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Le fils du peintre... Une nouvelle en 3 partie de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

Le fils du peintre... Une nouvelle en 3 partie de Louis Delville

LE FILS DU PEINTRE

"Cherche étudiant en mathématiques pour s'occuper d'un garçon de 15 ans pendant les deux mois de vacances à Cancale. Écrire au bureau du journal, qui transmettra…"

Tout de suite, cette petite annonce a attiré mon attention. Cancale a été le lieu de ma rencontre avec Sophie, celle qui allait m'offrir les plus grandes joies mais aussi être la cause de mon plus grand malheur.

Sophie était entrée dans ma vie et très vite, je n'étais plus arrivé à m'en passer. Sa beauté parfaite, ses longs cheveux blonds, ses grands yeux bleus me faisaient penser à une photo de David Hamilton. Hélas, un peu plus de trois mois après notre rencontre, elle se faisait renverser par un automobiliste ivre. Son décès me laissait inconsolable après cent jours d'un bonheur parfait. Cent jours, ni plus ni moins…

Motivé, je l'étais peu à peu redevenu après cette épreuve. Je me suis remis à mes études abandonnées pendant plus d'un an. Ma liaison avec Sophie n'avait pas été admise par mes parents qui m'avaient coupé les vivres. Il me fallait donc gagner ma vie. Des petits boulots de merde qui se suivaient et finissaient par m'épuiser.

Jeune, je l'étais encore puisque Sophie et moi avions à peine dix-huit ans lors de notre rencontre. Les deux mois de vacances que m'octroyait la fac de sciences allaient me permettre de me reposer et cette petite annonce tombait à pic.

Au téléphone, Madame S. me parla longuement de son fils et de ses problèmes de comportement. Elle me confia qu'il n'était pas son fils naturel et qu'elle avait remarqué qu'il restait de longs moments enfermé dans son monde, comme imperméable aux autres. Ils passaient l'été à Cancale, près de Saint-Malo et elle désirait que je m'occupe des activités de Gérard et que j'essaie de lui inculquer quelques rudiments de mathématiques. L'affaire fut conclue pour une somme rondelette qui me permettrait d'effectuer mon stage de troisième année dans des conditions que je jugeais plus que satisfaisantes.

En deux jours, j'avais fait ma valise, arrêté la location de ma chambre à la cité universitaire et c'est le cœur léger que j'ai pris le train vers le petit port de pêche.

En fait, la famille S. occupait une immense villa séparée de la plage par une route étroite. Le rêve pour un artiste, me dis-je en arrivant. La suite allait me donner raison…

Suite demain !

(Extrait de "Petites et grandes histoires")

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

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Quand le diable s'emmêle, 3° partie ! Un conte signé Didier Fond

Publié le par christine brunet /aloys

Quand le diable s'emmêle, 3° partie ! Un conte signé Didier Fond

« QUAND LE DIABLE S’EMMÊLE… » 3

CONTE QUI SENT LE SOUFRE

Troisième épisode

Ce genre de tractation n’était quand même pas très courant ; et le maire avait beau en remontrer aux poissons rouges question QI, en entendant cette exigence, il comprit à qui il avait affaire. Cela ne le troubla guère. Après tout, une âme en guise de salaire, cela ne portait guère à conséquence et ce n’était pas ruineux. On pouvait même trouver dans ce pacte un certain avantage, comme celui de pouvoir enfin se débarrasser de ses ennemis. Il ouvrait la bouche pour accepter lorsque sa fille, que nous nommerons Missia, ouvrit la porte et s’imposa dans la conversation. Elle avait tout entendu et possédait nettement plus de bon sens que son père. Aussi insista-t-elle pour qu’il prît la peine de réfléchir trois heures avant de donner sa réponse. Le Diable, qui ne doutait pas que ladite réponse serait positive, accepta courtoisement cette requête et s’en fut, promettant de revenir à l’expiration du délai.

« Il faut demander conseil à Saint Martin, qui habite de l’autre côté de la montagne », dit Missia.

« A quoi bon aller déranger le vieux ? protesta le Maire. Ce diable me parait tout à fait convenable et je suis sûr qu’il tiendra sa promesse. »

« N’en doutez pas. Maintenant, se contentera-t-il d’une seule âme ? Père, un pacte avec Satan se paye très cher et il y a toujours une clause cachée qu’il brandit au dernier moment. »

Le maire réfléchit un instant et trouva que, finalement, sa fille n’avait peut-être pas entièrement tort.

« Que faut-il faire ? Si nous refusons maintenant, il risque de se mettre en colère et de… »

« Enfermez-vous dans votre bureau, coupa Missia, et ne vous occupez de rien. »

Missia connaissait tous les raccourcis à travers la montagne. Alerte, vive, rapide, elle parvint sans difficulté au pâturage dans lequel Saint Martin continuait de courser ses moutons. Le Saint ne se fit pas prier pour écouter son récit. Et le délai de trois heures n’était pas terminé lorsqu’elle revint au village, porteuse d’un message qui laissa son père quelque peu surpris.

Cependant, le Diable batifolait au bord du torrent, s’amusait à jeter des pierres dans l’eau et faisait toutes sortes de gamineries devant un parterre de curieux afin de bien montrer son innocence et son côté primesautier. Lorsqu’il revint à la mairie, on l’accueillit les bras ouverts.

« C’est entendu, dit le maire. Mes conseillers sont d’accord : le pont devra être totalement fini avant la fin de la nuit, c'est-à-dire avant que le coq ne chante. Et tu pourras alors choisir l’âme qui te convient parmi les habitants du village. »

Le diable s’inclina, pensa « je ne prendrai certainement pas la tienne, tu es trop bête », et se mit au travail dès que la nuit fut tombée.

Les habitants du village n’étaient pas rassurés du tout et personne ne dormit pendant cette nuit-là. Non qu’ils eussent reconnu le malin dans cet aimable ingénieur étranger, mais le vacarme qui s’élevait des berges du torrent était proprement insoutenable. Bruit de marteaux, de sifflets, chants, rires, ricanements emplissaient l’air. Un vent violent s’était levé et balayait le village, faisant trembler les toitures et les volets soigneusement fermés.

Vous pensez bien que Satan n’allait pas risquer de se casser un ongle dans la construction d’un pont. Il avait fait appel à ses serviteurs, et les milliers de diablotins qu’il avait chargés de cette tâche mettaient tout leur cœur à l’ouvrage. Le pont était presque achevé et il faisait toujours nuit, l’aube étant encore lointaine.

L’équipe infernale était tellement occupée à travailler que personne ne fit attention à l’homme qui, après avoir traversé la montagne, s’approchait du chantier. Le tumulte était tel qu’il était impossible de distinguer le bruit de ses pas, pour une fois légers et assurés. L’homme paraissait très calme et très serein. Il fit halte à quelques mètres de l’ouvrage et contempla un instant les ouvriers au travail. « Je dois reconnaître qu’ils sont très efficaces, murmura-t-il pour lui-même. Mais quels chants odieux ! Et quelles voix atroces ! »

« Allons, allons, compagnons, cria soudain Messire Satan, triomphant. Il ne reste qu’une pierre à poser, la clef de voûte. Regardez : je vais l’encastrer moi-même et nous aurons respecté les termes du pacte. » Alors qu’il allait combler le vide en y insérant la pierre manquante, l’homme ouvrit son manteau, et déposa sur le sol un coq ; un mouvement de main suffit et le coq, battant des ailes, se mit à chanter de toutes ses forces.

Si vous aviez vu la fureur des diablotins ! Ils hurlaient de rage ! Et en un instant, ils regagnèrent en criant et en se battant les demeures infernales. Et Satan, debout sur le pont, vit tout à coup sur la rive son vieil ennemi qui lui adressait son plus charmant sourire. Le diable poussa à son tour un véritable rugissement et lança en l’air le marteau qu’il tenait à la main. L’outil démoniaque alla frapper la montagne et la traversa de part en part. Il parait que le trou est encore visible. Mais pour le contempler, encore faudrait-il savoir dans quelle contrée nous sommes et le conte ne le dit pas. Puis, comprenant qu’il avait perdu la partie, Lucifer donna un grand coup de pied rageur dans le sol et disparut.

Le conte est-il achevé ? On pourrait répondre oui. Mais Satan est quelqu’un de particulièrement entêté et vindicatif. Aussi rumina-t-il de longues années –voire siècles- sa vengeance. Et un jour, il décida de la mettre à exécution. Saint Martin était mort depuis longtemps et les hommes avaient pour la plupart décidé de ne plus croire en la sauvegarde des saints. L’époque était parfaitement choisie pour une réapparition infernale… Mais ceci est une autre histoire, que je vous raconterai un jour… Peut-être…

Didier FOND

fonddetiroir.hautetfort.com

Quand le diable s'emmêle, 3° partie ! Un conte signé Didier FondQuand le diable s'emmêle, 3° partie ! Un conte signé Didier Fond

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Quand le diable s'emmêle, 2° partie, un conte signé Didier Fond

Publié le par christine brunet /aloys

Quand le diable s'emmêle, 2° partie, un conte signé Didier Fond

« QUAND LE DIABLE S’EMMÊLE… » 2

CONTE QUI SENT LE SOUFRE

Deuxième épisode

Quel métier allait-il choisir ? Cultivateur, pensa-t-il. Je vais planter des graines empoisonnées dans le sol, elles germeront, donneront une jolie herbe verte et ses moutons débiles n’auront rien de plus pressé à faire que d’aller la manger et ils crèveront tous. Résumons : la terre, je l’ai, il me faut : une charrue, des bœufs et avant tout, une forge.

Aussitôt dit, aussitôt fait : le diable construisit sa forge en deux temps trois mouvements, fabriqua une charrue énorme, si forte, en acier trempé qu’elle pouvait même fendre en deux les rochers. Trouver les bœufs capables de tirer une telle charrue fut un jeu d’enfant, et dès potron-minet, Satan s’attela à sa tâche. Armé d’un aiguillon au cas où ses gros bœufs noirs décideraient de lanterner, il commença à creuser des sillons profonds comme des vallées.

Saint Martin, sur le moment, ne s’alarma point. Son voisin risquait d’être certes assez encombrant, mais après tout, s’il se contentait de jouer les laboureurs, ce ne pouvait qu’être bénéfique dans la mesure où la région méritait vraiment d’être débroussaillée. Puis, une sourde inquiétude l’envahit : qu’allait faire le diable de ces magnifiques sillons réguliers ? Qu’allait-il y semer ? Saint Martin se retira dans sa cabane et pria. Dieu l’entendit et lui envoya une vision atroce : des cadavres de moutons partout, le ventre gonflé, les pattes en l’air, la bave aux babines. « Juste ciel ! s’écria le bon Saint Martin. Cette abominable créature va empoisonner mes bêtes. »

Alors, d’un pas relativement assuré, il se dirigea vers les terres labourées, s’agenouilla devant elles et levant les bras au ciel, implora l’aide du Seigneur. Immédiatement, les bœufs, la forge et la charrue furent changés en blocs de pierre, au grand mécontentement de Satan qui traita Saint Martin « d’empêcheur de tourner en rond. »

« Va voir ailleurs si j’y suis, rétorqua le Saint. Désormais, ces terres sont sous la protection divine Tu n’as plus droit de cité ici. »

« D’accord, fit le Diable, très en colère. Je ne voulais que te faire de petites plaisanteries. Mais maintenant, ce ne sont plus tes moutons qui m’intéressent. A bon entendeur, salut ! » Et le diable se dirigea d’un pas décidé vers la montagne.

D’abord, Saint Martin fit « ouf ! ». Puis, la journée s’écoulant, il fut saisit d’une nouvelle inquiétude. Qu’allait encore manigancer cette engeance trop cuite ? Le diable n’allait-il pas se venger sur des innocents de l’échec qu’il venait de subir ? « Parle-moi, Seigneur ! » supplia-t-il en s’agenouillant et en regardant un mouton au fond des yeux. Hélas, le vecteur n’était point le bon et le mouton ne répondit pas.

Pendant ce temps, Messire Satan avait franchi la montagne et s’était dirigé vers un village bâti presque au fond d’une vallée étroite que surplombaient deux pics imposants. Un torrent aux eaux furieuses et violentes coulait au pied du village et il était très difficile de le franchir, bien qu’il fût étroit, à cause de ses flots tumultueux. Nombre de chèvres et de brebis y avaient laissé leur vie et le maire du village avait grande envie de faire bâtir un pont entre les deux rives. Le diable vit là l’occasion de prendre sa revanche. Reprenant son apparence de « jeune homme de bonne famille », il pénétra dans le village, entra dans la mairie et se présenta comme « Ingénieur des Futurs Ponts et Chaussées », nouvellement promu par la grâce administrative dans le district. Le maire désirait-il faire des travaux dans sa commune ?

Monsieur le Maire était un homme fort gentil et fort honnête, mais aussi bête que les moutons de Saint-Martin, ce qui n’était pas peu dire. Entendre de la bouche de ce garçon qu’il était capable de réaliser son vœu le plus cher le plongea dans un émerveillement sans pareil, dont le diable eut bien de la peine à le tirer afin d’avoir une réponse claire et nette.

« Le pont, dit enfin le maire, ayant retrouvé l’usage de la parole. Il nous faudrait un pont sur le torrent. »

« Un pont ? répéta l’Ingénieur diabolique. Pas de problème. C’est dans mes compétences, je vous le construis. »

Comme nous l’avons déjà dit, Monsieur le Maire était certes d’une magistrale niaiserie mais il lui arrivait d’avoir des éclairs d’intelligence. La foudre du bon sens l’illumina un instant.

« Attendez, attendez, dit-il alors que le diable commençait à tourner les talons pour se mettre au travail. Mais la tâche est rude, difficile, et vous êtes tout seul. Sans ouvriers pour vous aider, vous n’y arriverez pas, ou vous ferez n’importe quoi ou vous demanderez un prix exorbitant et nous sommes très pauvres dans ce village. »

Satan lui adressa son célèbre sourire doucereux numéro 5 : celui auquel personne ne résiste.

« Voyons, répliqua-t-il, vous avez parfaitement raison. Mais je vous jure que ce pont sera construit en une nuit et que le salaire demandé sera dérisoire. Croyez-moi, je suis sorti premier de Centrale, promotion… » et il avala la date parce que l’école n’existait pas encore.

« Oui, mais combien allez-vous demander ? » insista le maire.

Sa Majesté fourchue minauda :

« Pas grand-chose, vraiment. Je ne veux en échange que la possibilité de choisir une âme parmi les habitants de votre village. »

(A suivre)

Didier Fond

Quand le diable s'emmêle, 2° partie, un conte signé Didier FondQuand le diable s'emmêle, 2° partie, un conte signé Didier Fond

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Quand le diable s'emmêle... Un conte de Didier Fond

Publié le par christine brunet /aloys

Quand le diable s'emmêle... Un conte de Didier Fond

« QUAND LE DIABLE S’EMMÊLE… » 1

CONTE QUI SENT LE SOUFRE

Premier épisode

C’était au temps où les saints fleurissaient sur la terre à l’instar des pâquerettes au printemps dans les champs. Maintenant, essayez toujours d’en trouver un, vous m’en direz des nouvelles.

Notre saint à nous s’appelait Martin. Oui, Saint Martin, celui qui partagea son manteau avec le pauvre à défaut de le lui donner en entier. Il venait de s’installer dans un coin de pays, un peu comme moi, d’ailleurs, sauf que lui ne se fit pas ermite mais décida de garder des moutons. Et le voilà devenu berger.

Mais les moutons étaient nombreux et complètement stupides ; dès que l’un commettait une sottise, les autres le suivaient allègrement et Saint Martin était obligé de leur courir après, de s’épuiser à les menacer, et il n’était plus tout jeune, il avait des rhumatismes permanents, un lumbago chronique et des cors aux pieds, petites altérations physiques qui l’empêchaient de se mouvoir avec toute la célérité qu’exigeait son métier. Aussi souhaita-t-il vivement qu’un jeune homme eût la bonne idée de venir l’aider.

Sa prière fut entendue. Un matin, un jeune étranger, fort bien fait de sa personne, traversa la prairie où paissaient les moutons et se dirigea vers la cabane où le berger soignait ses maux divers.

« Que veux-tu ? » demanda Saint-Martin, moins aimable qu’à son ordinaire parce qu’il était en train de racler un de ses cors et que ce n’était pas du tout agréable.

« J’aime les bêtes, les prairies, la campagne… commença le jeune homme mais un sec « oui, après ? » interrompit son exorde. « J’aimerais travailler avec vous », termina l’étranger, passant directement à la conclusion de son discours.

« Béni sois-tu ! » s’écria Saint Martin, et le jeune homme sursauta vivement en entendant cette formule somme toute banale dans une telle bouche, mais le berger était trop occupé à examiner ses pieds pour s’apercevoir de ce mouvement incongru. « J’attendais avec impatience que quelqu’un vienne m’aider dans ma tâche. Mes moutons sont gentils mais crétins et je n’ai plus l’âge de leur courir après. Tu seras mon pâtre et moi, je pourrai me consacrer à la fabrication des fromages de brebis, ce sera moins fatiguant. » Puis il s’agenouilla et remercia Dieu par une fervente prière, tandis que l’étranger, prétextant un besoin urgent à faire, quittait la cabane en courant.

Vous imagineriez-vous, par hasard, qu’il était parti ? Mais non. Il attendait tout simplement devant l’entrée que le Saint eût fini ses litanies. Et pour prouver sa bonne volonté, notre jeune homme prit le bâton du berger et s’en alla garder les moutons.

Saint Martin passa une très agréable journée à ne rien faire. Lorsque la nuit tomba et que les moutons furent rentrés au bercail, il servit un bon repas à son pâtre et lui désigna la couche où il dormirait pendant la nuit. Sans doute épuisé par son dur labeur, le jeune homme ne se fit pas prier, se coucha et s’endormit.

Au milieu de la nuit, Saint Martin se réveilla, la narine désagréablement chatouillée par une odeur assez particulière. D’abord, il crut qu’il y avait le feu dans la bergerie et se leva en hâte. Mais non. Nulle flamme à l’horizon, les moutons dormaient comme des bienheureux, pas de bêlement de terreur, rien que le silence. Saint Martin huma l’air une fois de plus : pas de doute, ça sentait le souffre, et l’odeur venait de la couche où reposait le jeune homme. « Bien, se dit Saint Martin, rassuré. Ce n’est pas un incendie, ce n’est que Satan qui est venu me tenir compagnie. Qu’est-ce qu’il veut encore, celui-là ? » Et pour en avoir le cœur net, après avoir allumé une bougie, il se pencha sur le faux étranger et le secoua sans ménagement. Réveillé en sursaut, le diable fit d’abord les gros yeux puis s’amadoua tout de suite lorsque la mémoire lui revint.

« Je sais qui tu es », dit Saint Martin.

« Tu as bien de la chance, rétorqua Satan. Avec tous les noms qu’on me donne, je ne sais absolument plus où j’en suis. »

« Que veux-tu dire ? » interrogea le Saint, hautain.

« Vous m’avez appelé tantôt berger, pâtre, inconnu, jeune homme, étranger. Ca fait beaucoup pour une seule personne. Comprenez mon problème. »

« Moi, je ne connais qu’un nom qui te désigne : Satan. Vrai ou faux ? »

Le Malin comprit qu’il était découvert et décida de ne pas ruser.

« Bon, admettons, dit-il. Mais si tu crois que je suis venu pour faire un méchoui de tes moutons, tu te trompes. En fait, je m’ennuie en Enfer, j’ai décidé de travailler sur la terre, voilà. »

« Voilà, répéta Saint Martin. L’intention est louable mais tu me feras quand même le plaisir de déguerpir à l’aube, parce qu’un pâtre de ton acabit, je n’en veux point. »

Le diable ricana moqueusement.

« Et qui va courir après tes horribles bestioles, idiotes au-delà de l’imaginable ? »

« Moi, fit Saint Martin pompeusement. Je le faisais avant ton arrivée, je le ferai après ton départ. »

Le diable gloussa et se dit que le spectacle serait sans doute fort amusant. Perspective agréable qui l’empêcha de narguer son ex-futur patron.

« Très bien, répliqua Satan. Puisque ça t’amuse de faire craquer tes os, je serais bien bête de continuer à t’aider. Je m’en irai demain matin. Puis-je maintenant me rendormir ? »

« Ne t’avise pas de me jouer un de tes tours, prévint Saint Martin. J’ai de quoi me garder de tes sournoiseries. Ni mes bêtes, ni ma cabane, ni mon âme ne sont pour toi. »

« Je me fiche de tes bêtes et encore davantage de ta cabane branlante et de ton âme racornie, dit Satan en baillant. J’ai sommeil, je veux dormir. »

Au matin, Satan prit son balluchon et partit. Mais cet échec l’avait mis de très mauvaise humeur. Aussi resta-t-il dans les environs d’abord pour essayer de trouver un moyen d’embêter Saint Martin et ensuite pour se réjouir des efforts de ce dernier à essayer de garder ses moutons récalcitrants. Ce fut au tour du diable de passer une fort bonne journée à se tordre de rire devant les courses-poursuites qui se déroulèrent devant ses yeux. Puis il se dit qu’il fallait penser aux choses sérieuses car il n’y avait pas que l’amusement dans la vie.

(A suivre)

Didier Fond

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Sélim et le papillon, une nouvelle de Jean-Jacques Manicourt

Publié le par christine brunet /aloys

Sélim et le papillon, une nouvelle de Jean-Jacques Manicourt

"Sélim et le papillon"


Personne ne vit arriver le papillon ; mais Sélim ne cessait de le regarder s’approcher. Personne n’entendit le papillon demander qu’on lui ouvrît la fenêtre. Sélim, lui, avait entendu ; il se leva et ouvrit un des deux battants du châssis.
- Que fais-tu Sélim ? Demanda l’instituteur.
- J’ouvre la fenêtre pour le papillon, répondit Sélim.

La classe éclata de rire. M. Michel, l’instituteur, réclama le silence. Tant mieux, pensa Sélim, qui n’avait pas pu entendre ce que le papillon cherchait à lui dire.


Le papillon faisait du sur place à quelques battements d’ailes de la fenêtre ; on eut dit un colibri.
- Salam alékum, dit le papillon
Quoi, le papillon parle la langue de ma mère !
- Alékum Salam, répondit Sélim.
Nouvel éclat de rire de toute la classe. Même Amandine, la
première de classe, d’habitude si soucieuse de ne pas fâcher M. Michel, riait de bon cœur.

L’instituteur se fâcha.
- Sélim, retourne t’asseoir, tonna-t-il.

Mais Sélim n’obéit pas ; il était captivé par le papillon, un flambé (Iphiclide Podalirius) de couleurs vives comme il n’en avait jamais vu.

M. Michel se leva avec la ferme intention de ramener Sélim à la raison, de régler cette histoire saugrenue de papillon que nul autre que Sélim ne pouvait voir. Ce fut le moment que choisit le papillon pour se volatiliser.
- Qu’est-ce que cette histoire de papillon, et à qui parlais-tu ainsi ? Demanda l’instituteur à Sélim.
- Tu te crois sans doute intéressant (j’hésite sur la ponctuation car quand un instituteur dit cela, pose-t-il une question ? Auquel cas je n’hésiterais pas à ponctuer la phrase de M. Michel par un point d’interrogation, ou bien assène-t-il une vérité qui ne supporte pas d’être contredite ?)

C’était assez légitime et prévisible, Sélim opta pour la question.
- Non, monsieur, répondit-il.

Certains des élèves de la classe pouffèrent, d’autres réprimèrent leurs rires entre ventre et bouche, à hauteur de glotte.
La naïveté et la soumission qui s’inscrivaient sur le visage de Sélim, décontenança M. Michel.
- Retourne à ta place, Sélim, et n’en bouge plus.
Et cette fois, Sélim s’exécuta. M. Michel rejoignit l’estrade (il enseignait dans une école un peu désuète, vieillotte qui, contre vents et marées, nouvelles pédagogies, modes et injonction du rectorat, avait conservé l’estrade et le cache-poussière.)

L’instituteur avait à peine regagné sa chaise – une chaise de bureau avec assise et dossier en cuir, réglable en hauteur, seule concession de l’école au confort et au modernisme -, que le papillon vint se poser sur l’épaule de Sélim.
- Comment es-tu entré ?
- Chut, moins fort, tu vas te faire remarquer, conseilla le papillon.

M. Michel avait fait les gros yeux.
- QUOI ENCORE, SELIM ?

Au ton qu’avait employé M. Michel, la classe comprit que l’agacement de leur instituteur avait fait place au ras-le-bol. Nul n’était censé ignorer que M. Michel ne supportait pas le moindre écart de concentration durant ses cours. « Pour papoter et vous détendre, il y a la récréation. », avait-il coutume de dire.
- Le papillon est revenu, dit Sélim.

Pour la plupart, les élèves se firent petits. Profil bas car l’orage allait gronder sans aucun doute. Déjà, M. Michel frisait l’apoplexie ; son visage virait tomate, et ses narines frémissaient comme celles d’un taureau de corrida. Max, « la menace », ainsi que le surnommait gentiment son papa qui, à l’âge de son fils, regardait un feuilleton télévisé dont le héros s’appelait ainsi (Tiens, mon papa regardait aussi la télé ! Pourquoi m’en empêche-t-il maintenant, s’était déjà dit Max), Max, disais-je, était un habitué des remontrances que ne manquait jamais de lui adresser M. Michel, le cancre de la classe essuyant quotidiennement les quolibets de ses pairs (qui le craignaient toutefois sur le terrain où Max excellait, à savoir la cour de récré, parfois théâtre de bagarres), Max (Dieu que cette phrase est longue ! On dirait du Joseph Connolly !), Max donc souffla à Sélim : « Tais-toi ou t’es bon pour le derlo. »

Bien vu. Faut dire que Max connaissait par cœur le bureau du directeur où M. Michel l’avait souvent envoyé se faire morigéner.
- Bon ça suffit maintenant. Prends ton cartable et file chez M. le directeur et donne-lui ceci.
M. Michel avait rapidement griffonné un petit mot pour le directeur et l’avait glissé dans une enveloppe qu’il tendit à Sélim.

Sélim prit son cartable, se saisit de l’enveloppe et quitta la classe.
Dans le couloir horrible que Sélim devait emprunter pour se rendre chez le directeur (les murs étaient peints avec une couleur immonde, probablement un vert inspiré par l’idée que le décorateur de l’école se faisait des petits martiens), le papillon réapparut.
- Que dit le petit mot ?
- Hein ! Quoi ? Bafouilla Sélim.
- Que dit le petit mot ? Insista le papillon.

Sélim hésitait.
- Si tu ne sais pas, ouvre l’enveloppe et lis-le.
- Je ne peux pas faire ça.
- Pourquoi pas ?
- Parce que …
- Parce que quoi ?
- Parce que c’est interdit
- N’est-ce pas interdit de parler en classe lorsque le maître donne cours ? Dit encore le papillon.

Sélim s’apprêtait à répondre quand il croisa Mlle Pageste, la secrétaire ; elle avait en main un de ces formulaires compliqués, remplis de colonnes et de chiffres que personne ne comprenait. Mlle Pageste, vieille fille, célibataire de circonstance (elle aurait bien aimé se marier mais elle n’avait pu, dans sa jeunesse, faire la conquête d’un homme – Dieu et les hommes qui l’ont croisée savent pourquoi) aimait bien Sélim bien qu’elle détestât les Arabes, les noirs (un peu moins) et ses voisins (parce qu’ils avaient fait poser une nouvelle porte d’entrée bien plus jolie que la sienne.)

Perdue dans ses pensées, elle ne s’était pas aperçue que Sélim soliloquait.
- Que fais-tu dans ce couloir, mon p’tit Sélim ?
- Qu’est-ce que ça peut bien te faire, vieille chouette ?

C’était le papillon qui avait répondu en imitant la voix de Sélim.
Mlle Pageste dessina un accent circonflexe avec son sourcil gauche. Avait-elle bien entendu Sélim l’appeler vieille chouette ?
- Qu’as-tu dis, mon p’tit Sélim ?
Sélim imita le battement d’aile du flambé, et poursuivit son chemin laissant Mlle Pageste, prostrée, interdite ; elle était à quia.
- Bon, tu l’ouvres cette bafouille, s’impatienta le papillon, satisfait de s’être débarrassé de la secrétaire à si bon compte.

Sélim agissait maintenant comme un automate ou plutôt comme la marionnette d’un ventriloque ; il se surprit à répondre sans que ses lèvres ne remuassent : « Puisque tu y tiens, je la décachette cette enveloppe. » Il aurait pu être surpris également par l’emploi du verbe décacheter qu’il n’utilisait jamais ! Quoi qu’il en soit, Sélim ouvrit l’enveloppe.
- Alors, tu la lis, stridula le papillon.

Sur le petit mot, M. Michel avait écrit : « Sélim fait un cauchemar. »

- Ce n’est rien, mon amour, tu as fait un mauvais rêve.

En entendant la voix si douce de sa maman (ne le sont-elles pas toutes, douces, les voix des mamans ?), Sélim se calma ; petit à petit, il prit conscience de son environnement : sa chambre que son papa avait récemment retapissée – il avait pu choisir le papier peint, et, privilège auquel il ne s’était pas attendu, le tissu des tentures (au grand dam de sa maman qui, depuis, faisait contre mauvaise fortune bon cœur), le poster de sa star préférée, et surtout le visage de sa maman – le plus beau visage du monde naturellement, à se demander pourquoi ce visage ne figurait pas sur le poster ! –

La maman de Sélim déposa un bisou sur le front de son chérubin.
- Il faut te lever maintenant sinon tu vas être en retard à l’école.
- Maman, j’ai fait un drôle de rêve.
- Tu me le racontes dans la salle de bain, d’ac.

Tandis que sa maman se brossait les dents (incroyable ce qu’elle met comme temps pour se les brosser ! Et vas-y que je te les passe au révélateur, que je te les triture avec un fil dentaire, que je te les rince au moins cinq fois ; mais le résultat – Sélim en convenait – était à la hauteur du temps consacré : une véritable dentition d’actrice Hollywoodienne ! Donc, tandis que sa maman prenait soin de sa denture, Sélim lui raconta son rêve ; il n’omit aucun des détails qui lui avaient tant fait peur. Il parvint même à décrire avec la précision d’un entomologiste le papillon de son cauchemar.
Il s’agit sûrement d’un papillon carotte, dit la maman.

Toute la famille (papa, maman et Sélim, mais le ventre rond de la maman laissait présager une sensible (elle attendait des jumeaux) augmentation du cardinal de cet ensemble) prenait le petit-déjeuner. Sélim raconta une nouvelle fois son rêve, pour son papa, qui lui dit : « Ce n’est pas un papillon carotte, mais un carottier. »
- Qu’est-ce que c’est un carottier, papa ?
- Quelqu’un qui soutire quelque chose à quelqu’un par le mensonge, par la ruse.

Sélim fit mine d’avoir compris ; mais l’explication de son père, empruntée au dictionnaire, ne le satisfit pas. Trop, genre, père-Larousse ! Les pères ne comprennent-ils donc rien à rien ? A croire qu’ils sont en pleine mutation génétique, et que leurs cervelles embrumées par on ne sait quel voile mystérieux les vouent désormais à être constamment largués.

Après le petit-déjeuner, tout s’accéléra. Sélim choisit son dix heures (en général, une barre chocolatée avec du lait, un casse-croûte vanté par une pub mensongère, mais toutes les pubs ne le sont-elles pas, mensongères ?), puis, il retourna à la salle de bain pour se brosser les dents. Il accorda au brossage de ses canines beaucoup moins d'application que ne le fit sa mère.

Le rituel matinal se poursuivit, immuable, à ceci près que Sélim pensait constamment à son rêve. Ainsi, oublia-t-il son dix-heures sur le plan de travail de la cuisine.

Sélim fréquentait l’école communale du village, distante que de quelques centaines de mètres de là où il habitait. Trois cent huit mètres pour être précis (Sélim avait mesuré lui-même cette distance avec le podomètre de son papa.(), aussi s’y rendait-il à pied non sans que sa maman l’eût embrassé une dernière fois (Sélim pouvait oublier son dix-heures, mais au grand jamais le bisou de sa maman.)

Sur le chemin, un papillon virevolta autour de lui.

S’agit-il du papillon de mon rêve ? S’interrogea Sélim. La réponse n’allait pas tarder ; après quelques révolutions acrobatiques du plus bel effet et une ultime pirouette pour s’immobiliser, le flambé, imitant la voix de la maman de Sélim, dit : « Tu diras à ton père que je ne suis pas un carottier. »

Sélim et le papillon, une nouvelle de Jean-Jacques ManicourtSélim et le papillon, une nouvelle de Jean-Jacques ManicourtSélim et le papillon, une nouvelle de Jean-Jacques Manicourt

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Conte d'hiver, une nouvelle signée Silvana Minchella

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Conte d'hiver, une nouvelle signée Silvana Minchella

CONTE D’HIVER

Réveillez-vous Seigneur Hiver !

Votre ami Blizzard frappe à la porte de votre château. Bise l’accompagne, pour vous ramener ici d’un baiser piquant sur vos lèvres gelées.

Venez, Sire, votre règne est arrivé !

La dernière feuille a été emportée par les vents de Dame Automne.

Le sol s’est refermé et est entré en méditation.

Réveillez-vous Seigneur Hiver !

Sortez de vos coffres les neiges immaculées, polissez les glaces, affûtez les vents, convoquez les tempêtes, vérifiez les éclairs, ne laissez rien aux mains de l’incontrôlable Hasard , ce troubadour faiseur de pétards mouillés et de vents qui tournent mal.

Que votre règne soit impitoyable ! Et que jamais ne parviennent à vos royales oreilles les mots offensants : « L’hiver est doux cette année ».

Prenez, Majesté, les clés que Blizzard a arrachées des mains de votre cousine, la reine Automnia. Regardez-la s’enfuir épouvantée, dans son carrosse aux couleurs rutilantes…

Les bruits de couloirs glacés vous conteront, Sire, que votre cousine s’est laissée séduire par un bel été indien… écoutez les portes qui claquent vous raconter qu’il y eut plus de soleil que d’ondées, plus de chants d’oiseaux que de grondements de tonnerre.

Ridicule ! dites-vous ?

Il semblerait pourtant, selon mes sources encore vives, que ce fut très apprécié par toutes les créatures vivantes…

Lors de vos inspections des forêts, chaque craquement de bois vous contera les charmants détails de cette idylle, vantera le charme de cet indien qui a embrasé les rousseurs de sa belle…

Non, non, ne me raccompagnez pas, Sire, je sors !

© Silvana Minchella

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Le marcheur de l'aube, une nouvelle signée Claude Colson

Publié le par christine brunet /aloys

Le marcheur de l'aube, une nouvelle signée Claude Colson

Le marcheur de l'aube

On l'avait repéré comme il effectuait chaque dimanche le même parcours, et on l'avait dénoncé.
Rond, râblé, avec un brin de calvitie, il sortait régulièrement vers six heures de son domicile, dans la petite ville, non loin du canal où étaient amarrées quelques péniches colorées. Le lendemain matin elles partiraient vers la Belgique avec leurs cargaisons diverses : textiles, céréales ou encore charbon.

On était peu avant le milieu des années soixante et le fuel n'avait pas encore supplanté le mode de chauffage antérieur.
C'était toujours à la même époque , d'octobre à mars ernviron, qu'il partait ainsi, tôt, alors que toute la ville achevait son sommeil. Cà et là lui venaient quelques relents de café ou de pain grillé, lorsqu'un autre matinal avait ouvert sa fenêtre pour aérer sa maison.

L'homme qui le suivait de loin, pour la deuxième fois, ce dimanche appartenait aux Renseignements généraux. Ses supérieurs, alertés, avaient été intrigués par les faits et gestes du marcheur de l'aube. Ils l'avaient envoyé à ses basques.
Rien, depuis deux semaines, rien. Aucun indice ne lui permettait de comprendre ce que faisait ce quidam suspect.

Après une vingtaine de minutes de marche il le voyait sortir une grosse clé de son manteau et pénétrer dans une bâtisse un peu lourde, en bord de rue, par une porte de côté. La serrure apparemment rarement manoeuvrée couinait misérablement dans la rue vide.
Le dimanche précédent il l'avait vu ressortir au bout d'un quart d'heure puis il s'en était tranquillement retourné chez lui.
Un peu court pour rendre visite à une éventuelle maîtresse, songea notre agent.
Comme prévu, au bout de quinze minutes, l'homme rond réapparut et ajusta le col de son manteau. L'air était vif et le gel enserrait encore les quelques brins d'herbe des trottoirs.

Le policier l'aborda en présentant sa carte et lui demanda ce qu'il faisait de si bon matin seul dans la rue le jour du Seigneur.
Précisément, répondit le gros-homme. Je suis membre du Conseil presbytéral de l'Eglise réformée et j'ai la charge de venir allumer le vieux poêle deux heures avant l'office. Il fera bon quand les fidèles arriveront.

L'agent sourit, prit congé en serrant la main du "suspect" et s'éloigna à pas rapides. Il faisait moins cinq ce matin-là, avec un petit vent du nord très désagréable.

(à mon beau-père)

Claude COLSON

http://claude-colson.monsite-orange.fr

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Un rêve étrange, 2e partie, une nouvelle de Philippe Wolfenberg

Publié le par christine brunet /aloys

Un rêve étrange, 2e partie, une nouvelle de Philippe Wolfenberg

Un rêve étrange

Deuxième partie

Vers minuit, alors que je viens à peine de me coucher, je crois entendre un claquement au niveau des volets. Je tends l’oreille. Un son identique au premier me convainc que je n’ai pas rêvé. Je me lève et, sans allumer le plafonnier, ouvre la fenêtre. Dans la clarté opalescente de la lune, je perçois distinctement Nina dans l’allée bordée de rosiers en fleurs. Dès qu’elle me voit, elle jette les cailloux qu’elle tenait dans son poing serré.

  • Viens, s’il te plaît !

Je m’habille rapidement et m’exécute.

  • Que se passe-t-il ?

Elle m’observe quelques secondes, d’un air malicieux, avant de me répondre.

  • Je n’ai pas envie de dormir… On pourrait aller se balader… Non ?

Et, sans même attendre mon approbation, elle prend ma main et m’entraîne à sa suite. Nous atteignons rapidement la plage déserte d’une petite crique. Elle enlève ses chaussures et entre dans l’eau jusqu’à en avoir sous les genoux. Je ne tarde pas à l’imiter et, serrés l’un contre l’autre, nous marchons jusqu’à un vieux ponton de bois qui, habituellement, sert de plongeoir aux baigneurs. Elle se rend compte que je la dévore des yeux. Délaissant son attitude de gamine délurée, elle se fait douce comme une caresse quand elle pose sa joue contre ma joue et sa bouche sur ma bouche.

  • Ti amo[1], Phil !
  • Je t’aime aussi, mon ange…

L’odeur de sa peau est plus enivrante que celle, miellée, des genêts environnants que le soleil brûlant de l’après-midi a exacerbée. Je goûte pleinement ces minutes d’éternité et me promets de m’en souvenir quoi qu’il arrive.

l

Une chanson de la fin des années cinquante, « Love in Portofino », passe à la radio. La voix de Johnny Dorelli est brutalement interrompue par la sonnerie du téléphone.

  • Phil ? Enzo est en face de chez moi… Il a sa tête des mauvais jours… Je crains le pire…
  • Ne sors surtout pas ! Je suis là dans dix minutes…

Je gare ma voiture dans l’allée qui jouxte la maison de Nina. Enzo m’a vu et se dirige vers moi, l’air furieux.

  • Que viens-tu faire ici ?
  • Simplement te demander de ne plus importuner Nina… Votre histoire est finie !
  • Qu’en sais-tu ?

Je n’ai pas le temps de répondre. Nina descend l’escalier de l’entrée et, sans doute rassurée par ma présence, se plante devant son ancien petit ami.

  • Basta[2] ! Arrête de me harceler, Enzo ! Tu n’as pas su saisir ta chance, en son temps… Tant pis pour toi ! Maintenant, je suis avec Phil… Capito[3] ?
  • Si tu ne veux plus être à moi, tu ne seras à personne d’autre !

La rage déforme les traits de mon rival malheureux. Il sort un couteau et essaie de saisir le bras de Nina. Je m’interpose avant qu’une violente douleur me traverse le corps. Je porte la main à mon ventre et, incrédule, regarde le sang couler entre mes doigts.

  • Phil ! Non !

Le cri désespéré de Nina m’accompagne jusqu’au plus profond des ténèbres qui ont remplacé l’éclatante lumière du jour.

l

J’ouvre lentement les paupières et regarde autour de moi. Je suis dans un lit, au milieu d’une chambre d’hôpital et des tuyaux relient mon corps à des machines. J’ai beaucoup de difficultés à mettre de l’ordre dans mes idées. Puis, la vision d’une lame étincelante. Je soulève le drap mais ne découvre ni pansement ni cicatrice.

Sans que je sache pourquoi, une mélodie résonne dans ma tête : « Erase/Rewind[4] » du groupe The Cardigans. Cette rengaine sans fin m’empêche de réfléchir jusqu’à ce que, tout à coup, le silence se fasse, révélant tout ce qui était caché : j’ai voulu me donner la mort. Je ne supportais plus le vide que rien ne peut combler, le manque d’envies, cette passion gâchée, il y a treize ans, avec celle que, depuis, je n’ai pas su remplacer.

Je me sens las, épuisé par les efforts fournis pour me souvenir et je sombre dans le sommeil.

l

J’ai enfin reçu la permission de sortir avec, en prime, les coordonnées d’un psychologue. J’en aurai, peut-être, effectivement besoin car, si je suis conscient d’avoir imaginé mon aventure italienne, je reste persuadé que Nina existe et qu’elle m’attend quelque part.

Je ferme la porte derrière moi. Un long couloir, une volée de marches, un autre couloir tout aussi long que le premier, puis j’arrive enfin à la réception. Distraitement, je jette un coup d’œil dans le parc, à travers la grande fenêtre par laquelle le soleil entre pour inonder le hall de ses rayons généreux, et sens les battements de mon cœur s’accélérer. A la moitié du chemin qui mène vers la grille ouvrant sur la rue, j’aperçois une jeune femme aux cheveux de jais. Je sors comme un fou, dévale l’escalier et l’interpelle : « Nina ? »

Nina, car je ne me suis pas trompé, se retourne. La tristesse qui flottait dans son regard s’estompe peu à peu pour faire place à l’étonnement. Un sourire magnifique illumine son visage lorsqu’elle se blottit dans mes bras. Après m’avoir contemplé longuement, elle m’embrasse avec la fougue des filles du Sud.

  • Amore mio[5] ! Ainsi, tu es réel…

Nous allons nous asseoir sur un banc. Il faut que nous discutions pour tenter de comprendre. Tandis qu’elle me parle, d’une voix douce de petite fille, je la regarde. Mon âme sœur d’autrefois était très belle ; Nina l’est tout autant. Et la vie le redevient.

  • Peux-tu expliquer ce qui s’est passé, Phil ?
  • Oui ! Mais sans aucune certitude d’être dans le vrai… Tant ça paraît incroyable…
  • Dis toujours…
  • Suite à l’accident de voiture dont tu as été victime et à ma tentative de suicide, il semblerait que nous soyons tombés, brièvement, dans le coma presque au même moment… Le fait que nous occupions deux chambres contigües a permis à nos esprits d’entrer en communication et de créer une romance conjointe…
  • C’est plausible… A défaut d’être rationnel…

Elle reste silencieuse, quelques secondes, avant de poursuivre.

  • Mais tu sais, je n’aurais pas supporté de vivre sans toi…
  • Ni moi sans toi…
  • Non lasciarmi mai più sola !
  • Je suis désolé mais on n’est plus dans notre rêve… Et je ne parle pas ta langue, mon ange…

Elle rit doucement.

  • Ce n’est pas grave, je te l’apprendrai. Je disais donc : « Ne me laisse plus jamais seule ! »
  • Je t’en fais la promesse…

Le taxi qu’elle avait appelé vient d’arriver. C’est ensemble que nous y montons…

Philippe Wolfenberg

Cette nouvelle a été écrite en hommage au livre “Nina” de “Frédéric Lenoir & Simonetta Greggio”

[1] Je t’aime !

[2] Ca suffit !

[3] Compris ?

[4] Effacer/Rembobiner.

[5] Mon amour !

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Un rêve étrange, une nouvelle en deux parties signée Philippe Wolfenberg

Publié le par christine brunet /aloys

Un rêve étrange, une nouvelle en deux parties signée Philippe Wolfenberg

(Une nouvelle écrite en hommage au livre “Nina” de “Frédéric Lenoir & Simonetta Greggio”)

Lorsque je me réveille, au petit matin, je comprends immédiatement que cette journée sera différente des autres. Il règne, dans l’air venu du large, un parfum d’optimisme que je n’ai plus respiré depuis longtemps.

J’ouvre les volets à claire-voie : le bleu du ciel se mélange à celui de la mer et le soleil caresse la cime des pins.

Je sors sur le balcon et, paresseusement installé dans un transat, je passe la baie en revue avant de m’arrêter sur le palazzo aux murs safran et contrevents émeraude.

l

Au moment d’aborder les premières échoppes du marché qui se tient sur la plus grande place de la ville, je m’aperçois que je suis en avance. C’est, en effet, dans un peu moins d’une demi-heure que je dois rencontrer Rosario, le chef du restaurant dont je suis propriétaire, à parts égales avec un ami, et où je m’investis afin d’oublier la vacuité de mon existence.

J’ai beau essayer de me souvenir pourquoi je suis malheureux depuis tant d’années, si plein de nostalgie et d’insatisfaction mais rien n’y fait : l’oubli est total ! Comme si mon esprit, guidé par l’instinct de survie, se protégeait d’un passé trop douloureux. L’inquiétude engendrée par cette amnésie sélective semble, aujourd’hui, n’avoir aucune prise sur moi. L’influence bienfaisante du vent d’euphorie que j’ai ressentie plus tôt dans la matinée est toujours bien présente.

l

Rosario et moi favorisons les producteurs locaux et ne choisissons que les meilleures denrées. La renommée et la fréquentation de l’établissement prouvent que cette conception est en adéquation avec notre clientèle.

Ce soir, ainsi que les soirs précédents, salle et terrasse affichent complet. Entre deux ou trois salutations à des habitués et les compliments de circonstance à leurs épouses, je m’octroie un instant de quiétude, appuyé à la rambarde, à contempler le soleil s’abîmant dans les flots au milieu des nuances subtiles d’or et de sang.

Soudain, une intuition m’oblige à tourner la tête. Relativement proche de l’endroit où je me trouve, une jeune femme sirote un espresso. Ses beaux yeux marron – qui changent de couleur aléatoirement jusqu’à devenir verts – me fixent avec impudence. Elle a le teint légèrement hâlé, des cheveux mi-longs et bouclés de la couleur d’un corbeau et des courbes enjôleuses admirablement mises en valeur par sa robe moulante.

Le sourire engageant qui se dessine sur ses lèvres pulpeuses et m’est, sans nul doute, destiné achève de me convaincre d’entamer la conversation.

  • Buonasera[1]… Le dîner vous a plu ?
  • Mi è piaciuto molto ! Grazie[2]
  • Puis-je vous offrir un digestif ?
  • Avec plaisir… Si vous acceptez de me tenir compagnie…
  • Guido ! Apporte-nous deux verres de limoncello, s’il te plaît…
  • Comment avez-vous deviné qu’il s’agit de ma liqueur préférée ?
  • Le hasard…
  • Il n’y a pas de hasard… Par exemple, ma présence ici… Je suis journaliste et j’ai entrepris de rédiger un guide répertoriant les tables les plus emblématiques de notre belle région…
  • Ce n’est donc pas pour moi ? Vous m’en voyez extrêmement déçu…
  • Bien sûr que si ! J’aimerais que vous me racontiez l’histoire de ces lieux, la vôtre et celle des gens qui travaillent avec vous… Des anecdotes sur les clients, aussi… Vous voulez bien ?
  • J’accepte ! Puisque ça me permettra de vous revoir…
  • Grazie mille ! Ciao[3] !
  • Ciao !

Alors qu’elle s’apprête à monter dans sa voiture, elle se ravise, revient sur ses pas et me fait un signe de la main.

  • A propos, je m’appelle Nina… A domani[4] !

l

Le lendemain, assis sur un banc juché au sommet de rochers surplombant la Méditerranée et protégé du soleil par le feuillage d’un bosquet de caroubiers, j’ai la sensation d’être un adolescent qui vit son premier rendez-vous amoureux. Evidemment, je ne suis pas dupe : il ne s’agit que d’une banale interview ! Cependant, j’ai envie de me laisser guider par cette légèreté à laquelle, il y a peu encore, je ne croyais plus.

Un bruit de pas, de plus en plus proche, puis la voici qui débouche entre des buissons de laurier-rose.

Elle porte un chemisier échancré et noué sous la poitrine ainsi qu’un short en jeans déchiré et une paire d’espadrilles.

  • Buongiorno[5] ! Je suis contente de vous revoir…Et pas seulement pour le travail…

Le regard qu’elle me lance, en disant cela, est tendre et amusé à la fois. Se pourrait-il que…

  • Je le suis tout autant, Nina…

Elle remarque la glacière à mes côtés.

  • Vous avez pensé au casse-croûte ? C’est bien !
  • Pain, pâté de poisson et une bouteille de Campanaro dont vous me direz des nouvelles…
  • Vivement midi !

De son sac, elle sort un enregistreur numérique, un calepin et un stylo à bille.

  • Prêt ? Andiamo[6] !

Il est passé treize heures quand nous nous rendons compte que nous sommes affamés. Après le repas, mon exquise compagne range son matériel, se lève et s’approche du bord de la falaise. Elle s’étire délicatement – de la même manière que le fait un chat, au lever – tandis que le vent ébouriffe sa magnifique chevelure noire. Je la rejoins et nous parlons de nous ; de notre enfance, de notre jeunesse, de l’âge adulte qui nous a privés de nos espérances. Aussi surprenant que cela paraisse, pour des inconnus, nous nous comprenons sans rien devoir expliquer. (...)

Philippe Wolfenberg

notes :

[1] Bonsoir…

[2] C’était très bien ! Merci…

[3] Merci beaucoup ! Salut !

[4] A demain !

[5] Bonjour !

[6] Allons-y !

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Philippe Desterbecq nous propose une nouvelle intitulée "La femme de monsieur Lequin"

Publié le par christine brunet /aloys

Philippe Desterbecq nous propose une nouvelle intitulée "La femme de monsieur Lequin"

La femme de Monsieur Leguin.

Monsieur Leguin n’avait jamais eu de chance avec ses femmes. En effet, il les perdait toutes de la même manière. Un beau jour, sa nouvelle épouse quittait la ferme et la campagne dans lesquelles il l’avait emmenée, afin de se rendre en ville. Et là-bas, le démon de l’argent facilement gagné, du luxe, des tissus précieux, de l’or, la lui enlevait définitivement.

Il avait beau la supplier, lui promettre tout ce qu’elle désirait, sa femme était perdue à jamais. Le pauvre homme en avait le cœur meurtri.

Cette fois, monsieur Leguin décida d’en épouser une dernière, plus jeune que les autres, plus pure, plus innocente.

Il avait entendu parler de la petite-fille de Madeleine Rousseau, la « rebouteuse », recueillie par celle-ci alors qu’elle sortait du couvent. Celle-là devait être pure, innocente, blanche comme une oie. Elle avait renoncé, parait-il, au noviciat, car elle ne se trouvait pas digne d’épouser le Christ. Peut-être serait-elle digne de marier un fermier, plus trop jeune certes, mais encore vaillant et au cœur gros comme une église.

Il alla donc rôder du côté de la vieille Rousseau. Il aperçut la jeune fille qui cueillait des simples, au petit matin, non loin de chez sa grand-mère. Dès qu’il la vit, monsieur Leguin tomba éperdument amoureux.

Il prétexta un mal de dos pour se rendre chez Madeleine, et, c’est ainsi qu’il rencontra la jeune Eléonore.

Un peu plus tard, c’est une entorse à un pied qui l’emmena chez la rebouteuse. Et d’affections imaginaires en affections imaginaires, il se rendit de plus en plus souvent chez Madeleine.

Trois mois plus tard, Eléonore accepta de l’épouser.

Comme les parents de monsieur Leguin étaient décédés quelques semaines avant le mariage, le brave homme décida de reprendre leur ferme située dans un hameau perdu d’où la jolie Eléonore ne pourrait fuir. Aucun moyen de transport ne pourrait l’emmener à la ville.

Tout se passa pour le mieux pendant quelques mois jusqu’au jour où le pauvre homme s’aperçut que sa femme maigrissait et s’étiolait.

Il l’interrogea donc :

  • Qu’as-tu, ma pauvre petite ?
  • Je m’ennuie, Jérémie.
  • Tu t’ennuies ici ? Avec tout le travail qu’on a ?
  • Jour après jour, nous réalisons les mêmes tâches…
  • Mais que veux-tu faire d’autre ?
  • Je rêve de cinéma, de théâtre, de grands restaurants, de robes de soirée, de tout ce que je n’ai pas connu chez les sœurs du couvent. Jérémie, … je voudrais aller vivre en ville.
  • Mais ma parole, vous êtes toutes les mêmes !

Et il lui raconta l’histoire de ses autres femmes, toutes perdues dans le luxe et la luxure, dans la prostitution et la drogue.

  • Je ne suis pas comme ça, insista la jeune femme. J’irai en ville mais je résisterai à tout ça.
  • Pas question, tonna monsieur Seguin, et, dorénavant, tu resteras ici pendant que j’irai seul aux champs !

Ce qui fut dit fut fait. Dès le lendemain, monsieur Leguin bloqua les fenêtres avec des pointes d’acier et ferma toutes les portes à double tour, laissant sa femme seule dans le bâtiment bouclé.

Le pauvre homme avait juste oublié le vasistas du grenier. Fine comme une libellule, Eléonore put atteindre le toit par cette ouverture. Et, de toit en toit, la fuyarde arriva à sauter sur le sol. Elle marcha longtemps, la courageuse, avant d’atteindre la route qui reliait le village à la ville si tentante.

Un automobiliste voyant l’âme en peine sur le bord du chemin l’emmena dans sa belle Mercédès jusqu’à la ville la plus proche. Ah ! On peut dire que ça la changeait du tracteur de son mari, la belle fermière !

Le conducteur, la voyant perdue à l’entrée de la cité, lui proposa une visite guidée, un repas au restaurant et une soirée à l’opéra. Sans méfiance, l’oie blanche suivi le bellâtre.

Ce fut la fête toute la journée et une partie de la nuit. Le repas fut succulent, la robe qu’il lui acheta pour la soirée, soyeuse, au décolleté à faire damner un saint, était simplement merveilleuse. La nouvelle coupe de cheveux que l’homme lui avait proposé d’adopter lui allait à ravir, le léger maquillage qu’une esthéticienne lui avait appliqué sur le visage pour la première fois faisait ressortir ses yeux si lumineux. Bref, Cendrillon était transformée en princesse.

Mais, lorsque dans sa chambre d’hôtel que le bellâtre avait réservée, celui-ci lui proposa un petit joint afin de mieux profiter de la nuit, elle prit peur et voulut fuir. Cependant, la porte était bien fermée, la clef disparue dans la poche de l’homme, et là, point de fenêtre donnant sur les toits mais un vide vertigineux. Et, quand l’ignoble individu la jeta sur le lit avec brutalité, Eléonore pensa à son doux mari et à ses gestes tendres. Elle regretta un peu sa fuite et commença à se défendre, à le repousser, à le griffer. Mais, quand elle songea à la vieille ferme, au travail qui lui abimait les mains, elle laissa l’homme lui faire ce dont jamais elle n’aurait osé imaginer.

Le lendemain soir, elle se trouvait sur le trottoir, arpentant la rue d’un air affolé.

Quelques minutes plus tard, elle montait avec son premier client.

Philippe Desterbecq

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