Chronique scandaleuse, par Jean-Claude Texier

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

elitiste

 

CHRONIQUE SCANDALEUSE

 

 

Un bon écrivain se doit de dire la vérité et ne mécontenter personne.

Tous les grands romanciers ont été, sous ce rapport, de très mauvais écrivains. Ils ont vexé nombre de gens, et faute de pouvoir contenter tout le monde, ont dû se satisfaire de l’approbation des connaisseurs et d’une renommée posthume. Prévoyant, Stendhal dédiait en 1839 sa Chartreuse de Parmes To the Happy Few (Aux Heureux Initiés), c’est à dire les esthètes, les critiques littéraires, voire les esprits visionnaires seuls susceptibles de le comprendre.

Le romancier est par excellence celui qui risque de se heurter à la vindicte d’un certain public. Il suffit de démonter les mécanismes de l’hypocrisie d’une société, d’en révéler les abus, d’en exposer les contradictions, pour s’attirer la haine des bien-pensants. Balzac, qui fut de l’aveu général l’un des plus grands, souleva dix ans plus tôt un scandale avec sa superbe Physiologie du mariage vilipendée par ceux qui s’y reconnaissaient. Mais avoir osé appeler l’aventure humaine une comédie est en soi inacceptable à certains en ce qu’elle fait de chacun de nous un comédien.

Écrire est donc une activité dangereuse, et être publié une seconde naissance. Même si vous gardez le même nom, les gens ne vous reconnaissent plus. Vous acquérez un nouveau statut, vous émergez de la masse, et pour peu que vous ayez quelque succès, vous suscitez autant d’admiration que de jalousie. Les louanges et les blâmes sont parfois silencieux, comme ces personnes qui vous ignoraient et qui maintenant vous saluent amicalement. Le comportement inverse signale que votre œuvre est dérangeante.

Réussir à distraire et à amuser tout le monde en temps de crise n’est certes pas un mince exploit. Je serais le premier à me réjouir s’il était possible de faire de la bonne littérature avec des bons sentiments, de n’encourir aucune désapprobation, d’être un auteur irréprochable approuvé par tous, qui aurait renié sa vocation jusqu’à hisser la flatterie au rang de grand art. Hélas, s’attaquer à l’humain, c’est montrer les hommes tels qu’ils sont, et sous le voile de l’illusion romanesque, révéler le vrai visage de leurs travers.

Écrire, c’est trahir, et parfois se trahir soi-même. Un auteur avait trompé sa femme. Il s’inspira de son expérience pour un nouveau roman qui remporta un certain succès, et il crut bon de l’offrir à sa mère. Peu après, comme il lui

demandait ce qu’elle en pensait, elle le gifla. Elle avait vu entre les lignes transparaître la vérité de son fils.

Mais un roman peut aussi agir comme révélateur de soi-même. Un jour une femme trouve chez un bouquiniste un livre oublié qui avait connu la vie brève des nouveautés à l’étalage des libraires. Et en le lisant, ô surprise, elle voit se dérouler sa propre vie. L’héroïne, c’est elle sous un nom d’emprunt, son aventure, ses joies et souffrances, ce sont les siennes à peine déguisées. Sans la connaître, par des liens mystérieux, l’auteur l’avait devinée et mise à nu. Elle en éprouve une émotion intense, suivie d’un grand soulagement : ce livre avait été écrit pour elle, à l’insu de l’auteur.

Des romans ont contribué au renforcement de liens d’amitié, d’autres ont causé des ruptures, comme celle de Cézanne et de Zola en 1886 suite à la publication de L’Œuvre où le peintre se reconnut.

« Mais enfin, Monsieur, lorsque vous dites cela dans ce passage de votre livre, est-ce que c’est vrai ?

— Tout est inexact, Madame, et tout est vrai, comme l’a si bien dit Pierre Lemaître à propos de dernier roman.

Et la romancière Sylvie Germain de surenchérir dans La Grande Librairie :

« Nous fabulons sur la réalité pour en faire ressortir des parcelles de vérité. Nous sommes plus révélateurs que menteurs. »

Déjà, en 1675, Boileau avait écrit dans son Épitre IX :

Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ;

Il doit régner partout, et même dans la fable :

De toute fiction l’adroite fausseté

Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité.

 

Laquelle, comme chacun sait, n’est pas toujours bonne à dire.

 

Jean-Claude TEXIER Aloys.over-blog.com

elketexier94@wanadoo.fr

 

L’Élitiste (Chloé des Lys, 2012)

Jean-Claude Texier dédicacera son roman au stand Chloé des Lys à la Fête du Livre de Lille, CCI Grand Lille, Place du Théâtre, le samedi 7 décembre 2013, de 14h 40 à 16h 20.

Publié dans Textes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
<br /> Notre environnement, nos proches, constituent évidemment notre matière première. J'ai une collègue qui m'a dit récemment (sur le ton de la plaisanterie) : "Je fais attention à mes propos car je<br /> sais que je pourrais me retrouver dans tes livres". Comment traduire notre ressenti sans blesser ? Pour y parvenir, certains auteurs se fixeront des limites au risque, sans doute, d'être moins<br /> crédibles. D'autres n'hésiteront pas à tout "balancer". Pas évident.<br />
Répondre
M
<br /> Un texte plein de justesse.<br />
Répondre
C
<br /> Un bon plat de véracités dès le matin, ça renforce mon envie d'écrire! <br />
Répondre
E
<br /> C'est assez vrai <br />
Répondre