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Le Ponton, une nouvelle signée Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

LE PONTON

 

Au bout du ponton, la liberté, au bout du ponton, la fin des souffrances, au bout du ponton, les retrouvailles…

 

Depuis plusieurs années, je suis seul au monde. Mes parents décédés, j'ai décidé de déménager au bord du lac.

 

J'en ai fait des parties de pêche avec des "amis". En général, ils venaient chez moi uniquement pour cela. Je ne les intéressais que par ce ponton situé au bout du jardin. Certains venaient en voiture, d'autres accostaient sans prévenir et quel que soit le temps, je devais faire bonne figure, abandonner tout pour la pêche.

 

Un jour, une belle tempête a détruit le ponton et comble de malheur, la municipalité a décidé de le reconstruire aux frais de la communauté… Il faut dire que le seul médecin des environs se rendait volontiers chez ses clients en utilisant un petit bateau et que c'était devenu un lieu d'accès facile pour lui.

 

Fichu médecin ! Il ne l'a jamais beaucoup utilisé ce ponton ! Par contre, les autres, les pique assiette, les pêcheurs du dimanche, sans parler des gosses qui durant tout l'été s'en donnaient à cœur joie, le lieu était plus fréquenté que l'église paroissiale !

 

Tout cela a duré des mois et des mois jusqu'au jour où j'ai rencontré Aude, une gentille fille de la ville. Très vite, elle s'est installée à la maison et les visites d'amis se sont espacées et leur nombre a fondu comme neige au soleil. La paix, j'avais la paix, une gentille compagne que j'aimais et la vie nous souriait ! Quelques mois après, Aude m'a annoncé qu'elle attendait un enfant. Le bonheur continuait à inonder la maison.

 

Aujourd'hui, Aude est tombée dans le lac. Elle m'attendait sur le ponton et a glissé sur les planches humides… J'ai retrouvé son corps près de ce ponton maudit…

 

Alors, j'ai sauté dans l'eau glaciale, je me suis agrippé à son corps déjà froid et j'ai attendu…

 

Louis Delville

Publié dans Nouvelle

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"Le stylo", un texte de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

LE STYLO

 

Des mots virevoltent autour de moi. Ils rôdent comme des prédateurs indécis, opportunistes. Parfois, je les déteste et je me dis que je devrais m'opposer à eux. Parfois, je les adore, ils m'amadouent avec leurs diphtongues ou leurs consonnes qui m'invitent à valser ou à danser le tango.

 

Du papier pelure, du carton, des bristols, des petits carnets aux couvertures fleuries, des livres de compte me font les yeux doux. Qu'ils patientent un peu ! Priorité aux mots !

 

Pas question d'être piégé par un ticket de caisse ou un sous-bock dans un café. Je résiste à ce qui me déplaît…J'en fais à ma tête ! J'envie parfois le clavier, ce grand monsieur aux dents noires ou grises marquées de signes blancs ou noirs. Il est l'objet d'effleurement, de caresses amoureuses et l'idiot ne paraît pas en prendre conscience. Enfin, il y en a qui cachent bien leur jeu. Moi, j'apprécie les doigts chauds et fins des jolies demoiselles, mais aussi à l'occasion la rugosité d'un index ou d'un pouce qui me donnent le meilleur d'eux-mêmes. J'adore que l'on me prenne parfois avec violence. Je ne suis plus alors que l'objet d'un désir irrésistible. Je n'ai d'autre choix que celui de me donner sans résister.

 

Avouons-le, je suis un peu masochiste, versatile, impulsif. Comme vous tous je suppose, j'ai mes défauts.

 

Mots courts comme les appels au secours lancés par des naufragés amoureux de la vie. Doigts roses, amicaux, tièdes. Lèvres qui m'accueillent pour un innocent mordillement ou pour une morsure passionnée. Papiers légers et lisses pareils à des insectes. Papiers robustes, entêtés. Comment pourrais-je ne pas vous aimer à la folie, vous qui m'avez choisi, chéri.

 

Mais comme dans tous les vieux couples, il y a entre nous d'étranges hauts et d'aussi étranges et inexplicables bas.

 

Micheline Boland

Publié dans Nouvelle

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"UNE CHÈVRE ET UN COCHON S'INSCRIVENT AU CHÔMAGE", un texte signé Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

UNE CHÈVRE ET UN COCHON S'INSCRIVENT AU CHÔMAGE

 

Il était une fois, Marinette une dompteuse à la retraite. Elle vivait dans une vieille fermette dont elle avait hérité de sa marraine. Les animaux qu'elle avait autrefois dressés l'avaient accompagnée dans son avant dernière demeure. Chacun sait que les intermittents du spectacle ne perçoivent qu'une bien maigre pension. Alors lorsque le toit de sa maisonnette dut être réparé, ce fut une catastrophe pour Marinette.

 

Marinette avait pour habitude de se confier à ses compagnons de misère deux vieux toutous, une chèvre et un cochon. Il lui semblait en effet que ceux-ci la comprenaient mieux que ses voisins et même que sa famille.

 

"Mes chéris, qu'allons-nous devenir ? Une seule bourrasque peut mettre en péril notre abri. Il me faudrait toucher au moins trois fois le montant de ma retraite actuelle pour envisager de faire réparer le toit et emprunter l'argent nécessaire à ce travail. Oh mes pauvres chéris quel hiver allons-nous donc passer ?"

 

Coco, le cochon, s'approcha d'elle, la fixa de son regard compatissant et doux. Marinette y lut les pensées de l'animal : "Et si Viviane et moi nous inscrivions au chômage ? Nous avons toujours été des employés modèles, nous avons une carrière complète, il me semble. Nous pourrions tenter le coup."

 

Viviane, la chèvre, avait sans doute lu aussi dans les pensées de Coco, car elle se mit à dodeliner de la tête. Marinette murmura : "Vous êtes peut-être mes sauveurs, mes chéris !" Tintin et Rob, les deux chiens, se regardèrent sans rien comprendre. Voilà que Marinette parlait seule à présent. Quelle pouvait être sa détresse pour en arriver là ? Tintin et Rob sautèrent sur les genoux de Marinette en agitant la queue et Marinette vit là un signe d'encouragement.

 

Marinette réfléchit une nuit, toute une nuit puis se mit à écrire deux attestations sur lesquelles elle précisait les états de service de Coco et Viviane. Puis le lendemain matin, elle prit avec eux la route de l'office royal de l'emploi. Elle rencontra un employé qui accepta sous le sceau du secret de valider les documents remis par Marinette. Il faut dire que Marinette avait bien défendu la cause de Coco et de Viviane.

 

C'est ainsi que Marinette put effectuer l'emprunt nécessaire au paiement de la réparation du toit, pourtant, n'ébruitez pas cette histoire de crainte de susciter d'autres demandes du même genre.et de voir l'équilibre budgétaire de notre royaume compromis à jamais. Imaginez ce qu'il adviendrait si tigres, lions, otaries, lapins,… faisaient la même démarche ! Tout cela est vrai de chez vrai. Tout est vrai parce que je l'ai inventé disait l'écrivain Borges.

 

 

 

Micheline Boland

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"L'étranger du square", une nouvelle signée Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

L'ÉTRANGER DU SQUARE

 

Le vieil homme s'est assis là, il semble somnoler et pourtant à chaque bruit, à chaque passage, il a observé, il a écouté.

Un chien est venu près de lui. Un de ces chiens sans race qui traîne ses puces dans les jardins publics à la recherche d'un peu de nourriture ou d'une hypothétique caresse.

L'homme a probablement tendu la main, le chien s'est approché prudemment puis est venu se frotter contre la jambe du vieil homme. Déjà, ils semblaient amis, la main s'était attardée sur la tête de l'animal.

Pendant de longs moments, ils sont restés ainsi, liés par cette caresse. Le chien s'est assis et a posé la tête sur les genoux de l'homme avant d'oser y mettre une patte puis deux.

Le contact s'est fait plus intime. Maintenant, le chien est couché sur le vieil homme. Ils semblent ne plus former qu'un seul et même personnage étrange à tête d'homme et à pattes de chien : Le symbole même de l'amitié et de la connivence...

Tout le monde n'a d'yeux que pour eux. Pourtant personne n'ose s'avancer plus près. Il y a bien deux ou trois touristes qui osent une photo mais en faisant attention à ne pas troubler leur doux repos.

Le guide s'éloigne à pas feutrés, le groupe suit.

"Et maintenant, Mesdames et Messieurs, après "le dresseur de chien" de Rodin, nous passons à la statue suivante, "Hercules et Apollon"…

Le lendemain, en repassant par ce jardin public rempli de statues, j'ai revu Héraclès, Apollon et bien d'autres. À la place du banc et de l'étrange couple de bronze représentant un guerrier grec et son compagnon à quatre pattes, il n'y avait qu'une pancarte : "Les chiens doivent être tenus en laisse".

 

Louis Delville

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EXTRAIT D'UN JOURNAL INTIME RETROUVÉ AU FOND D'UN GRENIER, un texte signé Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

EXTRAIT D'UN JOURNAL INTIME RETROUVÉ AU FOND D'UN GRENIER

 

Samedi, le 18 mai 1861

 

Il est près de six heures et je suis réveillée. J'écris ces quelques lignes à la hâte. Aujourd'hui est un grand jour, celui de mon mariage.

Charles m'a choisie parmi toutes les jeunes filles de bonne famille que ses Parents ont voulu qu'il rencontre avant de faire son choix.

Oh, béni soit le jour où je l'ai vu, jeune officier fringant dans ce bel uniforme. Il semblait savoir que tous les regards étaient tournés vers lui et pourtant il m'a longuement fixée en s'avançant vers Mère à qui il a demandé l'autorisation de m'inviter à valser.

Et nous avons valsé, valsé, j'en suis encore étourdie… À minuit, comme les jeunes filles sages, j'ai obéi à Mère qui voulait quitter la salle de bal. Nous sommes reparties dans le fiacre que Père avait envoyé nous chercher.

Cher journal, voilà plus de cinq ans que j'attends ce jour et j'ai peur ! Peur de le décevoir, peur que Charles ne me trouve pas digne de lui, peur aussi de cette nuit de noces dont Mère m'a parlé à demi-mots et en rougissant !

 

J'aime Charles plus que tout et bientôt, je serai sienne.

 

Ceci est la dernière page de ce journal intime. Plus rien n'est écrit après ces quelques lignes…

 

Louis Delville

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Micheline Boland nous propose une nouvelle inédite "Création du monde"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

CRÉATION DU MONDE

 

Au commencement, il n'y avait que l'obscurité. Dans ce noir absolu se déplaçait un œuf. L'œuf attendait son heure pour éclore et révéler les trésors de ce néant apparent.

 

Un jour, il y eut un son, un son tellement aigu que la coquille se brisa révélant un immense soleil intérieur. Des flots s'échappèrent presque aussitôt libérant un homme qui s'encourut à la découverte de l'immensité.

 

Au commencement, il y avait un astre puissant, à la clarté tellement forte que le caché devint apparent.

 

Du ciel bleu zébré de langues de brumes et de nuages gris, une voix libéra un message à l'attention de l'homme : "Va, conquiers avec sagesse les beautés offertes par la nature, apprends de tes échecs…" Mais l'homme courait. Il n'avait que faire des paroles d'un créateur demeuré trop longtemps silencieux. L'homme s'enfuyait. Il craignait que du soleil descendent des rayons capables de le capturer. Il jouissait de sa liberté première.

 

Au commencement, il y avait un homme, un homme solitaire déterminé à explorer. La voix reprit : "Réfléchis, prends ton temps, goûte au spectacle. Sens, profite." Mais l'homme n'avait que faire de mots.

 

Alors la voix s'écria : "Retourne-toi. Tu n'es pas seul."

 

L'homme continuait de détaler lorsqu'il s'aperçut que sa bouche était sèche. C'était une sensation désagréable comme un feu qui l'empêchait de respirer. Il eut alors le réflexe de faire quelques pas vers l'étendue d'eau et vit son reflet. L'homme se trouva beau. Sur le miroir des vagues, il s'estima plus beau et plus puissant que cet arrogant soleil qui lui parlait.

 

La soif s'imposa de nouveau à lui. Il se pencha, prit une gorgée d'eau entre ses paumes, il but et découvrit qu'il était nu et triste. Un murmure le tira de son étrange sentiment. "Prends-moi la main", disait le murmure. L'homme aperçut la main tendue et la saisit. Une femme sortit du calme de l'eau.

 

Dans la mémoire de l'homme, au commencement, il y eut cette rencontre. Bien vite, l'homme oublia tout ce qui l'avait précédée.

 

Micheline Boland

Publié dans Nouvelle

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Christian Eychloma nous propose une nouvelle "Contretemps"

Publié le par christine brunet /aloys

Contretemps


 

Frédéric, dit Frédo, entrouvrit les paupières pour les refermer aussitôt. Puis il renifla avec un haut-le-cœur un air qui puait le moisi. Il demeura quelques minutes hébété, la tête vide, avant de se rappeler brusquement où il se trouvait. Il ouvrit les yeux, en grand cette fois.

Le labo n’était que très faiblement éclairé par une rangée de veilleuses. Plutôt étonné, il se débarrassa de son cathéter et se redressa péniblement, soulevant un petit nuage de poussière en posant ses avant-bras sur les bords de son sarcophage. Quand donc les techniciens de l’équipe de suivi en avaient-ils fait coulisser le couvercle ? Et pourquoi n’y avait-il personne ici pour l’assister pendant sa phase de réveil ?

Il ressentit cruellement le froid sous son fin pyjama bleu. Il avait l’impression de s’être allongé dans cette foutue boîte il y avait à peine une heure ou deux, sous la lumière des néons. Après avoir dit adieu à tout le monde, et surtout à sa femme, en pleurs mais résignée. Après tout, il n’anticipait son départ pour « le grand voyage » que d’une semaine tout au plus, ce qu’elle n’ignorait pas. Les médecins ne les avaient laissés sur aucune illusion en leur annonçant son décès imminent.

Considérant l’état de l’art en matière médicale, il était condamné à très brève échéance. Irrémédiablement. L’état de l’art du début du vingt et unième siècle, s’entendait ! Car c’était sans compter avec les toutes récentes techniques d’hibernation, mises au point pour les futures missions spatiales de longue durée. Et, coup de chance, on cherchait justement un cobaye. Alors, autant tenter le coup…

Les toubibs lui avaient fait valoir que, puisqu’il allait mourir, il n’avait absolument rien à perdre à s’en remettre aux progrès de la science et à les laisser « geler » ses processus biologiques pendant qu’il vivait encore. Et dans un siècle ou deux, qui sait, on le réveillerait en lui annonçant la bonne nouvelle. Son mal ne serait plus incurable. Il aurait à nouveau devant lui trente, quarante, cinquante ans d’une existence en parfaite santé, peut-être plus !

Bon… tous ceux qui auraient fait partie de sa vie, ses amis, ses parents, ses enfants, son épouse, tous seraient morts depuis longtemps. Cette idée, plus une certaine appréhension de ce à quoi ressemblerait cette société future qui, peut-être, l’attendait, l’avait beaucoup dérangé. Mais valait-il mieux carrément choisir le néant ?

Et maintenant, où en était-il, au juste ? Dire que quelque chose était allé de travers lui apparut comme un doux euphémisme. De plus en plus inquiet, les jambes flageolantes, se guidant dans la pénombre sur le panneau lumineux indiquant la sortie, il s’approcha lentement du pupitre de contrôle dont les équipements bourdonnaient faiblement.

Fichtre… cela devait faire un bout de temps que le ménage n’avait pas été fait. Écartant machinalement de la main une toile d’araignée, il se pencha sur l’écran éteint de la console et remua ce qui ressemblait à un dispositif de pointage pour provoquer l’affichage d’un genre de tableur, s’étonnant un peu de retrouver un environnement technologique somme toute assez familier.

Clignant des yeux, il regarda de plus près ce qu’il finit par reconnaître comme un calendrier. Et là, il sentit son cœur faire un bond. Était-il juste en train de rêver ? Était-il vraiment en 2421 ? Mais si tel était le cas, depuis quand le bâtiment était-il abandonné ? Et pourquoi ? Et comment se faisait-il alors qu’il y eût encore une alimentation électrique, aussi réduite fût-elle ?

Les panneaux solaires, bien sûr. Ces fameux « nouveaux » panneaux à la durée de vie faramineuse et qui avaient apparemment assez bien tenu leur promesse. Mais au fait, considérant l’absence de tout technicien dans les parages, qui donc avait pris la décision de le réveiller, et pourquoi ? Il se souvint alors du dispositif de sécurité dont on lui avait parlé et qui était justement prévu pour provoquer sa sortie d’hibernation en cas de baisse de tension durable…

Il se redressa en se tenant le dos, sentant peu à peu ses anciennes douleurs refaire surface. Au moins n’avait-il plus rien senti pendant ces quelques heures, heu… ces quatre siècles de sommeil artificiel ! Il s’agissait maintenant de comprendre ce qui avait bien pu se passer, et pour ceci aller évidemment jeter un coup d’œil dehors…

Essayant d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler une ville du 25e siècle, il clopina vers la sortie du labo et tira aussi fort qu’il le pouvait sur la porte qui résista. Serrant les dents, il tira encore et encore, par petites secousses. Lorsque la porte consentit enfin à s’entrouvrir, il s’aperçut qu’elle était bloquée par des ronces. Grand Dieu… depuis combien de temps l’avait-on oublié là ? Après bien des efforts, il parvint à ouvrir suffisamment pour se faufiler à l’extérieur. Et la surprise le cloua sur place.

Une espèce de jungle - comment aurait-il pu appeler ça ? - lui barrait la route de tous côtés en lui masquant presque complètement la vue du ciel. De grands arbres et des lianes enchevêtrées, d’épais fourrés, et une dense végétation recouvrant par endroits le toit de l’édifice. Et des chants d’oiseaux. Beaucoup de chants d’oiseaux. Il sentit une boule se former dans son estomac.

Il essuya la sueur qui perlait à son front sous l’effet de la chaleur soudaine et se mit à réfléchir à toute vitesse. Il se souvenait évidemment de ce à quoi ressemblait ce coin comme s’il venait à peine de le quitter. Le complexe universitaire offrait une vue magnifique sur la ville que l’on pouvait apercevoir en contrebas, depuis un belvédère tout proche. C’était tout droit. C’était là qu’il devait aller s’il voulait avoir une première idée de ce qui avait bien pu arriver.

Il repéra sur sa droite un espace moins touffu qui pourrait peut-être lui permettre d’y accéder. Il se glissa avec peine entre les troncs, écartant au passage les branches qui lui griffaient le visage et chassant involontairement des tas de petits animaux qui fuyaient à toute vitesse à travers les fougères. Fourbu, les pieds ensanglantés, le pyjama déchiré, il parvint enfin au bord d’un ravin.

Paralysé de stupeur, il demeura longtemps hagard, contemplant sans y croire l’immense forêt s’étalant à une centaine de mètres en-dessous. Hormis quelques « protubérances » pouvant faire penser à ce qui resterait d’anciennes tours, rien, absolument rien, ne subsistait de ce qu’il venait de laisser au 21e siècle. La nature avait apparemment partout repris ses droits. Plus âme qui vive dans un paysage de commencement du monde. Plus âme humaine, en tout cas… Il se retourna brusquement en entendant un grognement sourd. Non, plusieurs grognements.

Des loups ? Des chiens, à mieux les regarder. De plus en plus nombreux. Toute une « meute », en fait. De gros chiens plus que menaçants, babines retroussées sur de puissants crocs. Une espèce visiblement redevenue sauvage et ayant de toute évidence, depuis belle lurette, oublié son attitude servile et sa crainte de l’homme. Des fauves s’apprêtant tout simplement à le dévorer.

Il était sans arme, malade, exténué, aussi dépourvu de défense qu’un nouveau-né. Avec un rire d’autodérision, il fit face au vide et sauta.

Il lui sembla que la chute durait longtemps, longtemps, avant un choc terrible et une douleur fulgurante. Puis… plus rien.

Frédo venait de se rendormir. Pour l’éternité.

 

 

Publié dans Textes, Nouvelle

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"J'ai peur de vos sourires moqueurs…", une nouvelle signée Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

J'ai peur de vos sourires moqueurs…


 

J'ai peur de vous raconter cette histoire… On va encore dire que je l'ai inventée et pourtant c'est la vérité !

Il y a quelques années, lorsque j'étais petit, j'ai rencontré des Martiens! Vous voyez, vous commencez déjà à sourire. J'en ai marre de ces gens qui ne me croient pas !

L'après-midi du 24 décembre 1900 et quelques, je regardais par la fenêtre pendant que ma mère faisait des bouquettes. Eh voilà, on sourit encore, on ne connaît pas un mot typiquement liégeois et on rit bêtement !

La bouquette est un genre de crêpe à la farine de sarrasin agrémentée de raisins de Corinthe macérés dans le genièvre. Il neigeait doucement et la maison embaumait. On avait fait les courses la semaine précédente et le cuissot de sanglier attendait sagement au réfrigérateur. Maman avait trouvé une recette de sanglier au chocolat à préparer pour le réveillon. Encore ces sourires moqueurs ! Oui, ça existe une recette de sanglier au chocolat !

Depuis la veille, la viande marinait… Le foie gras était déjà coupé en belles tranches et Papa avait ouvert une bouteille de ce vin fabriqué à base de grains de raisins pourris. Je vois que vous vous marrez mais il existe vraiment, ce vin, le Sauternes ! Attendez d'en avoir goûté avant de critiquer !

Je crois que je vais m'arrêter de vous raconter cette histoire, j'avais bien raison d'avoir peur de la commencer. Vous ne croyez pas des choses vraies, alors comment voulez-vous croire à mon histoire de Martiens ?


 


 

Louis Delville

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"Elle et lui", une nouvelle signée Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

Elle et lui


 

Quand il parle de Catherine, il dit qu'elle est partie. Il ne prononce jamais les mots décédée ou morte. Deux ans après sa disparition accidentelle, cela lui fait tellement mal, qu'il préfère tricher. Il prolonge la présence de Catherine par des moyens tout simples et ordinaires. C'est la seule stratégie qui atténue un peu sa souffrance.

Chaque jour, il se parfume avec "Soleil bleu", son eau de toilette. Chaque jour, il porte un des foulards qu'elle aimait pour aller se coucher. Chaque jour, il cuisine les petits plats qu'elle appréciait le plus. Il fixe ses choix en fonction des goûts de Catherine. C'est elle qui dirige toujours sa vie.

Après son travail, quand la météo est plus ou moins clémente, il va sur la Grand-Place, s'assied à la terrasse du "Bar des amis", commande un vin blanc sec qu'il se propose de boire lentement et aussi un café serré parce que Catherine adorait les cafés serrés. Il refuse de changer des habitudes solidement ancrées.

Il reste longtemps là, il ferme les yeux, il prend dans sa poche un mouchoir blanc brodé de roses pourpres légèrement parfumé. Il a l'impression que Catherine est là près de lui, tellement proche. Il ne veut rien brusquer. Il attend qu'elle prenne les devants et dise quelque chose.

D'une élégance sobre, il porte invariablement, un costume bleu foncé ou gris, une chemise blanche ou beige et une cravate rouge unie. Catherine aimait qu'il s'habille ainsi. Il ignore les autres clients. Il ignore les badauds.

Il sent qu'elle est près de lui. Il perçoit son odeur. Il entend le bruit qu'elle fait en tournant sa cuillère dans la tasse. Il l'entend respirer. Derrière ses paupières closes, un grand sourire se dessine sur le visage de Catherine. Comme toujours elle a mis son rouge à lèvres vermillon. Elle porte la petite robe blanche à fleurs multicolores qu'elle aimait tant et la courte veste assortie. Elle est à ses côtés, elle a sa main droite posée sur son bras. Séductrice comme aux premiers jours, elle chantonne "la vie en rose". Il reste immobile, admiratif.

Leurs âmes se rejoignent ainsi comme chaque fois qu'elle chante. La force de Catherine passe en lui. Il a tous ses sens en éveil. Il n'est plus que frissons. Il a vingt-cinq ans l'âge auquel ils se sont rencontrés dans ce bar. C'est là qu'il vit à présent les moments les plus magiques de sa vie.

Chaque fois c'est un événement différent qui l'amène à regagner son appartement. L'autre jour il a entendu : "Désolé, Isabelle je dois te quitter, j'ai une course à faire pour maman. On se revoit demain ?". Le samedi précédent, c'était : "Jacques, il est temps de rentrer chez nous." Il a ouvert les yeux, c'était une femme âgée et très maquillée qui parlait ainsi à son mari. Il s'est alors décidé à prendre lui aussi la route du retour.

En cas de pluie ou de vent, il est déjà allé s'asseoir à l'intérieur du bar. Mais il est terriblement déçu car la magie n'opère pas. Il a beau sortir de sa poche le mouchoir blanc brodé de roses pourpres, il a beau fermer les yeux et avoir commandé vin blanc sec et café serré, rien d'extraordinaire ne se passe. Ce ne sont qu'effluves de café, de bière et de chocolat. Ce ne sont que présences bruyantes et banales.

Il s'est assis un samedi en terrasse alors que le temps était ensoleillé. Il a suffi d'une averse soudaine pour que tout bascule et que la présence de Catherine ne soit plus perceptible.

Certains jours sont, semble-t-il, maudits : il n'y a pas de place libre en terrasse. Il fait alors de nombreux allers-retours entre le parc communal et le bar sans qu'aucune table ne se libère. Le destin lui refuse l'enchantement auquel il aspire.

Heureusement, soir après soir, rentré chez lui, dans la salle de bains il retrouve le parfum de Catherine. Le plus souvent, quand il se regarde dans le miroir après s'être brossé les dents, il aperçoit de légères traces de rouge à lèvres vermillon sur sa joue. Avant de se mettre au lit, il tente de les effacer. En vain.

Cette après-midi-là, assis à la terrasse du "Bar des amis", il boit petite gorgée par petite gorgée son verre de vin blanc. Trois heures sonnent. Il lève la tête. Il la voit s'avancer. Elle marche nonchalamment. Elle s'assied près de lui, elle boit le café serré. Elle dit:"Fais-moi confiance. Nous nous retrouverons." Rêve ou illusion, il ne pourrait le dire !

Le soir même, allongé sur son lit, il y a comme un faible rayon de lumière venant de la fenêtre. Il se relève pour rapprocher les deux pans de la tenture. C'est ainsi qu'il l'aperçoit sur le trottoir de l'immeuble d'en face. Elle lui fait signe de la main et traverse la rue.

Un peu plus tard, alors qu'il est de nouveau étendu sur son lit, il entend des glissements de pas. Il s'imagine que ce bruit provient du studio voisin. L'immeuble n'est-il pas mal insonorisé et Monsieur Jonnart n'a-t-il pas lui aussi l'habitude de laisser la fenêtre un peu entrouverte ? Il s'assoupit. Il est tout à coup réveillé par une bouffée d'air frais. Il se redresse. Catherine est face à lui, immobile, entre les deux panneaux du rideau. Elle le regarde, le dévisage. Il n'entend pas un son mais les idées affleurent en lui comme si elle venait de les lui souffler. Des idées qui ne sont pas ses idées à lui mais ses idées à elle. Elle lui conseille de faire ce qu'ils envisageaient de faire ensemble, de continuer à écrire leur histoire, de s'installer dans le quartier du parc, de visiter Venise, de reprendre les cours de tango.

Les pensées se multiplient, elles le guident, le ramènent vers un chemin paisible. Elles viennent du passé, elles envahissent son présent. Il comprend qu'il n'est pas qu'un être de chair, qu'il n'y a pas que des paroles audibles qui l'interpellent, que les silences ne sont qu'apparents car ils portent des messages venus de l'au-delà. Le temps s'écoule, il s'endort. Sa réalité de dormeur oscille ainsi entre conscience et illusion, vie et rêve.

De nouveaux jours commencent pour lui. Catherine est dans sa mémoire, mais elle surtout à ses côtés le soir dans l'étroite ouverture laissée entre les tentures de sa chambre. Là dans la pénombre, il prend conscience qu'il n'a plus vraiment besoin de recourir à son parfum, ni de déguster invariablement les petits plats qu'elle appréciait le plus.

Au cabinet d'assurance où il travaille. C'est par touche légère que l'on évoque parfois Catherine. À quoi bon berner ses collègues en taisant sa peine ? D'ailleurs ses collègues ne penseraient-ils pas qu'il est devenu fou s'il faisait abstraction de leurs propos ? Maladroitement, il ose donc prononcer les mots décès et deuil. Il se parfume moins souvent d'une touche de "Soleil bleu". Il fréquente de temps à autre, moins régulièrement qu'autrefois, la terrasse du "Bar des amis". Quand il s'y rend, il commande cependant toujours un vin blanc sec et un café serré.

Il attend le rendez-vous du soir sans réelle impatience parce qu'il fait confiance à Catherine. Il y a un ange chez lui. C'est un ange bienveillant qu'il retrouve à l'heure du coucher, qui reprend ses marques dans un lieu où ils ont vécu ensemble, qui lui insuffle des forces et des pensées neuves, qui ne le juge pas, qui allège sa souffrance, qui lui dit et redit qu'il faut saisir les opportunités offertes ici et maintenant. Cet ange et lui ne reviendront jamais en arrière, mais continuent d'avancer. Chaque soir le miracle survient. Elle glisse discrètement, se faufile derrière la draperie. Elle fait surgir des mots, elle souffle des idées. Elle ne s'efface que lorsqu'il s'assoupit.

Il lui arrive d'évoquer quelquefois ce qui s'est passé des années plus tôt, l'horrible accident qui l'avait séparé de son grand amour.

Un matin d'été en entrant au cabinet d'assurance, il la voit dans la salle d'attente. Elle est plus petite que Catherine mais elle a le même sourire, les mêmes cheveux bouclés. Il devine que c'est la nouvelle intérimaire dont on avait annoncé la prochaine entrée en fonction à la dernière réunion. Il marche vers elle pour se présenter. Il lit sur son visage une sorte de surprise.

Elle lui dit : "Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés lors d'une formation… Je m'appelle Catherine-Marie." "Oui, je m'en souviens…", répond-il. Il ne lui avoue pas que le souvenir ne lui venu qu'au bout d'un bon moment.

En ce début d'automne, depuis quelques semaines, il leur arrive de se fondre parmi les clients à la terrasse du "Bar des amis". Pour lui, ce sera un café serré et pour elle un vin blanc sec.


 

Micheline Boland

 

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"Hôtel continental", une nouvelle signée Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

Hôtel continental


 

Hôtel continental. 120 chambres au centre-ville, à deux pas de la cathédrale, du théâtre des variétés, de l'hôtel de ville, de brasseries sympa, pas loin du parc.

Café-restaurant de l'hôtel Continental. Des murs jaune soleil, des chaises en cuir noir, des tables en bois rustique. Une fresque colorée derrière le bar.

Salle de séminaire de l'hôtel Continental. Des murs jaune doré. Des meubles de rangement bruns, des tables et des chaises brunes, faciles à déplacer. Un éclairage doux.

Mathieu 38 ans quitte la salle de séminaire. La formation à la communication gagnant-gagnant est terminée. Elle lui a laissé des idées plein la tête, l'a confirmé dans ses certitudes. Il en est convaincu : il maîtrise de mieux en mieux les rapports avec les fournisseurs, la clientèle, les collaborateurs. La vie lui sourit. Il va prendre une bière légère avant de remettre de l'ordre dans ses notes puis d'aller à la recherche d'un restaurant. Demain, de bonne heure, il reprendra l'avion vers Paris.

Bénédicte, 27 ans, boit un café dans le bar de l'hôtel. Elle aussi vient de suivre cette même formation. Elle fourmille de doutes. A-t-elle vocation de manipuler les autres ? Veut-elle de la vie qui se profile pour elle ?

Mathieu entre dans la taverne, il se dirige vers Bénédicte :

"Je peux m'installer près de toi ?

- Pas de souci.

- Alors contente de ces deux jours ?

- Bof !

-Bof ?

- Oui bof ! S'accorder aux autres pour les emmener sur notre territoire, c'est manipuler. Comment dire ça autrement ? Je viens d'entrer dans le monde du travail. J'ai papillonné un peu avant d'être engagée chez ALMW et je me demande si je ne serais pas davantage à ma place dans l'enseignement ou dans le culturel. Mes parents me le conseillaient, mais je n'aime pas suivre les idées des autres. On m'a trop guidée quand j'étais gosse et j'ai trop laissé faire."

Bénédicte s'épanche. C'est la première fois qu'elle se vide ainsi de ses préoccupations. Mathieu adopte les mêmes postures qu'elle.

"La fourchette d'argent", bistrot gourmand à une centaine de mètre de l'hôtel Continental. Des murs peints en blanc, de grandes toiles abstraites dans les tons rouges, des chaises garnies de rouge. Des spots à la lumière chaude.

Bénédicte et Mathieu sont assis face à face. Bénédicte parle. Mathieu l'écoute. Elle lui paraît fragile, si fragile. Mathieu scout toujours prêt, marié depuis quatorze ans avec Vanessa, une fille rencontrée sur les bancs du lycée, père de jumeaux de 12 ans. Bénédicte, femme enfant, irresponsable, indécise. Mathieu pressent qu'elle peut devenir sa BA du jour. Auteur d'un verre de Beaujolais village, d'un thé, d'un café, devant un steak tartare ou un petit gâteau, Mathieu est toujours prêt. Ses études l'ont conduit des sciences économiques vers la psychologie et le management. Bénédicte critique, remet en question l'attitude de ses parents, ses profs, son directeur, ses collègues, son amoureux, mais pas son propre comportement. Elle a l'impression d'être incomprise, bafouée. Mathieu écoute, écoute encore. Il reformule. Bénédicte pleure. Mathieu accueille ce mal-être. Il s'y connaît pour consoler, booster, aider à trouver sa route, recadrer tout en douceur.

Quand ils ont rejoint l'hôtel Continental, Bénédicte quitte Mathieu en lui adressant un sourire. Elle dit adieu.

Le lendemain chambre 225 de l'hôtel Continental, la femme de ménage découvre le corps de Bénédicte inerte sur le lit. Il n'y a plus rien à faire pour la sauver. Elle a avalé une boîte entière de barbiturique.

Le lendemain, place D4 de l'avion Genève-Paris. Cabine beige, sièges garnis de velours vert. Mathieu tente de consoler son voisin du décès de son père. Il l'a entendu sangloter, il a juste demandé : "Je peux vous aider ?" et l'homme qui semble avoir dépassé la cinquantaine lui a expliqué que son père est décédé, qu'il rentre à Paris pour assister aux funérailles. L'homme s'est épanché. Il a dit les malentendus, l'éloignement, les problèmes d'argent, les disputes pour des broutilles.

Il est ainsi Mathieu, il s'intéresse aux gens. Scout toujours prêt. Parfois il se rend utile, parfois il rate le coche et l'ignore. L'ignorance peut avoir du bon…


 


 


 

Micheline Boland

Publié dans Nouvelle

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