Christine Brunet présente un extrait de son 4e thriller, E16
II
Le téléphone de la voiture de fonction émit une sonnerie aigre qui tira un juron au conducteur : pour une fois qu’il rentrait tôt chez lui ! Sûrement l’un ou l’autre de ses équipiers pour lui demander encore un coup de main. Et dire qu’il était censé être en congé !
Il appuya sur la touche d’appel en soupirant tout en gardant un œil sur le trafic encore dense de la capitale londonienne :
- Oui ? lança-t-il en s’arrêtant pour la énième fois.
- Anton ? J’ai besoin d’un coup de main ! Un indic qui aurait des infos à vendre…
Sheridan ! Et dire qu’il avait, enfin, décidé de laisser tomber une enquête qui lui pourrissait la vie ! Qu’est-ce qu’il avait dit, hein ? Malheureusement, impossible de se défiler sur ce coup-là…
- Ok… Je te rejoins où ?
- A l’entrée du chantier du métro West India Quay, dans une demi-heure…
- Une demi-heure ? Ça va être chaud ! Tout est bloqué en centre-ville !
- Démerde-toi ! s’énerva son interlocuteur avant de raccrocher sans plus de civilités.
Plus personne au bout du fil ! Quel caractère de chien, cet Irlandais ! Le grand Tchèque jura entre ses dents, jeta un œil dans le rétroviseur, mit le gyrophare et fit un demi-tour brusque en faisant crisser les pneus.
Vingt minutes pour rejoindre le quartier, une performance ! Il vérifia son arme avant de sortir de son véhicule, la passa dans la ceinture, sur le devant comme à son habitude, et quitta la Vauxhall.
Les lieux étaient totalement déserts, vaguement éclairés par des réverbères éparses. Une vague brume laiteuse commençait à suinter de la Tamise toute proche.
Il remonta le col de son manteau et fouilla les environs des yeux. Pas même un chat… Un peu comme à Prague, sa ville natale, à la nuit tombée en automne… La Vltava étalait avec autant de générosité sa brume sur les pavés luisants de la vieille ville. Il sourit à ce souvenir bien spécifique et chercha du regard son patron. Personne, encore. Peut-être à l’intérieur du chantier ?
Il longea la palissade, découvrit la porte en tôle ondulée entrouverte, sortit son arme sans précipitation, en abaissa la sécurité et pénétra sur le terrain vague avec circonspection. A part le chahut incessant de la ville, le passage régulier du métro aérien, aucune présence. La boue du chantier collait désagréablement aux semelles de ses chaussures en émettant un bruit de succion qu’il tentait d’atténuer en marchant sur la pointe des pieds. Le sol était défoncé par le passage des engins. Des baraquements, des bidons en ferraille, des monticules de palettes et de cartons à peine éclairés par un réverbère voisin. Rien d’autre.
Un mouvement léger sur le côté. Il se retourna, sans doute trop lentement, et s’effondra dans un grand trou d’eau boueuse, touché à mort.
Christine Brunet
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