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Un texte d'Edmée de Xhavée, "l'attente"

Publié le par christine brunet /aloys

 

lovebirds

 

L’attente… 

 

Il descend le chemin vers la vallée, ses cheveux blonds bondissant autour de sa tête, et je l’attends déjà. L’attente brûle mon cœur, cet écureuil enfoui sous mon sein comme il dit. Il reviendra pour la noce, dans trois jours. Plus que trois jours pour que notre bonheur ne fasse qu’une seule chair.

Sur les marches de l’église je l’attends, retarde le prêtre, retarde les heures. Il va venir, je l’attends, je souris au chemin qui me l’apportera, essoufflé mais épris.

L’Octavie est morte, et le Gaston veut m’épouser. Il lui faut une mère pour les trois petits et une femme pour chauffer sa couette. Mais moi, j’attends mon Louis… comme chaque jour je guette l’or de ses cheveux au bout du chemin.

Hier quelques promeneurs sont arrivés de la vallée, avec des sacs à dos et deux chiens. Ils m’ont demandé si le chemin les mènerait bien au refuge des trois ours, et j’ai dit oui. Pendant qu’ils s’éloignaient j’ai entendu une des jeunes filles dire que je marchais encore bien vite et bien droite … pour mon âge.

La maison des parents de Louis vient d’être achetée par des citadins. Elle tombait en ruine, abandonnée depuis que son frère ainé est mort d’un coup de sabot. Je l’attends, patiente. Quand il reviendra le temps de la chair sera peut-être passé, mais pas celui du cœur.

Je me fais bien vieille. J’ai demandé que l’on m’enterre dans ma robe d’épousée, qu’on la découse un peu à la taille et aux manches pour la faire passer. Et qu’on mette Louis près de moi lorsqu’il reviendra. Mais surtout qu’il ne monte pas avec cette tempête, et attende que le vent soit tombé.

 

L’avalanche a emporté quelques chalets et une partie du plateau, mettant à nu un corps congelé. A bout de souffle deux gendarmes ont couru vers la maison d’où la vieille Elodie ne sort plus… Le Louis… il était là, à deux pas, Elodie. Elle a souri, fermé les yeux et acquiescé de la tête. 

 

 

Edmée de Xhavée

edmeedexhavee.wordpress.com

edmee.de.xhavee.over-blog.com

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Christine Brunet présente un extrait de son 4e thriller, E16

Publié le par christine brunet /aloys

 

E16

 

 

 

II

 

 

 

Le téléphone de la voiture de fonction émit une sonnerie aigre qui tira un juron au conducteur : pour une fois qu’il rentrait tôt chez lui ! Sûrement l’un ou l’autre de ses équipiers pour lui demander encore un coup de main. Et dire qu’il était censé être en congé !

Il appuya sur la touche d’appel en soupirant tout en gardant un œil sur le trafic encore dense de la capitale londonienne :

- Oui ? lança-t-il en s’arrêtant pour la énième fois.

- Anton ? J’ai besoin d’un coup de main ! Un indic qui aurait des infos à vendre…

Sheridan ! Et dire qu’il avait, enfin, décidé de laisser tomber une enquête qui lui pourrissait la vie ! Qu’est-ce qu’il avait dit, hein ? Malheureusement, impossible de se défiler sur ce coup-là…

- Ok… Je te rejoins où ?

- A l’entrée du chantier du métro West India Quay, dans une demi-heure…

- Une demi-heure ? Ça va être chaud ! Tout est bloqué en centre-ville !

- Démerde-toi ! s’énerva son interlocuteur avant de raccrocher sans plus de civilités.

 

Plus personne au bout du fil ! Quel caractère de chien, cet Irlandais ! Le grand Tchèque jura entre ses dents, jeta un œil dans le rétroviseur, mit le gyrophare et fit un demi-tour brusque en faisant crisser les pneus.

Vingt minutes pour rejoindre le quartier, une performance ! Il vérifia son arme avant de sortir de son véhicule, la passa dans la ceinture, sur le devant comme à son habitude, et quitta la Vauxhall.

 

 Les lieux étaient totalement déserts, vaguement éclairés par des réverbères éparses. Une vague brume laiteuse commençait à suinter de la Tamise toute proche.

Il remonta le col de son manteau et fouilla les environs des yeux. Pas même un chat… Un peu comme à Prague, sa ville natale, à la nuit tombée en automne… La Vltava étalait avec autant de générosité sa brume sur les pavés luisants de la vieille ville. Il sourit à ce souvenir bien spécifique et chercha du regard son patron. Personne, encore. Peut-être à l’intérieur du chantier ?

Il longea la palissade, découvrit la porte en tôle ondulée entrouverte, sortit son arme sans précipitation, en abaissa la sécurité et pénétra sur le terrain vague avec circonspection. A part le chahut incessant de la ville, le passage régulier du métro aérien, aucune présence. La boue du chantier collait désagréablement aux semelles de ses chaussures en émettant un bruit de succion qu’il tentait d’atténuer en marchant sur la pointe des pieds. Le sol était défoncé par le passage des engins. Des baraquements, des bidons en ferraille, des monticules de palettes et de cartons à peine éclairés par un réverbère voisin. Rien d’autre.

 

 

Un mouvement léger sur le côté. Il se retourna, sans doute trop lentement, et s’effondra dans un grand trou d’eau boueuse, touché à mort.

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

 

ma photo

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Un extrait de "Couleurs d'ailleurs", le roman de Laurence De Troyer

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes3/couleurailleurs.jpg

 

 

Tout a commencé par une envie d’explorer le monde.

Sortir de mon cadre de vie, comprendre comment vivaient les « gens d’ailleurs », observer la nature, apprendre, apprendre, apprendre.

Apprendre des autres, de leur culture, de leur profession, de leur mode de pensée. Apprendre de la nature, d’un monde moins citadin. Apprendre de moi également.

Mes pieds avaient la bougeotte et mon esprit s’évadait aux quatre coins du monde.

 

Le 17 mars arrive et avec lui, mon envol pour l’Amérique du Nord. Direction, le Québec. En route pour le pays des caribous et de la nature triomphante.

Me voilà donc dans le train qui m’éloigne de Bruxelles et m’emmène jusqu’à l’aéroport de Paris.

Quel étrange voyage que celui que je m’apprête à faire : sans aucun itinéraire prévu et avec pour seule date de retour celle que je me déciderai un jour à fixer. Combien de temps durera ce périple ? Où mes pieds me mèneront-ils ?

 

Etrange sensation de brouillard total. Déconcertant et pourtant rassurant.


 

Laurence De Troyer

http://www.bandbsa.be/contes3/detroyertete.jpg

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Eau, tu es la vie, un texte poétique de Jean-Louis Gillessen

Publié le par christine brunet /aloys

 

Jean-Louis Gillessen est un nouvel auteur Chloé des lys...
Il se présentera très vite sur ce blog mais en attendant, il vous propose de découvrir son univers via un texte poétique dédié à l'eau.

 


EAU,  TU  ES  LA  VIE

 

 Je suis un peu fatigué, assis au chaud dans cet estaminet. Il pleut. Fin de journée.

Choix d’un temps de pause, petit café mérité, indiqué ou non, douceur coton du brouhaha d’ambiance.

 

L’écho me parvient de phrases trop fortes et refroidies, de trompeuses discussions dans la passion,

de rires éclatés à l’unisson, trop gros, bidons, fausse cadence, alcool annonciateur de décadence.

 

                 Des femmes, des hommes, boivent, beaucoup. Trop. Ces « trop » lancés sur mon papier trottent et galopent

                 en récurrence : je ne veux pas qu’ils me dérangent, ils sont là, tout simplement. Les « trop ».

                 Ils induisent mon écrit, l'initie.

                 Alors sur cette feuille brutte de papier j’étiole leur brutalité, de ces trop qui maintenant s’apaisent

                 et s’amenuisent, in fine soulagés d’être enfin transcrits, sublimés.

                 Heureuse opportunité du pléonasme inopiné. Pas  de  hasard  dans  l’union  de  ces instantanés. 

 

                 Je suis juste fatigué, pleinement, assis dans cet estaminet. Musique de jazz « blue note ». Sourdine.

                 Mes sens en l’état se ressourcent puis s’énergisent d’être sollicités par l’écoute et l’observation de mise.

 

                  Soudain, tel un objectif manipulé par Hitchcock, mon regard en projeté zoom avant progressif,

                  pour ne plus avoir sur l’écran de ma rétine qu’une seule image pleine, ce regard mien fond précisément

                  comme œil de caméra en fondu enchaîné … sur un robinet qui coule dans un des éviers du bar comptoir.

                  Le filet d’eau coule abondamment et régulièrement. 

 

                 Parallèlement, comme si dans l’arrière-salle un  ingénieur du son inversait deux manettes,

                  les bruits d’ambiance s’effluvent, s’évolutent et disparaissent en un parfait on - off simultané,

                  pour ne plus laisser entendre que le seul roulis filtré si fidèle à l’ouïe … de l’eau qui se perd,

                  part, s’évanouit. Prisonnière des tuyaux, canalisée par l’homme, elle se doit de rester claire.

                  Claire fontaine de plaisir, créatrice de la vie. Mais ici, il y a contrainte, servitude, travail forcené

                   pour elle qui se tue. Elle ne peut s’évader, se voit gaspillée, assassinée.

                  Par faute de l’insouciance humaine, ce bien si précieux ne sert-il qu’à nettoyer les verres en ce lieu ?

Non, me dit Claire. Fontaine. Amie. La vie de l’eau est eau de vie, les gens l’écoutent, la ressentent,

la goûtent.

Sans elle, même la bière dont tu parles ne pourrait naître … l’eau en est son partenaire constitutif.

Et puis toi aussi, tu ne le sais peut-être pas, tu baignes en ton corps l’eau qui te baigne en retour,

à septante pour cent de ta personne que tu véhicules tous les jours.

 

 « Nous sommes tous emplis de tellement d’eau !? », s’exclame un client.  «Mais c’est effarant !

 Jésus Marie Joseph, Dieu soit loué, mes doigts trempés dans l’eau bénite, je prierai trois Ave !».

 

 Et la fontaine d'encore narrer qu'elle se veut claire pour les mains des enfants et des plus grands :

 ils recueillent l’eau chatoyante et chatouillante qu’elle aussi charrie.

 «  Tu me blagues  », lui distille tendrement  l’eau tout en caresses.

 Que nenni, «  Je te charrie vers eux  », lui dit-elle en souriant. Alors l'eau de ruisseler, plus en avant.

 Même si elle connaît son sort. Tournoyer au fond de l'évier, se noyer. Comble pour sa personne!

 Mais il y a les rus, les rivières, les fleuves et la mer.

 Et à chaque enfant qui naît, elle sera bien présente en lui, vaillante et bienveillante.

 Liberté de l'eau, tu es la vie.


 

                                                           Jean – Louis     Gillessen

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L'annonciade, de Didier Fond, portraits

Publié le par christine brunet /aloys

 

L'annonciade

 

 

Portrait de commerçants du quartier :

 

La boulangère

 

 

Colette Lherbier, la boulangère, était connue dans le quartier pour sa froideur, pire que celle de Geneviève Rouvier, c’était tout dire, et son absence d’amabilité envers les clients. Elle avait de la chance que son mari fabriquât le meilleur pain qu’on pût trouver sur les Pentes. La perspective de déguster une baguette ou une flûte onctueuse, veloutée, à la croûte légèrement cassante et savoureuse empêchait les gens du quartier de se tourner vers des commerçants plus agréables. On n’en voulait pas au boulanger. C’était un très brave homme. Mais sa garce de femme !… Porte de prison et langue de vipère, elle allait bien avec la Lemaire, tiens.

 

Madame Lherbier était savoyarde et déplorait à longueur de journée d’avoir dû quitter ses montagnes pour cette ville « hideuse », noire, et triste comme ce n’était pas permis. Et ce quartier où elle se morfondait, alors que toutes ses amies étaient restées dans la vallée de Chamonix ! Quand elle se trouvait « en ville » et qu’elle voyait de loin Fourvière et la Croix-Rousse, elle en souriait de pitié et de dédain. Ca, des collines ? Des monticules, oui. Des taupinières. Pas même deux cents mètres de hauteur ! Elle avait passé son enfance au pied de la chaîne du Mont Blanc, c’était quand même autre chose ! De nettement plus grandiose. Et puis au moins, l’air était pur, là-bas. Il ne puait pas comme ici. Quand le vent du sud rabattait sur la ville les fumées qui s’échappaient de Feyzin, c’était une véritable infection. Elle nous emmerde, disait le mari de la laitière, résumant ainsi l’opinion des gens du quartier. Si on se cotisait pour la renvoyer sur son glacier ?

 

Si encore elle s’était contentée de se lamenter ! Non, ç’aurait été trop beau ! A ses sempiternelles jérémiades, il fallait ajouter des remarques désagréables sur les gens d’ici, et une attitude envers les clients qui frisait l’impolitesse. D’accord, les catolles (1) du quartier n’avaient pas à tripoter les gâteaux, mais ce n’était pas la peine non plus de les menacer de châtiments épouvantables dont l’éviscération était le plus sympathique. Il suffisait de dire, comme Madame Martin, « ne touchez pas, s’il vous plait » et on avait compris.

 

Cette manie d’effleurer de la main tous les produits exposés exaspérait Madame Lherbier. Sa hantise de la propreté et sa maniaquerie, qui l’obligeaient à laver quatre fois par jour le sol de son magasin et à changer de blouse dès qu’une malheureuse petite tache, fût-ce sur l’ourlet du bas, lui sautait dessus, étaient bien les seules qualités que le quartier lui accordait. La boulangerie était toujours impeccable, le pain parfaitement présenté, et on pouvait être sûr que Madame Lherbier s’était lavée au moins dix fois les mains avant de venir s’occuper d’un client. La rapidité avec laquelle elle vous servait tenait du prodige. Vous aviez à peine le temps de lui dire ce que vous vouliez et hop ! vous aviez le pain bien enroulé dans un morceau de papier. Vous n’aviez plus qu’à poser dans la main tendue les petites pièces de monnaie qu’elle vous réclamait. Ca changeait de la laitière, qui traînassait lamentablement.

 

Le mari d’Edith Martin avait d’ailleurs un jour joué un tour plaisant à cette peau de vache de boulangère. Choqué qu’elle n’ait pas la décence d’attendre que les gens posent leur argent sur son comptoir, il était allé acheter deux baguettes, s’était saisi de la main tendue vers lui et l’avait serrée avec force, puis il avait pris son pain et était sorti sans payer. Naturellement, Madame Lherbier s’était jetée à sa poursuite. « Oh excusez-moi, avait-il dit avec une candeur bien imitée, j’ai toujours le réflexe de serrer les mains qu’on me tend. » La boulangère n’avait jamais pu savoir s’il se foutait d’elle ou s’il était sérieux.

 

(1) Catolle = vieille femme, terme péjoratif. Celle qui se mêle de tout, notamment de ce qui ne la regarde pas et cancane à tout va…

 

 

Didier Fond

fonddetiroir.hautetfort.com

 

 

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L'une ou... l'autre rive, de Danièle Deydé : un extrait

Publié le par christine brunet /aloys

    l'une ou... l'autre rive

 

 

 

 

 

Allongée sur le lit, les yeux rivés au plafond de la chambre, Adèle s’absorbe dans la contemplation des ombres qui se meuvent là-haut. Elle se laisse bercer par ce lent mouvement produit par les palmes des hauts palmiers qui s’agitent sous le souffle du vent du soir, dans le parc situé sur l’arrière de l’hôtel. Elle s’abandonne un moment, elle se sent lasse, désemparée. Elle se demande si elle ne s’est pas trop précipitée lorsqu’elle a pris la décision de venir en Algérie. Mais, aussitôt, les mots de Choline lui reviennent et elle sait qu’elle ne pouvait faire autrement que de les entendre. Alors, elle se repasse le film des évènements de l’après-midi. Etre une femme dans ce pays ne facilite pas la vie, et une française en plus ! Cela rend les gens méfiants. Il va lui falloir joindre Samia pour lui demander de l’aide.

L’idée de revoir son amie la stimule, elle reprend confiance et se lève pour l’appeler. Longtemps, la sonnerie du téléphone retentit dans le silence de l’écouteur. Samia n’est pas chez elle. « Pourvu qu’elle ne soit pas partie en déplacement pour plusieurs jours » s’inquiète Adèle. Le lendemain, c’est pareil. Personne ne répond à ses appels et la jeune femme sent le découragement la gagner. Alors elle se souvient que Samia lui a parlé d’un grand quotidien pour lequel elle rédige régulièrement des articles et elle décide de se rendre sur place pour trouver une trace de son amie.

Au siège du journal, Adèle est bien accueillie. En effet Samia est connue, mais il n’est pas question de faire savoir à qui que ce soit où elle se trouve, ni où elle loge. « Vous comprenez, il y va de sa sécurité. Donnez-nous un numéro de téléphone où elle pourra vous joindre et nous lui ferons suivre. C’est tout ce que nous pouvons faire. » «  Je comprends » balbutie Adèle très déçue et contrariée car il va lui falloir encore attendre et le temps presse, pour Choline, mais aussi pour elle, pour Bertrand et pour Julien.

 

Le lendemain, Adèle traîne devant le plateau de son petit déjeuner. Elle se demande ce qu’elle va pouvoir faire de sa journée qui risque d’être bien longue lorsque le la sonnerie du téléphone la fait sursauter. C’est Samia ! Elle vient juste d’apprendre que son amie se trouvait à Alger et avait besoin d’elle. Adèle lui expose la situation et, aussitôt, son, interlocutrice décide : « J’annule tous mes rendez-vous de la journée et je serai à ton hôtel dans une heure. »

 

Danièle Deydé

L'une ou... l'autre rive

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L'une ou... l'autre rive, de Danièle Deydé : un extrait

Publié le par christine brunet /aloys

uneautreriverv

 

 

Le jardin s’est assombri. Le soleil a décliné à l’horizon et ses derniers rayons ont du mal à pénétrer la végétation luxuriante. Chacune des deux jeunes filles s’est abîmée dans ses pensées. Elles comprennent que leurs destins s’éloignent, que ces retrouvailles tant espérées ne sont qu’un court moment de leur vie et qu’il leur faudra bientôt de nouveau se séparer.  Adèle sent les espoirs qui, jusque-là, l’ont portée s’évanouir. Elle va, une fois encore, perdre sa sœur. Le moment est douloureux pour l’une comme pour l’autre, même si pour la plus jeune le chemin semble tracé. Pour l’aînée, au contraire, c’est l’inconnu qui s’offre à elle, avec la solitude. Choline se reprend la première, elle se lève et propose : «  veux-tu m’aider à arroser. C’est un travail long et je vais devoir rentrer assez vite, avant le retour d’Idriss. On se reverra demain dans la matinée, si tu le veux bien. » Adèle acquiesce, elle va chercher un arrosoir abandonné sous un arbre, le remplit d’eau fraiche et commence l’arrosage en silence.

 

La nuit fut longue pour Adèle, confinée dans l’atmosphère lourde de la remise. Les révélations de sa sœur résonnaient encore dans sa tête ; elle avait beaucoup de mal à accepter ce nouveau coup de destin. Elle s’était tellement battue pour retrouver Choline, elle avait mis tant d’espoirs dans un autre départ à deux, et, au moment où elle croyait avoir gagné, elle découvrait que sa sœur avait pris un chemin différent. La déception se mêlait au découragement. Lorsqu’elle parvenait à s’assoupir dans la moiteur ambiante, de brefs rêves venaient assaillir son esprit : Choline lui apparaissait, le visage déformé par les larmes, entraînée au loin par des bras inconnus et elle lui criait sa détresse : « ne m’abandonne pas, aide-moi, aide-moi ! » Adèle se relevait en sursaut, le cœur battant, et l’image implorant de sa sœur restait comme imprégnée dans sa rétine, un long moment après qu’elle eut ouvert les yeux.

 

Danièle Deydé

L'une ou... l'autre rive

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Chronique scandaleuse, par Jean-Claude Texier

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

elitiste

 

CHRONIQUE SCANDALEUSE

 

 

Un bon écrivain se doit de dire la vérité et ne mécontenter personne.

Tous les grands romanciers ont été, sous ce rapport, de très mauvais écrivains. Ils ont vexé nombre de gens, et faute de pouvoir contenter tout le monde, ont dû se satisfaire de l’approbation des connaisseurs et d’une renommée posthume. Prévoyant, Stendhal dédiait en 1839 sa Chartreuse de Parmes To the Happy Few (Aux Heureux Initiés), c’est à dire les esthètes, les critiques littéraires, voire les esprits visionnaires seuls susceptibles de le comprendre.

Le romancier est par excellence celui qui risque de se heurter à la vindicte d’un certain public. Il suffit de démonter les mécanismes de l’hypocrisie d’une société, d’en révéler les abus, d’en exposer les contradictions, pour s’attirer la haine des bien-pensants. Balzac, qui fut de l’aveu général l’un des plus grands, souleva dix ans plus tôt un scandale avec sa superbe Physiologie du mariage vilipendée par ceux qui s’y reconnaissaient. Mais avoir osé appeler l’aventure humaine une comédie est en soi inacceptable à certains en ce qu’elle fait de chacun de nous un comédien.

Écrire est donc une activité dangereuse, et être publié une seconde naissance. Même si vous gardez le même nom, les gens ne vous reconnaissent plus. Vous acquérez un nouveau statut, vous émergez de la masse, et pour peu que vous ayez quelque succès, vous suscitez autant d’admiration que de jalousie. Les louanges et les blâmes sont parfois silencieux, comme ces personnes qui vous ignoraient et qui maintenant vous saluent amicalement. Le comportement inverse signale que votre œuvre est dérangeante.

Réussir à distraire et à amuser tout le monde en temps de crise n’est certes pas un mince exploit. Je serais le premier à me réjouir s’il était possible de faire de la bonne littérature avec des bons sentiments, de n’encourir aucune désapprobation, d’être un auteur irréprochable approuvé par tous, qui aurait renié sa vocation jusqu’à hisser la flatterie au rang de grand art. Hélas, s’attaquer à l’humain, c’est montrer les hommes tels qu’ils sont, et sous le voile de l’illusion romanesque, révéler le vrai visage de leurs travers.

Écrire, c’est trahir, et parfois se trahir soi-même. Un auteur avait trompé sa femme. Il s’inspira de son expérience pour un nouveau roman qui remporta un certain succès, et il crut bon de l’offrir à sa mère. Peu après, comme il lui

demandait ce qu’elle en pensait, elle le gifla. Elle avait vu entre les lignes transparaître la vérité de son fils.

Mais un roman peut aussi agir comme révélateur de soi-même. Un jour une femme trouve chez un bouquiniste un livre oublié qui avait connu la vie brève des nouveautés à l’étalage des libraires. Et en le lisant, ô surprise, elle voit se dérouler sa propre vie. L’héroïne, c’est elle sous un nom d’emprunt, son aventure, ses joies et souffrances, ce sont les siennes à peine déguisées. Sans la connaître, par des liens mystérieux, l’auteur l’avait devinée et mise à nu. Elle en éprouve une émotion intense, suivie d’un grand soulagement : ce livre avait été écrit pour elle, à l’insu de l’auteur.

Des romans ont contribué au renforcement de liens d’amitié, d’autres ont causé des ruptures, comme celle de Cézanne et de Zola en 1886 suite à la publication de L’Œuvre où le peintre se reconnut.

« Mais enfin, Monsieur, lorsque vous dites cela dans ce passage de votre livre, est-ce que c’est vrai ?

— Tout est inexact, Madame, et tout est vrai, comme l’a si bien dit Pierre Lemaître à propos de dernier roman.

Et la romancière Sylvie Germain de surenchérir dans La Grande Librairie :

« Nous fabulons sur la réalité pour en faire ressortir des parcelles de vérité. Nous sommes plus révélateurs que menteurs. »

Déjà, en 1675, Boileau avait écrit dans son Épitre IX :

Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ;

Il doit régner partout, et même dans la fable :

De toute fiction l’adroite fausseté

Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité.

 

Laquelle, comme chacun sait, n’est pas toujours bonne à dire.

 

Jean-Claude TEXIER Aloys.over-blog.com

elketexier94@wanadoo.fr

 

L’Élitiste (Chloé des Lys, 2012)

Jean-Claude Texier dédicacera son roman au stand Chloé des Lys à la Fête du Livre de Lille, CCI Grand Lille, Place du Théâtre, le samedi 7 décembre 2013, de 14h 40 à 16h 20.

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Ainsi soit-il... Un extrait du nouveau roman de Christian Eychloma

Publié le par christine brunet /aloys

 

couverture-ainsi-soit-il.jpg

 

 

 

Bill demeura longtemps hébété avant de commencer à réagir à la sonnerie désagréable qui lui vrillait de plus en plus douloureusement les tympans. Il eut du mal à soulever des paupières qu’il referma aussitôt tant il les trouva lourdes. Il sentit un fourmillement envahir ses membres engourdis et tenta avec un succès mitigé de remuer ses mains et ses pieds. Puis il ouvrit plus franchement les yeux.

Il ne prit pas immédiatement conscience de la date affichée en gros chiffres lumineux au plafond de la salle d’hibernation. Juste une image sur sa rétine. La première impression claire à s’imposer à son mental fut plutôt une pénible sensation olfactive. Une odeur fade, rance. Ecœurante. Doublée d’une certaine difficulté à respirer.

Il lui fallut fournir un effort considérable pour réussir à se tourner sur le côté. Il chercha à tâtons, du bout des doigts, le bouton destiné à mettre fin à l’alerte sonore et le pressa longuement. Puis il se redressa et, appuyé sur ses coudes, entreprit une lente exploration visuelle de son environnement.

Les couvercles transparents, parfaitement alignés, brillaient faiblement dans la pénombre. Ils étaient tous largement ouverts, en position verticale à l’arrière de leur  berceau. Des berceaux que l’on aurait pu croire vides d’occupant, personne ne levant encore la tête pour croiser son regard.

Le faible ronronnement du robot acheva de lui faire réaliser qu’il se trouvait en phase de réveil. Il commença à prendre pied pour de bon dans la réalité et entreprit de retirer avec précaution les micro-tubes pénétrant les veines de ses avant-bras. Puis il dut s’arrêter, envahi par une irrésistible nausée.

Il hoqueta bruyamment et fut tordu par un spasme violent qui lui laissa une crampe épouvantable au creux de l’estomac. Il attendit patiemment que les choses se tassent avant de se débarrasser complètement des sondes du moniteur.

Ce ne fut que lorsqu’il se trouva plus commodément assis qu’il leva à nouveau les yeux au plafond. Et lut et relut les chiffres indiquant l’année, sans parvenir à les croire. Parce que personne ne se résout spontanément à accepter l’incroyable.

Presque vingt-quatre ans… Pourquoi l’horloge du vaisseau s’était-elle détraquée ? D’après cet affichage, vingt-quatre années, à peine moins, depuis qu’il avait été endormi. Précipité dans le néant par ce même robot qui venait de progressivement l’en extraire. Pour un réveil normalement programmé deux mois après l’entrée en hibernation…

Il enjamba le bord de son berceau et, vacillant sur ses jambes flageolantes, se tint péniblement debout, appuyé contre la longue caisse métallique en forme de cercueil. Il tourna la tête dans tous les sens pour observer les gisants les plus proches et dont les corps  commençaient à s’agiter, comme pour se libérer d’un mauvais rêve. Puis il focalisa son attention sur Tatiana qui peinait à refaire surface et pensa qu’il pourrait l’aider, par sa seule présence, à reprendre plus vite connaissance.

Aider Tatiana à émerger plus vite de sa mort artificielle… Il s’avisa tout d’un coup que, contrairement à ce qui s’était systématiquement pratiqué depuis que l’on utilisait cette technique, il n’y avait personne sur place pour les assister. Strictement personne.

Il pensa, avec une soudaine boule dans la gorge, qu’il aurait dû s’en étonner plus tôt. Beaucoup plus tôt. Le doute commença à s’insinuer dans son esprit. Le cœur battant, il fixa au plafond un regard plus ferme.

 

Vingt-quatre ans ! Nom de Dieu… 

 

Christian Eychloma

futurs-incertains.over-blog.com 

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L'une ou... l'autre rive, de Danièle Deydé : un extrait

Publié le par christine brunet /aloys

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Cette nuit, les deux amies ont peu dormi, et voilà que le jour n’est plus très loin.

- C’est l’heure, murmure Samia.

- Je suis prête, répond Adèle à voix basse. Elle laisse planer un silence, puis elle ajoute : « Je te confie tous les cahiers que j’ai écrits ici. Tu m’y retrouveras.

Elle pose un regard de tendresse sur celle qu’elle abandonne derrière elle, l’enlace et la serre avec fougue sur son cœur.

- Je ne t’oublierai jamais, répond Samia. Je garderai précieusement ces carnets pour toujours. Toi aussi pense à moi.

- Tu le sais bien que je ne t’oublierai pas ! Est-ce que j’ai, un jour, arrêté de songer à Choline ? Ce sera pareil pour toi… Tu vas me manquer !

Adèle secoue la tête comme pour chasser des regrets.

- Allons, reprend-elle, il faut que j’y aille, il est temps. Je t’écrirai chez Aïcha dès que possible et j’espère te donner une adresse à laquelle tu pourras me répondre.

Elle embrasse son amie encore une fois, elle se lève et, furtivement, se glisse dans la ruelle obscure. Samia referme la porte avec précaution, s’allonge sur sa couche et se laisse aller à son immense chagrin.  

 

 

Danièle Deydé

L'une ou... l'autre rive

 

 

Publié dans Textes

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