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"Par amour", un texte signé Carine-Laure Desguin paru en version numérique dans l’opuscule Librairie mon amour, éditions Lamiroy

Publié le par christine brunet /aloys

 

Par amour

 

C’était comme une espèce de ménage à trois, vous comprenez, monsieur le commissaire ? C’est arrivé comma ça, d’une façon tout à fait inattendue. Une véritable osmose. Il y avait mon mari, Etienne, il y avait moi, Yasmine et puis Elle, toujours Elle. J’ai même envie de dire, Seulement Elle.

Comment ? Oui, bien sûr que nous la considérons comme un être à part entière. Elle vit, elle respire, elle rit aussi ! Nous ne l’avons jamais considérée autrement qu’une personne de chair et de sang, et d’ailleurs, elle le mérite bien, monsieur le commissaire : que de connaissances et d’érudition qui rayonnent en elle, je dirais même plus, que de connaissances et d’érudition dans ses entrailles ! Justement, si nous sommes ici, c’est pour Elle. Depuis que ce Jeff Bezos a créé cette entreprise dont aujourd’hui encore je peine à prononcer le nom, Etienne et moi avons constaté que, de jours en jours, Elle déclinait. Les lecteurs étaient de moins en moins nombreux, vous comprenez. Ils osaient même monnayer, oui, oui, ils monnayaient, vous vous rendez compte ? Un d’Ormesson paru voici trois ou quatre ans ne valait plus rien à leurs yeux. Idem pour un Nothomb. Un Nothomb acheté en décembre devrait coûter moins cher que lors de sa parution en août. Quelle honte ! Et ne me parlez pas d’un Proust, d’un Genet ou d’un Maupassant. Alors, nous avons tout essayé, il fallait absolument que les livres se vendent comme avant l’apparition de cette multinationale merdique. Un minimum de respect pour les auteurs, et que ceux-ci soient morts ou vivants, n’est-ce pas monsieur le commissaire ? Et qu’Elle retrouve enfin son sourire ! Etienne et moi avons cogité à tout cela durant des nuits entières. Elle, elle nous écoutait. Lorsqu’Elle était d’accord, ses lumières clignotaient. Vous comprenez ? Vous nous regardez comme si nous étions fous. Nous avons tous nos sens, n’est-ce pas Etienne ? Etienne, dis quelque chose, ne te laisse pas abattre comme ça ! Et sois moins bruyant quand tu pleures, s’il te plaît ! Ecoutez la suite de ce récit, monsieur le commissaire, écoutez tout ça et vous comprendrez pourquoi nous sommes venus déposer chez vous. Etienne et moi avons commencé par transformer Elle en musée. Les vieux bouquins tout poussiéreux, c’était de l’inédit car chez ce Jeff Bezos, rien de tout cela, tout est neuf, nickel, blinquant. Oui, après x semaines, quelques clients de plus. Pas de quoi relooker Elle du sol au plafond. Ensuite nous avons proposé aux auteurs de les héberger, Elle devenait une espèce d’hôtel pour auteurs.

Ceux-ci (nourris chauffés logés) pouvaient écrire toute la journée sous les yeux ébahis des futurs lecteurs. Après l’affluence des premières semaines, les clients se sont lassés, ils hésitaient, et puis ne revenaient pas. Et Elle déprimait de plus en plus. Alors Etienne et moi avons lancé l’idée que ce serait les lecteurs eux-mêmes qui commanderaient les histoires, vous comprenez ? Dans une boîte à suggestions d’histoires, les clients déposaient leurs propositions et le mois d’après, ils venaient acheter… leur histoire. C’était donc leur livre, une façon de se démarquer face à ce Bezos. Là encore, une affluence au départ et puis la routine, toujours la routine.

Les auteurs se battaient presque entre eux, se volaient les histoires, un véritable désastre. Oh je pourrais continuer comme ça pendant des heures et des heures. Car des idées, monsieur le commissaire, Etienne et moi, nous en avions à revendre. Nous avons même lancé les soirées « exclusivement naturistes ». Elle était devenue un lieu pour naturistes, rien de plus, nous vous l’assurons, nous sommes des libraires honnêtes. Les lecteurs ne regardaient même plus les livres, vous pensez bien … Pendant des mois, nous ne faisons que ça, ruminer et trouver une solution : comment redonner son sourire et son peps à Elle. Hélas, nous n’avons obtenu aucun résultat, monsieur le commissaire. Etienne et moi n’avons plus supporté la dépression qui envahissait chaque cellule de Elle et ce, de jour en jour. Cette situation devenait intenable.

Regarder péricliter Elle de cette façon, quelle tristesse !

Alors nous voici tous les deux devant vous, monsieur le commissaire, pour tout avouer. Nous savons que c’est illicite ce que nous avons fait mais franchement, monsieur le commissaire, pouvions-nous laisser souffrir Elle de cette façon ? Une bête, on la pique, n’est-ce pas ? Alors disons qu’Etienne et moi nous ne pouvions rester bras ballants devant la lente agonie de Elle. Vous entendez ce vacarme dehors ? Ce sont les pompiers, monsieur le commissaire. Vous voyez ces flammes, là-bas, au loin ? Elle a fini de souffrir, monsieur le commissaire. C’est ça, aimer… Voilà ce qu’Etienne et moi nous étions venus avouer. Mais le véritable assassin, c’est ce Jeff Bezos, croyez-le bien, monsieur le commissaire.

 

CARINE-LAURE DESGUIN

(texte édité en version numérique dans l’opuscule Librairie mon amour, éditions Lamiroy)

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Carine-Laure nous propose un texte qui dépote "Debbie Malocke au JT de 13 heures ce mardi 31 mars"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Debbie Malocke au JT de 13 heures ce mardi 31 mars

 

Ce mardi 31 mars, Debbie Malocke, ministre de la santé, est interviewée via webcam, distanciation oblige,  au JT de 13 heures par Francis le Brigand. 

- Madame la Ministre, bonjour. Vous êtes très occupée, nous nous en doutons, et nous vous remercions pour cette intervention dans notre journal de 13 heures. Première question si vous le permettez, quel bilan tirez-vous à ce jour de cette pandémie dont le responsable est le Coronavirus ?

- Bonjour à tous, eh ben, le bilan est très bon. Le Covid-19 atteint spécialement les personnes âgées et à ce jour, plusieurs centaines de personnes de plus de septante ans ont succombé. Un chiffre qui sera revu à la hausse ces prochains jours, c’est ce que mon collègue des pensions espère également.

- Madame la Ministre, ce commentaire ne vous gêne pas ?

- Ah ben non, la vérité, il faut l’avouer, n’est-ce pas, moi je dis toujours la vérité ?

- Oui, évidemment. À propos de ce bilan, mettriez-vous d’autres éléments en évidence ?

- Ah ben bien sûr, monsieur le Brigand. Cette situation catastrophique provoque des états très dépressifs car les actualités sont de plus en plus anxiogènes, cela s’explique de cette façon-là. Et de ce fait, les demandes d’euthanasie ne cessent d’augmenter. C’est très bien aussi, cette hausse de demandes d’euthanasie.

- Madame la Ministre, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi cette hausse de demandes d’euthanasie est pour vous quelque chose de positif car je ne suis pas certain que tous nos téléspectateurs comprennent bien votre raisonnement.

- Monsieur le Brigand, cela signifie que le citoyen pense qu’il sera difficile de se soigner à l’avenir, très difficile même. Alors, à quoi bon vivre ? Les personnes seules et isolées qui ont accès aux réseaux sociaux et aux journaux télévisés, croyez-vous qu’elles ont encore le désir de vivre ? Je sais plus si on dit qu’elles ont ou qu’elles aient mais qu’importe, je suis Flamande, ne l’oubliez pas, ah ah ah ! Qu’elles soient âgées de plus de septante ans ou pas, ces personnes-là n’ont plus le goût de vivre, c’est bien normal. Et là, je félicite tous les journalistes, car toutes leurs interventions et toutes ces images d’hôpitaux débordés, de soignants sans masque surtout dans les maisons de repos qui doivent sacrifier des vies, tout cela contribue à la démoralisation de nos citoyens. Je sais pas si démoralisation existe en français mais c’est pas zimportant n’est-ce pas ? Ah ah ah, un peu d’humour à la belge, ça fait du bien de temps en temps, il faut rire encore.

- Madame la Ministre, soyons pragmatiques. Un citoyen lambda qui se sent inutile, isolé et j’en passe, que peut-il faire afin d’aider au mieux notre sécurité sociale ?

- Ceci est une très bonne question. Vu l’affluence des demandes ces derniers jours de ces demandes d’euthanasie, excusez-moi j’ai dit deux fois le mot demande mais ce n’est pas grave actuellement, nous avons décidé que les médecins des équipes spécialisées Covid-19 étaient trop nombreux sur le terrain et surtout inutiles puisque la plupart des gens atteints mourront. Et donc ces médecins sont obligés de regagner les unités dites d’euthanasie express. Les formulaires de demandes sont aussi en ligne, vous envoyez ça avec vos nom prénom et date de naissance pour éviter les erreurs ah ah ah et puis tout sera rapide et surtout vous offrira une mort très propre et très rapide. Sans souffrance, donc. Et cela, c’est gratuit pour chaque citoyen.

- Madame la Ministre, merci pour toutes ces informations. Vous désirez ajouter d’autres précisions ?

- Merci monsieur le Brigand, je pense que tout est dit. Le principal et ça tout le monde doit le savoir c’est que cette situation est vraiment, mais alors là vraiment catastrophique. Mais rassurez-vous, si vous refusez de mourir de ce Covid-19, remplissez le formulaire mis en ligne sur le site officiel Covid-19 et une mort plus efficace et plus rapide vous sera offerte !

- Madame la Ministre, nous vous remercions pour cette intervention via webcam, nous le rappelons et nous excusons pour les quelques interférences mais nous pensons que les citoyens ont très bien compris votre message.

- Merci monsieur le Brigand et à demain si vous le désirez pour un autre bilan aussi négatif je l’espère. Ou positif, cela dépend du nombre de victimes !

 

 

Carine-Laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

 

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Nicole Graziosi annonce la parution de "La fille aux yeux bandés"

Publié le par christine brunet /aloys

Nicole Graziosi annonce la parution, après une longue gestation, de


! ! ! « LA FILLE AUX YEUX BANDES ».


L’image de couverture, réalisée par l’artiste néerlandaise Anka de Heij
illustre parfaitement le propos de ce que certains considèrent comme
un roman, certains autres comme une biographie, ou encore un
témoignage :
l’héroïne vit sa prime enfance dans les Alpes françaises, son
adolescence en banlieue parisienne, et son adulescence en région
bruxelloise.
« Adulescence », ça existe ? Pourquoi ne pas dire son « âge mûr » ?
Il y a dans le mot « adulescence » une connotation de progression plus
enthousiasmante.
Plusieurs extraits avaient retenu l’attention des premiers lecteurs et
suscité des réactions telles que :
« Ce n’est pas anodin », « Des extraits qui glacent le sang »,
« Déconcertant », « Quel peps ! »


Je propose un nouvel extrait plus ... tendre :


Pour un temps, l’hôpital le sauve .........
Il n’est pas encore sorti. On attend pour se prononcer le résultat d’un
dernier examen. Les analyses sont excellentes. L’unique souci qui
subsiste dans tous les esprits est celui d’organiser les visites du soir de
sorte que le visiteur puisse le faire manger. Le faire manger, le faire
manger ...
Pour un soir de carence, je propose d’assurer la relève. Je ne l’ai
jamais soigné, jamais nourri, ne lui ai jamais caressé la main. A peine
lui ai-je une ou deux fois d’un air distrait, remonté ses oreillers. Mon
appréhension est grande. Je dors mal à la perspective que mon
initiative lui déplaise. Je m’imagine maladroite, distante. Je
m’imagine souffrant de son regard méprisant et froid. Qu’est-ce qui
m’a poussée à proposer mes services ?
Il est souriant. Il m’embrasse tendrement. Il a retrouvé la parole et
nous bavardons un peu. Je porte à sa bouche de petites cuillerées de la
fade nourriture qui lui convient si bien, lui propose quelques gorgées
de liquide. Il mange avec plaisir. Sur son plateau, ne restent que
d’infimes traces de ce que fut son repas. « Eh bien, Monsieur, vous
avez bien mangé de soir ! constate avec admiration la jeune et
souriante personne qui apporte les derniers médicaments du soir.
« C’est ma fille qui s’est occupée de moi, ce soir. C’est Dorine, ma
fille de Bruxelles ! ».

Son air de satisfaction, de fierté, la douceur de son ton me font chaud
au coeur. Il me regarde sans méchanceté, sans haine, sans cette
désapprobation à laquelle je suis habituée depuis la nuit des temps.
Son regard dans le mien est celui d’un père. Je me sens sa fille. Et, le
moment venu, j’ai grand peine à mettre un terme à cet instant
privilégié.

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"L'avis de Lily", un texte publié dans le recueil "Révolutions"

Publié le par christine brunet /aloys

 

L'avis de Lily 

Publiée dans le recueil collectif "Révolutions" - Chloé des Lys, 2008. 

  

Lilianne a piqué du nez pendant quelques minutes, elle s’en rend compte aux sourires amusés des siens. « Welcome back Grandma ! » murmure Troy, son petit-fils, serrant sa main avec douceur. Elle lui fait un clin d’œil et redresse la tête, lasse et écoeurée à la vue du gâteau que Mary-Beth, sa belle-fille, est en train de découper. Un gâteau recouvert d’une sorte de crépi de maçonnerie blanc, au pourtour orné d’un hideux double feston orange et vert fluo. Un ridicule dindon de plastique roux et rouge, piqué au-dessus d’un Happy Thanksgiving écrit de guingois, tremble et puis s’effondre. 

  

Quelle horreur, pense-t-elle. Ca fait des années qu’elle « n’a plus faim pour le dessert », ce qui lui permet enfin d’éviter cette succession de gâteaux aux couleurs et goûts répulsifs. Des années d’un petit plaisir silencieux sous prétexte du grand âge de son estomac. Car Lilianne n’a jamais été, il faut le dire, quelqu’un qui donnait son avis s’il allait contre celui de la majorité. 

  

Mariée de guerre, enceinte et amoureuse, elle avait débarqué en 1946 à New York, chargée de son argenterie et de son trousseau brodé-main, avec des centaines d’autres mariées de guerre. Sous les fenêtres des bus qui les emmèneraient vers leur destination finale, des Américaines ulcérées agitaient des panneaux : Go home, Frenchies ! Elle avait rejoint Allamuchy, dans le New Jersey, au bord de la Musconetcong, pour y trouver une belle-famille en larmes : Don, son amour, son dieu en uniforme… Don était mort trois jours plus tôt d’un accident de la route. 

  

Elle était restée, cherchant son rire dans ces champs cultivés, et son souvenir dans sa vieille chambre qu’elle occupa désormais. Elle avait permis à la Musconetcong d’emporter ses larmes et son avenir, sans un bruit. 

  

Elle laissa son nom devenir Lily. Accepta que Don Junior, son fils, lui soit escamoté par ses beaux-parents qui, disaient-ils, le comprenaient mieux. Toléra que l’on rie de son argenterie et de ses draps brodés qui finirent par jaunir dans une armoire. Survécut à la consternante découverte, quand elle maîtrisa bien la langue, qu’ils étaient tous ignares et bigots. Pria Josette, sa sœur venue rendre visite en 1965, de ne rien dire alors qu’on lui expliquait, comme à une sauvage qu’il faut instruire, les bienfaits du frigidaire et de l’aspirateur. Détourna le regard lors du mariage de Don Junior et Mary-Beth quand on accueillit Josette et son mari en leur clouant des casquettes de baseball rouges sur la tête. Endura les coups d’œil amusés parce qu’elle portait toujours des tailleurs ou jolies robes, des bas et ses perles. 

  

La naissance de Troy la sauva. Elle l’aima et puisa en elle ce qui restait de primesautier, de charmant, d’enthousiaste pour ce garçonnet, réplique de ce beau lieutenant tant aimé dans ce qui semblait une autre vie. Et lui, il s’était lové dans cette niche d’amour comme un petit opossum et y avait grandi à l’abri de la médiocrité. Il parlait parfaitement le français, aimait la bonne cuisine, et enseignait l’histoire de la Chine à l’Université de New York. Troy, Troy… le pourquoi et pour qui de toute cette vie en exil de soi… 

  

« … et il va autoriser que l’on fore dans les réserves d’Alaska ! Il était temps, il faut un homme comme lui pour protéger l’autonomie de la nation ! » John, le frère de Mary-Beth, postillonne son avis comme toujours, le dentier bringuebalant dans sa bouche. Lilianne et Troy échangent un regard sans paroles, et elle pince les lèvres avec irritation. Mary-Beth le remarque avec surprise. Jamais sa belle-mère n’a eu la moindre velléité d’opinion querelleuse. Amusé, Troy se penche vers son élégante grand-mère et demande : « Tu voulais dire quelque chose, Grandma ? » 

  

Elle se tourne vers lui, hésite, et puis, le regard ferme, ses deux mains gracieusement repliées sur la table, elle ouvre la porte à sa pensée : « Ce président que vous aimez tant, c’est un imbécile ! » La stupeur écarquille tous les regards en face d’elle tandis qu’un rire plein de triomphante gaieté fuse à son côté. Leurs deux joies s’unissent en une cascade rafraîchissante.

Publié dans Textes

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« La Fille aux Yeux Bandés » Nicole Graziosi nous en annonce l’arrivée toute proche

Publié le par christine brunet /aloys

 

« Si c’est du vécu, quel cauchemar ! Si ça ne l’est pas, quelle précision dans la psychologie et la connaissance de l’âme humaine et de sa méchanceté ! »

Telle était la note du Comité de Lecture de Chloé des Lys.

Après en avoir proposé quelques extraits au cours des derniers mois, en voici la conclusion : Lettre à mes géniteurs Jusqu’à la fin des temps, jusqu’à ma fin, je croyais vous haïr pour ce que vous avez fait de moi. Allais-je, maintenant que tous espoirs sont vains, alors que toutes attentes se sont révélées caduques, traîner cet énorme boulet que fut ce pain noir si souvent souhaité par vous. Que nenni !

Si je n’oublie pas vos malversations, vos calomnies, vos diffamations qui ont transformé ma vie en un champ de mines, si je n’oublie pas vos injustices, je n’en suis plus détruite. Si je n’oublie pas le lavage de cerveau que d’un accord commun et avec constance vous pratiquèrent à mon égard, je n’en suis plus victime.

Mais sachez que vous m’avez rendue très forte face à l’adversité. Même ma crainte de vous retrouver dans l’au-delà n’est plus. Certes, je ne serai pas enterrée auprès de ma Grand-Mère dans ce joli cimetière que j’aimais tant, pour ne pas vous y côtoyer dans la mort puisque cela ne fut pas possible durant la vie. Tel est mon unique regret.

Votre départ me soulage, m’allège. Votre départ m’offre la vie. Ce départ m’offre ma vie et ma liberté. Il m’est arrivé de penser que l’un et l’autre avez été très malheureux pour vous comporter de la sorte. J’ai été très malheureuse puisque c’était votre souhait.

Mais je n’en ai que plus aimé. Aimé les miens. Et j’ai découvert quelles sont mes valeurs à leur égard. Ce sont respect, honnêteté, justice et tolérance. C’est également et surtout encouragement à être. Vous connaissez ? Ne dit-on pas que ce qui importe ce n’est pas ce qu’on a fait de nous mais bien ce que nous avons fait de cette oeuvre.

C’est à vous que je dédie le présent récit. Pourtant, moi, je vous aimais ... ! ! ! ! ! ! ! ! !

Dorine

Publié dans ANNONCES, Textes

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Christian Eychloma nous propose un nouvel extrait de son roman à paraître "Le dilemme de Trajan"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

 

Trajan, debout sur la plus haute terrasse du palais, une simple couverture jetée par-dessus sa tunique en guise de protection contre la fraîcheur matinale, regardait distraitement le ciel rougir derrière les pentes boisées de l’Esquilin. 

Tout près, en contrebas, l’ovale parfait de l’amphitheatrum Flavium et les édifices du Forum Romanum se prolongeant jusqu’au Capitole, colline escarpée coiffée de l’imposant temple de Jupiter dont le marbre blanc virerait bientôt au rose sous les rayons du soleil levant.

Il pouvait contempler avec une satisfaction non dénuée d’inquiétude ses magnifiques thermes encore en chantier sur l’ancien site de la Domus Aurea de Néron, et le tout nouveau forum, loin d’être terminé, avec ses futurs marchés à étages qui devaient permettre d’adapter la surface disponible à l’importance toujours grandissante du commerce local.

Il dormait peu, travaillait beaucoup, et appréciait ces moments bien trop rares où il pouvait se retrouver seul avec lui-même, à réfléchir en toute tranquillité aux tâches de la journée.  

À commencer par la distribution à la plèbe de ce blé importé à grands frais d’Égypte et à laquelle il se devait d’assister de temps à autre de façon à ce qu’il soit clair pour tout le monde que l’empereur se souciait aussi des familles pauvres. 

Puis ce qui relevait des soucis habituels en Orient, comme la préparation méticuleuse de la campagne contre les Parthes afin de récupérer l’Arménie pour l’intégrer à la province de Cappadoce et, espérait-il, stabiliser ainsi définitivement la frontière de cette partie de l’empire.

Et, bien sûr, l’élaboration des mesures à prendre suite aux ahurissantes nouvelles reçues de Bithynie. 

Fabius avait de toute évidence bien fait son travail en réussissant à soudoyer discrètement quelques esclaves domestiques qui l’avaient tenu informé des moindres faits et gestes de Pline. Et le courrier qu’il avait transmis au palais via la poste impériale avait plongé Trajan dans la stupéfaction.  

Il était question d’étranges visiteurs auxquels le gouverneur manifestait une non moins étrange déférence. Des visiteurs apparemment surgis de nulle part, reçus sans protocole mais traités comme des hôtes de marque. Parlant, avec un drôle d’accent, un latin plutôt littéraire, et s’exprimant entre eux au moyen d’un langage totalement inconnu.  

Mais là n’était même pas le plus étonnant. Pline allait mieux. Beaucoup mieux. Il toussait moins et mangeait plus. On ne trouvait plus de sang dans ses mouchoirs et il paraissait bien moins fatigué. Plus dynamique, en fait, de jour en jour. Une spectaculaire amélioration à laquelle, selon les témoins, de petites choses colorées qu’il avalait régulièrement ne seraient pas étrangères.

Trajan, auparavant assez bien renseigné, savait sans l’ombre d’un doute de quelle maladie Pline souffrait jusqu’alors. Et il n’avait jamais entendu dire, par aucun des meilleurs médecins grecs de Rome, que quiconque ait pu en guérir. 

Ah, et puis… Il y avait aussi ce vieil insolant que Pline avait condamné à mort pour discours subversifs et qu’il avait pris la peine d’envoyer à Rome, solidement escorté, pour y être exécuté. Pour l’exemple, avait-il écrit. 

Un long voyage, coûteux, dont Trajan ne voyait pas vraiment la pertinence. Considérant la rébellion ouverte qui continuait de sévir en Bithynie, une exécution pour l’exemple de cet homme présenté comme un des principaux responsables des troubles aurait sans doute été plus utile à Nicomédie.

Pline sur la voie de la guérison… Inexplicablement. Mystérieusement. Ce qui remettait du même coup en question la solution que Trajan avait envisagée pour une gouvernance plus ferme de cette province.

Une décision à laquelle il lui aurait déjà été pénible de se résoudre. Et qui devenait maintenant, en raison de la longue amitié qui le liait à Pline, presque impossible à prendre.

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Gérard Le Goff nous propose un extrait de "Le jardin dérobé" paru dans la revue Traversées N°90

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait de : Le jardin dérobé

 

Ce qui me surprit le plus, cependant, ce fut de constater que le jardin se prolongeait. Il continuait sur une telle distance qu’il me parut impossible de le considérer encore inscrit dans le périmètre de la clairière. Où cela me mènerait-il ? Je déposai mon matériel de peintre, qui me pesait, à l’abri d’un buisson. J’avançais, incrédule, dans la percée centrale du courtil, observant de part et d’autre les hauts fûts de chênes qui s’alignaient sur mon passage comme une garde bienveillante. Le chemin de terre, en effet, se rétrécissait pour ne plus être bordé que par les seuls troncs des arbres sans nulle floraison. Puis il s’évasa, comme un fleuve en son delta, pour enfin se confondre avec la lisière d’un parc. Au loin, s’élevait la silhouette d’un château dont les murs et les fenêtres se nimbaient d’une brume de chaleur qu’exhalait l’herbe haute. Une fête champêtre se tenait là, dont les étals cerclaient une pièce d’eau aux rives parées de roseaux, de saules pleureurs et d’aulnes. Sous les calicots et les lampions, les participants apparaissaient vêtus d’habits surannés, coiffés à la mode de jadis. On percevait distinctement les rires des enfants, les cris de joie des femmes, les hourrahs enthousiastes des hommes qui montaient mêlés dans l’air léger, évoquant le son d’un carillon égrené. Je déambulais parmi ces êtres qui se mouvaient avec une grâce irréelle. Soit ils feignaient de m’ignorer, soit ils ne me voyaient pas.

Je détaillais, sous le charme, l’apparat des tables où l’on servait ces collations auxquelles rêvaient les gamins d’antan : brioches, pâtes de fruits, calissons et autres délicatesses trop sucrées, sans oublier de grandes tasses de chocolat chaud. Les adultes grignotaient aussi avec plaisir, préférant le salé et le vin blanc qui pétillait dans les coupes comme l’air remué du printemps. D’aucuns s’adonnaient à des jeux oubliés : le cheval blanc, le croquet, les quilles ou une forme rustique de billard sans l’usage d’une queue. Un théâtre de marionnettes attirait les bambins, public conquis d’avance, qui applaudissait les fanfaronnades des pantins de bois et de chiffon. On avait dressé un mât de cocagne dont la roue au sommet était garnie de saucissons, de bouteilles et de breloques. Un limonaire baroque débitait des airs enjoués. Quelques couples valsaient en foulant les pâquerettes émiettées sur le gazon. Et toujours fusaient les exclamations euphoriques, les clameurs enchantées, les risées des petits. Je rôdais de groupe en groupe, m’imprégnant de cette allégresse qui constituait l’atmosphère respirable d’une immense coupole invisible sous laquelle j’avais pénétré par mégarde.

 

Paru dans la revue Traversées N°90 (mars 2019) [nouvelle extraite de Trajectoires Tronquées].

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Un texte court signé Louis Delville "Julie et Halloween"

Publié le par christine brunet /aloys

 

JULIE ET HALLOWEEN

 

Julie a décidé de fêter Halloween. En baskets roses, collant zébré bleu et jaune, petit boléro au décolleté profond et jupette de dentelle vert pomme, elle passe de maison en maison en portant une citrouille taillée en forme de visage grimaçant.

 

"Des bonbons ou un mauvais sort", "trick or treat", telles sont ses seules paroles et ça marche ! Tout le monde lui offre quelque chose sans bien l'identifier...

 

Puis, elle a l'audace d'aller sonner chez son patron. Le brave homme ouvre la porte, la reconnaît et dit simplement : "Julie, crois-tu réellement que ce que tu fais est digne de la servante du curé ?"

 

 

Louis DELVILLE

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Brigitte Hanappe nous propose un extrait de son ouvrage à paraître "Pour un petit secret"

Publié le par christine brunet /aloys

Extrait de : Pour un petit secret.

La foule bruyante venait de repartir les joues rosies par l’alcool, la bonne humeur et le froid. On était le 11 février : le ciel hivernal se colorait d’un bleu d’acier et la température était glaciale. Juliette était fatiguée mais heureuse car comme chaque année, tout ce petit monde était ravi de l’accueil réservé par les Binchois, lors des festivités.
– Allez, ma vieille, il faut t’activer encore un peu, pensa-t-elle tout haut.

 

Pour raviver son courage avant de ranger, elle se resservit un peu de champagne et leva son verre vers un portait d’elle, accroché dans le living. Elle voulait s’auto souhaiter « santé » mais elle resta bouche bée : une rose séchée était insérée au-dessus du tableau, une rose dont le rouge pourpre avait foncé en séchant. Juliette déglutit en s’approchant.  L’année passée, lors du Dimanche-Gras, une fleur identique avait déjà été déposée au même endroit. Était-ce une attention de remerciement de la part d’un invité ? Peut-être avait-elle un admirateur ? Un inconnu qui avait des sentiments pour elle ou un ancien amoureux de jeunesse.
– Mamy, je peux garder Peppa Pig à la pitite télévision ? 

 

Lisa, sa petite fille de 3 ans se dandinait devant elle, les yeux brillants.
Obligée de rester dans sa maison pour rassembler et laver les nombreux verres, elle avait proposé à sa fille de garder la petite. Cela permettrait aux jeunes d’aller s’amuser tranquillement pendant une heure ou deux.
En allumant l’ordinateur que Lisa confondait avec un écran télévisé, elle précisa :
– On dit : « REGARDER la PETITE télévision ».

Elle s’approcha ensuite du cadre pour enlever la fleur fanée et tressaillit en découvrant une photo jaunie enroulée autour de la tige. Son propre visage, avec les yeux fermés, y était imprimé. Cette image d’elle-même, profondément endormie datait d’au moins trente ans : elle était jeune, ses longs cheveux bouclés étaient éparpillés, sa peau fine semblait si pâle qu’elle se confondait avec la couleur blanche de la taie de l’oreiller.

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Gérard Le Goff nous propose un extrait de son ouvrage à paraître "Argam"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait de : Argam

 

[La scène réunit quatre protagonistes de l’histoire : le docteur Bernstein, l’érudit Semnoz, le libraire Larcan et l’avocat Osborne.]

 

— Examinez donc ces armoiries ! s'écria alors l'érudit, en désignant de l'index le blason qui ornait le manteau de la cheminée démesurée.

Le commerçant pointa sa lampe torche vers l'endroit désigné. Il s'agissait d'un écu écartelé, sculpté dans une pierre dure, dont chaque franc-quartier contenait une figure allégorique. En haut et à gauche, l'artiste cisela une tour délabrée que survolait un croissant de lune. Lui correspondant, en diagonale, figurait une tour neuve au-dessus de laquelle rayonnait un grand soleil. En haut et à droite, on distinguait un feu, symbolisé par des flammes serpentines s'enlaçant. A son opposé, en bas et à gauche, je crus reconnaître la figure emblématique du phénix.

— Je ne sais rien des rigoureux principes de l'héraldisme, se confia le docteur, mais il me semble que ces armes sont fantaisistes...

— En tout cas, ce ne sont ni celles de la famille Hauteville, ni celles de la famille Boscombe, lui répondit aimablement Semnoz. Par contre, j'y vois un rébus assez simpliste. Les francs-quartiers occupant la partie haute de l'écu sont voués à une imagerie négative : nuit, incendie, ruine. Ceux situés en bas contiennent des attributs à valeur positive : symbole de renaissance, fortune, soleil.

— Et alors ? coupa Bernstein, peut-être un peu vexé de voir l'érudit reprendre l'avantage.

— En bas, mon cher !... C'est à dire : sous la terre !...

— Le fameux laboratoire secret ! approuva le médecin, chez qui la passion l'emportait toujours.

— Et puis cela confirme tout bonnement votre théorie sur la beauté et la laideur, me suis-je risqué à affirmer, ce qui eut l’heur de satisfaire notre savant compagnon.

Sur une recommandation de Georges Semnoz, Pierre Larcan approcha la lumière électrique du blason. Nous examinâmes chaque sculpture. La représentation du fameux oiseau de la mythologie retint toute mon attention, tant elle semblait peu conforme à la tradition. L'érudit se préoccupait du relief de la tour que surmontait le soleil. Il nous fit d'ailleurs remarquer que le disque de l’astre du jour semblait bombé par rapport à sa base, et que la couronne de ses rayons, qui évoquait les pétales tordus d'une fleur fantastique, laissait un intervalle creusé à sa périphérie intérieure. Nous nous sommes alors tous regardés. Dans la pénombre, la lumière de la lampe burinait les traits de nos visages, accentuant ainsi les marques de la tension nerveuse qui habitait chacun de nous. Spontanément, le libraire dirigea le faisceau lumineux vers l'âtre. Le fond de celui-ci, simple panneau minéral, apparut vierge de suie. Semnoz effleura d'abord du bout des doigts le disque protubérant figurant le soleil, comme pour en éprouver le modelé. Puis il le pressa. Le centre du motif sculpté s'enfonça. Au même moment, la dalle verticale du foyer pivota sur d'invisibles charnières, dévoilant à nos regards encore incrédules le départ d'un escalier qui paraissait s’enfoncer dans l'obscurité.

— Hourra ! avons-nous rugi tous ensemble.

 

Extrait d’un roman à paraître prochainement aux éditions Chloé des Lys : Argam.

 

Publié dans Textes

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