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Carine-Laure Desguin : "une affaire peut en cacher une autre..."

Publié le par christine brunet /aloys

desguin

 

                                               Une affaire peut en cacher une autre…

 

Avec une queue de renard qui pendouillait sur un long manteau en astrakan, un sac griffé de je-ne –sais-quelle-marque-requine et des chaussures en écailles de peau de croco, la mémé qui se pointait ce matin-là devant moi ne représentait ni le quinze août ni la société de protection des petites bêtes…Déjà que mon horoscope, en ce début d’année, ne prévoyait rien de bien joli pour le poisson ascendant lion que j’étais…

Mon cerveau a commencé à flotter car la brave dame puait la bourgeoisie malsaine, celle qui s’est assise sur la sueur de pauvres gens et qui engouffre maintenant les mains dans l’eau des bénitiers, histoire de rendre plus propre toutes les tuyauteries d’une fausse bonne conscience.

Ses traits remplis d’un fond de teint épais dissimulaient très mal un caractère tordu. Je sais de quoi je parle. J’en ai vu défiler sur cette chaise, des nanas qui m’allongeaient une liasse de billets pour que je passe des soirées à filer leur cher époux…Et, une fois mon enquête entamée, je m’apercevais naïvement que l’époux en question était l’amant de la dame…

Mais la perverse assise devant moi cachait encore quelque chose de plus abject. Dès la première minute, j’ai sniffé du gros calibre…

 Asseyez-vous, je vous en prie, lui dis-je avec mon p’tit côté moqueur… Vous avez un air surpris…Oui, je sais, toute cette paperasserie étalée sur mon bureau…ça effraie les gens bien ordonnés…A moins que ce ne soit la couleur de mes cheveux qui éclairent vos yeux d’une telle perplexité ? continuai-je en bon français…

- Non, ce n’est pas ça, me répond-elle sans hésiter, en me fixant si droit dans les orbites que pour un peu je me serais sentie éclaboussée par toute cette peinture qui maquillait ses vieilles paupières.

Je secouai la tête en haussant les épaules, ce qui voulait dire que vraiment, je ne comprenais pas ce qui la rendait tellement étonnée. En vérité, je le savais. C’est pareil à chaque fois …Déjà que mes cheveux rouge brique jamais trop bien coiffés et le butterfly sur le dos de ma main droite provoquaient de la suffocation chez les honnêtes gens …

- C’est que, voyez-vous, madame…ou mademoiselle, je ne sais pas au juste…Je pensais en lisant le nom inscrit à côté de la fonction détective privé, là sur la plaque à côté du numéro de votre immeuble que…

- Que Sam Paternoster, c’était un type d’une bonne quarantaine d’année, avec un trench couleur taupe et un abdomen épais, genre Robert Mitchum alias Philip Marlowe dans Adieu ma jolie

- Oui, lâcha-t-elle, en se tortillant d’un air énervé en accrochant par mégarde une de ses breloques en diam à la boucle dorée de son sac…

- Et bien désolée mais Sam, c’est le diminutif de Samantha, tout simplement m’dame ! rétorquai-je en m’empressant d’allumer une clope, tout ça pour me donner une contenance devant ce gros sac de nœuds.

Ses yeux globuleux balayaient d’un regard suspect tout l’intérieur de ma cage. Je la suspectais de ne pas aimer l’art urbain : c’est vrai que les tags de toutes les couleurs lancés sur les murs de mon appart par mon pote Tom en ont déjà déboussolé plus d’un…

- Madame Dutilleul, puis-je vous demander ce qui vous amène à recourir au travail d’un détective privé …Ou avez-vous changé d’avis, peut-être ? lui demandai-je sur le ton pressé de celle qui n’a pas que ça à faire car d’autres clients attendent ses services.

En silence, la bourgeoise évalua rapido la situation, en cherchant dans mes petits gestes saccadés  et mon regard de braise …la réponse à ma question.

- Et bien, dit-elle d’une voix toute radoucie, presque mielleuse, il s’agit de mon grand garçon, Edouard Dutilleul…

- Il lui est arrivé quelque chose ? continuai-je sur le même ton …

- Oui et non…C’est que justement, je ne voudrais pas qu’il lui arrivasse des soucis…de nos jours savez-vous …

- Venons-en aux faits, madame Dutilleul, lui dis-je en jetant un œil sur les derniers mails qui venaient de se pointer sur le pc…

 -  Je soupçonne Edouard d’avoir une liaison et …

 -  Il est marié ? lui demandai-je en lui coupant la parole…exprès car je savais que les femmes de son genre détestent être interrompues !

- Edouard, marié ! Vous n’y pensez pas ! Aucune femme ne rentrera chez moi sans mon consentement! Vous entendez, aucune ! C’est moi et personne d’autre qui choisirai la mère de mes futurs petits-enfants ! Ils seront les héritiers d’un patrimoine lourd de plusieurs dizaines de millions ! Je veux évaluer moi-même la prochaine madame Dutilleul !

Je n’en croyais ni mes yeux ni mes oreilles ! On aurait dit que tout d’une fois une mygale venait de piquer le cul de cette bourgeoise prétentieuse ; excusez-moi du pléonasme…

Après avoir soufflé quelques volutes dans les airs, pour décompresser un peu, je pris un raccourci car des situations pareilles, je les comptais par dizaines.

Et donc, je parie que vous soupçonnez Edouard Dutilleul de sortir avec une nana …Et tout ça sans le dire à sa maaaaaman, n’est-ce pas ?

- C’est ça, soupira-t-elle, toute soulagée…en s’empressant d’ajouter que mon prix serait le sien et qu’elle savait me verser les arrhes requis ….

La vieille semblait connaître la musique…Je n’étais sans doute pas son premier détective privé…C’est sûr qu’à chaque fois que le petit Edouard rentrait plus tard ou ne rentrait pas du tout, sa maaaman engageait un quidam pour une filature resserrée.

- Voici des photos de mon Edouard…Regardez, quelle prestance il a dans son Armani ! gémit-elle, ce qui se traduisait par et dire que le pauvre petit se fait bouffer tout cru par une salope que je ne connais pas …Et ceci est une liste des endroits qu’il fréquente…Je vous suggère Le Métropole, place de Brouckère …Le siège administratif de notre société est à deux pas de là, boulevard Anspach et d’ailleurs je…

- Bien, bien, lui dis-je pour la rassurer, tout en prenant bien soin de lui couper la parole une seconde fois, juste pour éprouver son système nerveux au tout grand maximum.

 

Le lendemain, vers midi, bien campée sur la terrasse chauffée du Métropole – nous étions le 15 janvier quand même -, je simulais de glander…Les grooms s’affairaient à accueillir une délégation d’hommes politiques africains, c’était marrant à voir ; un peu comme si l’esclavage s’était trompé de côté ! Mes cheveux rouge brique tout ébouriffés et mon butterfly sur le dos de ma main droite attiraient l’attention des clients huppés de cet hôtel chic de la capitale…Pas discret me dira-t-on pour un privé mais je ne troquerais pour rien au monde mon look punkie contre un deux pièces à la noix qui me donnerait une allure guindée, aux antipodes de ce que je suis.

Je commençais à siroter un whisky coca quand un gars aux allures de dandy, engoncé dans un costume Armani, frôla mon bras droit…

Edouaaaaard Dutilleul ! Je ne pouvais pas me tromper ! Un beau grand type aux lèvres encore pleines de lait maternel ! C’était bien lui ! Seul…

J’attendis quelques minutes et puis, direction water closet…En passant dans la grande salle, que vis-je, juste en- dessous de ces magnifiques ornements art déco, là, dans un coin pas très bien éclairé ?

Edouaaard Dutilleul….bien accolé à un p’tit gars bien propre sur lui, vernis sur les ongles et rimmel sur les cils ! Pour un peu j’oubliais de me rendre aux water closet ! Question petits-enfants de l’empire Dutilleul, c’était mal barré…

Quelques minutes plus tard, j’étais de nouveau sur la terrasse et là, clic clac clic clac, en me tortillant comme un ver de terre, je réussis à prendre quelques photos de nos mignons tourtereaux…Ces deux –là semblaient ne pas s’ennuyer …

-  Dites-moi, ne serait-ce pas ce slameur bien connu… dont j’ai oublié le nom, assis là, à côté du beau garçon au costume Armani, tout au fond de la salle ?

- Oh non répond le garçon bien amusé ! Monsieur Dutilleul est avec son ami, Etienne Belliard, le styliste de la rue Antoine Dansaert !

Voilà comment on tire les vers du nez d’un pauvre garçon de salle …

Et bien, quand madaaaame Dutilleul aura le bec sur ces photos…Son petit garçon caressant la main d’un styliste, ça va grincer …

Brave cœur comme je suis, je convoquai dès le lendemain notre merde- poule

Je jubilais en imaginant la tronche de cette vieille rombière….Et bien là, grave erreur, c’est moi qui fut étonnée…Ses gros doigts asphyxiés par des bagues aux pierres rutilantes prirent les photos froidement. Pas la moindre sueur n’a perlé. Aucun état d’âme. Rien !

La Dutilleul me regarda d’un air de dire j’aurais encore mieux aimé que mon fils se tape une fille comme vous…

Elle allongea une liasse de billets, prit les photos et s’éclipsa comme un courant d’air, comme si une foule de choses à exécuter l’attendaient…Du jamais vu !

Cette nana ne m’inspirait rien de bon. Dès le départ, j’avais sniffé du malsain qui transpirait de ses pores. Mais rien de bien précis, ce jour-là, ne se rappela à ma mémoire.

Mon pressentiment se confirma quelques jours plus tard ….

Dans le journal, mes yeux s’arrêtèrent net sur cet article :

« Le styliste très prometteur de la rue Antoine Dansaert, Etienne Belliard, ne nous fera plus rêver…Le corps poignardé du jeune créateur fut retrouvé hier, dans son atelier de couture, baignant dans une mare de sang … »

Dutilleul, Dutilleul…ce nom me revînt à la mémoire …De l’hémoglobine, un homo….Oui, oui ! Bordel de bordel ! Une affaire vieille de cinq ans, à l’époque, je potassais toutes les affaires criminelles de la capitale…Mais oui, bien sûr !

Un coiffeur de la rue Neuve, retrouvé mort lui aussi …On n’a jamais retrouvé le criminel mais le nom d’Edouard Dutilleul avait été cité dans la presse…

Ce jour-là, je venais de boucler deux affaires à la fois !

Grâce à la perspicacité – excusez-moi du peu - de Sam Paternoster, une jeune privée aux cheveux rouge brique et à l’allure punkie, madame Dutilleul, reine mère d’un empire léger comme un château de cartes, eut tout le temps nécessaire pour astiquer toutes ses breloques, seule, dans une geôle de la capitale…

 

Carine-Laure Desguin

http://carinelauredesguin.over-blog.com

 


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Une autre fiche auteur, celle d'Hayate Naïla pour "De la mer à l'Océan"

Publié le par christine brunet /aloys

Hayate-fiche-auteur.jpg

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Jean-Claude Texier : un second extrait de L'Elitiste

Publié le par christine brunet /aloys

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L’ÉLITISTE

                           Jean-Claude Texier

 

Un extrait de circonstances électorales

 

Roméo de Rivera, proviseur du lycée Edith Cavell dans une banlieue bourgeoise de la région parisienne, staliniste farouche et dirigeant tyrannique, devenu socialiste par opportunisme, est fortement impliqué dans la campagne présidentielle de 2007.

 

Suite...

 

 

 

 

(...) Enfin, profitant d’une accalmie, il posa la question qui lui brûlait les lèvres :

« Dites-moi, Mademoiselle… ? 

— Edwige, et vous ? 

— Roméo. 

— C’est très romantique. Un joli prénom. 

— Merci. J’aimerais connaître votre avis, on parle beaucoup en ce moment du clivage droite gauche et certains trouvent que ces orientations sont dépassées. Pour vous, qui êtes jeune, que signifie être socialiste ? Beaucoup de gens jugent aujourd’hui qu’il n’y a plus de différence entre la gauche et la droite. Qu’en pensez-vous ? 

— Oh si, il y a une grande différence, même si l’on prétend le contraire. »

Elle était soudain devenue très sérieuse, comme si ce sujet lui tenait à cœur. 

Elle réfléchit un instant.

« Le socialisme prend la nation comme un tout, collectivement, commença-t-elle d’un geste charmant évoquant un globe. Il ne fait pas de différences sociales. Être socialiste, c’est croire en l’égalité de tous les hommes, quels que soient leur origine ethnique, leur religion, leur engagement politique, leur niveau social. Pour un socialiste, le mot le plus important, c’est le peuple, celui qui contient toute la sagesse accumulée par les générations. L’idéal socialiste, c’est le bonheur de tous, du plus humble au plus élevé, et comme il repose sur l’égalité, il implique le partage des richesses, leur redistribution équitable sur l’ensemble de la nation. Il y a tout cela dans le programme de Ségolène. Sa démocratie participative va puiser aux sources populaires du pays pour s’en inspirer. Elle s’intéresse aux exclus, aux handicapés, à l’égalité salariale de l’homme et de la femme, à la promotion sociale de la femme, à l’insertion des jeunes dans la société, à la lutte contre le racisme et la discrimination. Dans l’État socialiste, tous les hommes sont égaux, donc solidaires, et l’intérêt général l’emporte sur les profits privés. L’économie de marché doit être contrôlée par l’État pour assurer la justice sociale.   

Il y a aussi l’idée que l’homme peut échouer, que l’échec n’est pas une damnation. On aide le perdant à se relever. La pauvreté est une conséquence de l’inégalité, du gaspillage, de l’appropriation des richesses par quelques-uns, des abus de pouvoir, de l’injustice. Davantage de justice sociale doit amener les plus démunis à sortir de la pauvreté. C’est l’ordre juste de Ségolène : faire en sorte que chacun ait de quoi vivre                      décemment. »

Roméo l’approuva.

« Et maintenant, être de droite, qu’est-ce que c’est, selon vous ? »

Elle se concentra un instant.

« La droite voit la société sous l’angle de l’individu. Elle prêche des valeurs que ne renie pas nécessairement la gauche, mais leur donne une importance primordiale : le travail, l’ambition, la famille, la patrie. Économiquement, elle prêche le libéralisme, qui laisse jouer la concurrence commerciale, et la compétition des individus, qui doit faire réussir les meilleurs. Il y a donc dans l’idéologie de droite un culte de l’élite… »

Roméo tiqua malgré lui à ce mot.

Elle n’y prit garde et s’enflamma, le verbe haut.

« ... avec pour corollaire un mépris de l’exclu, de celui qui échoue, qui se révolte, du délinquant des banlieues assimilé à une racaille, une tendance à l’autoritarisme, une glorification de l’ordre brutalement instauré, de la répression de la criminalité par l’augmentation des peines, un darwinisme social qui prétend que dans la lutte pour survivre, c’est le plus apte qui gagne, tandis que les moins aptes sont naturellement éliminés. C’est comme l’opinion de Sarkozy sur les pédophiles victimes de leur héritage génétique. Ce sont d’incurables ratés de la nature. On n’y peut rien. L’échec est donc la sanction d’une incapacité, et la réussite la récompense du labeur et de la valeur de l’individu.

Donc, la droite défend l’entrepreneur, moteur de l’économie. C’est l’entreprise qui crée les richesses, et c’est par sa croissance qu’un pays progresse économiquement en fournissant emplois et pouvoir d’achat pour tous. Elle croit au mérite individuel, voit dans l’argent une récompense du travail et des talents, et non une injustice. Le train de vie de Vincent Bolloré, 451e fortune du monde, est un scandale pour la gauche, un exemple de l’appropriation des richesses par les privilégiés. Mais selon la droite, Vincent Bolloré est un exemple de compétence, de valeur, de travail, d’efficacité et de prise de risques, dont la réussite contribue au rayonnement économique d’un pays.

Pour la droite, les 35 heures sont une aberration, car le travail n’est pas un gâteau que l’on découpe en parts équitables pour chacun. Selon Sarkozy, elles coûtent sept milliards par an au pays, sans parler des secteurs où elles sont inapplicables, comme les hôpitaux. Le plein emploi est l’œuvre des entrepreneurs qui font tourner la machine économique à plein régime, et dont il faut faciliter les projets. En particulier ne pas les faire fuir à l’étranger par un impôt sur la fortune trop élevé. 

— Bravo pour cette analyse, apprécia Roméo. Mais le clivage gauche droite, est-il si tranché que cela ? 

— Oh, pas toujours. Ainsi, quand Ségolène veut réconcilier les Français avec l’entreprise, quand elle prétend aider les entreprises innovantes qui réussissent, elle préconise une politique de droite. Car où trouver de l’argent ailleurs que dans l’économie ? Prendre l’argent des riches est une hérésie. 

— Vous êtes donc de droite, puisque vous prêchez le libéralisme économique » fit-il d’un air taquin.

Elle sourit en balançant la tête.    

« Ni de droite, ni absolument de gauche, puisque je ne suis pas encore décidée à prendre ma carte du PS. Il y a plus d’égoïsme, de dureté, d’exigence à droite, mais aussi parfois plus de pragmatisme ; il y a plus de générosité, de tolérance, d’ouverture et d’humanité à gauche, en particulier en matière d’immigration et d’environnement, avec parfois un manque de réalisme. Mais je crois que cette division droite gauche n’est pas une vision saine des choses, qu’il faut se situer au-dessus, c’est pourquoi je penche vers Ségolène qui n’a pas une position                      antipatronale comme la gauche traditionnelle. Je partage son idéal d’une réconciliation des Français avec l’entreprise. 

— Qu’est-ce que vous entendez par réconciliation avec l’entreprise ? 

— Je veux dire, un individu peut très bien avoir de l’ambition, s’améliorer pour devenir excellent dans son travail, et un autre être un patron équitable payant convenablement son employé pour le travail qu’il fournit. Être patron implique une capacité à diriger, à assumer des responsabilités, mais aussi un sens de l’équité et de la justice dans le paiement de ses employés. Il ne peut verser le même salaire à tous, car certains sont plus qualifiés que d’autres. Mais il s’interdit d’exploiter quelqu’un parce qu’il est faible ou peu qualifié, ou de discriminer lors de l’embauche selon des critères raciaux, politiques, religieux ou autres, ou encore de pratiquer le harcèlement moral pour se débarrasser de quelqu’un sans lui payer des indemnités de licenciement, ou le harcèlement sexuel qui prend l’autre comme objet, ou toute autre forme de domination dégradante. Il ne manipule pas ses employés pour obtenir d’eux plus qu’ils ne peuvent donner, il respecte leurs horaires de travail, tient compte de leurs revendications, maintient le dialogue avec eux, et les rémunèrent décemment, chacun selon son mérite. Cette vision n’est pas chimérique, elle fait rejoindre la droite et la gauche dans la même communauté d’intérêts. »

Roméo était devenu blême. Il fixait la jeune étudiante comme un serpent, figé dans un moment de fascination où le reptile brise la volonté de sa victime, et avant de la détruire, la réduit à l’impuissance, en fait une chose molle, malléable, soumise, comme un subalterne. Mais indifférente à son masque glacé, elle lui offrait son regard clair, accompagné d’un demi-sourire, cherchant à deviner ses pensées, et, ravie de son effet, attendait patiemment une approbation. Comme le silence s’éternisait, une gêne sourde apparut dans ses yeux, une vague inquiétude de lui avoir déplu. Alors, conciliante, elle lui demanda doucement, comme à un enfant boudeur :

« Vous n’êtes pas vexé au moins ? »

Il parut sortir d’un monde intérieur et reprendre conscience du lieu et de l’heure.

« Non, dit-il faiblement, j’étais seulement… stupéfait de vous entendre parler… comme Ségolène. » 

Elle éclata de rire, d’un rire cristallin qui le réjouit. Autour d’eux, les clients se levaient et se dirigeaient vers le siège du parti où s’annonçait l’imminence des résultats. Ils suivirent la cohue et allèrent sur le trottoir opposé, devant l’immense écran, parmi la foule qui ponctuait les images d’applaudissements, de sifflements ou de huées selon le bord politique des personnages. Les vagues de drapeaux blanc et rouge du Mouvement des jeunes socialistes s’agitèrent lorsque commença le compte à rebours, vers les 2O heures fatidiques. Il cria avec eux, joignit sa voix tonnante à l’ample clameur de la jeunesse :

« six, cinq, quatre… »

Des balcons et des chambres sous les toits, où les vitres renvoyaient les derniers éclats du soleil en cette douce soirée printanière, des journalistes filmaient l’évènement.

Il retint son souffle.

 

Copyrights Editions Chloé des Lys 2012

 Jean-Claude Texier

 

elitiste

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Ode, un poème de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

 

ODE

 

 

Je l'aime par le soleil,

La pluie et la rosée.

Par le nuage, je le chante

Et par le vent aussi.

Je l'aime par le silence

Et le murmure des branches.

Je l'aime par la bise

Et la bruine,

Par la fleur et l'oiseau.

Par le printemps coule mon amour

Et par l'automne aussi.

Et la joie qui me saoule

Est la caresse promise

Aussi bien que l'azur de ses yeux.

 

 

 

Micheline Boland

Son site : http://homeusers.brutele.be/bolandecrits/
Son blog : http://micheline-ecrit.blogspot.com/

 

http://www.bandbsa.be/contes2/nouvellepeaurecto.jpg

Publié dans Poésie

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Début et fin, un texte de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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DÉBUT ET FIN

Votre texte commencera par :

Sa voix était distante. Elle ne lui répondait qu'à demi mot.

Et se terminera par :

Cette journée de printemps était plutôt fraîche. La place du marché était noire de monde.

 

Sa voix était distante. Elle ne lui répondait qu'à demi mot. Pourtant d'habitude, elle n'arrêtait pas, une véritable mitraillette. Il faut dire que ce qu'il lui avait dit, l'avait laissée sur le cul, comme on dit !

 

Apprendre que l'on est enceinte de triplés, même le jour de la Saint-Nicolas et même si la nouvelle vous est annoncée par un spécialiste sérieux, n'est pas chose facile.

 

- Des triplés, vous… vous êtes sûr, Docteur ?

 

- Oui, il n'y a aucun doute. Rassurez-vous, vous aurez de l'aide et en plus, les allocations…

 

- Les allocations… une misère…

 

- Une aide familiale à plein temps et puis, la fierté de vous promener avec vos trois enfants…

 

- Et mon mari ? Que va-t-il dire ? Il est enfant unique…

 

- Nous nous revoyons dans deux mois ?

 

Le médecin avait abrégé la consultation ne sachant plus quoi répondre. Et les mois avaient passé… sans gros problème. Elle prenait de l'embonpoint, se promenait fièrement, parlant à toutes et à tous pour expliquer sa situation. Elle et son mari assumeraient et les trois enfants seraient accueillis avec amour.

 

La délivrance arrivait. Le 1er mai, elle rentrait à la maternité et mettait au monde trois garçons. Dehors, devant la maternité, le cortège passait avec ses slogans, ses harangues. Aux premiers rangs, on  apercevait quelques hommes politiques portant fièrement leur écharpe tricolore et un brin de muguet à la boutonnière. Cette journée de printemps était plutôt fraîche. La place du marché était noire de monde.

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

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L'auteur n'est autre qu'Adam Gray

Publié le par christine brunet /aloys

 

PHOTO pour 4me de COUVERTURE (ADAM GRAY)

 

 

Le tableau de Bouguereau

 

 

– M. Smith, expliquez-moi… Comment pourrais-je vous aider si vous-même vous ne m’aidez pas un minimum ? regretta le lieutenant Brunette, s’efforçant de cacher qu’elle commençait à perdre patience. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Qu’un tableau de Bouguereau… Un « tableau », M. Smith, a tué toutes ces personnes. Le croiriez-vous, M. Smith, si quelqu’un, tout recouvert de sang, venait vous raconter cela ?

– Écoutez, lieutenant, je sais très bien à quoi vous pensez. Mais, croyez-moi, je n’ai ni fumé, ni pris de drogues hallucinogènes. Je n’en prends pas, moi, de ces merdes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je ne vous ai dit que la vérité, jura le suspect. Il y a quelque chose de diabolique qui se balade là-bas. Et je n’en reviens pas d’avoir pu ressortir en un seul morceau de cet enfer, pour parler franc !

– Quelque chose de diabolique… répéta Brunette. Je vois…

– Ça veut dire quoi, ça, je vois ? demanda Smith, passablement énervé.

Faisant claquer les ongles longs de sa main gauche sur la table en alu, et soutenant, de la droite, son visage pensif, le lieutenant Brunette dévisageait l’homme qui était assis en face d’elle, cherchant la moindre faille dans son attitude susceptible de le trahir. Mais Smith, pas une seule fois, ne baissa les yeux. Ni ne déglutit. Absolument rien, dans son comportement, n’indiquait qu’il se sentait coupable.

– Si j’étais le meurtrier, vous croyez que je serais venu jusqu’à vous, lieutenant ? Je serais, hum, je sais pas, moi…

Il réfléchit.

– Parti à Cancún ! Ils partent toujours au Mexique, dans les séries policières, quand ils ont les fédéraux au cul !

– N’essayez surtout pas d’être drôle ! M. Smith, le réprimanda Brunette.

– Oh ! Mais je n’essayais pas d’être drôle. Je suis juste… fatigué. Et qu’est-c’qu’ils fabriquent, à la fin, vos soi-disant experts ?

– Leur travail, comme moi. Et vous énerver ne fera que vous desservir, M. Smith… Mon problème… Le seul survivant du massacre me raconte une histoire à la Stephen King, se présente les vêtements tout maculés de sang, et accuse… une peinture. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions, non ?

Smith détourna le regard, mais parce qu’il était las. Il regrettait de tout son cœur et de toute son âme d’avoir quitté sa Pennsylvanie natale pour New York. Depuis qu’il s’était installé dans la Grande Pomme, il ne lui était arrivé que des tuiles : sa fiancée qui s’était tirée le jour de leur mariage avec son meilleur pote, son taré de frère, à l’hygiène plutôt… douteuse, qui squattait chez lui, et son malheureux clebs qui, s’étant mis à la poursuite d’un raton laveur dans tout Central Park, s’était fait… hum… défoncer par un skateboard.

– En attendant les résultats de comparaison de vos empreintes digitales avec celles retrouvées sur le corps des victimes, vous allez tout m’expliquer de nouveau, exigea le lieutenant. Depuis le début.

– Putain… Encore !?!

– Oui, encore.

– Mais cela fait déjà trois fois, nom de Dieu !

– Eh bien ! Cela fera quatre. Qu’est-c’qu’il y a, M. Smith ? Vous êtes attendu quelque part ? Vous avez oublié quelque chose sur le feu ?

– Vous faites chier, les poulets, marmotta-t-il. Vous le savez, ça ? Vous faites vraiment chier…

– Allez-y, ordonna Brunette avec un demi-sourire aux lèvres.

On eût presque dit qu’elle était… « satisfaite » de martyriser son interlocuteur.

– O.K. capitula ce dernier. Si encore cela servait à quelque chose !

 

Manhattan, Metropolitan Museum of Art, un peu plus tôt dans l’après-midi.

 

Ma fiancée, mon ex, me parlait fréquemment d’un peintre français, William Bouguereau – elle était accro à un point que ça dépassait l’entendement. Justement, il y avait une exposition exceptionnelle de ses œuvres au Metropolitan. Je me suis alors dit : « Pourquoi ne pas aller y faire un tour, Peter ? » Et j’y suis allé… Il était seize heures, je crois… À peu près.

Vous savez, moi, je ne suis pas vraiment amateur de peinture, mais je voulais voir par moi-même ce qui la fascinait tant chez ce type. Elle avait bon goût, c’est indéniable. Les tableaux étaient assez magnifiques : des femmes et des enfants, principalement, dans une atmosphère… Comment dit-on, déjà ? Je l’ai sur le bout de la langue, merde… Bucolique ! Et puis, il y avait des peintures sacrées, et d’autres se rapportant à la mythologie grecque.

Une, en particulier. Plutôt flippante.

Le guide nous expliqua que cette toile avait été réalisée en 1850 et leur avait été prêtée par un grand musée parisien. Bien sûr, je n’ai pas retenu le nom dudit musée.

Cette peinture, intitulée Dante et Virgile en Enfer, représentait deux hommes entièrement nus en train de se battre jusqu’à la mort devant des « religieux », m’a-t-il semblé, et ces religieux semblaient choqués par le spectacle décadent qu’ils offraient : l’un mordant dans la gorge de l’autre. Exactement comme un vampire. Une créature monstrueuse aux ailes de chauve-souris semblait plutôt apprécier la scène, elle.

Je ne saurais dire pourquoi, mais nous étions tous comme hypnotisés par ce tableau. Les yeux scotchés sur lui.

Et c’est là que l’horreur a commencé…

De longs tentacules gluants ont jailli des peintures, se saisissant, peu à peu, de toutes les personnes alors présentes. Tout le monde courait dans tous les sens, comme des fourmis tentant d’échapper à la langue mortelle d’un tamanoir, se bousculant et se piétinant à qui mieux mieux.

L’être humain sait très vite redevenir un animal, vous savez…

Évidemment, vous savez, vous êtes flic.

J’ai vu un homme se saisir de son épouse pour la jeter en pâture à l’une de ces langues qui voulait les choper… Juste avant, ils s’embrassaient avec passion. Le cri de cette pauvre femme résonne encore dans ma tête… Son cri à lui, aussi, parce que quatre secondes après !

C’était horrible…

Par quel miracle j’ai réussi à zigzaguer entre ces tentacules rétractiles, je ne sais pas… Mais ce que je sais, lieutenant – ce que je peux vous raconter, encore une fois –, c’est ce que j’ai vu…

Les peintures n’étaient plus des peintures, non… C’était des gueules. Grandes ouvertes et puantes. À l’intérieur des tableaux ! Grâce à leur langue gluante, elles amenaient leurs proies, terrorisées, jusqu’à leurs mâchoires pour les… dévorer ! Imaginez-vous cela ? Être dévoré vivant. Broyé, avalé, digéré…

Les plus « chanceux » ont peut-être succombé à un arrêt cardiaque avant d’être réduits en purée d’os et de tripailles – je l’espère pour eux.

Et comme j’ai été heureux de ne pas être papa, si vous saviez ! Aurais-je été capable de protéger mon enfant, dans ce cauchemar ? Ou aurais-je agi comme une grosse merde pour sauver ma peau ?

Des cris, un peu comme ceux des tyrannosaures dans les Jurassic Park, vous savez… remontaient des tableaux repus.

Les lumières vacillaient.

Je courais comme un dératé, priant le ciel qu’un monstre ne surgît pas pour me bouffer les couilles. J’étais recouvert de sang… Le sang de tous ces gens réduits en bouillie.

Finalement, je réussis à sortir du Metropolitan.

 

– Et la suite, vous la connaissez, lieutenant. Mais vous ne me croyez toujours pas… Je peux le lire dans vos yeux… Vous me prenez pour un serial killer, n’est-ce pas ?

– Encore une fois, qu’imagineriez-vous, vous, M. Smith ? lui demanda Brunette. Mettez-vous un peu à ma place !

À ce moment-là, le détective Townsend entrebâilla la porte de la salle d’interrogatoire. D’un signe de tête, il invita le lieutenant à le rejoindre dans le couloir.

– Alors, Townsend, les empreintes, qu’est-c’que ça donne ? voulut-elle immédiatement savoir.

– Eh bien… Quand nous sommes revenus, Kitsch, McGowan et moi du musée…

– Townsend, allez à l’essentiel, s’il vous plaît.

– Comme vous voulez : Smith n’est pas l’assassin.

– Vous en êtes sûr ? s’écria-t-elle presque.

– Kitsch et McGowan ont vérifié trois fois. Ce ne sont pas les empreintes de Smith. D’ailleurs, et là je cite uniquement Kitsch, lieutenant : « Ce ne sont pas les empreintes d’un homme ».

– Une femme ?

– Euh… non plus… hésita Townsend.

Les mains posées sur les hanches, Brunette se mit à marcher de long en large dans le couloir, essayant de comprendre l’incompréhensible. Même s’il n’avait tué personne, Smith racontait n’importe quoi. Il ne pouvait en être autrement…

– Mais qu’avez-vous vu, là-bas, Kitsch, McGowan et vous ? demanda-t-elle au détective.

– Une boucherie… Vous n’avez pas regardé votre cellulaire ? McGowan vous a fait parvenir les photos en pièces jointes.

– Pour être honnête, je n’ai pas pu aller au-delà de la première… et puis, j’interrogeais Smith.

– Hum… fit Townsend. Il y avait du sang et des morceaux un peu partout sur les sols, sur les murs, sur les plafonds… Une vraie boucherie, insista-t-il.

– Vous avez vu les tableaux ?

– Oui. Les tableaux étaient à leur place. R.A.S. de ce côté-là.

– Bon… Nous n’avons plus qu’à libérer M. Smith, je crois… Merci, Townsend.

Le détective opina du chef et retourna s’enfermer dans son bureau, une porte plus loin. Quant à Brunette, elle rejoignit Smith dans la salle d’interrogatoire, où, le nez collé sur la table, les mains croisées derrière la tête, il désespérait.

– Smith ? fit le lieutenant.

L’homme, aussitôt, releva la tête.

– Vous et moi, nous allons faire un petit tour, dit-elle.

– Un petit tour ? C’est bien réglementaire, comme procédure ? s’inquiéta-t-il. Et un petit tour « où » ?

– Au Metropolitan.

– Quoi ? Vous êtes folle si vous pensez que je vais remettre les pieds dans ce manoir de l’enfer !

– Les empreintes n’ont rien donné. Si vous voulez m’aider à comprendre, venez avec moi. S’il vous plaît.

– Une minute… Les empreintes n’ont rien donné, vous dites ? Je suis donc libre de rentrer chez moi ?

– Oui. Vous pouvez partir, M. Smith. Mais je vous demande de bien vouloir m’aider. Vous êtes la seule personne à avoir vu… ce qui s’est passé là-bas.

– Parce que vous me croyez, maintenant ? Non, je regrette. Ce n’est pas mon aide que vous demandez… Vous me demandez de rejouerThelma & Louise avec vous ! Et la fin, on la connaît ! Lieutenant ! Ces deux connes se sont suicidées pour ne pas se faire prendre !

– Je suis armée, vous risquez quoi ?

Smith ouvrit grand les yeux.

– Vous avez écouté mon histoire ? Non, désolé… Vous êtes bien mignonne mais je tiens à ma peau, moi ! J’ai vu l’enfer, là-bas ! Je suis couvert de sang, je pue, et tout ce que je veux, c’est prendre un bon bain, me mettre au lit, et espérer oublier tout ça un jour.

– Très bien ! s’écria Brunette en désignant la porte. Allez-y ! Et j’espère que vous pourrez toujours vous regarder dans une glace, demain !

Le séduisant lieutenant de police fut très déçu de voir l’homme s’en aller. Il ne se retourna même pas, avec ce soupçon de remords dans les yeux… qu’elle espérait ardemment.

Brunette resta là, seule, pour réfléchir un moment. Elle sortit dans le couloir et alla frapper à la porte du bureau du détective Townsend, le priant de dire au capitaine Roberts, si jamais ce dernier la cherchait, qu’elle était partie interroger un indic. Townsend fit oui avec la tête et ne posa aucune question.

Après quoi le lieutenant alla chercher sa voiture. Elle s’installa, attacha sa ceinture, et juste au moment où elle allait tourner la clé de contact, on cogna contre la vitre, côté passager. Elle sursauta. C’était Smith. Se demandant, finalement, si elle n’allait pas le regretter, elle déverrouilla la porte et le laissa monter.

– Vous avez changé d’avis ? demanda-t-elle.

– J’ai réfléchi et… ça ne se fait pas de laisser une jolie fille telle que vous partir se jeter, comme ça, dans la gueule du loup, lieutenant.

– Sérieusement ? Les hommes en sont toujours là ? Protéger la « faible femme » ? Mais j’apprécie, admit-elle volontiers tout en ajustant son rétroviseur.

– Il n’y a pas de quoi, répondit-il. On va peut-être crever, lieutenant. Sûrement, même…

– Christine, dit-elle.

– Pardon ?

– Vous pouvez m’appeler Christine. Après tout, au stade où nous en sommes !

– O.K. À la condition que vous m’appeliez Peter, Christine.

Elle démarra et prit la direction du Metropolitan. Smith esquissa un sourire – son tout premier sourire depuis fort longtemps, en réalité.

Comme ils gardaient le silence, Christine alluma son autoradio. Passait, à ce moment-là, sur les ondes, la chanson Ghostbusters.

– Ils se foutent de notre gueule, là ? dit Peter avec un air mi-contrarié, mi-constipé sur le visage.

Christine émit un petit rire.

– Et vous, vous trouvez ça drôle ? Vraiment !?! Et qui c’est qu’on appelle ? S.O.S. Fantômes…

– Désolée…

Et elle pouffa de rire, se justifiant en affirmant que c’était les nerfs. Et c’était le cas, bel et bien. Lui aussi, finalement, se mit à rire. Mais quand ils arrivèrent à proximité du musée, l’envie de « galéjer » disparut aussitôt. Tout le périmètre, autour, était plongé dans le noir le plus absolu, et, du Metropolitan, il s’élevait un brouhaha épouvantable.

Christine ralentit.

– Vous avez un lance-roquettes, dans votre coffre, Christine ? demanda Smith avec le plus grand sérieux.

– J’ai bien peur que non, répondit-elle en essayant de contacter le détective Townsend, tout d’abord, puis le capitaine Roberts.

– Les fréquences sont brouillées, hein ? murmura Smith.

Le lieutenant Brunette se contenta d’un : « Hum » pour toute réponse. Elle gara son auto juste devant le musée.

– Sigourney Weaver, elle, elle aurait sûrement un lance-flammes, s’efforça-t-il de plaisanter, même si le cœur n’y était pas.

Mais alors, pas du tout…

– Mais nous ne sommes pas à bord du Nostromo, répondit Christine.

Ils sortirent du véhicule prudemment, observèrent un instant les alentours. Puis, lentement, ils montèrent les marches du Metropolitan.

Les portes étaient ouvertes.

Quand ils pénétrèrent à l’intérieur, passant sous les cordons de sécurité, le silence se fit… jusqu’à la scène de crime.

– Mais quelle horreur… dit Christine en sortant un mouchoir en papier pour se boucher les narines.

Comme le lui avait dit Townsend, il y avait des morceaux de corps un peu partout, macérant, qui plus est, dans de la bave… et accompagnés d’une odeur pestilentielle… Le lieutenant de police en avait déjà vu, ça oui ! Mais là ! Elle ne put s’empêcher de vomir.

– Ça va aller, lieutenant ? s’inquiéta Peter.

– Oui, merci. Je vous ai dit de m’appeler Christine.

Elle sortit son semi-automatique de son holster. Ils avancèrent, regardant à droite… regardant à gauche…

– Pas les tentacules, priait Peter. Pas les tentacules. Là-bas ! s’écria-t-il soudain. C’est le tableau ! Dante et Virgile en Enfer

– Flippant, confirma-t-elle.

Christine fronça les sourcils. Peter fit de même. Ils avaient remarqué quelque chose de bizarre : la surface du tableau semblait se mouvoir, onduler, déformant, ainsi, les visages et les muscles épais des personnages représentés sur la toile.

« Mon Dieu » murmura Peter alors qu’une aile de chauve-souris, donnant un relief 3D à l’œuvre de Bouguereau, réussit à percer la surface… Puis, la deuxième aile… Puis, la créature tout entière ! Libérée de sa prison de peinture, elle fonça sur le lieutenant, qui se mit à faire feu. Peter se jeta sur elle pour la pousser à terre. Ils se retournèrent – la chose revenait déjà, poussant des cris stridents.

– Je vais détourner son attention ! cria Peter. Il me vient une idée… Tenez ! Prenez mon briquet et courez mettre le feu à cette putain de toile à la con !

– Mais qu’allez-vous faire, vous ? lui demanda-t-elle, fébrile, s’emparant de l’objet.

La créature était presque sur eux…

– Courez ! hurla-t-il en poussant le lieutenant.

La bête agrippa Peter par les épaules, le souleva et l’entraîna avec elle.

Christine courut jusqu’au tableau. Les toiles, de part et d’autre de la pièce, s’animaient sous ses yeux. Des hommes et des femmes poussaient ces linceuls de peinture qui les retenaient prisonniers en enfer. Elle comprit, ou, du moins, elle le supposa, qu’il s’agissait des visiteurs happés quelques heures plus tôt.

Les tentacules jaillirent, faisant gicler des litres de sang partout ! Et la chauve-souris géante, maintenant Smith au bout de ses pattes postérieures et griffues, volait dans toute la salle. Christine actionna la molette du briquet… La créature, alors, fondit sur le policier intrépide, qui jeta l’objet sur le tableau, rapidement en flammes. La chauve-souris fut stoppée en plein vol et lâcha sa proie. Peter atterrit sur Christine. Lourdement.

– Est-c’que vous allez bien ? lui demanda-t-il.

– Je crois, oui, bredouilla-t-elle.

Ils se redressèrent, tant bien que mal. Tout autour, les tentacules flambaient. Au-dessus, la créature était agonisante. Sa chair empuantie et ses os retombaient sur le sol.

Et tandis que les tentacules s’évaporaient les uns après les autres, les âmes des victimes du massacre du Metropolitan, enfin libres, disparurent en traversant le plafond. Le lieutenant Brunette et Peter eurent du mal à en croire leurs yeux. Et pourtant !

– Nous sommes en vie, s’étonna Christine.

– On dirait, dit Peter. Sérieux, vous assurez grave. Pour un flic…

La jeune femme sourit, commençant à trouver un charme fou à cet homme qu’elle prenait, un peu plus tôt, pour un dangereux psychopathe.

– Vous aussi, M. Smith. Vous aussi, répondit-elle.

Il la prit par l’épaule.

 

 

Cette nouvelle est extraite de Contes épouvantables & Fables fantastiques, recueil en cours d’écriture.

 

Adam Gray

adam-gray.skyrock.com/

 

adam2 001

 

Publié dans auteur mystère

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Qui a écrit cette nouvelle selon vous ???

Publié le par christine brunet /aloys

 

 point d'interrogation

 

Le tableau de Bouguereau

 

 

– M. Smith, expliquez-moi… Comment pourrais-je vous aider si vous-même vous ne m’aidez pas un minimum ? regretta le lieutenant Brunette, s’efforçant de cacher qu’elle commençait à perdre patience. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Qu’un tableau de Bouguereau… Un « tableau », M. Smith, a tué toutes ces personnes. Le croiriez-vous, M. Smith, si quelqu’un, tout recouvert de sang, venait vous raconter cela ?

– Écoutez, lieutenant, je sais très bien à quoi vous pensez. Mais, croyez-moi, je n’ai ni fumé, ni pris de drogues hallucinogènes. Je n’en prends pas, moi, de ces merdes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je ne vous ai dit que la vérité, jura le suspect. Il y a quelque chose de diabolique qui se balade là-bas. Et je n’en reviens pas d’avoir pu ressortir en un seul morceau de cet enfer, pour parler franc !

– Quelque chose de diabolique… répéta Brunette. Je vois…

– Ça veut dire quoi, ça, je vois ? demanda Smith, passablement énervé.

Faisant claquer les ongles longs de sa main gauche sur la table en alu, et soutenant, de la droite, son visage pensif, le lieutenant Brunette dévisageait l’homme qui était assis en face d’elle, cherchant la moindre faille dans son attitude susceptible de le trahir. Mais Smith, pas une seule fois, ne baissa les yeux. Ni ne déglutit. Absolument rien, dans son comportement, n’indiquait qu’il se sentait coupable.

– Si j’étais le meurtrier, vous croyez que je serais venu jusqu’à vous, lieutenant ? Je serais, hum, je sais pas, moi…

Il réfléchit.

– Parti à Cancún ! Ils partent toujours au Mexique, dans les séries policières, quand ils ont les fédéraux au cul !

– N’essayez surtout pas d’être drôle ! M. Smith, le réprimanda Brunette.

– Oh ! Mais je n’essayais pas d’être drôle. Je suis juste… fatigué. Et qu’est-c’qu’ils fabriquent, à la fin, vos soi-disant experts ?

– Leur travail, comme moi. Et vous énerver ne fera que vous desservir, M. Smith… Mon problème… Le seul survivant du massacre me raconte une histoire à la Stephen King, se présente les vêtements tout maculés de sang, et accuse… une peinture. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions, non ?

Smith détourna le regard, mais parce qu’il était las. Il regrettait de tout son cœur et de toute son âme d’avoir quitté sa Pennsylvanie natale pour New York. Depuis qu’il s’était installé dans la Grande Pomme, il ne lui était arrivé que des tuiles : sa fiancée qui s’était tirée le jour de leur mariage avec son meilleur pote, son taré de frère, à l’hygiène plutôt… douteuse, qui squattait chez lui, et son malheureux clebs qui, s’étant mis à la poursuite d’un raton laveur dans tout Central Park, s’était fait… hum… défoncer par un skateboard.

– En attendant les résultats de comparaison de vos empreintes digitales avec celles retrouvées sur le corps des victimes, vous allez tout m’expliquer de nouveau, exigea le lieutenant. Depuis le début.

– Putain… Encore !?!

– Oui, encore.

– Mais cela fait déjà trois fois, nom de Dieu !

– Eh bien ! Cela fera quatre. Qu’est-c’qu’il y a, M. Smith ? Vous êtes attendu quelque part ? Vous avez oublié quelque chose sur le feu ?

– Vous faites chier, les poulets, marmotta-t-il. Vous le savez, ça ? Vous faites vraiment chier…

– Allez-y, ordonna Brunette avec un demi-sourire aux lèvres.

On eût presque dit qu’elle était… « satisfaite » de martyriser son interlocuteur.

– O.K. capitula ce dernier. Si encore cela servait à quelque chose !

 

Manhattan, Metropolitan Museum of Art, un peu plus tôt dans l’après-midi.

 

Ma fiancée, mon ex, me parlait fréquemment d’un peintre français, William Bouguereau – elle était accro à un point que ça dépassait l’entendement. Justement, il y avait une exposition exceptionnelle de ses œuvres au Metropolitan. Je me suis alors dit : « Pourquoi ne pas aller y faire un tour, Peter ? » Et j’y suis allé… Il était seize heures, je crois… À peu près.

Vous savez, moi, je ne suis pas vraiment amateur de peinture, mais je voulais voir par moi-même ce qui la fascinait tant chez ce type. Elle avait bon goût, c’est indéniable. Les tableaux étaient assez magnifiques : des femmes et des enfants, principalement, dans une atmosphère… Comment dit-on, déjà ? Je l’ai sur le bout de la langue, merde… Bucolique ! Et puis, il y avait des peintures sacrées, et d’autres se rapportant à la mythologie grecque.

Une, en particulier. Plutôt flippante.

Le guide nous expliqua que cette toile avait été réalisée en 1850 et leur avait été prêtée par un grand musée parisien. Bien sûr, je n’ai pas retenu le nom dudit musée.

Cette peinture, intitulée Dante et Virgile en Enfer, représentait deux hommes entièrement nus en train de se battre jusqu’à la mort devant des « religieux », m’a-t-il semblé, et ces religieux semblaient choqués par le spectacle décadent qu’ils offraient : l’un mordant dans la gorge de l’autre. Exactement comme un vampire. Une créature monstrueuse aux ailes de chauve-souris semblait plutôt apprécier la scène, elle.

Je ne saurais dire pourquoi, mais nous étions tous comme hypnotisés par ce tableau. Les yeux scotchés sur lui.

Et c’est là que l’horreur a commencé…

De longs tentacules gluants ont jailli des peintures, se saisissant, peu à peu, de toutes les personnes alors présentes. Tout le monde courait dans tous les sens, comme des fourmis tentant d’échapper à la langue mortelle d’un tamanoir, se bousculant et se piétinant à qui mieux mieux.

L’être humain sait très vite redevenir un animal, vous savez…

Évidemment, vous savez, vous êtes flic.

J’ai vu un homme se saisir de son épouse pour la jeter en pâture à l’une de ces langues qui voulait les choper… Juste avant, ils s’embrassaient avec passion. Le cri de cette pauvre femme résonne encore dans ma tête… Son cri à lui, aussi, parce que quatre secondes après !

C’était horrible…

Par quel miracle j’ai réussi à zigzaguer entre ces tentacules rétractiles, je ne sais pas… Mais ce que je sais, lieutenant – ce que je peux vous raconter, encore une fois –, c’est ce que j’ai vu…

Les peintures n’étaient plus des peintures, non… C’était des gueules. Grandes ouvertes et puantes. À l’intérieur des tableaux ! Grâce à leur langue gluante, elles amenaient leurs proies, terrorisées, jusqu’à leurs mâchoires pour les… dévorer ! Imaginez-vous cela ? Être dévoré vivant. Broyé, avalé, digéré…

Les plus « chanceux » ont peut-être succombé à un arrêt cardiaque avant d’être réduits en purée d’os et de tripailles – je l’espère pour eux.

Et comme j’ai été heureux de ne pas être papa, si vous saviez ! Aurais-je été capable de protéger mon enfant, dans ce cauchemar ? Ou aurais-je agi comme une grosse merde pour sauver ma peau ?

Des cris, un peu comme ceux des tyrannosaures dans les Jurassic Park, vous savez… remontaient des tableaux repus.

Les lumières vacillaient.

Je courais comme un dératé, priant le ciel qu’un monstre ne surgît pas pour me bouffer les couilles. J’étais recouvert de sang… Le sang de tous ces gens réduits en bouillie.

Finalement, je réussis à sortir du Metropolitan.

 

– Et la suite, vous la connaissez, lieutenant. Mais vous ne me croyez toujours pas… Je peux le lire dans vos yeux… Vous me prenez pour un serial killer, n’est-ce pas ?

– Encore une fois, qu’imagineriez-vous, vous, M. Smith ? lui demanda Brunette. Mettez-vous un peu à ma place !

À ce moment-là, le détective Townsend entrebâilla la porte de la salle d’interrogatoire. D’un signe de tête, il invita le lieutenant à le rejoindre dans le couloir.

– Alors, Townsend, les empreintes, qu’est-c’que ça donne ? voulut-elle immédiatement savoir.

– Eh bien… Quand nous sommes revenus, Kitsch, McGowan et moi du musée…

– Townsend, allez à l’essentiel, s’il vous plaît.

– Comme vous voulez : Smith n’est pas l’assassin.

– Vous en êtes sûr ? s’écria-t-elle presque.

– Kitsch et McGowan ont vérifié trois fois. Ce ne sont pas les empreintes de Smith. D’ailleurs, et là je cite uniquement Kitsch, lieutenant : « Ce ne sont pas les empreintes d’un homme ».

– Une femme ?

– Euh… non plus… hésita Townsend.

Les mains posées sur les hanches, Brunette se mit à marcher de long en large dans le couloir, essayant de comprendre l’incompréhensible. Même s’il n’avait tué personne, Smith racontait n’importe quoi. Il ne pouvait en être autrement…

– Mais qu’avez-vous vu, là-bas, Kitsch, McGowan et vous ? demanda-t-elle au détective.

– Une boucherie… Vous n’avez pas regardé votre cellulaire ? McGowan vous a fait parvenir les photos en pièces jointes.

– Pour être honnête, je n’ai pas pu aller au-delà de la première… et puis, j’interrogeais Smith.

– Hum… fit Townsend. Il y avait du sang et des morceaux un peu partout sur les sols, sur les murs, sur les plafonds… Une vraie boucherie, insista-t-il.

– Vous avez vu les tableaux ?

– Oui. Les tableaux étaient à leur place. R.A.S. de ce côté-là.

– Bon… Nous n’avons plus qu’à libérer M. Smith, je crois… Merci, Townsend.

Le détective opina du chef et retourna s’enfermer dans son bureau, une porte plus loin. Quant à Brunette, elle rejoignit Smith dans la salle d’interrogatoire, où, le nez collé sur la table, les mains croisées derrière la tête, il désespérait.

– Smith ? fit le lieutenant.

L’homme, aussitôt, releva la tête.

– Vous et moi, nous allons faire un petit tour, dit-elle.

– Un petit tour ? C’est bien réglementaire, comme procédure ? s’inquiéta-t-il. Et un petit tour « où » ?

– Au Metropolitan.

– Quoi ? Vous êtes folle si vous pensez que je vais remettre les pieds dans ce manoir de l’enfer !

– Les empreintes n’ont rien donné. Si vous voulez m’aider à comprendre, venez avec moi. S’il vous plaît.

– Une minute… Les empreintes n’ont rien donné, vous dites ? Je suis donc libre de rentrer chez moi ?

– Oui. Vous pouvez partir, M. Smith. Mais je vous demande de bien vouloir m’aider. Vous êtes la seule personne à avoir vu… ce qui s’est passé là-bas.

– Parce que vous me croyez, maintenant ? Non, je regrette. Ce n’est pas mon aide que vous demandez… Vous me demandez de rejouer Thelma & Louise avec vous ! Et la fin, on la connaît ! Lieutenant ! Ces deux connes se sont suicidées pour ne pas se faire prendre !

– Je suis armée, vous risquez quoi ?

Smith ouvrit grand les yeux.

– Vous avez écouté mon histoire ? Non, désolé… Vous êtes bien mignonne mais je tiens à ma peau, moi ! J’ai vu l’enfer, là-bas ! Je suis couvert de sang, je pue, et tout ce que je veux, c’est prendre un bon bain, me mettre au lit, et espérer oublier tout ça un jour.

– Très bien ! s’écria Brunette en désignant la porte. Allez-y ! Et j’espère que vous pourrez toujours vous regarder dans une glace, demain !

Le séduisant lieutenant de police fut très déçu de voir l’homme s’en aller. Il ne se retourna même pas, avec ce soupçon de remords dans les yeux… qu’elle espérait ardemment.

Brunette resta là, seule, pour réfléchir un moment. Elle sortit dans le couloir et alla frapper à la porte du bureau du détective Townsend, le priant de dire au capitaine Roberts, si jamais ce dernier la cherchait, qu’elle était partie interroger un indic. Townsend fit oui avec la tête et ne posa aucune question.

Après quoi le lieutenant alla chercher sa voiture. Elle s’installa, attacha sa ceinture, et juste au moment où elle allait tourner la clé de contact, on cogna contre la vitre, côté passager. Elle sursauta. C’était Smith. Se demandant, finalement, si elle n’allait pas le regretter, elle déverrouilla la porte et le laissa monter.

– Vous avez changé d’avis ? demanda-t-elle.

– J’ai réfléchi et… ça ne se fait pas de laisser une jolie fille telle que vous partir se jeter, comme ça, dans la gueule du loup, lieutenant.

– Sérieusement ? Les hommes en sont toujours là ? Protéger la « faible femme » ? Mais j’apprécie, admit-elle volontiers tout en ajustant son rétroviseur.

– Il n’y a pas de quoi, répondit-il. On va peut-être crever, lieutenant. Sûrement, même…

– Christine, dit-elle.

– Pardon ?

– Vous pouvez m’appeler Christine. Après tout, au stade où nous en sommes !

– O.K. À la condition que vous m’appeliez Peter, Christine.

Elle démarra et prit la direction du Metropolitan. Smith esquissa un sourire – son tout premier sourire depuis fort longtemps, en réalité.

Comme ils gardaient le silence, Christine alluma son autoradio. Passait, à ce moment-là, sur les ondes, la chanson Ghostbusters.

– Ils se foutent de notre gueule, là ? dit Peter avec un air mi-contrarié, mi-constipé sur le visage.

Christine émit un petit rire.

– Et vous, vous trouvez ça drôle ? Vraiment !?! Et qui c’est qu’on appelle ? S.O.S. Fantômes…

– Désolée…

Et elle pouffa de rire, se justifiant en affirmant que c’était les nerfs. Et c’était le cas, bel et bien. Lui aussi, finalement, se mit à rire. Mais quand ils arrivèrent à proximité du musée, l’envie de « galéjer » disparut aussitôt. Tout le périmètre, autour, était plongé dans le noir le plus absolu, et, du Metropolitan, il s’élevait un brouhaha épouvantable.

Christine ralentit.

– Vous avez un lance-roquettes, dans votre coffre, Christine ? demanda Smith avec le plus grand sérieux.

– J’ai bien peur que non, répondit-elle en essayant de contacter le détective Townsend, tout d’abord, puis le capitaine Roberts.

– Les fréquences sont brouillées, hein ? murmura Smith.

Le lieutenant Brunette se contenta d’un : « Hum » pour toute réponse. Elle gara son auto juste devant le musée.

– Sigourney Weaver, elle, elle aurait sûrement un lance-flammes, s’efforça-t-il de plaisanter, même si le cœur n’y était pas.

Mais alors, pas du tout…

– Mais nous ne sommes pas à bord du Nostromo, répondit Christine.

Ils sortirent du véhicule prudemment, observèrent un instant les alentours. Puis, lentement, ils montèrent les marches du Metropolitan.

Les portes étaient ouvertes.

Quand ils pénétrèrent à l’intérieur, passant sous les cordons de sécurité, le silence se fit… jusqu’à la scène de crime.

– Mais quelle horreur… dit Christine en sortant un mouchoir en papier pour se boucher les narines.

Comme le lui avait dit Townsend, il y avait des morceaux de corps un peu partout, macérant, qui plus est, dans de la bave… et accompagnés d’une odeur pestilentielle… Le lieutenant de police en avait déjà vu, ça oui ! Mais là ! Elle ne put s’empêcher de vomir.

– Ça va aller, lieutenant ? s’inquiéta Peter.

– Oui, merci. Je vous ai dit de m’appeler Christine.

Elle sortit son semi-automatique de son holster. Ils avancèrent, regardant à droite… regardant à gauche…

– Pas les tentacules, priait Peter. Pas les tentacules. Là-bas ! s’écria-t-il soudain. C’est le tableau ! Dante et Virgile en Enfer

– Flippant, confirma-t-elle.

Christine fronça les sourcils. Peter fit de même. Ils avaient remarqué quelque chose de bizarre : la surface du tableau semblait se mouvoir, onduler, déformant, ainsi, les visages et les muscles épais des personnages représentés sur la toile.

« Mon Dieu » murmura Peter alors qu’une aile de chauve-souris, donnant un relief 3D à l’œuvre de Bouguereau, réussit à percer la surface… Puis, la deuxième aile… Puis, la créature tout entière ! Libérée de sa prison de peinture, elle fonça sur le lieutenant, qui se mit à faire feu. Peter se jeta sur elle pour la pousser à terre. Ils se retournèrent – la chose revenait déjà, poussant des cris stridents.

– Je vais détourner son attention ! cria Peter. Il me vient une idée… Tenez ! Prenez mon briquet et courez mettre le feu à cette putain de toile à la con !

– Mais qu’allez-vous faire, vous ? lui demanda-t-elle, fébrile, s’emparant de l’objet.

La créature était presque sur eux…

– Courez ! hurla-t-il en poussant le lieutenant.

La bête agrippa Peter par les épaules, le souleva et l’entraîna avec elle.

Christine courut jusqu’au tableau. Les toiles, de part et d’autre de la pièce, s’animaient sous ses yeux. Des hommes et des femmes poussaient ces linceuls de peinture qui les retenaient prisonniers en enfer. Elle comprit, ou, du moins, elle le supposa, qu’il s’agissait des visiteurs happés quelques heures plus tôt.

Les tentacules jaillirent, faisant gicler des litres de sang partout ! Et la chauve-souris géante, maintenant Smith au bout de ses pattes postérieures et griffues, volait dans toute la salle. Christine actionna la molette du briquet… La créature, alors, fondit sur le policier intrépide, qui jeta l’objet sur le tableau, rapidement en flammes. La chauve-souris fut stoppée en plein vol et lâcha sa proie. Peter atterrit sur Christine. Lourdement.

– Est-c’que vous allez bien ? lui demanda-t-il.

– Je crois, oui, bredouilla-t-elle.

Ils se redressèrent, tant bien que mal. Tout autour, les tentacules flambaient. Au-dessus, la créature était agonisante. Sa chair empuantie et ses os retombaient sur le sol.

Et tandis que les tentacules s’évaporaient les uns après les autres, les âmes des victimes du massacre du Metropolitan, enfin libres, disparurent en traversant le plafond. Le lieutenant Brunette et Peter eurent du mal à en croire leurs yeux. Et pourtant !

– Nous sommes en vie, s’étonna Christine.

– On dirait, dit Peter. Sérieux, vous assurez grave. Pour un flic…

La jeune femme sourit, commençant à trouver un charme fou à cet homme qu’elle prenait, un peu plus tôt, pour un dangereux psychopathe.

– Vous aussi, M. Smith. Vous aussi, répondit-elle.

Il la prit par l’épaule.

 


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Courts extraits tirés de la trilogie de Stéphane Ekelson

Publié le par christine brunet /aloys

 

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Aimer à mûrir (extrait)

 

« J'embrasse la joue de l'écriture. Elle est féminine. Je voudrais l'épouser. Epouser ses formes fort séduisantes. Coucher dans le même lit de confidences, d'histoires vraies et fictives. Mêler ma langue à la sienne pour maintenir la passion. Je range mes armes, mon combat contre elle. Je veux qu'elle soit mienne et sienne. Je lui souffle des mots à l'oreille. Elle se met à rire. Je ris aussi de sa splendeur. L'écriture me dévisage. J'en tombe amoureux. Tout coule alors comme une source. Une relation est née. Elle a décidé en secret de m'épouser. Je tourne la page de mon passé. Je remplis les pages vierges de notre livre. Celui d'un amour naissant. Le mariage fut célébré dans une cathédrale accompagné par un orgue inspiré de notes comme les mots abondants écrits sur le registre de l'autel blanc. »

 

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L'indicatif présent (extrait)

 

« Le temps du plus blanc que blanc est révolu. A présent on parle de boue, de crasse, de puanteur, de déjection, de pourriture, de cadavre et de laideur. Tu es laide, tu es sale et tu pues. Tu n'aimes pas l'entendre n'est-ce-pas ? Avoue, reconnais-le, je suis dans le registre de l'horreur, du scandaleux et de l'infâme. Mais ils sont nombreux dans mon cas. Tu ne te rends pas compte. Tu ignores la vraie nature de l'homme. En fait tu m'exaspères, tu m'irrites. Je ne sais pas sur quel pied danser avec ton comportement et ton langage déficient. Tu veux que je m'arrête-là ? Que je signe une trêve avec toi pour cesser ce non-lieu ? »

 

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Toile au vert de liqueur (extrait)

 

« Ayant atteint la hauteur de sa voiture, il ouvrit la portière arrière et en sortit des chaussures décentes qu'il mit à ses pieds à la place des bottines dont l'éclat puait. Le jour s'assombrissait peu à peu et il alluma une cigarette, assis à son volant, sans se douter que des yeux avisés suivaient son manège. Après un temps, la cigarette consumée à grandes bouffées, il démarra silencieusement les feux éteints par l'oubli. »

 

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Publié dans Textes

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Extrait d'un journal intime retrouvé au fond d'un grenier, un texte de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

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EXTRAIT D'UN JOURNAL INTIME RETROUVÉ AU FOND D'UN GRENIER

 

Samedi, le 18 mai 1861

Il est près de six heures et je suis réveillée. J'écris ces quelques lignes à la hâte. Aujourd'hui est un grand jour, celui de mon mariage.

 

Charles m'a choisie parmi toutes les jeunes filles de bonne famille que ses Parents ont voulu qu'il rencontre avant de faire son choix.

 

Oh, béni soit le jour où je l'ai vu, jeune officier fringant dans ce bel uniforme. Il semblait savoir que tous les regards étaient tournés vers lui et pourtant il m'a longuement fixée en s'avançant vers Mère à qui il a demandé l'autorisation de m'inviter à valser.

 

Et nous avons valsé, valsé, j'en suis encore étourdie… À minuit, comme les jeunes filles sages, j'ai obéi à Mère qui voulait quitter la salle de bal. Nous sommes reparties dans le fiacre que Père avait envoyé nous chercher.

 

Cher journal, voila plus de cinq ans que j'attends ce jour et j'ai peur ! Peur de le décevoir, peur que Charles ne me trouve pas digne de lui, peur aussi de cette nuit de noces dont Mère m'a parlé à demi-mots et en rougissant !

 

J'aime Charles plus que tout et bientôt, je serai sienne.

 

Ceci est la dernière page de ce journal intime. Plus rien n'est écrit après ces quelques lignes…

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

Publié dans Textes

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Carl du Toit...

Publié le par christine brunet /aloys

malades manteaux penché K Cahboum

 

Pourquoi le train déraille ?

C’est parce qu’on le raille.

Les passagers eux baillent

Leurs faces rondes comme corail

Les clowns chauffent la loco       

Comme s’ils étaient à Rio              

Amusant amusés ils rient haut

Excités ils grimpent au poteau

 

Les rails elles s’en moquent

Qu’on leur danse dessus à coup d’rock                    

Quand les wagons sont lourds elles rotent

Quand les cheminots dévient trop elles les croquent

 

Puis un jour on inventa l’avion

Qui face au train était toujours champion

Il allait si vite qu’on alluma les lampions

Pour que chacun, craintif,  fasse  ses dévotions

 

L’homme se mit un jour de la partie                                  

Il ne voulait absolument pas que la terre en azote partit

Chacun dans son coin lançait sa répartie

Tant est-il que d’emblée on prit le parti de l’écolo facil

 

Ébranlée sur son socle la terre vite craqua

En des millions d’années elle n’avait jamais vu cela

Elle se secoua donc et lança en l’air ses habitants par-ci par-là

En criant et disant « Depuis toujours et pour toujours on m’appellera Bella ».

 

 

Carl du Toit

9782874596209 1 75

Publié dans Poésie

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