Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

textes

Gens d’argent, cœur d’or, étain d’une vie noble, un texte de Jean-Louis Gillessen

Publié le par christine brunet /aloys

DSC01285

 

 

Gens d’argent, cœur d’or, étain d’une vie noble.

 

Trois décembre 2013. Recommandé. A personne âgée. L’Etat lui réclame 1.700 euros qu’elle n’aurait pas payés en 2009.

Endéans le temps de la loi, l’huissier passera si la somme n’est pas là, chez eux, dans les tas de L’Etat tapis plat, qui peut réclamer son dû pendant cinq ans pour laisser à ses fonctionnaires surchargés les années nécessaires à farfouiller, à soutirer les milles et les cents qui leur auraient échappés par mégarde, erreur, fatigue, excès de labeur, dysfonctionnement … ou connerie tout simplement.

Lucie, elle, 83 ans, n’aurait pu réclamer que dans les 3 ans ! Le délai est dépassé. De toutes façons, comment et pourquoi réclamer, chercher à comprendre, demander justice « avant » pour une erreur que l’on ignore puisqu’on vous la communique « après » ?

Que veut cette logique du tout-puissant ? Lucie ne met plus de vieux pain sur son balcon puisqu’elle s’organise à ne pas gaspiller. Les moineaux et les pigeons pourtant l’apprécient, elle ne doit pas les nourrir pour les attirer. Goldman ne chante pas qu’elle fait rire aux éclats ses petits enfants qui dévorent son pain non perdu, sucré du goût de la vie pleine d’un amour inébranlable, sans sou mais riche de l’insouciance apaisante d’une grand-mère sereine, sécurisante.

Partis heureux en fin d’après-midi, le cœur empli des instants de bonheur intègre, impatients déjà de revenir bientôt, ils ont bisouté grand-maman, remercié, plongé leurs yeux lumineux dans ceux de Lucie, qui reste seule. Sans larmes. Jamais amère.

Elle range le 42 m2 loué 400 euros, écoute les hits sur radio-nostalgie, chante et danse, s’assied dans son fauteuil coincé entre table unique et armoires vieillottes, caisses et cartons usés, pour s’endormir malgré elle l’espace trop restreint de 43 minutes.

Puis se réveille soudain : il fait froid. Pas de thermostat, 2.000 euros de chauffe par an, radiateurs coupés l’après-midi pour ne pas surchauffer, économiser, pourriture de l’humidité sur les stores et rideaux délavés, mauvaise isolation.

Mais la propriétaire dit qu’elle viendra placer du double vitrage l’année prochaine. Il est vrai que Lucie est régulière dans ses paiements, qu’elle touche une grosse pension de 1.100 euros … puisque Lucie travaille depuis l’âge de 12 ans. Et travaille encore environ 10 heures par semaine, … au noir, car il y a les taxes, et puis tous ces papiers qui lui rappellent de payer.

C’est honteux, cela fait au moins 1.300 euros de rentrée nette par mois disent d'aucuns alentour ! C’est pour cela qu’elle peut se payer le luxe d’une voiture brinquebalante, payer les charges du logis, avoir le téléphone,  rembourser avec intérêts les arriérés des contributions, gâter de temps à autres ses nombreux petits enfants, leur donner une « petite image »  , faire face aux prêts contractés pour payer certaines dettes résultantes d’une mauvaise gestion ! Elle a quand même la sagesse de n’être pas raccordée à la télédistribution.

Madame la propriétaire dira : incroyable de laisser les vieux gérer seuls dans le gaspi leurs avoirs !  Et quels avoirs de l’être qui a … qui a … si bon dans la vie ?! Serfs et vassaux, dîmes, progrès, justice sociale, pénalisation, féodal, deniers de l’Etat, assistanat, contrôle, sanction  …. 

Petit,  petit,  petit.  Mais  grande est et reste Lucie. Elle  vit.  Combien de temps encore?

 

                        

 

Jean-Louis Gillessen

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Henri Puffet nous propose un extrait de son roman "La mise entre parenthèses"

Publié le par christine brunet /aloys

   9782874597572_1_75.jpg

 

 L’air gardait toujours cet arrière-goût un peu insolite de résine et de sous-bois, et la journée s’annonçait agréable et lumineuse. Quand j’ai freiné devant la maison ronde, j’ai reçu le sourire candide et amical de Carole. Sur la table de la cuisine, attendaient deux sacs à dos moyens, garnis de victuailles et de boissons. On y a ajouté une veste et un chandail pour chacun, ainsi qu’un duvet et une chaude couverture, puis on a tout rangé dans le coffre de la Datsun. Carole a fait sortir son chat, bouclé la maison, après quoi nous sommes partis. Nous avons traversé la petite ville à moitié déserte au soleil levant et mis le cap à l’ouest. La perspective d’une randonnée en montagne me remplissait de bien-être, et je conduisais doucement, me délectant comme d’une friandise de la calme fraîcheur du matin. Les pâturages et les forêts de sapins s’enfuyaient derrière nous. Ma passagère paraissait perpétuellement contente, presque radieuse. C’est moi qui ai rompu le silence :

   - Tu sais, depuis notre rencontre, j’ai été frappé par ton visage. On dirait que tu es heureuse en permanence. Le bonheur suinte de tes gestes, de ta façon d’agir et de parler. Il m’est déjà arrivé de croiser des gens qui respiraient le bien-être, mais chez toi, c’est tellement flagrant. Presque rare. Du bonheur chronique.

   Elle s’est contentée de répéter une phrase de la veille :

   - L’extérieur est le reflet de l’intérieur, aucun mystère là-dedans.

   - Possible. Tu as toujours été comme ça ?

   - Depuis plusieurs années, oui. A peine si je m’en rends compte. C’est machinal, un art de vivre pratiquement involontaire…

   A quelques nuances près, Richard l’alpiniste m’avait donné cette impression. Comme une parenté d’attitudes.

   - C’est fantastique.

   - Non, a-t-elle corrigé. C’est normal. Je me sens bien, je trouve la vie passionnante et belle.

   - C’est une chose entendue, mais bon, il y a bien des mauvais jours, des périodes d’amertume où les choses ne tournent pas rond, où tout semble aller de travers…

   - En effet, ça arrive. Mais je me contente de voir venir, avec le sourire. Parce que je sais, d’une manière inébranlable, que demain sera un autre jour et que finalement tout ira bien. Je ne me tracasse jamais.

   - C’est remarquable. Mais, excuse-moi d’insister, il peut arriver à n’importe qui de choper une sale maladie, d’avoir un grave accident, ou de subir des déconvenues importantes…Cela ne te toucherait pas ?

   Sa réponse a fusé sans l’ombre d’une hésitation :

   - Non. Pour la bonne raison que ça ne m’arrivera pas.

   - Alors là, tu m’épates ! ai-je apprécié en la dévisageant.

   - Si je t’affirme cela, entre nous, c’est uniquement parce que ma voix intérieure m’a souvent assuré que rien de négatif ne pourrait m’arriver. J’y crois dur comme fer. J’ai conscience d’être protégée. Et certains faits me l’ont prouvé.

   Là encore, ma compagne renforçait, sans s’en douter, mes réflexions du mois précédent. Mais, pour elle, cela semblait d’une telle évidente simplicité qu’elle paraissait avoir banni toute espèce de souci de son existence. Il fallait quand même le faire… Car, on avait beau savoir qu’en fin de compte, on s’en sortirait toujours, cela n’empêchait pas de se tourmenter à tout bout de champ, que ce soit à cause d’une relation problématique, d’un pépin de santé, ou d’un tas de menus détails qui nous collaient à la peau comme une vieille gale.

   La route s’était mise à onduler et à sinuer largement. Imperceptiblement, nous approchions de magnifiques reliefs teintés de bleu et de vert sombre. Carole reprit :

   - Pour peu que tu regardes les choses en face et examines le script de ta vie passée, lucidement, honnêtement, tu constates que tout s’est toujours arrangé pour le mieux – même si, sur le coup, tu ne l’as pas bien saisi -, tu t’aperçois aussi que le fait de t’être angoissé ou inquiété n’a eu aucun impact sur le dénouement de tes problèmes. Aucun ! Les circonstances évoluent de la même façon et aboutissent aux mêmes résultats, que tu te tracasses ou non. C’est hyper important. Dans ces conditions, sachant cela, tu ne t’en fais pas.

   - Plus facile à dire qu’à faire, comme on dit. Cela semble relever de la gageure.

   - C’est un pli qui ne se prend pas trop difficilement, crois-moi…

   - Oui, pour toi, qui es particulièrement fortiche.

   - Non, Jean. C’est à la portée du premier venu. Seulement, il faut le décider. Et s’y tenir…

   Je me régalais de notre dialogue. Carole résumait, avec son style simple et transparent, sans emphase, tout ce que j’avais mis des mois à absorber. Elle peaufinait mon initiation. J’étais submergé de gratitude et d’admiration. J’ai laissé ses dernières phrases s’infiltrer en moi par capillarité, puis :

 

   - Tes explications sont claires. Et je suis persuadé que tu as raison. Tu sais à quoi tout cela m’amène à penser ? Si l’humanité entière était comme toi - rends-toi bien compte de ce que je dis, si tel était le cas, ce serait un grand bonheur, et à brève échéance il n’y aurait plus de problèmes dans le vaste monde. Or, il existe tellement de gens dont le métier est de vivre des problèmes des autres. Comme les papillons vivent de nectar, ou les vautours de charognes. Un grabuge phénoménal, une crise sans précédent dans l’histoire de l’humanité ! Imagine-toi ! On ose à peine y songer : tous au chômage et sur la paille, les psychologues, les psychiatres, et tous les autres psys, les curés, les fabricants et les marchands de médicaments. Sûrement aussi les avocats, les juges et consorts. Incroyable, quel ramassis de population tout d’un coup sans emploi. Que faire de tous ces braves gens ? Ah oui, j’allais oublier les médecins et le personnel des hôpitaux, car je suppose que tu es du genre à ne jamais tomber malade…

 

 

Henri Puffet

La mise entre parenthèses

http://www.bandbsa.be/contes3/puffetete.jpg

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Histoire de mains, une nouvelle de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

Petites et grandes histoires

 

 

HISTOIRE DE MAINS

 

 

Ah, ses mains !

 

Il se tenait bien droit face au public. De temps en temps, il tournait la tête vers moi et levait une main, puis l'autre, les faisant admirer, parfaitement soignées, sans un bijou, sans une tache, sans une seule trace de veine bleue, rien… Des mains parfaites, dignes d'une photo publicitaire.

 

Dès qu'il faisait ce geste, je fermais les yeux et je me contentais d'écouter. On aurait dit un tragédien dans une pièce de Racine ou de Corneille. Les mots coulaient comme un long fleuve pas tranquille…

 

"Elle et moi, moi et elle. Elle qui aimait mes mains et prenait du plaisir à les tenir, à les étreindre, à les embrasser. Elle qui était folle de moi… Jamais, je n'avais pensé que notre histoire allait se terminer ainsi…"

 

Il continue son monologue : "Ces mains qui ont caressé ses cheveux, ces mains qu'elle voulait sur son corps. Ces mains qui… Ces mains que…"

 

Il s'enflamme puis se tait brusquement, s'assied sur sa chaise comme anéanti, les mains ouvertes sur les genoux.

 

Ah, comme je le hais quand il se tait ! Parle, mais parle donc ! Dis-nous tout, raconte-nous…

 

Il reste silencieux, lève doucement son regard vers moi. Il n'y a plus que lui et moi, moi et lui.

 

Moi, le frère de Véronique. Lui, le salaud qui l'a étranglée.

 

Et le jury quitte le tribunal pour aller délibérer…

 

 

Louis Delville

http://louis-quenpensez-vous.blogspot.be/

delvilletete

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

L'annonciade, de Didier Fond, portraits

Publié le par christine brunet /aloys

L'annonciade

 

Portrait des commerçants du quartier

 

Les pâtissiers

 

La pâtissière avait une cinquantaine d’années et c’était une femme avenante, arborant un généreux tour de taille et une poitrine tout aussi généreuse qui faisait loucher bon nombre de messieurs du quartier. Le pâtissier ne connaissait pas sa chance ; il faisait partie de ces bienheureux artisans qui avaient autre chose à pétrir que leur pâte à gâteaux. Sainte Marie mère de Dieu, il y avait là de quoi remplir la main d’un honnête homme !

 

Le couple Galibert ne passait pas inaperçu. Ils étaient l’un et l’autre l’objet de certaines plaisanteries qui, si elles leur étaient revenues aux oreilles, ne les auraient guère réjouis. Personne ne s’était cependant avisé d’aller les leur répéter, pas même Emeline Lemaire, parce que tout le monde les aimait bien et qu’on ne voulait pas leur faire de peine. C’était des gens sympathiques, honnêtes, travailleurs. Bon, les gâteaux n’étaient pas toujours réussis, c’était vrai ; il fallait par exemple éviter les mille-feuilles, c’était visiblement le point faible de Monsieur Galibert. Les éclairs au chocolat ou à la vanille avaient tendance à manquer de chocolat ou de vanille ; mais les tartes aux fruits étaient succulentes. Là, le pâtissier donnait toute sa mesure, tout son talent, tout son génie. Comment pouvait-on rater systématiquement les mille-feuilles et réussir cette pâte brisée qui vous fondait dans la bouche et vous donnait un avant-goût du paradis ? Mieux valait ne pas chercher à comprendre.

 

Aux impressionnantes rondeurs de sa femme, de petite taille, mais entièrement bâtie en courbes souples et voluptueuses, Julien Galibert opposait une maigreur osseuse de fil de fer, une stature qui frôlait le gigantesque, (« il est long comme un jour sans pain » disait de lui les dames du quartier, obligées de rejeter la tête en arrière pour lui parler) et des épaules si ridiculement étroites que vous vous demandiez par quel miracle cet homme n’avait pas encore été balayé par les bourrasques du vent du Nord et aplati, tel une crêpe, contre un immeuble. Comment ce couple, à la limite du burlesque, s’y était-il pris pour fabriquer trois enfants ? Autre mystère. L’imagination pourtant débordante des gens des Pentes n’avait pas réussi à aller au-delà de certaines limites.

 

 

Cette hilarante dissemblance leur avait valu le sobriquet de « Mardi-Gras et Vendredi Saint », surnom trouvé par le mari de la laitière, qui ne ratait jamais une occasion d’épingler le ridicule de ses concitoyens. On avait estimé que c’était très méchant, mais très juste, et tout le quartier en avait ri sous cape pendant une semaine. Et puis, le comique s’était estompé ; mais le surnom était resté.

 

Didier Fond

fonddetiroir.hautetfort.com

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

TAUTOGRAMME EN "M", un exercice signé Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

Petites et grandes histoires

 

 

TAUTOGRAMME EN "M"

Un tautogramme (du grec ταυτό, "le même" et γράμμα, "lettre")

est un texte dont tous les mots commencent par la même lettre.

 

 

Mireille m'invite mystérieusement au milieu des miroirs.

 

Malgré mes mains moites, Mamy Marie m'initie au macramé.

 

Marius mange ma maman. Macabre matinée.

 

Manières malignes, maléfices magiques… Marre des mauvais moments.

 

Mort mystérieux mérite médaille malgré mes manœuvres maladroites.

 

Mauvais mardi, Michael menace Marylin. Mercredi meilleur ?

 

Mérite méconnu, message menaçant. Mal mineur, maintenant malade !

 

Mathusalem malade, mort malgré mes médicaments.

 

 

Louis Delville

http://louis-quenpensez-vous.blogspot.be/

delvilletete

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un texte terrible signé Jean-Louis Gillessen : CRI

Publié le par christine brunet /aloys

C R I

 

Le café fume. Maman aussi. L’enfant hurle. Cinq heures et demie.

 

Maman crie. Les sirènes strident la nuit. Papa est rentré. Il a vomi sur le plancher.

 

Maman a pleuré. Papa l’a tabassée. Est ressorti. Pas assez. De tabac.

 

Trop. De fumée. Sans feu. Il fait froid. Décembre. Plus de chauffage.

 

Quand il reviendra avec ses cigarettes, elle dormira. L’enfant pas. Papa. Pas chaud.

 

Dans les bras. Tu vas, tais-toi. Sanglots. Du père. Alcool, bouteilles, par terre. Vides.

 

Pleins parents dans le rien réunis. Rien du « tout » de leur vie. Néant même désempli.

 

Comble. Grenier. Pièce. Arrangée. Remise. En état de fonctionner, ils survivent.

 

Au sommet. Paradoxe. Toxicos comblés de bar bondé. Suffocants d’intox,

 

ils montent chaque jour sept étages d’escaliers. Volées. Raclées.

 

Tu m’en mets, je les prends, mais t’en rends. Rangs plumés. De sentiments, avalés,

 

disparus, même plus mélangés. Bien triés, case «  absents ». Cas absents pour les autres,

 

voisins de palier, papa et maman sont abonnés dérangés. Dérangeants.

 

Depuis longtemps, mais nul ne sait le danger. Ne voit. Ne veut. Tout du moins suffisamment.

 

Sauf bébé. « Alertez , alertez  … » , chante Higelin. Jacques a dit. Pas assez écouté.

 

Redondance, et des mots, et des sanglots. Mi-longs. Plus étendus. Toujours. Plus encore.

 

Du père. Alcool, bouteilles, sur le sol. Vides. Papa. Pas chaud. Dans les bras.

 

Qui enserrent. Trop ... trop … trop … Tu t’agites, te débats, tu rejettes.

 

En arrière. Ta tête, ton p’tit corps, ton presque trépas.

 

Tu es là, maintenant, par terre, gisant, tombé, lâché.

 

Sur les vidanges papa a roulé. Maman est réveillée. Qui le frappe. Et te secoue.

 

Lui alors tape. Fort. Sa tête. Contre le mur. Plusieurs fois il recommence et son arcade éclate.

 

Sourcilière. Souricière. Toi cependant, sans sourcilier, sourdement tu entends comateux.

 

Nuages. C’est du bleu que tu vois. Ambulance. Lumières. Blouses blanches.

 

L’odeur que tu sens t’apaise autant que les mains qui te touchent.


Expertes, à la fois vives et douces. Blanc. Rouge. Pourquoi ne peux-tu boire ?

 

Pas avant le diagnostic. Goûte en attente sur papilles ce seul parfum de sang salivé

 

que l’on a quand on sait l’autre blessé. Toi, pupilles dilatées, tu ne saignes pas.

 

Miracle. Petit, tu es sain, tu vivras.  Ecoute-les te le dire, les hommes en blanc.

 

Mais dans la salle aux éclairages trop puissants,

 

ils découvrent alors encore sur ton corps rougeurs, brûlures, blessures.

 

Ils ne voulaient pas, maman, papa. Ils disent aussi qu’ils n’en pouvaient rien.

 

Ils n’auraient jamais cru non plus, eux,  les voisins.

 

Ce soir il fera tout à fait très froid et très vide au sommet de la Rue Haute dans la ville basse.

 

Impasse. Maldonne. Impair. Rouge et noir perd, manque et ne gagne pas sans tapis vert.

 

Deniers. Ce soir, au café, pour mieux louer « Grenier aménagé »,

 

la propriétaire dira qu’elle rouvrira la cheminée. Sans feu. Mais l’on peut y amener son poêle.

 

Ce soir, papa et maman n’y seront plus.

 

Toi tu dors maintenant tout nu dans lit douillet coton 27° hôpital surchauffé.

 

Tu auras tout vu, tout connu, de cela tout vécu et vaincu, puisque sans le vouloir tu es venu.

 

Au monde. Souris seulement si dans 20 ans quelque chercheur en boniments te fera dire

 

que l’embryon déjà décide du choix de ses parents. Sciemment, « foetusant ».

 

Balivernes de divan ! N’institue jamais tes neurones, petit, même si d’institution en institution,

 

qui pour toi feront quête de parents de location, parfois tu te ressens loque à terre.

 

Solitaire. Sol. Bouteille. Vide. A la mer. Taire, mère, père, vagues, océan de divagations.

 

Vidange non consignée, retour bidon, ton ange est périmé, mais nous irons.

 

Oui, toi et moi, éducateur, y écouter ton message. In a bottle. A la mer.

 

Et  pour mieux apprendre à pleinement jouir ensuite de son silence,

 

dans l’écho de l’immensité tu pourras d’abord, très fort et sans que nul ne te fasse violence,

tu pourras  … crier,

rire et crier.

 

 

Jean - Louis  Gillessen

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

L'annonciade, de Didier Fond, portraits

Publié le par christine brunet /aloys

L'annonciade

 

Portrait de commerçants du quartier :

 

La Laitière

 

Edith Martin était une jolie femme d’une quarantaine d’années, de petite taille. Sa poitrine émergeait à peine de derrière son comptoir. Ses bras, courts, avaient bien des difficultés à se saisir des fromages relégués au bord de la bande frigorifique et elle était alors obligée de se livrer à de formidables étirements qui lui mettaient les joues en feu et transformaient le simple fait de servir un client en une gymnastique parfois proche des positions les plus invraisemblables du yoga.  Elle avait de beaux cheveux noirs, coiffés à la diable, un visage fin et agréable, une voix douce. Le regard qu’elle posait sur vous, aussi sombre que sa chevelure, se teintait souvent d’étonnement naïf, comme si elle se demandait ce que vous pouviez bien lui vouloir et quelle étrange idée vous avait saisi de venir dans son magasin. Elle est constamment ahurie, disait d’elle Emeline Lemaire, c’est énervant, à la longue. D’autres prétendaient qu’Edith Martin s’endormait derrière son comptoir entre chaque client, ce qui expliquait le fait qu’on avait toujours l’impression de l’arracher au sommeil le plus profond. Avec ça d’une lenteur ! Une vraie traîne-la-grolle ! Vous aviez le temps de prendre racine dans le magasin et de bourgeonner à votre aise avant qu’elle ait fini d’envelopper dans son papier un malheureux fromage. Tout ceci n’était que calomnie. L’air rêveur, un peu extraterrestre, de la laitière était sans doute un de ses plus grands charmes. Et ce n’était qu’un air. Elle était très capable, quand il le fallait, de se déplacer avec célérité et d’expédier les clients en deux temps trois mouvements. Surtout ceux qu’elle n’aimait pas. Les gens du quartier trouvaient qu’elle ressemblait parfois à une folle, mais ce n’était pas grave, au fond. Elle était gentille, aimable –enfin moins désagréable que la boulangère, celle-là, quelle porte de prison ambulante !- et ne rechignait pas à rendre service.

 

Par contre, son gros, son énorme défaut, et là tout le monde était d’accord, c’était sa manie de laisser, été comme hiver, la porte de son magasin grande ouverte. Résultat : de novembre à mars, la laiterie était une véritable glacière qui reflétait avec une constance et une exactitude admirables la température parfois sibérienne du dehors. Fermez donc votre porte, lui disaient régulièrement les clients quand ils la voyaient surgir de son arrière-boutique, matelassée de trois couches de vestes de laine, l’écharpe autour du cou, et les mains frileusement enfoncées dans les poches de sa blouse. Je ne supporte pas l’odeur du fromage et du lait, expliquait-elle en éternuant. Cette incohérence amusait beaucoup le quartier. Pourquoi cette femme, à qui la vue et le parfum d’un morceau de fromage et d’un litre de lait donnaient envie de vomir, avait-elle eu l’idée saugrenue de tenir une laiterie ? C’était à se taper la tête contre les murs. Et naturellement, comme il faisait toujours un froid de canard dans ce magasin, Edith Martin s’enrhumait très vite et passait l’hiver à renifler, à tousser, à éviter de contaminer ses produits et ses clients et à soigner ce qui risquait de dégénérer en bronchite chronique. En conséquence, son nez était-il toujours aussi rouge que celui d’un clown et le mouchoir roulé en boule dans la manche était-il devenu l’accessoire indispensable à toutes ses occupations commerciales, le symbole de la laiterie et de sa propriétaire.

 

 

Didier Fond

fonddetiroir.hautetfort.com

 

 

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Bouchon... Un exercice de style, deux versions pour un même sujet ! Aujourd'hui, version Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

Des bleus au coeur

 

BOUCHON

 

Lors de cet atelier d'écriture du 13/1/2014, il était demandé d'inventer une histoire dans laquelle on trouverait dans l'ordre, les termes suivants :

dans un bouchon lyonnais,

c'est mon petit bouchon,

nul doute, il avait un petit goût de bouchon,

bouchon doseur,

roula sa serviette en bouchon,

ne quittait pas des yeux le bouchon de sa ligne,

Bison Futé annonçait des bouchons à l'entrée des grandes villes,

on allait enfin faire sauter le bouchon !

 

Les deux textes qui suivent, postés aujourd'hui et demain, ont été écrits par Micheline Boland et Louis Delville en un peu plus de quinze minutes.

 

 

Clara Bouchonnet

 

 

Clara Bouchonnet était ce qu'on appelle une bonne fourchette. C'est un sourire aux lèvres qu'elle poussa la porte de "La salade folle". Entrer ainsi, seule, dans un bouchon lyonnais n'était pas dans ses habitudes, mais l'envie de tester au plus vite la bonne adresse recommandée par sa sœur était si forte !

 

Clara Bouchonnet s'installa à une petite table proche de la vitrine. On lui tendit la carte et elle fixa son choix sur cette fameuse salade maison aux deux saucissons chauds dont sa sœur lui avait vanté l'équilibre des saveurs et sur un beaujolais à la ficelle. Sitôt le vin servi, Clara but machinalement une gorgée. Il était bizarre ce vin ! La curiosité de Clara l'emporta sur la mauvaise impression. Elle était toute ouïe, car à la table voisine la conversation s'envenimait : "Maman, Claude, c'est mon petit bouchon, mon amoureux quoi ! Tu ne me feras pas changer d'avis." Ah ces conflits entre une mère et sa fille ! Clara but une nouvelle gorgée. Nul doute, il avait un goût de bouchon, ce beaujolais. Ça commençait bien : des clientes qui se chamaillaient, un vin qui n'était pas au top ! Clara en voulut un peu à sa sœur.

 

"Tiens je prendrai bien un Ricard en attendant ma salade", se dit Clara. "Lui au moins, il ne sera pas bouchonné !"

 

Sitôt dit, sitôt fait. La commande était passée et Clara observait le barman. Ce n'était pas possible, il y avait sûrement un problème avec le bouchon doseur. Le verre qui lui était destiné ne contenait qu'un tout petit fond d'alcool.

 

Un tout, tout petit Ricard. Ce n'était pas normal. Clara sentit la mauvaise humeur la submerger. Elle n'allait pas se laisser faire !

 

"Garçon, je crois que mon beaujolais est bouchonné."

 

"Hum, je vais le faire goûter par le patron et le remplacer si nécessaire, bien entendu."

 

Clara était furieuse. Comment ce jeune serveur pouvait-il douter de sa bonne foi. Nerveusement, elle roula sa serviette en bouchon, la roula et la déroula, la re-roula et la re-déroula.

 

La fille reprit de plus belle : "Et je ne t'ai pas raconté… Tu sais, Claude adore pêcher, je t'en ai déjà parlé. Eh bien figure-toi qu'il s'est fait voler ses asticots pendant qu'il était au bord de l'Étang des Grenouilles ! Comme tous les pêcheurs, il ne quittait pas des yeux le bouchon de sa ligne. Il n'a rien vu… Et quand il s'est retourné, la boîte à asticots avait disparu. Envolée, la boîte.

 

"Quel sot ! Et il n'a rien vu, rien entendu ?"

 

"Maman, on voit bien que tu n'as jamais pêché. On voit surtout que tu ne l'aimes pas, mon petit bouchon."

 

Entre la mère et la fille le ton montait…

 

Clara prêta alors attention à la radio qui diffusait des infos trafic : "Bison Futé annonçait des bouchons à l'entrée des grandes villes, mais il s'était pour une fois mis le doigt dans l'œil. La circulation est fluide presque partout."

 

De toute façon, Clara Bouchonnet s'en fichait des conseils trafic. Elle ne se déplaçait qu'à pied et en bus !

 

"Maman, il faut que je te dise, Claude et moi, on va se marier. C'est décidé. D'ailleurs, on est sur le point d'acheter une maison et de faire un bébé. Pense qu'on approche tous les deux des trente ans !"

 

Voilà on allait enfin faire sauter le bouchon de champagne ! Tout allait s'arranger entre la mère et la flle…

 

"Madame, Madame…"

 

Clara regarda le serveur : "Effectivement le beaujolais est un peu bouchonné. Le patron a décidé de vous le remplacer."

 

La quantité de Ricard avait beau avoir été minimaliste, Clara était sur un petit nuage, celui créé par les brumes de l'alcool. Elle mangea le pain qui était devant elle, mais cela n'arrangeait pas son état. Elle avait de plus en plus chaud.

 

"Ainsi vous avez décidé de vous marier. Je n'en reviens pas. Toi une fille si rationnelle et Claude, un garçon tellement bohême et nonchalant. C'est pas possible !"

 

Clara revint les pieds sur terre. À côté d'elle, les deux femmes n'étaient toujours pas sur la même longueur d'onde, loin de là !

 

"Madame, je regrette, il ne reste qu'une sorte de saucisson."

 

Le garçon était de nouveau devant elle et Clara avait envie de le secouer. Il ne méritait que ça.

 

Quant à sa sœur, Clara Bouchonnet lui téléphonerait dès qu'elle serait chez elle pour lui dire ses quatre vérités et surtout que ses soi-disant bonnes adresses, elle pouvait dorénavant les garder pour elle.

 

Micheline Boland

micheline-ecrit.blogspot.com

boland photo

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Le bouton et la fermeture éclair, une nouvelle de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

Petites et grandes histoires

 

 

LE BOUTON ET LA FERMETURE ÉCLAIR

 

 

- Tu sais, moi je suis moderne et j'ai les défauts et les qualités du monde moderne. Ainsi, je suis rapide mais je résiste rarement aux enfants ! Je ne vis pas aussi longtemps que vous les boutons et je me bloque souvent. Quand cela arrive, c'est souvent un drame. Si on n'arrive pas à me fermer, il pleut à torrent ou il fait un froid glacial. Si je suis irrémédiablement fermée, il faut de la patience ou des contorsions à mon propriétaire pour se débarrasser du vêtement qu'il porte.

Mais, dis-moi d'où viens-tu ?

 

- Si j'étais prétentieux, je te raconterais que je viens de la plus belle ville du monde et que j'ai déjà été vu par bien des gens, même à la télé. On nous a photographiés moi et mes frères : une famille nombreuse.

 

- Vraiment ? Tu en as de la chance. Nous, nous vivons toujours en célibataire. Note que cela ne nous empêche pas de bien rigoler… Tiens, pas plus tard qu'hier, j'ai pris un malin plaisir à coincer une mèche de cheveux qui avait eu l'audace de me défier ! Certes, un coup de ciseau rageur a résolu le problème mais, qu'est-ce que j'ai ri !

 

- Ce n'est pas très chrétien cette attitude ! Quand nous sommes en famille, notre seul amusement est de subtilement nous faufiler au mauvais endroit et de voir notre propriétaire recommencer le travail à zéro.

 

- Mais vous, vos couleurs sont assorties au vêtement dont vous êtes locataires. Nous nous parons de mille et une teintes, de jolis motifs, de tissus chamarrés et nos ancêtres étaient parfois en os ou en bois.

 

- Oui mais toi, tu es simplement blanc… Je me demande comment autant de gens te connaissent si bien ?

 

- C'est vrai, je ne me suis pas encore présenté. Toi non plus d'ailleurs.

 

- Je suis "Zip" du manteau d'un brave homme de Charleroi.

 

- Enchanté. Je suis "33", de la soutane du pape François.

 

 

Louis Delville

 

http://louis-quenpensez-vous.blogspot.be/

 

delvilletete

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

Un texte d'Edmée de Xhavée, "l'attente"

Publié le par christine brunet /aloys

 

lovebirds

 

L’attente… 

 

Il descend le chemin vers la vallée, ses cheveux blonds bondissant autour de sa tête, et je l’attends déjà. L’attente brûle mon cœur, cet écureuil enfoui sous mon sein comme il dit. Il reviendra pour la noce, dans trois jours. Plus que trois jours pour que notre bonheur ne fasse qu’une seule chair.

Sur les marches de l’église je l’attends, retarde le prêtre, retarde les heures. Il va venir, je l’attends, je souris au chemin qui me l’apportera, essoufflé mais épris.

L’Octavie est morte, et le Gaston veut m’épouser. Il lui faut une mère pour les trois petits et une femme pour chauffer sa couette. Mais moi, j’attends mon Louis… comme chaque jour je guette l’or de ses cheveux au bout du chemin.

Hier quelques promeneurs sont arrivés de la vallée, avec des sacs à dos et deux chiens. Ils m’ont demandé si le chemin les mènerait bien au refuge des trois ours, et j’ai dit oui. Pendant qu’ils s’éloignaient j’ai entendu une des jeunes filles dire que je marchais encore bien vite et bien droite … pour mon âge.

La maison des parents de Louis vient d’être achetée par des citadins. Elle tombait en ruine, abandonnée depuis que son frère ainé est mort d’un coup de sabot. Je l’attends, patiente. Quand il reviendra le temps de la chair sera peut-être passé, mais pas celui du cœur.

Je me fais bien vieille. J’ai demandé que l’on m’enterre dans ma robe d’épousée, qu’on la découse un peu à la taille et aux manches pour la faire passer. Et qu’on mette Louis près de moi lorsqu’il reviendra. Mais surtout qu’il ne monte pas avec cette tempête, et attende que le vent soit tombé.

 

L’avalanche a emporté quelques chalets et une partie du plateau, mettant à nu un corps congelé. A bout de souffle deux gendarmes ont couru vers la maison d’où la vieille Elodie ne sort plus… Le Louis… il était là, à deux pas, Elodie. Elle a souri, fermé les yeux et acquiescé de la tête. 

 

 

Edmée de Xhavée

edmeedexhavee.wordpress.com

edmee.de.xhavee.over-blog.com

Publié dans Textes

Partager cet article
Repost0

<< < 10 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 40 > >>