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Premier chapitre "les rendez-vous de Marissa" de Claude Danze, partie 1

Publié le par christine brunet /aloys

 

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Louxor : le complot I

 

 

 

Saadia souriait dans la cuisine de la Villa. Le bruit du journal, que feuilletait Nick sur la terrasse, était révélateur. Il ne perdait jamais son sang-froid. Sauf le vendredi soir, chaque fois qu’arrivait le vol de la Flying en provenance de Shannon.

 

Il vérifiait sur le web les arrivées des vols, téléphonait à Ramadan au contrôle aérien de Louxor, scrutait le ciel invariablement bleu, changeait les clefs de la 504 de poche, oubliait la seconde d’après ce qu’il en avait fait, marmonnait d’improbables imprécations contre le temps qui ne passait pas et, finalement, se mettait en route bien trop tôt.

 

Lorsqu’elle entendit démarrer la Peugeot, Saadia sourit à nouveau : le gag se répétait chaque semaine mais, aujourd’hui, il battait des records, le patron.

 

Il pestait contre le trafic de Louxor aux heures de pointe et contre le convoi d’Abydos et Dendérah qui dispatchait au petit bonheur ses autocars de touristes pressés le long de la Corniche. Un peu avant le musée archéologique, il prit à droite, vers l’aéroport, évitant soigneusement chevaux, cochers et calèches, qui stationnaient là en permanence.

 

Sur la voie rapide, invisibles à l’intérieur des virages, des ouvriers peignaient des marques au sol, sans signalisation, sans vêtements de sécurité. D’improbables charrettes de canne à sucre tirées par des ânes occupaient la route au petit bonheur. Le train ramenant la récolte traversait interminablement la chaussée. Pas question de foncer, il pesta de plus belle.

 

Il arrêta le break 504 près de l’aérogare et regarda sa montre : il lui faudrait encore attendre au moins deux heures. Des cars finissaient de déverser leur flot de touristes revendicateurs. Il les évita et se dirigea à pied vers la clôture pour guetter l’arrivée de l’A320 de la Flying.

 

L’avion blanc et rouge aux lettres de bronze se présenta à l’atterrissage. Nick retint sa respiration. Comme il ne pouvait plus être aux commandes, il se crispait à chaque fois. L’appareil se mit à rouler tranquillement vers le tarmac de service, il expira en gonflant les joues.

 

La porte avant s’ouvrit et elle fut là, sur la passerelle qu’on venait d’amener. Les mains sur les hanches, très élégante, très « pro », Marissa Whelan sembla, d’un regard circulaire, prendre possession de la terre égyptienne. Elle remonta ses grandes lunettes de soleil au-dessus du front, rentra dans la carlingue pour prendre congé des passagers, s’occuper de la paperasse.

 

Il passa saluer son copain Ramadan, qui finissait son service. Ils bavardèrent quelques minutes, puis Ramadan partit vers sa voiture en riant. Toujours aussi cinglé, celui-là, décidément…

 

Dans l’heure qui suivit, il vérifia la concordance de tous les appareils susceptibles de confirmer l’heure de sa montre. Quand l’équipage se pointa enfin à la sortie, il vint ranger la 504 le long du trottoir, juste derrière la navette du Sheraton. L’équipage complet semblait avoir choisi l’hôtel et le chauffeur chargeait déjà les bagages dans le minibus. Même la valise jaune de Marissa, qui pourtant venait systématiquement à la Villa, manière d’économiser sur son forfait séjour. Logan, le commandant, et Michael, le chef de bord, saluèrent leur ancien collègue tandis que Clare, la copilote, discutait ferme avec le chauffeur du Sheraton pour récupérer la petite valise jaune et la mettre dans le coffre de la 504. Même Julie-Ann, la collègue de Marissa, dut y ajouter son grain de sel.

 

Marissa, furieuse, les fusilla toutes deux du regard. Aujourd’hui, elle avait décidé de ne pas aller à la Villa, et voilà que ses collègues l’y poussaient… Pourquoi ne venaient-ils pas, eux ? Elle était trop lasse pour discuter. Qu’ils en profitent, de la piscine du Sheraton. Rien à foutre, moi.

 

Elle salua Nick d’un bref signe de tête et s’assit sur la banquette arrière en rabattant sèchement ses grandes lunettes solaires à monture rose sur son nez mutin.

 

« Pas de bisou aujourd’hui ? »  lança-t-il, moins désinvolte qu’il ne l’aurait souhaité.

 

Marissa lui répondit d’un « pfft »  limite méprisant et regarda avec obstination l’immensité des champs de canne à sucre.

 

Contrairement à l’habitude, elle oublia de dénouer sa queue de cheval tout en secouant la tête de gauche et de droite pour encadrer équitablement son visage de ses cheveux châtain. Nic adorait l’observer faire ce geste à son insu via le rétroviseur. Elle semblait alors émerger de son style « hôtesse de l’air » et se détendre pour retrouver un sourire authentique. Elle n’était jamais plus belle qu’à cet instant où renaissait la vraie Marissa …

 

La 504 démarra au quart de tour, malgré ses 35 ans dans les rotules. Le trafic restait dense mais les journaliers des plantations étaient rentrés chez eux et les autocars du convoi avaient regagné leurs hangars depuis longtemps.

 

Il roula vers le soleil couchant, passa à l’extrémité sud du temple de Louxor, enfila la rue Khaled Ibn El Waleed, suivant de près la navette du Sheraton, où ses collègues se retournaient et le regardaient d’un air entendu, auquel justement il n’entendait rien. Toujours un peu rigolards, sans doute se réjouissaient-ils de le laisser à Marissa et à ses états d’âme. Bizarre, ce vendredi soir. La navette vira à droite vers l’hôtel et la 504 poursuivit sa route vers la gauche.

 

Peu avant le carrefour avec la route d’Assouan, un peu en aval du pont aux quatre Horus de pierre, il tourna dans l’allée de la Villa, arrêta la voiture sous l’auvent de toile déteint. Marissa passa sa mauvaise humeur sur la portière arrière droite, qu’elle claqua sans ménagement. Elle se précipita dans la Villa, sans un regard pour Nick ou sa valise. Elle monta au premier, dans la foulée.

 

Nick prit la valise et monta à son tour. Il pensait trouver sa pensionnaire au salon (sa vue imprenable sur le Nil, son incessant trafic fluvial, son crépuscule flamboyant). Saadia passa par là, d’un air inquiet. Elle frappa à la porte de la salle de bain où, apparemment, Marissa s’était réfugiée sans explication ni bonjour. Ne recevant pas de réponse, Saadia ouvrit prudemment la porte, sous l’œil interrogateur de Nick, la valise jaune à la main, debout au milieu de nulle part. Saadia entra, referma la porte.

 

Nick s’aperçut qu’il avait toujours la valise à la main, la déposa dans la chambre de Marissa. En repassant devant la salle de bain, il entendit des voix. Elle ne s’était toujours pas calmée : elle parlait bas mais avec véhémence. Saadia, en bonne mère égyptienne, lui parlait calmement, sur un ton de ça va s’arranger. Il était encore plus inquiet que discret, quand il s’agissait de Marissa.

 

Saadia sortit avec Marissa, au visage plein de larmes. Saadia lança à Nick un regard de reproche et il redescendit au rez-de-chaussée sans vraiment comprendre.

 

Il croisa Belaid, le mari algérien de Saadia, qui rentrait du jardin au bord du fleuve. Il venait d’amarrer sa felouque et de contempler un instant le coucher de soleil qui flamboyait de plus belle sur le Nil. Nick n’aurait jamais imaginé que la jolie Marissa, toujours de si bonne humeur, puisse un jour être si malheureuse. Il aurait tout donné pour effacer sa tristesse d’un geste de la main, qu’il fit d’ailleurs machinalement en ne brassant que l’air.

 

 

Les rendez-vous de Marissa

Chapitre 1/2

 

claude-danze.over-blog.fr

 

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"Le retour du Golem", un texte de Maurice Stencel

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Le retour du Golem

 

 

 

 

Je me souviens du film dans lequel jouait Harry Baur. C’était en 1932, j’avais quatre ans. Michel avait raison : ce n’était pas Harry Baur qui tenait le rôle du Golem, ce monstre créé de l’argile pour défendre le peuple juif.

Harry Baur, je l’ai revu 12 ans plus tard. En juin 1942, à la gare de Lyon à Paris. Il m’a regardé avec une intensité presque physique. J’ignore ce qu’ont pu se dire au travers de leur regard cet homme désespéré et l’enfant qui le matin même avait fui son pays. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que je serais comédien.

Il était retenu par le bras par deux hommes en manteaux de cuir, le chapeau droit sur la tête, des agents de la Gestapo qui l’entraînaient alors qu’il continuait de fixer le jeune garçon fasciné que j’étais.

-Viens. Viens vite.

C’était mon père.

Longtemps après la guerre j’ai appris qu’Harry Baur n’était pas juif. Il était d’origine alsacienne d’où son nom à connotation juive. Il avait le nez assez fort, c’est vrai. Mon ami Joseph, fils de la grande bourgeoisie catholique, qu’on appelait Jo, prétendait que son nez à lui, aussi caractéristique que celui que la presse, durant

la guerre, attribuait aux juifs, était bourbonien. Il en était fier. Aucune des filles qu’il draguait au volant de sa Mercédès, l’une des premières à l’époque, ne lui riait au nez.

Le temps a passé. Et voici que le vent de la haine se levait à nouveau.

- Il faut réveiller le Golem. De la terre dans laquelle on enterre les morts, avec la même glaise un nouveau Golem sera crée. Il sauvera le peuple juif aujourd’hui comme il l’a sauvé dans le passé.

Michel aimait les formules amphigouriques.

Moi, j’éprouvais une étrange sensation. Une nuit, après le théâtre, j’avais dîné comme je le faisais souvent dans une brasserie proche, j’avais bu du vin, un peu trop peut-être, j’ai su que c’est moi qui avais été désigné. Je ne me suis endormi que très tard.

Je venais d’avoir 64 ans, je ne montais plus sur la scène que pour montrer à d’autres comment je voulais qu’ils s’expriment. Je leur montrais l’attitude du corps, le geste, et les traits du visage. Et la voix, surtout la voix, le rythme de la voix. Cette façon de dire qui n’est pas celle qu’on utilise dans la vie civile. La phrase, et la ponctuation qui est la respiration du texte, plus que l’action, est le moteur de la pièce.

Tout le monde prononce les mêmes mots. Tous les auteurs racontent la même histoire sans cesse recommencée que La Bible, en premier, a racontée. Mais la phrase de l’un n’est pas celle d’un autre. Ne

serait-ce que la virgule dans le corps d’une phrase, et la pièce se termine en chef d’œuvre ou en four.

Le Golem auquel je pensais n’était pas un personnage de théâtre. C’était un personnage réel qui avait l’apparence d’un personnage de théâtre. Il serait double. Ne verraient son visage que ceux qui subiraient sa loi. Ils ne le verraient qu’une seule fois. A la dernière seconde de leur vie. Son rôle serait d’être le poing du peuple juif. Vivre ou périr, c’est la loi de la vie. Comme au théâtre cependant, le Golem renaîtrait chaque soir jusqu’à ce qu’il soit rendu à la glaise parce que la paix aura été rendue aux hommes de bonne volonté.

Je pensais à Harry Baur auquel dans mon rêve je confiais le rôle du Golem. Personne, parmi les spectateurs d’aujourd’hui, ne se souvient de lui. Ni de sa façon de jouer ni des traits de son visage torturé. A peine s’il avait eu le temps de rêver à la suite de sa carrière. Aux progrès qu’il ferait encore. Au cinéma ? Au théâtre ? Soudain, tout s’était arrêté. Parce qu’il ressemblait à un juif.

Le lendemain, j’en ai parlé à Cécile. Cécile avait été ma femme durant 20 ans, nous étions séparés depuis 10. Peut être que nous nous remarierons dans 10 ans, il y a des couples qui fonctionnent par cycles. Je ne me souviens plus du motif de notre séparation. Par contre, je me souviens de plus en plus souvent de ce qui m’avait plu en elle au point que j’aurais été prêt à n’importe quoi pour l’épouser et la mettre dans mon lit.

On appelle ça la passion. Je me demande à quoi on pense quand on parle de la passion du Christ. Je ne me moque pas. La mort devrait être l’aboutissement de chaque passion. C’est trop dur, après.

Cécile écrivait les pièces que je montais, j’étais trop exalté pour écrire. Ma main était incapable de suivre ma pensée. Cécile, au travers de l’incohérence de ma pensée, en saisissait la trame, la mettait en forme, et le texte s’exprimait sans qu’on dut en changer un seul mot. Au début de notre mariage je lui faisais souvent l’amour après qu’elle ait écrit. Quelle que soit l’heure. Habillés ou non. Dans la fièvre. J’y mettais la rage qu’on éprouve lorsqu’on se venge. Et j’avais le sentiment que l’auteur de la pièce, c’était moi.

- Jamais, je n’ai joui aussi fort.

Ces jours-là, à table, elle me regardait manger et veillait à ce que mon verre ne fut jamais vide.

Il m’arrivait de la tromper parce que je voulais me détacher d’elle. Mais aucune autre ne m’étreignait le ventre comme la silhouette de Cécile lorsqu’elle me tournait le dos.

Je lui ai parlé du Golem.

- Le personnage, soit. Mais comment frappe-t-il ces crapules sans se faire prendre tout en se désignant ? Je ne vois pas la scène.

- Gorki, tu te souviens ? Brecht, les mendiants professionnels ? Hugo, Shakespeare, et d’autres. La lie de la société donne une représentation d’elle-même qu’aucune autre catégorie humaine n’est à même

d’égaler. Et que faisons-nous tous les soirs sinon montrer ce que nous sommes ?

- Peux être que tu as raison. Tu le sais, je crains les bons sentiments au théâtre. Ils sont fort applaudis, et la pièce est vite oubliée.

Deux jours plus tard, la presse relatait que dans une banlieue de la capitale, on avait trouvé les corps étranglés de deux caïds suspectés d’avoir détruit des stèles juives, et d’avoir battu un rabbin, presqu’à mort, à proximité de sa synagogue. On ignorait qui en était l’auteur. Même dans le quartier, personne n’avait eu envie d’en parler. Un policier, pour la forme probablement, avait noté sur un procès-verbal qu’un vieillard qui avait l’habitude de regarder la rue du haut de sa fenêtre du sixième étage, avait vu, lui semblait-il, un homme trapu, les bras ballants, marcher comme un automate.

Le policier avait écrit que la description était confuse, le vieillard était à moitié saoul, l’heure était imprécise. En tout cas, il ne ressemblait à personne de connu dans le quartier. Il n’avait pas ajouté que ça faisait deux crapules de moins.

Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, j’avais dormi jusqu’à dix heures du matin. Puis, j’ai cherché sur internet des photos d’Harry Baur. Je pensais que ça aiderait Cécile à peindre son personnage. Lorsqu’il est mort, il était âgé de soixante trois ans. J’en avais soixante quatre, je sentais son personnage davantage que je n’en avais jamais senti

d’autres que j’avais incarnés. Mais c’est vrai qu’un comédien dit toujours la même chose lorsque, pour la première fois, un personnage prend possession de lui.

Je voulais être le Golem, je voulais être Harry Baur, Je voulais dominer ce public qu’on devine sans le voir. Ah, la jouissance que je ressentais lorsque je jouais. Cette rumeur qui monte de la salle est faite, malgré le silence de chacun d’entre eux, de la respiration de tous les spectateurs. Certains soirs, cette rumeur me faisait frissonner. Je sortais de scène vidé mais heureux. J’avais bien joué, je le savais.

Je voulais jouer à nouveau. Non seulement dire comment il faut faire mais le faire à nouveau. Je jouerais son rôle comme il aurait aimé le jouer lui-même. Et l’un d’entre nous deux tuerait celui qui serait désigné tandis que l’autre devant des spectateurs fascinés jouerait cette pièce que Cécile écrirait selon les idées qui bouillonnaient dans ma tête de créateur. Les gens sont bêtes, soit, il ne faut pas leur permettre trop. Les créateurs par contre peuvent, que dis-je, ils doivent tout oser. C’est ainsi qu’ils ressemblent à Dieu.

Je m’étais exalté devant Cécile qui griffonnait sur un carnet. Parfois elle ne traçait qu’un trait, ou la forme d’un visage qu’elle noircissait ensuite, ou mettait quelques mots qu’elle seule et Dieu étaient à même de relire, je lui en avais souvent fait la remarque.

Cécile avait un compagnon, et elle en changeait souvent. C’était la cause de son indifférence à mon égard. Elles sont nombreuses, les femmes qui

raisonnent avec leur ventre. Un jour, elle se trainerait à mes pieds pour que je consente à lui faire l’amour à nouveau.

- Tu vois ce que je veux dire ?

C’était le lendemain du jour où la police avait découvert dans une décharge un cadavre enroulé d’un drap marqué d’une croix gammée. Là encore, il n’y avait eu chez une fille qui se promenait la nuit qu’une description confuse. La silhouette d’un homme trapu qui marchait lentement, les bras ballants.

- On aurait dit : un robot.

Cécile avait revêtu ce qu’elle appelait son bleu de travail. Un cache-poussière gris de deux tailles plus ample que nécessaire. Au début, c’était une façon de manifester qu’écrire était un travail d’artisan. Ecrire chaque jour, ne serait-ce qu’une page, quelques lignes même. Mais tous les jours. Comme l’ouvrier qui se rend chaque jour devant son établi.

C’était devenu un rite. Lorsque nous étions de jeunes mariés, son tablier était blanc et serré, pareil à celui des infirmières qui le portent à même le corps.

- J’ai le sentiment que tu es en train de monter deux pièces dans la pièce. Je ne vois pas encore l’articulation qui les relierait. C’est toi auparavant qui exigeait des auteurs de s’en tenir à l’unité d’action, qu’elle soit apparente ou non.

- Je t’ai dit que tu étais belle ?

- Rentre chez toi, Pierre. Et réfléchis à ce que je t’ai dit.

Je suis rentré chez moi. Ce studio que je baptisais avec un sourire de dérision de garçonnière parce que des filles, avant de se mettre au lit, disaient :

- C’est gentil, chez toi.

Sur la table, il y avait toujours des feuilles de papier sur lesquelles je dressais des plans. Et deux crayons : un crayon à mine rouge, un autre à mine bleue. S’il y avait trop de traits rouges, je froissais la feuille, et je la jetais dans une petite poubelle à papier. Parfois, j’y recherchais la feuille que j’y avais jetée la veille. Et je râlais lorsque c’était le lendemain du jour où la femme de ménage était passée.

Et pourquoi pas deux pièces jouées simultanément ? Sur la même scène. Avec les mêmes comédiens ? Chaque spectateur verrait la pièce qu’il veut voir. Le texte de la pièce dévoilerait tout du Golem. Mais qui y croirait ?

La première scène se passerait en Tchécoslovaquie dans la cave du rabbin qui avait modelé le Golem. Je ferais le rabbin. Puis, je ferais le Golem recrée. Mon visage serait celui d’Harry Baur en 1932.

Le décor était encore flou. Quant aux comédiens, je pensais à l’un d’entre eux en particulier, un certain Thierry que le théâtre saoulait, l’un porterait une veste d’officier nazi, et un autre un long manteau de cuir. A notre époque. Dès lors la tragédie irait de soi.

Cécile paraissait incrédule. Moi, j’usais d’une certaine emphase pour donner plus de poids à l’histoire que je lui déclamais. J’avais retrouvé l’énergie de mes débuts

quand je subjuguais les filles qui ne savaient plus qui elles désiraient, l’homme ou le comédien. Etre visible, quel puissant aphrodisiaque !

Un soir, nous avions travaillé assez tard, je lui ai dis que je n’avais pas envie de rentrer chez moi.

- Je suppose que ça ne t’ennuies pas que je passe la nuit ici ?

- Dans mon lit ? Il ne faut pas, Pierre. Nous allons gâcher quelque chose.

Elle me poussa vers la porte. Dehors, je me suis dis que j’avais eu tort de ne pas insister. J’aurais du la brusquer. Elle avait hésité. Les femmes aiment les vainqueurs.

Un mois plus tard, la pièce était écrite, les rôles distribués, et le jour de la générale était fixé. Mais Cécile était éloignée de moi tout autant que la première fois que je lui avais parlé du Golem. Alors que moi, étrange phénomène, j’étais de plus en plus obsédé par l’envie de redécouvrir ce corps que je connaissais.

Les jours passant, le Golem s’était défait. Il était retourné à la terre. Harry Baur n’était plus qu’un morceau de pellicule jaunie. On ne joue plus comme il jouait. Cécile, elle, était vivante. Vivante !

Je me souviens d’un temps où j’affirmais qu’à choisir entre un tableau de Rembrandt et la plus jolie des filles, s’il fallait que l’un ou l’autre disparaisse, être humain ou non, c’est la fille que je sacrifierais. Aujourd’hui, je sais que c’est faux.

La pièce serait un succès, je le sentais au travers de chacune des parcelles de mon corps A nouveau, je serais l’homme qu’on admire, et Cécile me désirera à nouveau. Les faims de l’âme ou de l’esprit, c’est le corps qui les apaise.

A la fin de la dernière répétition, je l’avais prise à part.

- Demain soir, tu seras à moi à nouveau. Dans l’Antiquité, les vainqueurs avaient droit au triomphe. Tu seras mon triomphe à moi.

- Tu parles comme on parlait dans la porteuse de pain. Je croise les doigts pour toi.

Ce fut un four. Des spectateurs avaient quitté la salle discrètement. Les applaudissements de courtoisie retentissaient d’autant plus forts que l’acoustique de la salle faisait de chacun d’entre eux l’écho parfait de l’autre. Le battement d’ailes d’un seul papillon pouvait, parait-il, provoquer un séisme à l’autre bout de la planète. Du four d’aujourd’hui pouvait naitre le succès de demain. L’histoire du théâtre est pleine de ces métamorphoses. Peut-être. Mais que pensait ce seul et unique papillon qu’on écrase entre les doigts ? J’aurais voulu mourir.

Je suis sorti dans la rue. Je retenais à peine mes larmes. Cécile est sortie à son tour. Je suppose qu’elle me cherchait, elle est venue vers moi dès qu’elle m’a vue. Je n’ai pas pu les retenir. A quoi bon, d’ailleurs ! Les larmes coulaient sur mes joues.

Elle a entouré mes épaules. Elle s’est serrée contre moi.

- Ne pleure pas. Viens.

Nous avons passé la nuit chez elle. Les femmes aiment les combattants qui, le soir d’une bataille perdue, viennent chez elles, et y déposent leur armure.

 

 

Maurice Stencel

 

"Un juif nommé Braunberger"

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Un extrait de "la novolizta", le nouveau roman de Gauthier Hiernaux

Publié le par christine brunet /aloys

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Mes doigts brillaient d’un vermillon sombre dans le clair-obscur de la ruelle. Je les examinais avec attention alors que ma conscience s’écoulait comme un filet d’eau dans la gouttière voisine.
Les gouttes de sang s’écrasaient sur les pavés en se mêlant à celles générées par le ciel. Quand plus aucune des miennes ne suivrait ce chemin, je serais mort.
L’endorphine avait anesthésié la douleur mais je savais que je disposais de quelques minutes avant de perdre conscience. Mes yeux se braquèrent lentement vers cet amas de caisses derrière moi, puis volèrent jusqu’à ce balcon au-dessus de ma tête… Le claquement sec de l’élastique frappant le bois m’avait averti, beaucoup trop tard, de ce qui m’arrivait mais, même si j’étais actuellement dans l’impossibilité de trouver d’où était parti le coup, je le cherchais quand même. J’avais toujours été curieux…
Une nouvelle fois, mes doigts redescendirent vers la pointe acérée qui m’avait transpercé le cou comme la lame d’un couteau dans une motte de beurre. Sa position me rappela l’histoire de Paulie Bosco et de l’arête de poisson qui avait failli réussir là où nous avions si longtemps échoué. Cette histoire aurait pu prêter à rire mais, dans l’état où je me trouvais, j’avais peur que les soubresauts ne me fassent perdre encore davantage de sang. Il fallait songer à des événements moins cocasses, ce qui, dans la situation actuelle, ne devait pas être trop difficile…
Je tournoyai lentement, un peu malgré moi, puis mes genoux fléchirent et heurtèrent de plein fouet le macadam. Dans cette position, abruti d’une fatigue soudaine qui m’empêchait de relever la tête, je ne pouvais que contempler la flaque vermeille qui se formait tragiquement sous moi. Bien qu’en étant la source, j’ignorais comment l’endiguer. Je ne pouvais qu’attendre… simplement attendre.
Au loin, j’entendis le hurlement sinistre d’un chien, puis une dispute dans un immeuble voisin me vint aux oreilles. Un gargouillis submergea bientôt les autres bruits et je me rendis peu à peu compte qu’il provenait de mon propre corps.
Une nouvelle fois, ma main remonta jusqu’à ma gorge. J’essayai de retirer le trait mais mes forces m’abandonnaient peu à peu. Je ne réussis qu’à rendre la plaie plus béante.
Je me laissai glisser sur le flanc, mon corps s’était sans doute résolu à mourir.
Ainsi, c’était comme ça que j’allais terminer ma vie ; dans une ruelle sombre, le cou percé d’un trait d’une arme hautement prohibée d’après le catalogue des Tours de Justice impériales. C’est peut-être mieux ainsi.

Plic. Ploc.

Je m’évanouis, quelques secondes tout au plus. Ce fut le bruit de bottines frappant le pavé qui me tira de l’inconscience.

« Le tireur », pensai-je.

Qui pouvait-il être ? Le choix était vaste! La vie que j’ai menée m’avait fabriqué des ennemis à ne plus savoir qu’en faire. J’en comptai au moins trois qui auraient été jusqu’à m’assassiner. Mais mon ennemi n’était sans doute pas celui qui avait pressé la détente. Je devais avoir eu affaire à un vulgaire mercenaire – un étranger certainement car je connaissais peu de citoyens de la Nouvelle Ere prêts à brader leur réincarnation en donnant la mort pour de l’argent.
Le bruit se rapprocha. Le soudard ne devait plus être qu’à quelques mètres de mon corps moribond. Les semelles dérapèrent bientôt sur une dalle et un bout de chaussure se coinça sous mon aisselle. Je fus retourné sans ménagement, comme un sac de linge sale, comme une carcasse des abattoirs d’Oskar Enko.
Quelqu’un dont je ne pouvais voir le visage tant il était haut perché entra dans mon champ de vision. Je pus quand même distinguer le sourire malsain de l’homme satisfait de sa besogne. Il ne m’avait pas raté, je ne survivrais probablement point. C’est du moins le calcul qu’il fit en me laissant agoniser dans cette ruelle sordide.
Mais en retombant dans le monde des chimères, je me fis la promesse de le détromper.

 

 

Gauthier Hiernaux

http://grandeuretdecadence.wordpress.com

 

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Christian Eychloma nous propose un extrait de son nouveau roman (à paraître): "Mon amour à Pompéï"

Publié le par christine brunet /aloys

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L’ancien policier reposa son stylo avant de lever les yeux pour observer plus attentivement son interlocutrice.

« En nous résumant, madame Lévêque,  votre mari aurait disparu depuis plus d’un mois ? Et vous ne vous en préoccupez vraiment que maintenant ? »

Françoise Lévêque eut du mal à maîtriser son agacement devant le ton un peu trop inquisiteur du détective.

« Comme je vous le disais, les choses ne se sont pas passées aussi simplement. Au début, il m’appelait tous les jours au téléphone et je n’avais donc aucune raison particulière de m’inquiéter.  Puis il a cessé brusquement de me téléphoner, au bout d’une semaine environ. Et nous n’avons plus eu de contact qu’à travers quelques courriers électroniques…

-                          Je suppose donc qu’il ne répondait pas lorsque vous-même l’appeliez sur son portable… Car vous avez bien dû essayer ?

-                          Bien entendu… » répondit la femme du juge avec un haussement d’épaule trahissant son énervement. « C’est ensuite que j’ai commencé à recevoir ces autres messages…

-                          Et que disaient-ils, en gros ?

-                          Pas grand chose, justement… Mais ce n’est que petit à petit que j’ai commencé à nourrir des soupçons. En recevant jour après jour ces mails archi creux qui ne m’apprenaient rien du tout et dont j’ai fini par douter qu’ils étaient bien envoyés par mon mari…

-                          Mais vous y répondiez néanmoins ?

-                          Oui, oui… Mais il me devenait de plus en plus évident que quelqu’un d’autre faisait de louables efforts pour se faire passer pour Roland…

-                          Et vous dites en avoir conclu, au bout de deux semaines de ce dialogue de sourds, qu’il était certainement retenu quelque part contre son gré ? Et que quelqu’un tentait juste de vous faire prendre patience en se chargeant des communications ? 

-                          C’est exact. Et c’est seulement là que j’ai commencé à me demander sérieusement ce qu’il convenait de faire. Je me suis dans un premier temps rendue dans un commissariat où mes explications n’ont pas eu l’air d’être prises très au sérieux. Il m’a même été proposé de faire lancer une recherche dans l’intérêt des familles ! »

Charles Boileau, en bon détective, évitait soigneusement de laisser trop tôt filtrer les sentiments que lui inspirait cette étrange histoire. Ne surtout pas laisser deviner à sa cliente ses premières impressions. La laisser parler d’abord. Le plus possible.

L’expérience acquise au cours d’une carrière d’inspecteur de la P.J. l’avait en effet assez vite amené à penser que tout ceci était plus compliqué qu’il n’y paraissait et n’avait pas grand chose à voir avec une disparition volontaire ou un enlèvement.

« Je suppose que votre mari disposait ici d’une pièce où il avait l’habitude de se retirer lorsqu’il désirait travailler sur un dossier qu’il n’avait pas eu le temps de traiter à son bureau ?

-                          Tout à fait… Avec un petit coffre-fort pour mettre ses documents en sécurité. Je lui ai d’ailleurs assez souvent reproché d’amener du travail à la maison !

-                          Très bien… Afin de ne négliger aucun indice, puis-je alors vous demander si vous y avez remarqué quoi que ce soit d’un peu inhabituel ? Réfléchissez… Même la plus petite chose, à priori sans importance, peut se révéler utile !

-                          Dans cette pièce ?

-                          Oui… Un objet qui manquerait, par exemple, ou un papier quelconque qui traînerait sur le bureau et qui n’y était pas peu de temps auparavant… N’importe quoi, en somme ! »

Françoise Lévêque se prit le front entre les mains, s’appliqua à réfléchir pendant quelques secondes, puis redressa la tête en haussant les sourcils.

« Maintenant que vous le dites, j’ai effectivement remarqué un petit changement… Mais je ne vois vraiment pas en quoi ceci pourrait vous aider…

-                          Dites toujours, madame Lévêque…

-                          Eh bien… Il s’agit d’un tableau… Une ancienne peinture sur bois que j’avais toujours vu accrochée au mur et qui ne s’y trouve plus…

-                          Un tableau ? Tiens donc… Et que représentait-il, ce tableau ?

-                          Une jeune femme. Coiffée et habillée à la romaine… Une beauté antique qui fascinait bien davantage mon mari que n’aurait pu le faire la Joconde, je crois ! Il l’aura probablement emmenée avec lui pour continuer à l’admirer dans sa chambre d’hôtel ! » précisa Françoise Lévêque avec le sourire indulgent d’une femme habituée aux petites manies de son époux.    

Le détective nota mentalement l’information en se demandant quelle pertinence cette histoire de tableau pourrait bien avoir avec l’affaire qui venait de lui être confiée. Mais il s’agissait pour le moment d’éviter soigneusement de tomber dans le piège des idées préconçues…

« Par quoi comptez-vous commencer ? » demanda abruptement Françoise Lévêque devant l’expression pensive de l’ex-policier en train de tripoter distraitement sa ridicule petite moustache.

« Par une rapide enquête auprès des relations, professionnelles ou non, de votre mari… Auprès de tous les gens avec lesquels il a pu se trouver en contact, seul ou avec vous, au cours des quelques semaines qui ont précédé son départ pour l’Italie ».

Puis le détective parut soudain se souvenir de quelque chose d’important.

« Vous me disiez à propos avoir tous deux été reçus, peu avant, chez le professeur Liévin ? Le prix Nobel de physique ? Avec qui monsieur Lévêque paraissait engagé dans un travail de révision de je ne sais trop quel procès qu’il aurait instruit ?

-                          Oui… Une semaine environ avant que mon mari ne réserve son vol pour ce qu’il m’a présenté comme un déplacement dans le cadre d’une commission rogatoire. Ce qui n’était évidemment pas la première fois…

-                          Il me semble aussi que vous avez mentionné la présence d’autres personnes avec vous, ce jour-là, chez les Liévin…

-                          Juste un autre couple. Serge Audibert et son épouse. Serge Audibert était l’avocat chargé de défendre l’accusé au cours du procès que vous évoquez, procès ayant abouti à la condamnation de ce dernier.

Charles Boileau croisa les jambes et se laissa aller contre le dossier du confortable fauteuil de salon où il avait été invité à s’asseoir, tout en s’accordant un instant de distraction consacré à admirer de loin les tableaux naïfs décorant cet intérieur plutôt cossu.

« Fichtre… Un prix Nobel de physique étudiant un dossier d’instruction ?

-                          Oui, enfin, pas exactement… » rectifia un peu impatiemment Françoise Lévêque. « Jacques Liévin n’a bien entendu jamais eu accès au dossier ! Il a seulement essayé de faire valoir, à la demande de Serge Audibert, un certain nombre d’arguments propres à démontrer selon lui l’erreur judiciaire ayant entaché ce procès…

-                          Vous voulez dire qu’il s’efforçait en fait d’en persuader votre époux ?

-                          C’est tout à fait ça, oui… En développant les conséquences d’une théorie avant-gardiste dont il prétendait avoir prouvé la validité.

-                          Compte tenu de la qualité d’un tel intervenant, il est à supposer que ces arguments devaient être bien subtils ? L’opinion de votre mari en avait-elle été modifiée ?

-                          Il en avait été en tout cas passablement ébranlé. Et il y avait de quoi, vous pouvez me croire… Mais il a attendu, avant de se rallier définitivement à l’avis du professeur, que celui-ci lui permette d’assister à un certain nombre d’expériences. 

-                          Des expériences ?

-                          Oui… Portant sur des transferts temporels…

-                          Des quoi ?

-                          Des expériences consistant à envoyer un caméscope dans le passé de façon à en ramener des images… »

Le détective, d’abord sans réaction, se redressa lentement en décroisant les jambes, se pencha en avant et, posant ses avant-bras sur ses genoux, fixa attentivement sa cliente.

« Vous pouvez me répéter ça, madame Lévêque ?

« Vous avez bien entendu… Je vous ai dit qu’il s’agissait d’une théorie d’avant-garde !

-                          Soit… Mais vous avez bien parlé d’expériences ? Ces expériences ont-elles selon vous été concluantes ?

-                          C’est en tout cas ce que Roland m’a affirmé en rentrant. Apparemment bouleversé, après avoir passé une demi-journée dans le laboratoire du professeur Liévin… »

Charles Boileau, en proie à toutes sortes de sentiments contradictoires dont la très désagréable impression d’être la victime d’un mauvais canular, récupéra pensivement son stylo et son bloc-notes.

« J’imagine que vous ne verriez aucun inconvénient à me communiquer l’adresse de ce Jacques Liévin ?

-                          Non, pas du tout, mais vous ne trouverez que sa femme à son domicile. C’est elle qui m’a dit récemment au téléphone qu’il se trouvait en mission expérimentale à l’étranger. En Italie…

-                          En Italie ? Je suppose que son épouse pourra se montrer plus précise…

-                          Demandez-lui confirmation, mais si je me souviens bien, il se trouverait aux environs de Naples. En fait, à Pompéi.

-                          À Pompéi… Où votre mari vous avait-il dit avoir à travailler lorsqu’il s’est lui-même rendu en Italie ?

-                          À Rome. Il était supposé au départ passer une quinzaine de jours à Rome… »

Le détective resta à regarder fixement, sans vraiment le voir, le grand tableau se trouvant au mur auquel il faisait face. Une représentation ancienne des ruines du Colisée.

« À quoi pensez-vous, monsieur Boileau ? » demanda Françoise Lévêque au bout d’une dizaine de secondes.

« À la distance qui sépare Rome de Pompéi, madame Lévêque ».

 

 

Christian Eychloma

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Maurice Stencel "Une mère'

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Une mère

 

 

 

Je n'ai jamais assisté à des funérailles. Celui que j'aurais honoré sincèrement eut été le seul à ne pas m'entendre. Si c'était pour lui dire toute l'amitié, toute l'affection, tout l'amour que je lui portais, ou que je continue à lui porter, sans ouvrir la bouche, sans m'exprimer par des mots, à travers la pensée seulement, ce phénomène aux contours flous qui n'est qu'une ébauche d'expression, je préfère le faire chez moi.

Je n'ai de compte à rendre à personne, et personne à qui je doive faire semblant de rendre hommage.

J'ai assisté aux funérailles de Pierre. A regret. Pour sa mère qui se trouvait au bord de la tombe, sans regarder personne, sans regarder la tombe. Elle se tenait droite, les yeux fixés devant elle. Mais, je suis sûr qu'elle ne voyait rien. Les traits tendus, la bouche serrée, les bras le long du corps, un peu en arrière, on eut dit qu'elle allait prendre son élan. Elle était belle.

Lorsque Pierre était absent, elle m'invitait à prendre un verre chez elle, café ou thé, ou vin ou alcool, selon l'heure. Mais c'était pour parler de Pierre. Elle savait que j'étais son ami le plus proche. Celui à qui il ferait des confidences, de celles qu'on s'interdit de faire à sa mère. A celle, cependant, qui donnerait tout pour être la confidente de son fils.

J'avais fait sa connaissance quelques mois auparavant. J'étais assis sur un des bancs du parc municipal à une heure où le parc est désert. Je pouvais laisser courir mon imagination. Ne penser à rien comme disent les gens raisonnables qui savent comment on cesse de penser, et comment on décide de se livrer à nouveau à cette occupation.

La mère de Pierre se trouvait auprès de moi, je ne l'avais pas vue arriver.

- Je peux m'asseoir? Vous êtes l'ami de Pierre.

Vous me connaissez? Je suis la mère de Pierre.

Je me suis levé.

- Je vous ai déjà aperçue, mais je ne savais pas que vous étiez sa mère.

- Je peux m'asseoir?

- Oui. Bien sûr.

Elle souriait. J'avais l'impression qu'elle faisait preuve de coquetterie envers moi. Elle s'était assise, le buste dressé, et parce que sa robe s'était repliée, elle l'avait tirée sur ses cuisses, mais avec un tel souci de les recouvrir que je ne pouvais m'empêcher de les regarder avec insistance. Avant de regarder son visage. Pierre lui ressemblait. Elle savait, j'en suis sûr, qu'elle était belle. Séduisante.

Elle était veuve depuis plus de dix ans. Elle ne s'était jamais remariée. C'est, seule, qu'elle avait élevé Pierre, ce fils unique qu'elle idolâtrait.

Avait-elle eu des amants? Elle était jeune, désirable, les prétendants ne devaient pas lui manquer. Mais on ne

lui connaissait personne. Et quand une amie trop curieuse lui posait la question, elle répondait:

- N'ais-je pas l'homme le plus beau et le plus attachant qu'une femme puisse rêver?

C'était une réponse banale mais je n'étais pas certain qu'elle ne représentait pas la vérité pour elle.

D'abord, j'avais cru qu'elle cherchait une aventure auprès d'un jeune homme qui n'était pas beaucoup plus âgé que son fils, et qu'une jolie femme devait intimider. Elle s'était assise tout près de moi de sorte que ma cuisse reposait contre la sienne sans qu'elle fît mine de s'écarter. J'avais le bras pendant derrière le dossier du banc.

- Vous êtes son meilleur ami, n'est-ce pas?

Elle souriait.

- Je crois.

Et je mis mon bras autour de ses épaules. Je glissai ma main gauche dans l'échancrure de son corsage. Elle avait le sein doux et tiède.

- Votre main est douce.

Elle avait posé la main sur la mienne, et c'est sous la pression de sa main que je lui ai caressé le sein. Puis elle retira lentement sa main et la mienne.

-Je pourrais être votre mère. Est-ce que Pierre est aussi silencieux avec vous qu'il ne l'est avec moi? Entre eux, les garçons se disent des choses, non.

En réalité, je m'en doutais. Ce n'est pas une aventure qu'elle cherchait.

Pierre n'avait que dix-huit ans lorsque je l'ai connu. J'en avais vingt-trois. Il s'était inscrit à un cours d'histoire dans un institut privé qui préparait à l'entrée dans les grandes écoles. J'y faisais office de surveillant, de répétiteur, de n'importe quoi pourvu qu'il y ait quelqu'un qui parcourt la salle de classe pendant que les élèves travaillent.

Entre Pierre et moi, s'était installé un climat de sympathie réciproque, puis d'amitié réelle, après que nous nous soyons promenés ensemble à la sortie des cours. Je l'accompagnais chez lui puis, plutôt que de nous quitter, c'est lui qui me raccompagnait jusqu'à mon domicile. Le plus souvent, ce manège qui avait fini par nous amuser tous les deux se déroulait plusieurs fois avant que nous nous séparions. Jusqu'au lendemain.

Lorsque son père mourut, Pierre qui n'avait que huit ans, fit des cauchemars toutes les nuits. Il se dressait en hurlant. Sa mère le prenait dans son lit, et lui parlait à voix basse pendant qu'il se calmait et, apaisé, finissait par s'endormir, le corps contre celui de sa mère, et le visage contre sa poitrine.

- Dors, mon petit chéri. Dors.

Elle fermait les yeux mais ne dormait pas. Elle continuait de murmurer:

- Dors, mon petit chéri. Dors, mon petit homme.

Il avait pris l'habitude de dormir auprès de sa mère. Le soir, lorsqu'il était l'heure de se coucher, c'est dans le lit matrimonial qu'il se glissait. A l'heure où elle-même

allait se coucher, elle le trouvait recroquevillé au milieu du lit. Dès qu'elle était au lit, il se poussait contre elle. Mais il s'agitait jusqu'au moment où elle le prenait dans ses bras. Et sa respiration devenait régulière.

Le matin, elle se levait avant lui pour lui préparer son petit déjeuner, puis il faisait sa toilette pendant qu'elle préparait son cartable. Le dimanche, par contre, c'est elle qui lui donnait son bain.

Elle lui savonnait le corps entier, jusqu'à son sexe et son derrière qu'elle savonnait avec le plus de vigueur. C'étaient des endroits qui doivent être immaculés. Elle se réjouissait lorsque le sexe de Pierre durcissait dans sa main.

- Mon petit homme.

Elle était pratiquement nue quand elle le lavait. En slip et soutien-gorge. A l'âge qu'il avait, cet aspect de sa mère, ne devait pas perturber son fils, pensait-elle. Et durant de nombreuses années, elle avait pris l'habitude de faire sa toilette devant lui. De cette façon, pensait-elle, il ne prendrait pas l'habitude de fantasmer sur le corps des femmes. Un corps est un corps, rien de plus. Si elle en avait eu le pouvoir, dès le début de l'humanité, elle aurait interdit qu'on cachât le corps des humains. Est-ce que les animaux, mammifères ou autres, se couvraient? Cela ne les empêchait pas de procréer. Ni d'y prendre du plaisir. Ce sont les vêtements qui sont à la source de la perversité. Après ces vigoureuses professions de foi, elle passait

beaucoup de temps devant la coiffeuse de la chambre à coucher. Elle se peignait et se maquillait, en regardant dans le miroir le petit Pierre immobile qui contemplait sa mère.

- Mon petit homme.

C'est une expression qu'elle utilisait souvent. Et la portait à lui tendre les bras pour le serrer contre sa poitrine.

- L'homme de ma vie. Tu le sais que tu es l'homme de ma vie.

- Jusque fort tard, j'ai plus souvent dormi auprès de ma mère que dans mon lit. De toute manière, la porte de ma chambre, elle était voisine de la sienne, était toujours ouverte. Quand je ne dormais pas, je l'entendais me dire:

- Tu dors?

Et parfois, c'est elle qui me réveillait quand elle me demandait si je dormais.

Pierre me parlait de sa mère avec l'air résigné et malheureux de parents qui ont un gosse handicapé mental. Parfois, par contre, j'avais le sentiment qu'il la haïssait.

- Qu'elle me laisse vivre. Et si j'ai envie d'être malheureux.

- Elle n'a jamais été tentée de recommencer sa vie? Ta mère est très belle. Je suppose que comme toutes les femmes, elle a des besoins.

- Des besoins?

Je changeais de sujet. Je me demandais si en recueillant les confidences de Pierre, je pensais réellement à lui. J'avais encore en mémoire la courbe et la tiédeur du sein de sa mère.

- Elle est belle, non?

Il avait dix-sept ans quand sa mère et lui avaient rencontré la fille d'une amie de sa mère. Pierre avait détourné la tête en rougissant.

- Pierre.

Il avait rougi plus fort encore, et avait baissé les yeux. Cette timidité maladive en face des filles, elle devait la constater à de nombreuses reprises depuis lors. Et elle s'en désolait.

Une nuit qu'il était étendu auprès d'elle, elle lui entoura les épaules et le serra contre elle.-

- Tu es un bel homme, tu sais. Elles seront nombreuses, les filles qui voudront t'avoir dans leur lit. Je peux te le dire, tu es toujours mon petit homme chéri. Il n'y a pas de mot tabou, tu peux me croire. Un sexe comme le tien, mon chéri, ferait le bonheur de toutes les femmes.

Elle l'avait à peine touché, et il avait durci, le ventre soudain en feu.

- Ce n'est pas ce que tu crois.

Il était sorti du lit, il était entré dans sa chambre et il avait fermé la porte.

Comment dire à sa mère que les filles ne l'attiraient pas.

- Ce jour-là, je crois qu'elle ne se serait pas refusée.

- Elle croit bien faire, Pierre. Elle t'aime. Dis-lui que ce ne sont pas les filles que tu aimes. Il faudra bien qu'elle s'y fasse.

- Elle en deviendrait malade.

Un soir qu'il était rentré tôt, il entendit des gémissements qui venaient de la chambre de sa mère. Inquiet, il poussa la porte. Nue, haletante, elle était assise sur le ventre d'un homme qui lui serrait les hanches.

Au bruit de la porte, elle avait tourné la tête.

- Pierre.

Pierre avait refermé la porte.

- Vas-t'en.

Elle rejeta la couverture, mit sa robe de chambre, prit les vêtements le l'homme, et les lui mit dans les bras. Elle répétait:

- Vas-t'en. Vas-t'en.

Elle l'avait presque ramassé dans la rue parce qu'il fallait qu'ils sortent, Pierre et elle, de cette situation qui s'était créée il y avait longtemps, et qu'elle n'avait pas pu maîtriser. Elle se rendait compte que c'était son petit Pierre qui en était la victime. Ca avait été sa façon à elle, encore une fois, de se sacrifier pour lui, de lui manifester son amour. Et, une fois de plus, elle avait été maladroite. Est-ce que l'amour ne suffit pas pour distinguer le bien du mal?

Pierre avait retrouvé au grenier le pistolet de son père. Bien emballé dans un morceau de toile grise, et glissé dans une sacoche de cuir souple, il était resté à l'endroit

où son père l'avait déposé. Peut-être par superstition, personne n'y touchait jamais.

Jusqu'au jour où Pierre l'avait glissé dans la bouche, personne ne s'en était jamais servi. Même pour jouer à la roulette russe qui passait pour le plus enivrant des jeux de hasard.

Au bout d'un mois, environ, j'ai reçu un coup de téléphone de la mère de Pierre. Elle avait été émue de ma présence aux funérailles de Pierre.

- Vous étiez le meilleur ami de Pierre. Peut-être même que vous le connaissiez mieux que moi.

J'aimerais vous revoir, vous voulez-bien?

Le soir même, je suis allé chez elle. Elle avait déposé sur une table une bouteille de whisky, elle avait tiré les tentures du salon, et n'avait allumé que le luminaire qui se trouvait près de la table.

Durant de nombreuses heures, nous n'avons parlé que de Pierre.

 

 

Maurice Stencel

"Un juif nommé Braunberger"

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Amour et Papillon, de Laurent Nizette

Publié le par christine brunet /aloys

 

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Amour et papillon

Laurent Nizette

 

1

 

Il fait noir, mais je suis là, j’existe. Je ne suis pas prêt, je dois attendre. Mon corps travaille. Qui suis-je ?

 

2

 

Quelque chose en moi s’est connecté. J’ai froid, j’ai faim. Il m’est toujours impossible de voir, mais je peux me mouvoir, un muscle fonctionne. Je pousse.

 

3

 

Une paroi empêche mon mouvement, je pousse plus fort. J’ai de plus en plus faim et froid, cela m’encourage à pousser plus fort encore. Victoire de moi sur la paroi, elle se déchire. Je peux sortir. Finalement, une fois vaincue, je la découvre molle et flasque. Arrivé à l’extérieur, je peux voir.

 

4

 

Eblouit, Je suis passé d’un grand flot noir à un grand flot lumineux. Je sens des stigmates s’ouvrir sur les côtés de mon corps. Quelque chose de chaud entre et ressort sur un rythme régulier. Le froid disparait. Mais la faim me tenaille toujours. Il faut manger

 

5

 

Le sol est miraculeux, il me suffit de baisser l’avant de mon corps pour que ma bouche puisse saisir de la nourriture. Je mange sans arrêt, je mange encore et toujours. La faim se résorbe doucement. Il semble actuellement être un signal plus difficile à apaiser que le froid.

 

6

 

Mes yeux semblent s’habituer à la lueur du Soleil. Maintenant, je peux découvrir visuellement mon environnement. Je suis dans une salade, sur une feuille, entourée d’autres feuilles. Au-dessus de moi le ciel est bleu, en son centre brille le Soleil. Je vois mon œuf, gisant, là. Il y a d’autres œufs, et même des créatures qui en sortent. Je ne suis pas seul.

 

7

 

Nous ne nous observons pas. Chacun semble savoir ce qu’il a à faire. Il n’y a pas de dialogue. Nous sommes les uns à côté des autres à manger notre morceau de salade. Le temps passe, mais l’appétit est toujours identique. Je n’arrive pas à réfléchir, je suis concentré sur la nourriture. Après un long moment, quelque chose me dérange. Il fait froid.

 

8

 

La lumière a baissé, le froid rentre par mes stigmates. Je n’ai pas peur, j’ai faim. Je continue de manger. À l’aide de mes mandibules, je coupe les morceaux de salade que je mâche en dehors de la bouche. Ensuite, j’avale d’un coup. Le froid ralentit mon fonctionnement, mais c’est sans doute la nourriture que j’ingurgite qui me tient en vie. Je continue.

 

9

 

Le Soleil se lève, mon corps se réchauffe. La feuille de salade est complètement trouée et pour ainsi dire entièrement mangée. En une file, nous partons vers la salade suivante. Pour arriver à destination, je suis celle qui me précède. Parfois, je dois éviter des déchets noirs qui lui sortent du corps par l’arrière. La route est longue. Heureusement, nous avançons vite et sans arrêt. Je suis toujours derrière elle, elle est mon repaire.

 

10

 

Nous sommes arrivés, nous pouvons manger. Je suis à côté d’elle. Elle mange, je mange. Je ne la quitte plus. Toute la journée, nous mangeons. Je suis rassuré qu’elle soit là, elle semble également rassurée de ma présence. Nous avons terriblement grossi. Je suis content.

 

11

 

Le Soleil donne sa place à la Lune, puis il vient à nouveau brillant de mille feux. Elle et moi avons probablement augmenté notre taille par dix. Je commence à ne plus avoir faim, elle non plus. Elle s’en va, je la suis. Rassasiés, nous nous sommes arrêtés de bouger. Je n’ai plus faim, plus froid, je ne suis plus seul, plus rien ne me donne envie de bouger.

 

12

 

Quelque chose en moi se durcit. Tout doucement, mes yeux se ferment, mes stigmates ne respirent plus, mais je fonctionne toujours. Dans mon corps, je sens des connexions se réaliser, et d’autres se désassembler. Le temps passe, je suis comme en hibernation. Comme un ours, ma grotte est ma peau si dure. Bientôt, je le sens, je serais fini.

 

13

 

Je peux bouger, mais quelque chose m’emprisonne. Je reconnais cette sensation. Je pousse. Je suis plus fort, plus souple. Une fissure s’établit, je passe ma tête. Mes yeux s’habituent tout de suite à la lumière. Jamais je n’avais vu aussi bien auparavant. Maintenant, je suis entièrement dehors, j’ai des ailes, des antennes, je suis un papillon.

 

14

 

Je bats des élytres, elles fonctionnent. Je décolle. Je découvre le monde. Je voyage, j’observe. Je ne me rendais pas compte qu’il était si grand, et que j’étais si petit. Les couleurs vives m’attirent. Je m’approche de l’une d’elles, je me pose. Elle sent bon. Je peux boire. Je ne mange plus, je bois. Je sais maintenant que les couleurs vivantes sont des réserves nutritives. Je décolle à la découverte du monde.

 

15

 

Sous une branche, je découvre les mille couleurs de la nature. Soudain, elle est là. Je la vois sur une fleur. Quelque chose en moi l’a reconnue tout de suite. Mon repaire est aussi devenu un papillon. Je m’approche.

 

16

 

Elle est contente de me retrouver, je le suis aussi. Nous buvons ensemble. Elle me rassure toujours. On est bien en compagnie de nos repaires.

 

17

 

Une autre arrive. Elle est magnifique. Sans boire, elle redécolle et s’en va. Elle m’attire terriblement. J’observe le repaire de ma vie, elle m’observe aussi. Je décolle, l’attirance est trop forte. Je dois rejoindre la belle. Je ne la regarde pas derrière moi, je ne vois pas le mal que je lui fais. Eblouit, je vole en direction de la belle.

 

18

 

J’arrive à la rattraper. Elle me voit et accepte ma présence. Très vite, je remarque qu’elle ne me donne pas autant d’attention que j’en ai besoin. J’en veux plus, j’attends plus, je souffre. J’ai envie d’elle.

 

19

 

Je la suis partout, elle fait de moins en moins attention à moi. La lumière du soleil disparait pour laisser place à la nuit. Au loin, une lumière brille pendant la nuit. La belle se dirige droit sur elle. Je tente de la dissuader. Sans mon repaire je ne suis plus rassuré, mais je me garde bien de lui dire. La belle se moque encore de moi. J’ai envie de… Je vole vers la lueur.

 

20

 

Nous y arrivons. Elle se cogne les pattes sur la lampe et j’entends un grésillement. Avec violence, elle continue. Maintenant, c’est au tour de ces ailes de toucher. Ces dernières s’enflamment, elle tombe au sol et rejoins le corps sans vie d’autres insectes qui, eux aussi croyaient.

 

21

 

Je m’approche d’elle, elle vit encore. Elle me fait signe d’aller, de voler vers la lampe. Je ne peux pas lui dire non. J’ai tellement besoin qu’elle m’aime. Je m’envole et m’approche. Je me sens tellement loin de mon identité. Bientôt, la lampe sera contre moi, bientôt.

 

22

 

Elle s’éteint, la lampe s’est éteinte ! Je rebrousse chemin pour retrouver ma belle. Arrivé à ces côtés, elle ne vit plus.

 

23

 

Je me lève, le Soleil brille. Étant à la recherche de couleur vive pour me sustenter, je parcours les alentours. Une magnifique fleur s’ouvre à moi. Je m’y pose. Le doux nectar cascade ma gorge vide. Un fort mouvement d’air me fait chavirer légèrement sur le côté. Un autre papillon vient de se poser. C’est elle, mon repaire.

 

24

 

Elle m’observe, je l’observe, cela fait si longtemps. Je suis rassuré, je peux être moi-même sans être jugé. Nous nous montrons l’un l’autre, nos odeurs, nos couleurs. Elle décolle, m’attends. Je la rejoins.

 

25

 

Nous sommes ensemble, mais je n’ai pas de désir. La belle me manque. Pourtant, mon repaire s’approche de moi, tente de me séduire. Je me laisse faire sans conviction. L’accouplement commence. Nous investissons nos énergies dans la génération future.

 

26

 

Depuis l’acte, mon repaire s’occupe moins de moi. Elle semble être codée pour s’occuper de cette grappe d’œufs. Je me sens inutile. Néanmoins, je suis toujours rassuré qu’elle soit là. Je sais que le lien que nous avons créé perdurera à cette épreuve.

 

27

 

Nous volons cote à côté. Avec le temps, elle semble s’intéresser de plus en plus à moi. Maintenant, c’est comme avant. Sauf qu’elle ne cherche plus à me séduire. Mais avec ce même temps, nos corps ont vieilli. Quelque chose se termine.

 

28

 

Elle n’a pas passé la nuit. Ce matin, son corps est dur et sans vie. Je sens la mienne qui me quitte progressivement. Là-bas je vois deux papillons qui s’entichent l’un à l’autre. L’imagination, c’est l’imagination. Pour moi, c’est fini.

 

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De l'amour (suite)... de Claude Colson, un ajout à son "Tout à trac"

Publié le par christine brunet /aloys

De l'amour -suite

 

 

Depuis l'origine du temps, c'est l'amour qui est le ou l'un des moteur(s) du monde. Voilà quelque chose que peu voudront contester. Et puisque celui-là semble voué à l'éphémère tout comme à l'éternelle renaissance, nous devrions changer - si nécessaire - d'optique à son égard.

 
Nous avons tôt fait d'accuser l'autre d'un échec en la matière, de le mettre à l'origine de la désunion.

 
Notre propre souffrance nous ôte une part de clairvoyance. Au moins dans un premier temps il ne peut en être autrement.

 
Et si c'était l'imperfection humaine face à un Absolu qui était responsable de ce devenir, le plus souvent funeste ?

 
Nous croyons être amoureux de quelqu'un et restons - également - amoureux de l'amour. Un chemin obligé. Le "ver de terre amoureux d'une étoile", "l'impossible rêve".

 
Si c'était notre indignité de toute petite créature contingente qui nous rendait presque toujours incapables d'assumer la transcendance ?
Cela n'enlèvera rien aux souffrances des amants, ne changera rien à leurs comportements dans la crise, mais pourra sans doute, avec le temps, contribuer à les apaiser quelque peu.

 

 

 

Claude Colson

claude-colson.monsite-orange.fr

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"Avoir un pied dans la tombe", un texte de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

delvilletete

 

"AVOIR UN PIED DANS LA TOMBE"

Origine historique de l'expression…

 

Mardi 22 mars 1547. François 1er règne sur la France et souffre de la goutte. Évidemment, l'excès de vins capiteux et de mets savoureux n'est pas étranger à ce mal.

 

Le médecin du roi est appelé à son chevet car Sa Majesté souffre et n'arrive même plus à chausser sa botte tant son gros orteil est gonflé et douloureux.

 

- Majesté, il va vous falloir faire régime !

 

- La peste soit des régimes, Monsieur mon médecin ! J'aime la bonne chère et ne puis m'en passer !

 

- Ce sera le régime ou alors…

 

- Ou alors quoi, Monsieur mon médecin ?

 

- Oh, Majesté, j'ai trouvé un remède dans un livre arabe que le Grand Mufti de Constantinople m'a offert après que je l'aie guéri de la peste !

 

- Diable, notre cousin, le Grand Mufti s'y connaît en médecine ?

 

- Non Majesté mais certains de ses médecins ont fort bonne réputation. On raconte même que le meilleur d'entre eux, le grand Ahmed Ben Oujda est capable de soigner rien qu'en regardant le malade dans les yeux ! Si j'en crois ce livre précieux, il conseille d'entourer le pied douloureux avec des bandelettes trempées dans l'eau s'écoulant d'un cimetière !

 

Le roi fut soigné de cette manière très peu orthodoxe, ce qui était normal pour un remède arabe et, ma foi, il guérit en très peu de temps. Le médecin du Grand Mufti avait raison !

 

Ce que l'histoire ne dit pas c'est que quelques jours après sa guérison miraculeuse, le roi mourrait sans raison apparente…

 

Le médecin du roi fut condamné à mort, exécuté comme régicide, c'est-à-dire qu'il fut écartelé et son corps fut brûlé !

 

Ce n'est que quelques années plus tard, sous le règne d'Henri IV que le fou du roi, Nicolas Joubert, sieur d’Angoulevent, osa prétendre que le bon François 1er avait un pied dans la tombe avant d'y être tout entier !

 

Extrait des chroniques de Robert Dupin,

Vicomte de Flandre et d'Artois,

Astrologue et historien français

(1504-1566)

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

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Sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, un texte de Louis Delville.

Publié le par christine brunet /aloys

 

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CHANGEMENT DE DÉCOR

Choisissez une image de personnage et une image de lieu et imaginez ce que fait cette personne à cet endroit précis (plus il y a de contradiction entre les deux images, mieux c'est)…

J'ai choisi une photo d'une jeune femme se baignant en bikini dans la mer.

J'ai choisi une photo de coquille Saint-Jacques.


Sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle

 

Qu'allait-elle y faire sur cette route ? Partant de Namur, Jacqueline a suivi les coquilles dorées placées en rue et très vite, les bords de Meuse se sont révélés bien agréables. Le pâle soleil belge lui donnait des ailes et les kilomètres succédaient aux kilomètres. La France était en vue.

 

Les pèlerins qu'elles rencontraient se plaisaient à lui raconter leurs exploits passés mais aussi futurs. La traversée des grandes plaines semblait lui convenir. Elle parcourait en un jour ce que d'autres faisaient en deux ou trois étapes.

 

Un entraînement d'enfer ! Depuis deux ans, elle marchait de plus en plus. Elle en était arrivée à dégoûter tous les compagnons qui voulaient aussi la défier !

 

En moins de trois semaines, Jacqueline était en Espagne !

 

Chaque soir à l'étape elle téléphonait à son ami François, resté en Belgique. Elle lui décrivait les chemins emprunté, les villages traversés et lui, à l'autre bout du fil, prenait consciencieusement note de son récit et le retranscrivait sur son ordinateur.

 

Le dernier soir, elle ne téléphona pas et il commença à s'inquiéter. Peut-être une panne de téléphone, se dit-il pour se rassurer… Le lendemain, toujours rien ce qui commença à inquiéter François.

 

Où était Jacqueline ? La police avertie, on commença les recherches. Pourtant le chemin qu'elle avait dû emprunter était facile et sûr. Quelques témoins l'avaient vue approchant de la basilique. Elle s'était évaporée en quelques minutes.

 

François décida de se rendre sur place en avion et en dépit de ses efforts, il revint en Belgique complètement désespéré par cette disparition.

 

Pendant ce temps-là, au Couvent des Dominicaines Cloîtrées de Saint-Jacques de Compostelle, on préparait l'intronisation de la nouvelle mère supérieure Sœur Jacqueline, venue de Belgique.

 

Louis Delville

http://louis-quenpensez-vous.blogspot.com/

 

http://www.bandbsa.be/contes2/noelouis.jpg

 

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Improbable rencontre, Alain Bustin et Marie Claire-George.

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Improbable rencontre

 

M-C georgesOui, improbable rencontre que celle d’Alain Bustin (« Albert ou la quête d’un marathonien ») et de Marie-Claire George  («L’ange gardien »). Car si Alain court la montagne avec plus de fougue qu’à vingt ans, on n’y croise plus souvent Marie-Claire dont l’endurance toute relative n’est plus qu’un souvenir. Alors, comment se fait-il ?...

 

Novembre 2010.

Tournai, un salon du livre un jour de pluie. Deux chaises vides en bout de table, elles sont pour nous. Quelques mots échangés, un courant de sympathie, tout est écrit.

 

Juillet 2011.

Chamonix, la mer de glace un jour de grand soleil. Un seul chemin qui mène au Signal. Promesse tenue, instant magnifié. La montagne nous bénit de sa lumière.

 

- Alain ! Tu n’avais rien exagéré, il n’y a pas de mots pour tant de grandeur !

- Des mots ? La montagne se suffit à elle-même, il suffit d’admirer.

- Je comprends mieux, maintenant, ce que ressent ton Albert à courir les sommets.

- Qui resterait insensible devant tant de perfection majestueuse, la coulée du glacier,  les arêtes enneigées qui nous tirent vers le ciel ? Comment ne pas être interpellé ?

- Toi, tu viens souvent ici.

- Et c’est chaque fois le même bonheur. Le même, et pourtant différent.

- La montagne ne change pas...

- Pas à notre rythme, c’est vrai. Mais notre vie n’est pas figée et c’est pour cela que je la regarde chaque fois d’un œil neuf.

- Explique...

- La montagne, c’est un miroir. Un miroir qui reflète notre propre chemin de vie. NosBustin émotions, nos expériences, nos attentes, nos craintes, nos espoirs... La vie avance, nous voyons les choses différemment mais toujours elle nous offre une nouvelle énergie.

- Elle a pris dans ta vie une place importante.

- Essentielle. Elle fait partie de moi.

- Depuis trop longtemps je n’avais plus grimpé sur de tels sentiers, quel bonheur de m’y retrouver avec toi. Face aux Drus, nous nous retrouvons à notre vraie place. La place que cherche ton Albert dans le roman, la place qu’il trouve.

- Ici, l’évidence est devant toi : tu n’es rien, sauf par le sens que tu donnes à ta vie. Accueille l’instant, suis ton chemin, vis-le.

- C’est la route qui est importante.

- L’écriture aussi est un chemin, tu ne trouves pas ?

9782874595103 1 75- Bien sûr, et c’est un autre bonheur. Là aussi, il faut prendre le temps mais le temps, c’est tellement relatif !

- Et chaque instant porte sa richesse.

- Richesse qui se glisse parfois dans l’écriture...

- A propos, quelque chose en route, Marie-Claire ?

- Tu sais bien : un premier roman dont je viens d’écrire le dernier mot. Le chemin d’une9782874594625 1 75 femme simple et généreuse à travers les hauts et les bas de la vie, sa montagne à elle, en quelque sorte. Et toi , Alain ?

- Un second épisode de la vie d’Albert, le bonhomme nous réserve encore bien des surprises ! J’aimerais terminer le roman avant la fin de l’année. Ecrire, quelle aventure !

- Aventure, c’est bien le mot. Un risque, un hasard, une chance... et d’improbables rencontres !

- Alors, à bientôt, Marie-Claire ?

- Bien sûr... le temps de m’entraîner pour vous suivre, Albert et toi, vers d’autres sommets !

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