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Texte n° 9 Concours

Publié le par christine brunet /aloys

Samedi dernier 14h. Une petite galerie marchande.

Moi, une table, une chaise, vingt et un livres.

J’étais persuadée que les heures à venir allaient toute se ressembler. Creuses, longues, prévisibles. Non seulement j’en étais persuadée mais l’idée même me rassurait. Pour une première séance de dédicaces, faire simplement face au temps qui s’étire et vous laisse dans ce bain de solitude en pleine foule me contentait amplement.

Sauf que le cours des choses décida pour moi d’une toute autre tournure.

15h03, je revois la disposition de mes livres.

Enfin, pour être plus exacte, je les déplace pour pouvoir les replacer à nouveau. Je les pousse un peu par ici, les décale par là, j’essaie une présentation sur deux niveaux, puis trois, pour enfin revenir à l’identique de départ. Sous les lumières artificiels, mes petits bleus resplendissent…

C’est pas tout, en attendant mon prochain remaniement absurde, il va falloir faire preuve d’un peu de contenance. Mmmm, je réfléchis… Ah mais oui, je sais ! Je vais sourire. Voilà, c’est une bonne idée. Sourire. Quoi de plus avenant. Oui, mais comment. Discrètement, continuellement, joyeusement, pudiquement ; le regard franc, fuyant, appuyé, serein, pétillant. C’est comme en cuisine, il faut savoir doser. Bon, je laisse tomber.

Ah, mon dieu, un homme approche.

Un jean un peu trop large, les mains dans les poches. Le genre décontracté. Il y a des personnes comme ça qui provoque au premier coup d’œil un élan de sympathie. Ca y est, il prend un de mes petits bleus en main. Le premier dans le coin droit de la pile.

  • C’est gratuit ?

Comment ça, c’est gratuit !? Ca se voit pas, c’est un bouquin, pas le dépliant alimentaire du supermarché ! Je fais non de la tête.

  • Pfff !

15h26, une petite grand-mère me sourit. Elle s’approche.

  • C’est vous qui l’avez écrit ?
  • Oui. C’est mon premier roman.
  • La couverture est vraiment jolie. Tout ce bleu, c’est poétique.

— Merci beaucoup. Et l’histoire est sympa ! (petit clin d’œil presque naturel). Au dos, vous avez un petit aperçu. Prenez-le en main n’hésitez pas, ils sont là pour ça.

Ma première lectrice inconnue. Là, j’y crois. Vraiment. Je vais imprimer son visage dans ma mémoire. La toute première personne à…

  • Dommage que je sois incapable de lire depuis mon cancer de la cornée.

Oui, dommage.

Je regarde mon ex-première lectrice inconnue malvoyante s’en allait.

15h56, je soupire.

Odeurs de café et croissants chauds. J’ai le salon de thé en pleine ligne de mire. Non, non, non et non. Dans une heure je ne suis plus là, pas question de céder, je ne quitterai pas mon poste.

Entre ma chaise et l’étal sucré, la porte tambour. On rentre, on sort. Aucun visage connu finalement aujourd’hui. Je suis restée une inconnue au milieu de parfaits inconnus.

Jusqu’à cette minute fatidique. Celle que je n’oublierai jamais.

16h03, il entre. Il a mis le pull que je lui ai offert pour son anniversaire. Rouge vif.

Il me fait un grand geste de la main.

Ca y est, je vais perdre tous mes moyens. Je le connais, il va en faire des tas, essayer d’attirer du monde, crier à tout vas que je suis plus talentueuse que Musso et Levy réunis, que mon petit bleu est le plus merveilleux des livres… Ah, bizarre, il va s’asseoir. Il prend un café. Je ne comprends pas.

Rapidement, quatre hommes le rejoignent. Puis deux femmes. Trois couples. Un adolescent…

Je les connais tous.

Comme des grains de sable portés par le vent, ils viennent à ma rencontre. M’embrassent. S’intéressent. Le plus sincèrement du monde. Tous me prendront un petit bleu. Parce qu’ils me connaissent. Parce qu’ils sont curieux de découvrir mes mots. Les grains de sable se dispersent mais le souffle a pris.

Les inconnus s’approchent. Echangent. Simplement.

17h00, il ne me reste que deux petits bleus. Merci papa.

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Texte n° 8 Concours

Publié le par christine brunet /aloys

L'organisateur désigne une table couverte d'un drap blanc coincée entre deux planches :

– Vous aurez assez de place ?

C'est le premier salon de mon premier roman. Jusqu'à présent, je l'ai vendu sous le manteau principalement à des amies de ma mère. Evidemment, j'ai assez de place.

Je me suis réveillée contente, un peu inquiète aussi. J'ai réfléchi à la tenue adéquate. Un jeans. Associé à un chemisier blanc, il souligne le côté sérieux de l'auteur. Et lorsque j'enfile un blouson de cuir, souffle un vent d'irrévérence. Je porte donc un jeans le seul jour de l’année où il ne faudrait pas, comme l’histoire nous le dira.

La manifestation littéraire bretonne est installée sous une haute verrière transparente. Disposés en piles bien ordonnées, mes exemplaires ont l'air un peu perdu sur la grande table. Mon voisin de droite propose des romans policiers. Dès qu'un un visiteur s'approche, il se lève d'un bond et questionne, livre en main :

– Vous aimez les enquêtes mystérieuses ?

Si la réponse est oui, il enchaîne sur un argumentaire bien rodé. Si le futur acheteur n'apprécie pas les thrillers, il rétorque invariablement :

– Laissez-moi être votre première fois !

A ma gauche, l'auteur a posé entre ses livres un bocal contenant ce qui ressemble à un cerveau en plastique flottant dans un liquide indéterminé. Il se penche vers moi et murmure avec un air complice :

– J'ai placé mes neurones dans le formol. Je vais pouvoir raconter n'importe quoi toute la journée !

Je lance discrètement une recherche sur mon téléphone concernant le pourcentage d'écrivains ayant effectué des séjours en services psychiatriques.

Puis, j'avance ma pile de C'est quoi ton stage ? de trois millimètres. Et je souris. Je dis bonjour. J'arrête de dire bonjour parce que je crois que ce salut fait fuir les rares curieux qui s'approche de ma couverture bleue. Je renseigne :

– C'est un adolescent qui effectue un stage en maison de retraite. Non, il ne s'agit pas d'un récit autobiographique. Oui, c'est bien difficile de trouver un stage pour les jeunes. C'est sûr, le gouvernement n'aide pas. Vous ne voudriez pas plutôt qu'on parle du livre ?

Midi passe. Selon un rite immuable, le soleil tourne et chauffe mon dos. C’est un peu le principe de la serre tropicale. Mon tee-shirt se liquéfie, mon jeans semble découpé dans une toile de fourrure polaire. Les visiteurs grimacent : vous avez l’air d’avoir chaud, vous n’êtes pas très bien placée. J'ai la tête d’un gant de toilette après usage. Mon voisin, en bras de chemise, ne lâche pas son stylo et enchaîne les ventes tandis que je dessine des fleurs sur la nappe.

– Au moins, vous avez le temps de réfléchir à votre prochain ouvrage, ironise-t-il.


Le miracle aux cheveux blonds arrive peu avant la fermeture. Elle s'approche, examine la quatrième de couverture et s'exclame avec enthousiasme :

– J'en ai entendu parler à la radio. Ils disaient que c'était très réussi.

Evidemment je n'ai accordé aucune interview à la presse, évidemment aucun journaliste n'a vanté mon roman mais je repousse une mèche collée sur mon front moite et propose sur un ton détaché, comme si je ne rencontrais pas ma toute première lectrice de la journée :

– Souhaitez-vous que je vous dédicace un exemplaire ?

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Texte n°7 concours

Publié le par christine brunet /aloys

Ça y est, c'est le grand jour ! Le grand jour, c'est moi qui l'interprète ainsi ! Parce que vraiment je ne pensais pas que ça allait se passer comme ça et pour prédire l'avenir je ne m'appelais pas Mme Irma. Ils m'ont installé dans le sas du grand magasin. Le premier supermarché de la ville. Le plus proche. Systématiquement le coin des habitués pour les courses de tout les instants et surtout le rendez-vous des petits vieux du quartier qui s'y retrouvent lorsqu'ils ont décidé de s'acheter le kilo de farine ou de sucre en poudre manquant à la maison.

J'étais glacé ! L'ouverture et la fermeture automatique des portes devenaient ma hantise. La petite table de camping qu'on m'avait prêté pour m'installer moi et ma pile de livres était mal équilibrée et j'avais trouvé l'astuce pour la caler avec un des flyers plié en quatre que j'avais réalisé et illustré par mes propres moyens parce que l'imprimerie restait chère. Même avec mes gants en polaire, mes doigts gourds étaient désormais blancs. Avec cette foutue maladie de Raynaud je me demandais alors comment je ferai pour dédicacer mon livre au premier admirateur qui daignera s'intéresser à moi et emprunter ma plus belle écriture avec fierté ? J'avais mal.

Dehors il faisait un froid de canard, je n'allais pas commencer à me plaindre car j'étais à l'abri, aussi j'avais remarqué la caissière à l'entrée du magasin engoncée dans son gilet remonté jusqu'au cou. Je l'imaginais grelottante entourée d'articles de bouffes à scanner et de bips intempestifs comme marquant une montée d'enchère au passage du laser rouge de sa caisse enregistreuse. De temps en temps on se lançait quelques coups d'œil. Mais jamais trop longtemps parce qu'on avait pas que ça à faire. On était chacun là pour autre chose. En l'occurrence, elle pour encaisser et moi pour déballer ma littérature. À mon grand dam il n'y avait pas énormément de monde qui s'arrêtait à mon stand de fortune. Je ne désespérais pourtant pas d'offrir quelques signatures.

Ma patience ayant des limites elle fut néanmoins récompensée par une petite dame qui s'approcha de moi à pas lents. Je distinguais à peine ses yeux aux travers des verres épais de ses lunettes qu'elle repoussait aussitôt à chaque fois qu'elles glissaient sur son nez. En dépit de tout son sourire ne m'échappa pas. Elle saisissait un prospectus dans le petit paquet de flyers entreposé devant moi et sans aucun doute je devinais qu'elle en déchiffrait le contenu. Elle m'envoya un autre regard qui était encore plus agréable que le précédent. Cette dame avait l'art de communiquer son engouement tout simplement et avec beaucoup de naturel que je ne pus que m'en satisfaire. Après un certain nombre de politesse j'étais ravi de cette rencontre. Quant à la dame, elle se doutait bien que j'allais lui caser un de mes bouquins. Et c'est sans aucune réticence qu'elle accepta un exemplaire. Elle me confia ensuite qu'elle était amateur de poésie et qu'elle en connaissait un rayon. Elle voulait me présenter à un de ses amis qui en connaissait un autre qui en connaissait un autre, ce dernier avait des relations ayant des assentiments identiques. Le bouche à oreille à ce qu'on m'a dit marchait bien... Si j'osais, à mon tour, j'aurai pu lui confier que j'étais aux anges, et je me voyais déjà en haut de l'affiche.

Le moment de la dédicace était propice. Je questionnais cette sympathique dame histoire de construire une citation rapidement, une maxime, un sentiment approprié, ou de surcroît une pensée de bon aloi. J'en avais justement une sous la main qui n'attendait qu'à être distribuée gracieusement. Machinalement j'attrapais d'une main l'exemplaire qu'elle me tendait et l'autre que je tentais de réchauffer par mon souffle tiède, mon sang circulait difficilement aux extrémités. Le froid et le stress ne m'aidait pas. La dame trépignait un peu. Le courant d'air transformait l'endroit en un gouffre glacial avec le passage incessant des clients qui maintenant faisaient affluence à cette heure. Elle s'arrangea correctement une large écharpe de laine rouge lui couvrant aussi les épaules. J'entrouvris la couverture neuve avec délicatesse pour ne pas la casser par un plis disgracieux et mon stylo glissait sur la première page encore vierge, absorbant ces mots personnels : « Si les gens ne revendiquent pas d'être différents on finit par se satisfaire de tout ».

Et « À ma première admiratrice » signé SOPHIE PORCHETIERE le 8 janvier 2008. La petite dame me saluait et repartit comme elle était arrivée, discrètement. En s'éloignant je devinais qu'une confiance illuminait son regard qu'elle partagea une dernière fois en se retournant. Une amitié s'était improvisée. Enfin un attroupement de badauds animés par la curiosité avait formé autour de ma petite table un paravent d'humains qui me protégeaient du froid et me réchauffaient le cœur. J'étais content de moi.

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Texte n°6 concours

Publié le par christine brunet /aloys

PREMIERE SEANCE DE DEDICACES

Après avoir triomphé de multiples épreuves, surmonté bien des obstacles, vaincu les doutes et les critiques, me voilà en haut de la montagne, contemplant fièrement le chemin parcouru, défiant ceux qui n’avaient pas cru en moi et souriant à la foule des lecteurs qui allaient se presser devant le stand où je me tiens, bien droit, derrière une pile de livres tout frais sortis de presse. Devant moi, un écriteau arbore mon nom en lettres dorées.
Je suis enfin présent à la Foire du Livre !
Pendant des années je m’y suis promené avec des airs gourmands, plus intéressé par les écrivains que par leurs œuvres.
Je me disais « Un jour, ce sera moi qui serai là, et les visiteurs feront la file devant ma table ». Mission accomplie ! Enfin, en partie, car voilà une heure que je me suis installé et aucun futur lecteur ne s’est présenté.
Pour ne pas avoir l’air de guetter le client, je fais mine de griffonner dans un carnet, je feuillette un de mes livres, j’en dispose un debout pour que l’on voie bien le titre… quelle jolie couverture ! Comment est-il possible qu’elle ne capte pas tous les regards ?
Je consulte mon gsm, je prépare mon stylo, j’imagine le texte des dédicaces… bref je deviens nerveux.
Oups, voilà un homme qui s’approche. Je lui souris le plus naturellement possible et mon sourire reste coincé sur son « Où se trouvent les toilettes ? ».
Je réponds que je l’ignore et il se barre.
Ah, voilà une vieille dame qui ralentit. Je m’enhardis et lui demande ce qu’elle aime lire. Elle balaie la table d’un regard dédaigneux et me lance, lèvres pincées : « Je ne lis que les grands auteurs ». Re-gloups.
Les gens continuent de parcourir l’allée devant moi, certains sans un regard, d’autres dégoûtés comme s’ils découvraient des boudins graisseux dans ce temple du Livre. Où est l’erreur ? C’est moi qui n’ai pas l’air d’un vrai écrivain ? C’est mon livre qui n’est pas assez gros ? C’est le titre ? La couverture ? Le nom de l’auteur ? De la maison d’édition ?
Devant mon air dépité, ma voisine, une jolie jeune femme que je n’avais pas remarquée, n’ayant d’yeux que pour ma merveille, se penche vers moi et murmure : - C’est votre première fois ?
- Heu, oui. Et vous ?
- Oh moi, j’ai l’habitude. C’est mon dixième ouvrage.
- Ah bon ? Et vous vendez bien ?
- Pas plus que vous. Faudra vous y faire.
- Et pourquoi certains dédicacent à tour de bras ? Regardez, là, il y a foule devant une table.
Ma consoeur rit en haussant les épaules.
- Evidemment ! C’est Amélie Nothomb !
Nous avons sympathisé, et pendant que nous parlions, des passants prenaient nos livres en mains, les jaugeaient, et puis s’en allaient pour ne pas nous déranger.
Je n’ai rien vendu mais j’ai rendez-vous demain avec Isabelle.

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Texte N°5 concours

Publié le par christine brunet /aloys

CONFIDENCES SECRÈTES…

Cela se passait il y a plus de dix ans, au salon du livre de X. Je m'y étais préparée à cette séance de dédicaces ! J'avais imprimé des signets pastel sur lesquels figuraient d'un côté un de mes poèmes apprécié d'un ami conteur, de l'autre les coordonnées de mon site et de mon blog. J'avais revêtu un nouveau chemisier blanc, un boléro fuchsia et une écharpe en soie assortie.

Après avoir salué Laurent, mon éditeur, j'avais disposé mes livres et des signets sur la table. Tout était en place. Je me suis assise. Il suffisait d'attendre un peu… Et tout s'était passé sans anicroche. J'avais plutôt bien assumé. Dès qu'un visiteur marquait son intérêt pour mes textes, je me levais, j'entamais la conversation. J'avais vendu un premier recueil aux parents d'une petite fille qui avait été attirée par la couverture très colorée et les titres des contes. Je prenais de l'assurance.

Il était aux environs de treize heures lorsque l'homme s'était approché du stand et avait feuilleté mon livre. Il devait avoir la quarantaine. Plutôt grand et robuste, il avait les cheveux châtains coupés court, un visage aux joues roses et des yeux bruns. Il était habillé d'un imperméable "à la Colombo". Je me suis levée, je l'ai salué comme je l'avais fait pour d'autres. J'ai expliqué : "les contes, ce n'est pas seulement pour les enfants, ce n'est pas seulement du merveilleux non plus." Il a eu un sourire énigmatique. Il a dit : "Mes parents sont en vacances en Savoie. Je surveille leur propriété. Ils comptent sur moi. Je m'occupe du parc." Il s'est penché vers moi : "Il ne faut surtout pas dire que je suis seul. Personne ne le sait." Il a ajouté quelques phrases à propos de ses activités de bricolage et de rangement avant de confier : "Je suis parfois violent." Je vis alors que son regard avait changé, que ses joues étaient devenues plus roses.

Mon mari parcourait la foire. Il s'était intéressé à un calligraphe et à diverses activités, mais revenait régulièrement vers le stand. Il m'y photographiait en conversation avec des visiteurs. Lorsque l'homme l'a vu viser et pousser le bouton de son appareil, il s'est approché davantage de moi et a dit d'un air suspicieux : "Je ne veux pas qu'on me photographie. J'ai horreur des photographies…" Dans son ton, la colère et la détermination se mariaient et formaient un cocktail inquiétant. La bulle de sécurité vous connaissez ? Eh bien, elle avait été violée, cette bulle et je n'en menais pas large.

Je me suis souvenue des quatre mots : "Je suis parfois violent". Je me suis reculée un peu en m'évertuant à banaliser les choses. "C'est juste pour avoir des souvenirs… On ne garde que celles où personne ne peut être identifié sauf moi et l'éditeur." L'homme parla encore de la nécessité de ses protéger des intrus, puis s'éloigna après m'avoir assuré qu'il allait repasser.

La grande salle continuait de bourdonner de conversations, mais pour moi tout avait changé. J'avais perdu ma sérénité, ma confiance, Mon imagination prenait le dessus, j'envisageais plusieurs issues et je me sentais impuissante à réagir. Je me suis mise à transpirer. Avait-il emporté un de mes signets ? Ne risquait-il pas de s'en prendre à mon mari ? N'allait-il pas casser notre appareil photo ? Heureusement après quelques minutes, je le vis repasser de l'autre côté de l'allée sans même jeter un coup d'œil au stand de Chloé des Lys. Peu à peu, je retrouvai mon calme.

Le soir, chez des amis, je racontai mon étrange rencontre. Nos amis me demandèrent de décrire l'homme, car, affirmaient-ils, le fils d'un riche industriel de la région avait déjà séjourné en hôpital psychiatrique pour paranoïa ! L'année suivante j'ai revu l'homme à ce même salon. Mais il ne fit que passer et je baissai la tête. Vous comprendrez dès lors pourquoi je reste assez floue à propos de l'endroit où cela est arrivé.

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Texte 4 ma première dédicace

Publié le par christine brunet /aloys

Déjà le vendredi, au travail, je n'étais plus capable de concentration. "Demain", me disais-je, "demain c'est ma première séance de dédicaces : comment cela va-t-il se passer ?". Alors évidemment, au retour à l'appartement, je n'ai plus pensé qu'à ça. La nuit, je n'ai plus pensé qu'à ça. Pas le temps de dormir : mon cerveau, ou plutôt ce qu'il me restait encore de neurones, ne pouvait plus que travailler à ce sujet, et de la manière la plus stérile qu'il soit. Pendant que ma pensée tournait en rond, mon corps dont déjà je ne sais que faire en temps normal se tournait et retournait entre les draps.

"Venez pour neuf heures trente" m'avait dit le libraire. A six heures déjà, j'avais bu deux tasses de café, et depuis le lever du soleil je m'étais posé à peu près quinze fois les mêmes questions : "ai-je commandé assez d'exemplaires ? vais-je trouver l'inspiration pour les innombrables dédicaces qu'on me demandera ?". Ah, boule de cristal, si je t'avais trouvée, si tu existais, capable de me rassurer, de me guider... Mais voilà, pour seules boules de cristal, je n'avais que les yeux de verre de mon écureuil et de mon canard empaillés, vestiges de mon passé laissé dans la commune voisine.

Quelle inconnue, dont l'équation m'est si étrangère, celle qui résulte d'avoir choisi dans mon tout nouveau quartier un libraire de moi tout aussi parfaitement inconnu, simplement parce qu'il avait osé une vitrine d'auteurs belges, et simplement parce que je n'avais pas encore découvert le quartier au-delà de trois cent mètres à la ronde... J'étais entré, avais acheté un magazine et un billet à gratter. Puis, dominant ma timidité, je lui avais parlé de mon livre, tout récemment publié, lui avais parlé de son étalage au travers duquel j'avais reconnu "un homme qui croyait en la littérature de son pays", lui avais proposé, en sorte de complément, de trôner comme un Saint-Nicolas de fin de printemps, dans un coin de sa boutique, sans qu'il eût à investir un cent, pour attirer la foule des lecteurs avides de "petits nouveaux" dans le monde des Grands, et il n'avait, sans doute, simplement pas osé refuser.

Je savais qu'il ouvrait tôt, même le samedi. Neuf heures et demie, c'est une éternité qu'il m'aurait fallu attendre pour les atteindre ; éteindre la lumière, étreindre ma caisse pleine de mes ouvrages et étendre le pas pour rejoindre sa boutique, là était l'unique apaisement possible de mes tensions, la seule issue à mon angoisse. Il était huit heures trente environ lorsque je le vis abasourdi de me voir arrivé tant à l'avance, à une heure où de rares clientes emperruquées et de braves vieux messieurs cachant leur calvitie sortaient quelques pièces de leur porte-monnaie dans l'espoir de millions gagnés le soir même, après que les boules auraient tambouriné durant des tours et des tours dans l'écran de la télé avant de s'évader dans un détour, trop lentement à leur goût mais dévoilant si vite leur numéro pas choisi d'eux...

J'avais l'air fin, ma caisse de livres sous le bras, dans ce réduit où je voyais, du coin de l'œil, la table pliante dans l'angle, au fond, la chaise pliante aussi, derrière encore, proprement coincée, où je sentais que je devrais me faufiler, moi qui n'avais pas épuisé l'hiver dernier les réserves accumulées dans les fesses et le ventre. De nappe, il n'en avait pas plus que moi prévue. La table était par ailleurs si petite qu'une pile de bouquins m'aurait empêché d'apposer correctement les quelques mots dédiés à chacun sur la page vierge qui n'attendait que ça depuis le sortir de l'imprimerie. La pile mise à ma gauche, la page à écrire eût été en porte-à-faux ; mise à ma droite, il m'eût fallu recourir à des contorsions hors de mes compétences pour tracer deux jambages.

Je me suis donc résigné à exposer trois exemplaires, bien à plat sur le devant, côte à côte, montrant ainsi sur leur couvertures six yeux (les miens) qui semblaient épier le chaland, plus un autre livre prêt à recevoir son endossement, sa dédicace cocasse, et enfin la caisse encore presque pleine à mes pieds, tels deux pilons déjà prêts à fouler les invendus.

A dix-huit heures, j'ai quitté mon libraire, le remerciant de m'avoir supporté dans le coin, affamé parce que j'avais oublié de me pourvoir d'un en-cas. Un seul livre dédicacé, je m'en souviendrai toujours je crois, à Julie, une brave dame qui avait toute une vie à me raconter.

Sans doute aurais-je dû, auparavant, m'aviser que l'étalage belge avait pris la poussière...

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Texte N°3 concours

Publié le par christine brunet /aloys

Ma première séance de dédicaces

Je suis une mamie, donc plus toute jeune de sa personne, en revanche jeune auteur inexpérimentée et très gaffeuse comme vous pourrez le constater…

Ce mois d’octobre dernier en 2015, suite au référencement de mon recueil de contes, je me retrouve devant mon lot de livres dont je dois faire la promotion… J’ai du mal avec cette idée et je me demande d’ailleurs quoi faire ?

Je retourne sur le forum "Chloé des Lys" pour y relire les conseils. Il y est renseigné, et même fortement conseillé de faire soi-même sa promo.

Connaissant la foire aux livres mensuelle à Le Roeulx, je me propose de contacter l’organisateur de cette manifestation.

Le numéro de téléphonne renseigné a un préfixe 02 et cela me déçoit car j’espérais une proximité qui me permettrait une prompte rencontre en vis-à vis. J'appelle et tombe sur un répondeur sur lequel je laisse un message… une semaine passe et me laisse sans réponse.

Je contacte alors directement le centre culturel par messagerie internet, la secrétaire me confirme qu’il est trop tard pour programmer quoi que ce soit en novembre, ce à quoi je m’attendais.

Nous convenons d’un rendez-vous, faisons connaissance, cernons le sujet et me voilà inscrite pour le dimanche 13 décembre, sachant que cette charmante personne sera mon intermédiaire avec l’organisateur « Mr Injoignable ».

Le Jour J, me voici toute émotionnée à l’idée de ma première séance de dédicaces. Je suis accueillie par le préposé au bar, un employé de centre culturel. Ce monsieur m’indique l’emplacement prévu, répond à mes questions et me donne quelques renseignements utiles.

J’installe mes livres, mes signets et l’affiche. Ensuite, je fais le tour de la salle et je salue un ou l’autre exposant de ma connaissance, car il s’agit également d’une bourse aux livres.

Un homme grand, fort, avec cheveux blancs et barbe en broussaille, me jette à plusieurs reprise un regard interrogateur. Non, me dis-je, ça ne peut pas déjà être le père Noël… il est trop tôt !

Quelque chose le dérange-t-il à mon sujet ? Je me sens observée et le trouve assez impressionant.

Arrive le public, des personne se présentent à mon stand et j’ai la chance de vendre mon premier livre à une mamie qui veut en faire cadeau à sa petite-fille.

Un peu plus tard je commande un café et m’informe au sujet de cet observateur inconnu… Et bien c’est tout simplement l’organisateur du salon !

Honte à moi, car je ne m’étais pas présentée et comment aurais-je pu, ignorant son rôle ? Je file à son stand pour corriger mon impolitesse et lui relate ma tentative ratée de contact par téléphonne…

Il me répond gentiment qu’il rappelle toujours les auteurs qui veulent participer… à condition de lui transmettre un numéro de téléphonne !!!

Et là, un ange passe et je réalise en rougissant que je l’ai appelé de mon poste fixe et que je n’ai effectivement pas laissé de numéro…

Bah, la glace est néanmoins brisée et les choses sont claires.

Je retourne à mon poste j’y fais de nouvelles rencontres, de nouveaux échanges qui me font prendre conscience que si j’ai effectivement offert des signets illustrés et renseigné mes coordonnées lors de la vente de mes deux livres ce matin, j’ai cependant oublié de les dédicacer !!!

Et personne ne m’a rien demandé !

Me voici donc la reine de la dédicace qui, pour sa première séance officielle, a finalement réussi à n’en faire aucune !

En revanche, un projet "d’animation famille" avec lecture de contes est prévu pour un dimanche après-midi du printemps prochain, la matinée se solde donc par du positif !

L’aventure aura donc été instructive et j’espère dorénavant me souvenir que lors d’une séance de dédicaces et bien il est permis et même conseillé d'en rédiger.

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TEXTE 2 concours "ma première dédicace"

Publié le par christine brunet /aloys

Première fois

5h30 du matin, un vendredi. Je n'ai pas réussi à dormir, trop de stress. Je suis remontée comme un coucou.

Dans quelques heures à peine, quatre pour être précise, je dois être à pied d’œuvre à la librairie d'un Auchan dans le sud de la région parisienne. J'ai sorti mon bouquin à peine un mois auparavant. J'en suis fière, c'est certain, mais mon nom est loin de faire les têtes d'affiche... D'ailleurs, à part mes amis et ce responsable de rayon, qui sait qu'il est désormais dans les bacs? Personne, c'est une évidence.

J'ai été invitée par l'entremise de mon éditeur. Mais je dois avouer que je ne connais pas les lieux : je n'y ai jamais mis les pieds. Lorsque j'ai reçu l'appel du libraire, j'ai accepté immédiatement sans regarder la carte... Devant un petit déjeuner que j'ai bien du mal à avaler, je regarde ma montre et me décide enfin à prendre la voiture. Il est 6h45... Un rapide calcul : le GPS annonce une heure de trajet, ça fait 7h45, on va dire 8h00. Je serai à l'heure.

L'ordinateur me guide : je traverse la ville peu encombrée encore et je passe sur l'autoroute. Tout va bien. Il pleut, je ne connais pas le chemin : je roule un œil sur l'écran du "Tom-tom", un œil sur la route et sur le compteur de vitesse parce qu'il paraît que le trajet est truffé de radars. L'autoroute du soleil... La voix féminine de l'appareil me demande de prendre la bretelle, à droite... J'obéis... Bouchon.

Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale... Mon cœur bondit tandis qu'un petit point rouge s'affiche sur l'écran de mon guide : retard, 30 mn ! La voiture devant moi ne bouge pas d'un iota et je découvre, affolée, un flot ininterrompu de véhicules qui semblent stationnés là pour la journée.

Que faire ? Ma seule chance, contourner le bouchon. A la prochaine sortie, je tente le coup même si je n'ai aucun sens de l'orientation ! Pas le choix ! 1/4 d'heure plus tard, je m'extrais enfin du trafic, la gorge douloureuse tant je suis angoissée. Mais le GPS n'est pas de cet avis : il me demande de faire demi-tour alors que je dois rouler... Et je roule, paniquée, en constatant que désormais, l'heure d'arrivée affichée dans le coin à droite est 9h33 !

Derrière moi, devant moi, des voitures agglutinées et la voix agaçante qui répète sans se lasser un "Faites demi-tour dès que possible !" qui me donne envie de hurler. Essayez de faire demi-tour sur une autoroute, vous ! Les kilomètres filent, pas de sortie... Je dois prévenir le libraire d'autant que la personne qui m'a obtenu la dédicace m'attend également. Le numéro de téléphone ? Aucune idée ! Tentez de consulter les pages jaunes en roulant, la panique au ventre : impossible, je vous le garantis ! Tant pis, je continue à rouler, butée, mâchoire contractée.

9h45 : je me gare enfin sur le parking de l'hyper plein à craquer. J'ai les jambes en coton et les mains moites. Que doivent penser les deux hommes qui m'attendent ? Je montre mon sac à l'entrée en bredouillant un truc inintelligible au vigile qui me regarde de travers, je lève la tête et... je découvre une affiche grandeur nature avec ma tête, la première de couverture de mon bouquin en plein milieu de l'allée centrale. Sur le côté, une table avec quelques exemplaires mais derrière, un présentoir surchargé de piles de livres…mes livres ! Il y en a une montagne ! Devant, deux hommes discutent puis se tournent vers moi en croisant les bras, le regard sévère... Je suis foutue... Je n'ai plus qu'une envie, fuir !

À ma mine déconfite, ils se mettent à rire. J'ai droit, à chaud, à une photo pour immortaliser l’instant et je m'assois la gorge sèche : qu'est-ce qui lui a pris d'en commander autant ? Si j'en dédicace 1 ou 2... Et le libraire qui me dit, pince sans rire, que j'ai intérêt à tout vendre ! C'est un cauchemar... Je vais me réveiller... Sûrement...

Ils s'éclipsent. Je prends un stylo et je me lève à la recherche désespérée du premier lecteur qui aura pitié de moi...

Publié dans concours

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TEXTE 1 concours "ma première dédicace"

Publié le par christine brunet /aloys

Séance de dédicaces

Ils m’ont placée juste devant les toilettes, en me disant qu’au moins on me verrait de loin et que je ne serais pas sur le chemin des chariots. Je me suis imaginée sur la piste de Santa Fe avec un défilé de chariots bâchés suivis de vaches et chevaux, et moi assise à l’ombre d’un cactus, attendant de vendre ma biographie de Kit Carson.

Mon livre, mon premier-né encore relié à moi par un cordon maternel, est dressé sur un présentoir, comme un brave petit soldat dans sa guérite. Rien encore comme article de presse pour appuyer le sérieux de mon travail. Pire encore… l’affiche que le supermarché a imprimée pour déplacer les lecteurs mentionne qu’il s’agit de mon tout premier livre, et ils ont choisi une photo de moi dans mon album Facebook, j’y ai 25 ans, une robe hippie et une monstrueuse fleur d’hibiscus dans les cheveux.

Une dame myope et pressée m’a déposé 50 centimes sur la table avant de pousser la porte étiquetée « Dames », me reprochant peinée « oh, vous n’avez pas une petite assiette ? ». Le gérant du supermarché passe de temps à autre avec l’air d’un souteneur qui vérifie le compteur, me souriant d’un air tout va bien dans mon monde en redressant le menton avant de retourner aux choses sérieuses.

Un homme âgé s’approche… enfin, il doit avoir mon âge mais je trouve que lui le porte mal avec ses rares cheveux blancs teints en blond Barbie noués derrière la nuque, comme une queue de rat blond qu’on lui aurait greffée. Il fait aussi trop de banc solaire et est tacheté comme une banane agonisante. Il regarde l’affiche devant ma table, fronce les sourcils, s’approche, enlève et remet ses lunettes, inspecte la hippie et puis moi, la bourgeoise respectable que je suis devenue, et sa bouche se contorsionne pour exprimer le doute. « Vous tenez le fortin pour votre fille ? ». Il expose des dents récemment blanchies et si régulières que je frissonne comme si la mort elle-même me souriait. Il prend mon livre chéri dans sa vieille main tannée, et me demande, d’un air qu’il croit absolument charmeur « Si je vous les achète tous… viendrait-elle me les dédicacer à domicile ? »

Je lui offre mon air le plus bourge, avec élégance mais la saine distance que l’on met entre soi et un homme trop séduisant pour que la tentation ne fasse aucun dommage, et sans sourciller lui dis : « Mais naturellement, elle s’en fera un plaisir ! Il est rare de rencontrer un lecteur qui d’emblée sait identifier la bonne écriture… donnez-moi donc votre adresse et votre numéro de GSM par précaution, voici le sien d’ailleurs » et je lui griffonne un numéro sorti de mon imagination que la sienne le fait empocher avec la vivacité d’une langue de caméléon.

Il s’éloigne et revient avec un chariot non bâché, et le remplit, avec un clin d’œil complice, de la quarantaine d’exemplaires de mon tout premier livre.

Comment a marché votre première séance de dédicaces ? J’ai tout vendu en une heure !

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Concours "Les petits papiers de Chloé" texte 9

Publié le par christine brunet /aloys

Combat de l’une, combat de l’autre

Au troisième étage d’une tour qui en compte nonante-neuf, une mère et sa fille. Toutes deux regardent par la fenêtre. La mère, debout, tient dans sa main droite une tasse de café. La fille est assise, faussement reelax, sur l’appui de fenêtre, tantôt elle se tourne vers sa mère (elle cherche chez elle une quelconque réaction), tantôt elle jette un regard victorieux sur la foule en délire.

La mère. Ces manifs me tuent. La ville est en sang. Les gens sont fous. Ecoute-les ! Regarde-les !

La fille (moqueuse). Demain, la loi sera votée. Ce progrès, c’est le tien.

La mère. La loi sera votée…

La fille. Comment ? Tu n’as pas l’air de te réjouir de cette réussite ? Ma réussite. C’est moi, ta fille, c’est moi qui ai concocté dans ma propre cervelle cette petite trouvaille…Tu vois, tu as eu raison de t’investir dans mes études ! Le jeu en valait la chandelle ! Je suis le fruit de ton éducation, maman…A quoi penses-tu donc à l’instant, là, tout de suite?

La mère (nostalgique). Le jour de ta naissance. Le plus beau jour de ma vie. Je pense à toutes ces femmes qui désormais ne connaîtront pas cet instant. Par ta faute. Par la mienne aussi, en quelque sorte…J’étais si fière de ton intelligence, de tes années d’université, de tes réussites, de tes succès dans cette biologie expérimentale, de ces bourses que les états du monde entier accordaient à ta fondation, de tous ces chercheurs qui bossaient des heures et des heures, pour toi, pour tes travaux. J’étais si fière de tout ça…

La fille (avec sarcasme). Je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui, tu remets tout ce travail en question. C’est un grand pas en avant pour la cause féministe, maman ! Le féminisme, le combat de ta vie !

La mère (ne répond pas à sa fille, ne tourne pas la tête vers elle non plus, son regard est fixé vers la foule). Je pense à toutes ces familles qui seront plongées dans des discussions sans fin…Il y aura des séparations, des amours avortés. Des femmes seront privées de ça, donner la vie…

La fille. Les hommes sont demandeurs ! C’est pour eux que ces recherches ont abouti !

La mère (haussant le ton). Il y a des massacres en bas de nos fenêtres ! Le sang éclabousse les murs de la ville ! Et tu restes sur ta position ! Combien de morts as-tu provoquées depuis l’annonce de cette « découverte » ? Des gens se sont entretués pour ne pas que cette loi soit votée ! Et ces enfants nés dans de tels utérus seront-ils encore normaux dans cinquante ans ? Et ces enfants-là, comment enfanteront-ils, eux ?

La fille. Mes résultats sont infaillibles, c’est certain. Et d’autres chercheurs prendront la relève. Moi, basta.

La mère. Tu m’effraies, ma fille, tu m’effraies. Tout m’effraie en toi. Ton assurance. Ta détermination.

La fille. Mon assurance, ma détermination ! Justement des qualités, d’après toi ! De belles qualités pour une femme, disais-tu ! Désormais, je vivrai ma vie. Et pas la tienne.

La mère (toujours le regard rivé vers la foule en délire). Je voulais que tu sois indépendante, que tu ne dépendes pas d’un mari…

La fille. Aujourd’hui, avec ce progrès gigantesque et cette loi votée, c’est une guerre que les femmes ont gagné ! TA guerre ! Les demandes affluent déjà dans les cliniques ! Dans neuf mois exactement les premiers enfants issus de ces utérus verront le jour. En fait, chère mère, c’est TA réussite. Tu ne voulais pas une fille, tu voulais un cerveau !

La mère (résignée, laissant tomber sa tasse de café et ne la ramassant même pas). J’avais lu Huxley, lorsque j’étais adolescente. Tous ces enfants dans des tubes, cela m’attristait. Ce matin, des manifestants se tuent sous mes fenêtres. Parce que les recherches scientifiques de ma fille ont abouti. Des embryons grandiront dans des utérus implantés chez… des hommes. Dans neuf mois, des hommes accoucheront d’un enfant. A cause de moi…

La fille (se croise les bras et regarde sa mère, avec de la moquerie dans la voix). Je hais la médecine. Je voulais être une artiste. Je voulais être une femme. Avec des dentelles et du mascara sur les cils. Je voulais chanter, danser, écrire. Une artiste, maman, je voulais être une artiste. Demain, des hommes accoucheront. Moi, je tire ma révérence, je ferme ces rideaux-là et je pars. Pour en ouvrir d’autres. Une artiste, maman, je veux être une artiste.

Publié dans concours

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