète sans grand intérêt tournant autour de son soleil. Sa croûte, recouverte de sable et de poussière, était uniformément grise alors que son atmosphère était constituée de gaz mortels. Nous donnâmes à ce monde de désolation le nom de Planète Triste. Nous aurions pu l’éviter, continuer notre route vers d’autres systèmes apparemment plus intéressants et l’oublier si nous n’avions observé à sa surface un phénomène qui se révéla être, lors de notre second passage, 900 000 ans plus tard, une trace incontestable d’activité biologique.

         Notre ténacité fut récompensée, puisque nous assistâmes dès lors à la résurrection de Planète Triste qui vit son sinistre désert se transformer rapidement (un autre petit million d’années) en une accueillante et généreuse nature nourrissant en son sein, dans une harmonie parfaite, toutes les espèces, qu’elles soient minérales, végétales ou animales.

         Nous apprîmes par la suite que Planète Triste avait un passé autre que cosmique. Elle aurait pu avoir le destin monotone ni plus ni moins laborieux des autres planètes vivant et mourant au rythme des étoiles suivant des lois physiques très simples si certaines combinaisons favorables de gaz, dues certainement au hasard (quelles pourraient bien être d‘ailleurs les autres causes ?), n’y avaient déposé les premières semences de vie qui évoluèrent très vite vers des formes de plus en plus complexes avec, au bout de la chaîne, une espèce communément appelée humaine. Ces créatures intelligentes créèrent leur propre langage et donnèrent à leur planète le nom de Gaïatéa. La Première Ere, dite ère protogaïatéenne, commençait. Les Protogaïatéens étaient des êtres aux grandes qualités et aux défauts encore plus nombreux. Ils développèrent sur Gaïatéa, au cours des âges, des civilisations brillantes mais leur goût démesuré pour les conflits sanglants ainsi que les mauvais coups portés à leur environnement – on prendra connaissance, sur ces sujets, avec profit, des nombreux écrits laissés par des auteurs de la fin de la période dite décadente­­­· – les amenèrent à s’autodétruire, ne laissant de leur merveilleuse planète qu’un monde de poussières et de cendres baignant dans les gaz et les rayonnements mortels.

         Le destin des Gaïatéens aurait pu s’achever avec la naissance de Planète Triste emportée dans une seconde et dernière ère jusqu’à l’explosion finale de son soleil si des groupes d’humains n’étaient parvenus à survivre à la Grande Destruction. Il n’existerait à notre connaissance (mais l’univers est si grand et il nous reste encore tant de galaxies à explorer) que deux exemples montrant que la race humaine n’avait pas été totalement anéantie ; deux exemples aussi différents, aussi opposés que sont le bien et le mal, ce qui laisserait penser que ces deux forces antithétiques sont des composantes indissociables de l’espèce.

         Nous fîmes connaissance avec les premiers (les méchants ?) à l’époque où Gaïatéa sortant de la tristesse et de la désolation se couvrait d’océans et de forêts et s’ouvrait à la vie. C’est ce moment favorable qu’avaient attendu les descendants, par clonages successifs, d’un humain appelé G chargés d’appliquer le programme de survie de l’espèce élaboré par ce dernier en réanimant des embryons cryopréservés déposés à l’intérieur d’un cube de jade. Leur agressivité à notre égard, les dangers qu’ils représentaient pour l’environnement gaïatéen nous obligèrent à les neutraliser sans avoir recours, cependant, à des moyens de destruction, ce qui eût été contraire à nos conceptions morales et  philosophiques.

         Cet épisode de notre histoire eut pour conséquence imprévue de révéler à la communauté ultiméenne ses origines gaïatéennes. Nous étions le second groupe rescapé du chaos (les bons ?). Nos ancêtres, en fuyant dans l’espace, y avaient trouvé la sécurité au prix d’une adaptation qui, au fil des générations, avait fait de nous des êtres dématérialisés, des intelligences pures capables de se déplacer à des vitesses paraluminiques et, le pensions-nous, ayant atteint le stade ultime de l’évolution.

         Nous, Ultiméens, nous étions donc aussi, des descendants d’humains. G était notre cousin et l’Histoire Ultiméenne que nous sommes en train d’écrire n’est, en quelque sorte, qu’un prolongement de l’Histoire Gaïatéenne. La masse d’informations contenues dans la mémoire de notre vaisseau-mère et que nous nous mîmes à consulter avidement, nous livrèrent dans les moindres détails tout ce que nous désirions savoir sur les humains de la Première Ere, ces Protogaïatéens si brillants, si créatifs, si surprenants, si agressifs et dont le crime fut de faire de leur planète un monde de désolation.

 

La Seconde Ere, celle de Planète Triste, est définitivement révolue. Par un effort conjugué de tous ses éléments, elle est parvenue à sortir de son long sommeil.  Une nature nouvelle est sortie de son sol désormais fécond. Des sources ont jailli. Les ruisseaux dévalent les pentes des montagnes. Des forêts couvrent les bords de ses fleuves. Le vent agite les feuilles aux reflets métalliques des arbres-pierres. Et chaque soir, son soleil se couche dans les eaux émeraude de son océan. L’ère de la vie est venue. Des espèces non humaines (nous y avons veillé) et sans agressivité (enfin !) s’y multiplient raisonnablement sous les grands lierres, les lichens et les algues. La nature, sans les humains, respire enfin.

         Nous avons continué à explorer l’univers. La Gaïatéa de la Troisième Ere semble désormais capable d’assumer seule son destin. Nos chemins nous mènent vers des mondes de plus en plus lointains, mais nous n’oublions pas cette petite planète qui continue à tourner autour de son soleil. Elle est, poussière dans le cosmos, notre mémoire imprégnée de la trace de nos origines. Et nous n’oublions surtout  pas que, perdu au milieu d’une forêt  d’arbres-pierres, se dresse comme un défi lancé au temps un cube de jade refermé sur son secret. » 

 

 

 

Marcel Baraffe

"Ultimea", Ed. Chloé des lys

· L’unité choisie est l’année Gaïatéenne.

· Et notamment l’œuvre de Zeek F3 le Pèlerin.

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Premier chapitre "Le tueur de l'île" de Gérard LOISEAU

Publié le par aloys.over-blog.com

http://www.bandbsa.be/contes/gerard.jpg

 

 

Émile Vacher, âgé de trente-trois ans seulement, est l’un des pires tueurs en série de l’histoire. C’est à la sortie des grandes villes et des villages qu’Émile a abordé la plupart de ses proies. Ce vaste carrefour est ouvert à tous les vents, encadré de barres de béton, ou d’arbres touffus, comme il en existe tant à la périphérie des cités et des bourgs. Sa première victime est un petit garçon de dix ans retrouvé sous des branches d’arbres. Les victimes étaient majoritairement de sexe féminin, soit de jeunes adolescents et adolescentes, soit des femmes ayant environ soixante-dix ans. Les meurtres de femmes âgées furent sans doute des accidents dus au mauvais caractère d’Émile Vacher, et pourtant, il les viola.

Toutefois, les préférences sexuelles de Vacher allaient aux garçons de treize à seize ans, qui ont tous subi des sévices sexuels. Il agissait presque toujours de la même manière. Il saisissait ses victimes par le cou, il commençait à les étrangler, puis il les égorgeait et, souvent, les éventrait. Ensuite, il mutilait leurs parties sexuelles. Souvent, il les violait après son crime. La majorité des assassinats a été commis entre le mois de mai et la première quinzaine d’octobre. On peut penser à des périodes de « crise » meurtrières.

 Lorsqu’il rencontre Joseph Lamiau, l’enfant joue près du parc, c’est un jeudi, le 15 mai. Il s’approche et lui propose de jouer avec lui. Le petit acquiesce. Vacher sort de sa poche un couteau et le menace. Les yeux paniqués, Joseph se remet debout et suit l’homme sous la contrainte. Arrivé dans la forêt, le sinistre individu attrape le gamin par le cou et commence à l’étrangler. Le petit Lamiau s’évanouit et tombe au sol. Vacher, d’un geste rapide, lui coupe la gorge. Du sang gicle sur lui. Il sourit, observe sa victime qui tremble, et s’étouffe dans son sang. Il la déshabille, plonge ses mains vers son sexe et le coupe brutalement.

 

Ses mains ensanglantées se débarrassent du petit pénis qui les encombre et atterrit dans les fourrés. Il retourne l’enfant sur le ventre et le viole sauvagement.

Vacher, à genoux, contemple le corps. Il respire fort, par à-coups, il se sent soulagé tout d’un coup. Pendant un instant, il se sent bien, il n’en veut plus à la terre entière.

Il se remet debout, coupe des branches, et les jette sur le corps de sa jeune victime. Puis il reprend sa route sans se retourner. 

***

Tyler est en vacances. Après avoir résolu l’affaire de l’abattoir de Surgères, il a pris quelques jours de repos, dans l’ile de Ré. Il loge dans un gîte, rue Marie Galante dans la maison que lui prête le Dr Pereira, le légiste du commissariat.

Au commissariat, Gino le coéquipier de Tyler, un sandwich débordant de mayonnaise à la main, lit une fiche interne, qui l’informe qu’un enfant de dix ans vient d’être trouvé étranglé dans le bois Henry IV dans l’ile de Ré, sur la commune de la Couarde. Il a été retrouvé nu, il a subi des violences sexuelles. Il a été émasculé, et il a des coupures sur le ventre. Le corps se trouve à la morgue de La Rochelle.

- Il faut que je prévienne Tyler, se dit-il.

Il prend son téléphone et appelle son supérieur.

- Allo ! chef, c’est Gino. Les vacances se passent-elles bien ?

- Quand tu m’appelles pendant mes vacances, il y a un problème, lui répond Tyler.

- Oui, écoute-moi Tyler ! J’ai deux choses à te dire, la première c’est que le directeur veut te voir, la seconde chose, c’est qu’on a un meurtre sur les bras.

- Tu m’expliques pour ce meurtre ?

- Laisse tomber, je t’expliquerai quand tu seras là. Le directeur veut te voir, et je pense que c’est urgent ! 

Tyler se met à réfléchir rapidement.

- Bon, dis-lui que j’arrive ! Mais, tu me parles de ce meurtre ?

- Gino ? Tu m’expliques pour le meurtre ? Enfin !

Gino se tait un instant. Il faut que je lui dise, sinon il me fera la tête pendant dix jours, pense-t-il. 

- Ben ! Un promeneur a trouvé un corps sous des branches, le corps d’un enfant de dix ans environ, il a subi des violences sexuelles, et il a été étranglé, il est mort depuis au moins trois jours. 

- Tu appelles les gendarmes ? Tu leur demandes des renseignements complémentaires sur l’affaire, tu me donnes tout cela quand j’arrive, mais ce ne sera que demain. Avant, j’ai une visite à faire. Pour le directeur, tu ne lui dis rien. 

- Ah ! J’allais oublier, tu vas voir le Dr Pereira. Si le corps est à la morgue, il aura peut-être d’autres renseignements complémentaires.

- Arrête de manger ! Tu vas encore mettre de la mayonnaise partout.

- Gino, surpris, pose son sandwich sur le bureau.

- Mais comment tu sais que je mange ? demande-t-il ?

- J’entends tes mâchoires, je ne suis pas sourd. 

- Tu fais ce que je demande, moi, j’ai un rendez-vous !

 

Tyler raccroche son téléphone, sort de sa maison de vacances, monte dans sa vieille DS et se dirige vers son rendez-vous, à Saint Martin de Ré. Pendant le trajet, il repense au meurtre du petit garçon. Qui a bien pu faire ça s’interroge-t-il ? En plus, pendant mes vacances, et dans l’ile de Ré. Arrivant à Saint Martin, il gare sa voiture sans fermer ses portes, comme de coutume, et se dirige vers le café du centre.

Il jette un œil à l’intérieur du bar pour voir si Anaïs est déjà là. Il l’aperçoit sur la terrasse en train de déguster un café, comme à son habitude. Sans se faire voir, il la regarde avec des yeux admiratifs, pleins d’amour.

- Elle est toujours aussi belle juge-t-il en s’approchant,

- Bonjour, lui dit-il en l’embrassant sur la bouche.

- Tu vas bien ce matin ?

Souriante, elle lui rend son baiser. Le sien a un gout de café ; il aime cela. Il s’assoit en face d’elle et commande un café : ce baiser lui a donné envie. Il a renoué avec Anaïs après son enquête sur les meurtres de l’abattoir de Surgères. Elle n’attendait que cela, elle désirait qu’il revienne. Maintenant, elle ne le lâche plus, elle compte bien finir ses jours avec lui, même si son métier ne lui facilite pas la vie.

Il lui prend la main, un peu gêné.

– Tu sais, Gino m’a appelé pour m’informer qu’un meurtre a été commis dans l’ile. Il faut que j’aille à La Rochelle ce matin pour voir mon patron. Il va surement me confier l’enquête, mais, en attendant, on va aller faire un tour sur la plage.

 Anaïs est médecin à l’hôpital de Bordeaux, elle s’occupe de la réanimation des grands blessés de la route. Elle a toujours eu des sentiments pour Tyler, elle l’aime, c’est l’amour de sa vie. Elle est heureuse de passer quelques jours avec lui, même si elle ne le voit pas tous les jours. Les enquêtes de police sont un des éléments qui ont fait qu’elle se soit éloignée pendant quelque temps, mais Tyler lui manquait trop, alors elle est revenue.

Sur la plage, main dans la main, les pieds dans l’eau, ils se promènent en discutant de leur avenir, mais Tyler est préoccupé par cette nouvelle mission. Il est distrait, il n’écoute pas vraiment les propos d’Anaïs.

- Tu n’écoutes pas, souffle-t-elle.

Tyler ne répond pas, plongé dans ses pensées.

- Tyler, Tyler, tu es où ?

- 

Pardon, j’étais ailleurs ! Il faut que je parte, mon patron m’attend !

Elle sourit, prend sa tête dans ses mains et pose un baiser sur sa bouche.

–Allez, va résoudre cette affaire. Je vais aller voir mes parents, tu m’appelles dès que tu as un moment.

Il la regarde s’éloigner de la plage, entrer dans sa vieille voiture, et se diriger vers La Rochelle. Il s’assoit dans le sable un instant, cette affaire de meurtre lui occupe l’esprit. Le pauvre gamin, quand même, je l’aurai ce type, je l’aurai, se jure-t-il.

 Il monte dans sa DS et prend la direction de La Rochelle lui aussi.

Gérard Loiseau 

 

Gérard Loiseau 

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un extrait de "A un détail près", le polar de Walter Macchi

Publié le par aloys.over-blog.com

 

http://www.waltermacchi.com/templates/ja_mona/images/classic_interface/symbol.png

 

Elle passa dans la salle de bain, se déshabilla et admira sa silhouette dans la glace. Elle caressa ses seins fermes en pensant à Brad. Elle se trouvait un rien trop maigre mais c'était le métier qui voulait cela. Elle se démaquilla rapidement, passa sous la douche et fit longuement couler le jet brûlant sur ses épaules pour se détendre. Elle s'enroula ensuite dans une sortie de bain en éponge pour se sécher et enfila un long T-shirt. Comme tous les soirs, en voyant le flacon sur la table de nuit, elle se rappela qu'elle devait avaler quelques comprimés vitaminés avant d'aller se coucher. Elle avait oublié de les prendre ce matin-là. Bien qu'elle se sentît un peu vaseuse, elle décida de doubler la dose. Elle prit un verre d’eau et absorba d'un trait huit petites pilules. La soirée avait été plutôt arrosée et elle avait un peu trop bu. Une bonne nuit de sommeil et il n’y paraîtrait plus. Elle se glissa sous la couette et ne tarda pas à s'endormir.

   Assis dans sa voiture, l'homme scruta l'entrée du bâtiment où la1° de couverture A un détail près jeune femme avait disparu une demi-heure auparavant. Tout là-haut, les lumières de son appartement étaient à présent éteintes. Il attendit encore une dizaine de minutes et se dit qu'il était temps d'y aller. Il ne pouvait rester indéfiniment assis derrière son volant, le quartier était branché et les patrouilles de police régulières. Ce n'était pas le moment de se faire repérer. Tout avait parfaitement fonctionné jusqu'ici. Subtiliser les clefs et en faire un double avait été un jeu d'enfant. Il prit son téléphone portable et envoya le message qu'il avait composé un peu plus tôt dans l'après-midi. Il saisit la mallette en cuir à ses côtés, entra à son tour dans l'immeuble et monta au sixième. Comme le matin même, il s'introduisit dans l'appartement et fit une halte dans le vestibule, ses sens aux aguets. Tout était calme et silencieux. Il enfila une paire de chaussons en plastique pour éviter de laisser des traces de pas sur l'épaisse moquette beige, se repéra dans l'obscurité aidé par les lumières de la ville et s'avança avec précaution jusqu'à la chambre à coucher. La jeune femme était profondément endormie. Comme prévu, elle avait avalé les comprimés. Il ouvrit la valisette, en sortit un flacon transparent, remplit une seringue du liquide incolore qu'il contenait et souleva la couette. Sans prêter la moindre attention au corps magnifique de la jeune femme, il lui injecta le contenu de la seringue dans le bras. Elle avait fait des analyses sanguines en début de matinée et même un médecin trop curieux n'y verrait que du feu. Il échangea le flacon de vitamines avec un flacon similaire, le reposa sur la table de nuit, prit trois tubes de somnifères et leur emballage et les répandit sur le lit. Il sortit ensuite du bar du salon une bouteille de whisky et revint dans la chambre. Il remplit d’un peu d’alcool le verre d'eau que la jeune femme avait utilisé peu avant et fit rouler le tout sous le pied du lit. La respiration de sa victime était de plus en plus faible. Il inspecta une dernière fois les lieux pour vérifier qu'il n'avait rien oublié et partit comme il était venu.

   Il était dans les délais. Son avion pour Los Angeles décollait au petit matin, un autre contrat l'y attendait. Puis ce serait l'Europe. Juste le temps de se débarrasser de son petit colis. Au volant de sa voiture de location, il remonta Greenwich Street, tourna à gauche, franchit la West Side Highway et trouva un endroit isolé sur les quais.

   Il scruta une fois encore les environs, s'assura qu'il n'y avait personne à proximité et descendit de son véhicule. Il s'approcha rapidement de la berge et lança la valisette et le téléphone portable dans les eaux noires de l'Hudson.

 

 

Walter Macchi

www.waltermacchi.com

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un extrait du roman de Reine Bale... L'âge de déraison

Publié le par aloys.over-blog.com

Reine Bale 2010

 

 

 

 

D’un coup, elle se souvint qu’un magnétophone traînait dans le tiroir de son bureau : Daniel l’utilisait autrefois pour ses enquêtes sociologiques. Elle courut s’en saisir ; il l’accompagnerait partout maintenant. Elle pressa le bouton d’enregistrement et se mit à parler devant la cassette qui tournait :

«La Vierge à l’enfant trône au beau milieu de mon atelier. Je la regarde longuement en écoutant France Info en boucle «la Sncf annonce un plan d’action contre la violence dans les trains de banlieue» ou encore «attentat à la voiture piégée au Pays basque espagnol». Je déplace ma conscience tourmentée vers le drame du monde. Trop souvent, on croit à tort que c’est pire ailleurs ou mieux. Ici, on n’échappe pas au drame, simplement, on se livre volontiers une bataille dans nos consciences ; les vraies guerres ne sont plus qu’extériorités écoutées à la radio. On se croit, par le miracle des médias, protégés de toute cette violence ; notre société pacifiée, on oublie que la guerre frappait durement il y a cinquante ans. Aujourd’hui, je n’ai plus qu’à regarder mes tableaux pour comprendre que le drame, il est en moi. Aucun syndicat, aucune idéologie ne pourra me soulager de ce fléau. Et puis, ils ont fait leur temps. Moi. Mais c’est quoi ?»


Á chaque nouvelle question, elle faisait une longue pause et changeait de pièce, comme si à son flottement moral venait s’adjoindre un inconfort physique, qui l’entraînait vers une mobilité contenue entre les quatre murs de son appartement. Tel un reporter qui avançait pas à pas dans la trame de son investigation, elle scrutait objets et photos, à une différence près que le sujet de l’enquête n’était autre que sa conscience.


Puis lassée de tout, fatiguée d’elle-même, elle sortait, s’enfonçait dans son Paris, celui qu’elle arpentait chaque jour en se rappelant que chaque trottoir, chaque arbre lui avait appartenu en ce temps gracieux mais révolu où elle détenait le sentiment poétique d’être le point luminescent où se rencontraient les rues grisantes de la capitale et son âme d’artiste qui n’avait plus qu’à libérer sa plénitude, comme la fleur libère son arôme. Tout lui semblait si accessible alors, si ouvert, quand elle déambulait dans les ruelles et s’arrêtait pour prendre un café dans un petit troquet. Et des troquets, elle encouv1-l-age-de-deraison.JPG connaissait des tas pour y avoir passé des journées entières à penser, à faire des croquis, ou tout simplement à bavarder avec des amis. Maintenant, elle sortait de chez elle comme elle sortait de sa prison mentale, et pour éviter de ressasser les visions chaotiques qui la poursuivaient, elle essayait de se concentrer sur le paysage en le commentant haut et fort pour tenter de renouer ce lien presque mystique qu’elle avait construit avec « ses ruelles ». C’est tout juste si elle remarquait les gens qui se retournaient sur son passage en la prenant pour une folle. Cinq minutes de concentration et de commentaire à voix haute ne parvenaient pas à éradiquer les questions. L’envoûtement que le Paris du XXème arrondissement avait opéré sur elle avec son atmosphère qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, faite du mélange de quartiers populaires et d’une jeunesse étudiante plus bohème que la jeunesse branchée du XIème, ne parvenait plus à fournir son cadre aux aspirations infinies : à la place, une morne poésie déplaçait le pas sans déplacer le temps. Á nouveau, elle pressa le bouton du petit magnétophone planqué dans la poche avant de sa veste :

«Les platanes du boulevard de Charonne défilent ; mon pas est alerte ; je ne vois pas la fin de mes questions depuis que j’ai commencé à m’en poser. Pourquoi s’en poser ? Un passant me bouscule. Pas même un mot d’excuse. Après tout, je m’en fous. Je poursuis…voilà désormais le Père Lachaise au début du Boulevard de Ménilmontant. Qu’est-ce que je fais ? J’esquive ou je rentre ? Il faut aller ce vers qui m’attire irrépressiblement. Les morts aussi sont mes semblables, mes futurs semblables. Pas de bousculade ici. Mais qu’y chercher ? Les éternels groopies de Jim Morrison se recueillent avec plus de gravité que si c’était un de leurs proches qui gisait sous cette tombe…Rien à faire ici. Allons au plus près de moi. Je préfère geler sur un banc en face du coin des Juifs : Modigliani. Tombe sobre, presque cachée, personne devant. Vie tourmentée, peinture sulfureuse –surtout les Grands Nus-, fin au Père Lachaise dans un coin discret. Et sa pauvre Jeanne suicidée le lendemain de sa mort, enceinte…Peintre mieux aimé mort que vivant ; comme quoi mourir n’est pas toujours aussi tragique qu’on le croit. Pour lui, vivre était tragique.

Et si je venais aussi à mourir misérablement, y aurait-il quelque chose qui resterait de moi ? Suis-je prête à autant de sacrifices pour l’art ? Là aussi, je devrais me poser des questions. Ou peut-être pas, car là encore, il y a de la vanité à croire l’art vital. Et puis d’abord, vital pour qui ? Pas pour les arbres du Père-Lachaise en tous cas. L’artiste mort se mêlera à la terre comme les autres et les arbres s’en porteront très bien.
Reine Bale

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un extrait du nouveau roman de Gauthier Hiernaux : La Novolitza

Publié le par aloys.over-blog.com

gauthier hiernaux2Le bruit de ses pas résonnait dans la ville au même rythme que les battements de son cœur.

Elle redoutait cette journée depuis bien longtemps mais se faisait un point d’honneur de ne rien laisser paraître au pachyderme qui la suivait pesamment.

C’est pourquoi, avant de se prendre le chemin du Castel, elle avait décidé d’emprunter celui des écoliers. La jeune femme avait contraint son chaperon à un détour par les luxueux quartiers résidentiels du haut de la cité.

En cette première semaine des Mellianes – la plus belle saison de l’année selonhttp://grandeuretdecadence.files.wordpress.com/2011/01/novolitza_couverture.jpg?w=225&h=300 elle – Isadora profitait de la fête de la Lune rousse dédiée à la Déesse Mella pour se balader dans les rues presque désertes. Le ciel était d’un bleu éclatant et le soleil, pour une fois cette saison, ne jouait pas sa vierge effarouchée. Le curieux duo venait d’emprunter une allée boisée que surplombaient de magnifiques demeures. La dernière, légèrement en retrait par rapport aux autres, était surmontée d’une gigantesque serre dont chaque carreau réfléchissait les rayons de l’astre. Elle ne manquait jamais de détailler les sculptures qui l’entouraient quand ses promenades la conduisaient à proximité.

On f’rait p’têt mieux d’y aller, M’zelle Isadora.

La voix rauque du gros Balazs ne parvint pas à troubler le charme de cet instant. Isadora tentait d’ignorer ses interventions depuis leur départ mais elle concevait de plus en plus de mal à semer la réalité. Elle avait retardé au maximum l’instant fatidique mais bientôt, elle ne pourrait plus reculer.

Elle chassa ses sombres pensées et se focalisa sur le dessiné des cheminées. Celles-ci semblaient avoir été recouvertes de fines lignes de couleurs et partaient vers les cieux avec une grâce infinie. Tout en se demandant qui pouvait habiter cette demeure, Isadora se rapprocha d’un portail accablé sous la masse luxuriante de ronces et de fougères que l’Esdo de maison avait omis de couper depuis ce qui semblait être des décennies. Le jardin, ce qu’elle pouvait en voir en fait, était envahi d’herbes hautes, pourtant, la propriété n’était guère abandonnée. Elle repéra un mince filet de fumée s’échappant paresseusement d’une des cheminées et il lui sembla apercevoir une silhouette dans la serre.

Sur une étiquette lavée par les pluies, on lisait le nom suivant :

 

A. PIERR

MAITRE-SCULPTEUR DE L’EMPIRE.

 

Isadora n’avait jamais entendu parler d’un quelconque Pierr mais elle ne fréquentait guère les salons et les clients du Soleil de Minuit ne se rendaient pas chez Rudi K pour converser. Madame Lucques, sa préceptrice, prétendait que les mâles se confiaient généralement sur l’oreiller mais, en deux ans d’apprentissage, Isadora n’avait pas eu l’ombre d’un aveu digne de ce nom. (Peut-être que si en fait, mais elle avait pris l’habitude de ne pas écouter ceux qui venaient déverser leur foutre sur ses fesses ou son visage). A présent qu’elle s’apprêtait à donner son corps  pour de l’argent (« louer » serait un terme plus exact néanmoins), elle se demandait quel serait le sujet abordé par ce premier client.

On f’rait p’têt mieux d’y aller, M’zelle Isadora.

La voix plaintive du gros Balazs résonna désagréablement à ses oreilles. Elle lâcha un long soupir comme ses épaules s’affaissaient.

Accorde-moi encore quelques instants, s’il te plaît, fit-elle en mettant dans sa demande toute la chaleur dont elle était capable.

On lui avait dit qu’elle avait une jolie voix. Madame Lucques était certaine que d’aucuns la demanderaient expressément, au mieux pour qu’elle leur glisse quelques mots salaces de son timbre rauque pendant qu’elle donnait du poignet.

Grande, blonde, les yeux verts, Isadora n’avait pas la silhouette recherchée par les amateurs de chair en cette fin de 1er siècle de la Nouvelle Ere. La mode était aux rousses diaphanes qui avaient succédé aux petites au cheveu sombre et au teint bistre. Des filles comme Ania surnommée « Le Tison », pur produit des Terres de Feu ou Eliette « aux longs doigts » étaient davantage prisées dans ce milieu car leur poitrine aurait pu arrêter le galop de plus d’un valeureux cheval de combat. Isadora prétendait posséder les seins d’une honnête fille ; ni trop gros, ni trop menus. Elle ne voulait pas finir comme Babi, une ancienne collègue qui avait valsé par-dessus le parapet d’un pont, emportée par sa légendaire fierté mammaire. Isadora était dotée d’autres atouts, notamment celui d’être la fille du patron.

Pourtant, ce vieux salopard de Rudi K. l’envoyait chez le Qaeder Ivarcelli, le plus haut personnage militaire de la Région de Lütsza. Les filles n’aimaient pas trop le Qaeder – même Eliette qui ne crachait jamais dans la soupe – mais aucune d’entre elles n’avait réussi à mettre le doigt sur le problème. Igor Ivarcelli était un Grand d’Empire qui, à quarante ans, n’avait pas encore trouvé une matrone avec qui partager sa vie. On le disait intime avec la famille de l’Imperator car il avait ses entrées au Saint-Siège mais nul ne savait avec exactitude ce qu’il y trafiquait. Les rumeurs couraient bon train mais il y avait certainement une grosse part de jalousie dans ces médisances. Il participait activement à la reconstruction de l’Empire ; on lui devait notamment le temple de Lyncee (une construction magnifique qui trônait sur la Place de la Victoire de Varaždin). Si elle avait eu davantage de culture, Isadora aurait su que les plans du bâtiment religieux avaient été dressés par Alan Pierr, le propriétaire de la villa qui l’avait tant séduite.

Mais pour l’heure, la perspective de se retrouver seule avec un noble au passé nébuleux lui donnait froid dans le dos.

Elle tira sur son écharpe pour protéger la totalité de son long cou et repositionna correctement son bonnet. Par décret, les prostituées étaient contraintes de porter un signe qui les distinguait des honnêtes matrones. La justice avait opté pour une mèche de couleur criarde qui ne laissait aucun doute sur leur condition. Celle d’Isadora était, pour l’heure, soigneusement cachée sous le bonnet qu’elle avait emprunté à Alda, la fille dont elle s’était rapprochée ces dernières saisons. Issa n’avait pas honte de son métier, elle désirait simplement flâner sans être dérangée par les regards concupiscents des mâles. Mais si elle était contrôlée par les dragons, son employeur risquait d’être mis à l’amende. Néanmoins, elle s’en fichait comme de sa première culotte : le patron du Soleil de Minuit ne pouvait exercer sa tyrannie sur elle comme il le faisait sur les autres filles.

Depuis qu’elle était revenue de la pension un peu spéciale de Madame Lucques où elle avait appris les diverses formes qu’elle pouvait donner au plaisir, Rudi K. avait été transfiguré. Il ne lui avait jamais témoigné beaucoup d’affection alors qu’elle était encore enfant mais à présent qu’il voyait en cette belle plante une source de revenus supplémentaire et peu onéreuse, il traitait sa fille davantage comme une employée de luxe que comme une esclave-domestique. Rudi K. n’avait conçu aucun regret d’avoir mis sa fille unique en location mais, avec les années, voyant ce qu’elle était devenue, il avait regretté de n’avoir attendu et tenté de la marier. Qui n’aurait  voulu de la belle Isadora Krawzeek à la lignée certes sulfureuse mais à l’avenir radieux pour celui qui l’aurait possédée ? Ces années à la pension de Madame Lucques n’avaient cependant pas rebuté Isadora. Elle en gardait même d’excellents souvenirs. Les filles de madame Lucques étudiant divers domaines – tournant naturellement autour de la sexualité – dont les intitulés étaient aussi étonnants que leur contenu intéressant. Mme Lucques se faisait un point d’honneur à dispenser chaque heure de formation, avec un professionnalisme digne des meilleurs Frères Scolastiques. La douairière distribuait ses conseils avisés avec la même prodigalité qu’un religieux, ses conseils et ses sermons.

Mais davantage que le reste, Isadora appréciait l’ambiance qui régnait dans la maison. Les filles, étonnamment peu nombreuses alors que ce métier était, selon le dicton, le plus vieux du monde, s’entendaient à merveille et se gardaient bien de se livrer une guerre comme leurs cousins mâles et puissants des Grand et Petit-Hôtels. La jeune femme en apprit la raison plusieurs années après son arrivée dans la place. Les services de Mme Lucques coûtaient une véritable petite fortune car, outre l’enseignement, on offrait aux pensionnaires le gîte et le couvert. Mme Lucques avait la chance d’avoir aux fourneaux une certaine Mademoiselle Sonia, une ancienne gagneuse qui portait les vestiges de sa beauté comme une écharpe autour du col. Sa cuisine était divine, même si elle prenait un malin plaisir à éliminer la moindre particule de légume de ses plats. Résolument carnivore, la patronne de l’établissement ne concevait pas qu’on pût brouter quand on devait gagner des formes. Mme Lucques avait dû en manger plus que de raison car elle débordait littéralement de toutes les malheureuses chaises sur lesquelles elle posait son séant.

Isadora concevait beaucoup d’affection pour cette ancienne fille de joie, le monde glauque dans lequel son père l’avait glissée n’était pas celui que lui présentait Mme Lucques. Elle avait davantage l’impression de suivre un apprentissage au même titre que les jeunes gens de sexe masculin. Elle devenait le maître-peintre de la chair, le révérend-architecte du corps, le Scolastique des émotions. On lui apprenait à satisfaire tous les désirs, à répondre à toutes les demandes mais avant tout, à faire le vide dans son esprit. Des séances de relaxation étaient prévues avant chaque cours pratique car Mme Lucques prétendait que ces vides de l’esprit étaient salutaires. Une fille qui prenait conscience du corps adipeux qui la besognait avait toutes les chances de tenter de l’éjecter. La chose était évidemment à proscrire car le client concevrait beaucoup de réticences à revenir dans l’établissement.

Isadora avait patiemment écouté et appris les leçons de son enseignante et s’était juré de pratiquer tous les conseils qu’on lui avait dispensés.

Elle avait quitté la maison de Mme Lucques avec ce qui ressemblait à une certification en poche. Elle n’avait aucune légalité mais elle pouvait compter sur son vieux père pour tenter de la mettre à profit.

 

Gauthier Hiernaux

La Novolitza

 

grandeuretdecadence.wordpress.com

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

<< < 10 20 30 40 41 42 43 44 > >>