Une seconde ! Voilà bien une expression galvaudée le commerçant pressé qui vous dit : "Je suis à vous dans une seconde" ou "Une seconde, j'arrive" et cela dure des heures…
Une minute, une belle unité de mesure pour les sociétés de téléphonie.
Taxation à la minute, dit-on. Taxation à la seconde, réclament les consommateurs
Une minute pour dire tant de choses à l'être aimé ou une minute de silence, le onze novembre…
Une heure pour le repas de midi, une heure de sommeil, une heure d'attente à l'hôpital. Je me demande toujours si toutes ces heures sont identiques. À l'école, il existe même des heures de cinquante minutes, c'est vous dire…
Une seconde, une minute, une heure ? Qu'importe, j'ai tout mon temps !
Julian sortit de son Austin Martin V8 et Adam, de la Bentley de Francesco qu’il avait empruntée pour suivre son ami jusqu’au vieux cimetière de Barnes. Son propre véhicule avait catégoriquement refusé de démarrer. Peut-être aurait-il dû savoir interpréter ce « signe » ?
Les deux hommes, troublés par les événements qui venaient de se produire, se jetèrent des regards furtifs le temps de quelques secondes. Mais c’est Julian qui brisa le lourd silence gênant.
– Tu veux parler maintenant ou ça peut attendre qu’il fasse jour ? demanda ce dernier. Je suis prêt à tout te raconter.
– En réalité, je suis claqué, d’Ju’. Je crois que je vais aller me coucher sans même me déshabiller. Je n’en ai pas la force. J’ai réussi à conduire jusqu’au château, je ne sais par quel miracle, pour tout te dire. J’espère que Francesco ne m’en voudra pas trop d’avoir emprunté son bébé.
– C’est comme tu veux, soupira Julian. Dans ce cas, je vais vérifier que mon père va bien et je… Non… Je ne crois pas que je vais pouvoir dormir, cette nuit, non. Enfin, les quelques heures qu’il reste avant le lever du Soleil.
– Tu me raconteras tout, et je dis bien « tout », dans les moindres détails, plus tard, d’accord ? le pria Adam. Plus de secrets entre nous…
– Plus de secrets, non, lui promit Julian. Maintenant, va dormir un petit peu. Tu en as cruellement besoin.
Le jeune impresario hocha la tête et tourna les talons, prit le chemin en gravier. Bien malgré lui, il venait de se mettre à pleurer.
– Petit frère… murmura Julian.
– Quoi ? fit le jeune homme, s’immobilisant, ne se retournant pas.
– Je te demande pardon. Pour tout. Je n’ai jamais voulu te blesser.
À l’intérieur du château, l’un à la suite de l’autre, Julian et Adam montèrent le grand escalier en marbre de Carrare qui conduisait aux chambres. Avant de regagner la sienne, Julian pénétra dans la chambre spacieuse de son père et s’approcha de son lit en bois massif à pas de loup. Le paternel ronflait bruyamment. Julian sourit et quitta la pièce, rassuré.
Dans sa chambre, après avoir ôté ses chaussures et s’être déshabillé, avoir soigneusement rangé ses affaires, il vérifia, par habitude, sa messagerie. Plusieurs fois, sa sœur avait tenté de le joindre. Il s’allongea et écouta les messages. Le premier n’était qu’un simple : « Julian, tu es là ? » Même chose, à peu près, pour le second. Mais, dans le troisième, Ivana expliquait à son frère qu’elle serait de retour à Gillingham lundi, dans la journée.
Julian ne put s’empêcher de pester contre sa sœur… C’était précisément le jour où Lénora allait revenir au château dans l’espoir d’obtenir de l’acteur qu’il la suive loin de tout.
À Los Angeles, il devait être un peu plus de vingt heures. Il décida de l’appeler sans attendre…
– Julian ? sembla s’étonner Ivana.
– Bonsoir, sœurette.
– Je t’ai appelé plusieurs fois, mon frère. Tu as eu mes messages ?
– Évidemment… Pourquoi t’appellerais-je du Kent à plus de quatre heures du matin, sinon ? s’agaça Julian. Le tournage de ton nouveau film n’est pas achevé, si ? Que se passe-t-il ? Pourquoi rentrer si tôt à la maison ? Tu n’as pas rompu ton contrat, j’espère !?!
– Mais pas du tout ! s’offusqua Ivana. (Et elle se mit à sangloter, exaspérant son frère encore un peu plus.) Je n’ai vraiment pas de chance, grand frère… Deux échecs consécutifs et ça, maintenant ! Ce n’est pas possible !
– Ça, quoi ? lui demanda alors Julian. Ivana, dis-moi ce qu’il s’est passé, à la fin !
– Eh bien !!! Figure-toi que le tournage de Trapped a été mis en attente pour une durée indéterminée ! Esteban, c’est le réalisateur, tu sais, nous a dit de tous rentrer chez nous en attendant qu’on retrouve cet imbécile de Jerome. C’est Esteban qui l’a traité d’imbécile, hein ? Ce n’est pas moi.
– Attends… dit Julian en fronçant les sourcils. Est-ce que tu me dis que Jerome Wild a disparu ? On parle bien de la star masculine du film, n’est-ce pas, sœurette ?
– Oui. On s’apprêtait tous à tourner une scène très importante, mais plus de Jerome… Disparu ! Andrew l’a cherché partout, Esteban aussi, mais non… Il n’était nulle part. Ni dans les studios de la Paramount ni à son hôtel. Volatilisé ! Comme s’il avait été enlevé par des aliens… Mon Dieu !!! s’écria-t-elle soudain. Tu crois que c’est ça, Julian ? Pauvre Jerome… Enlevé par des extraterrestres qui vont lui introduire des sondes partout dans le corps…
– Mais qu’est-ce que tu me racontes ? déplora Julian. Elle est encore dans ses délires à la con… Et la police de Los Angeles, qu’est-ce qu’elle en pense ?
– La police ? Ah oui ! La police. Ils ont mis tout en œuvre pour le retrouver, bien sûr. Mais… Attention, c’est un secret ! Selon l’inspecteur chargé de l’enquête, Jerome a un passé de drogué… chuchota-t-elle. Il aurait déjà disparu des mois entiers sans donner la moindre nouvelle ni à sa famille, ni à ses amis, ni à son agent artistique. L’inspecteur prétend qu’on le retrouvera mort dans une ruelle sombre, cette fois.
– Mais c’est scandaleux de dire des choses pareilles ! Que ce soit vrai ou pas, d’ailleurs. Elle est en train de me raconter des conneries… Y a quelque chose qui sonne faux, dans sa voix… Et la police laisserait partir tout le monde ? Mais bien sûr… Je parie qu’elle a fait un caprice de diva et qu’elle m’invente une belle histoire pour que je ne m’énerve pas !
– Parfaitement scandaleux, je suis d’accord ! Ce pauvre, pauvre Jerome… J’espère qu’il réapparaîtra vite. Mais je n’ai plus rien à faire à Hollywood, pour l’instant, moi, du coup. Papounet avait peut-être raison… Je n’aurais jamais dû accepter ce film.
– Et tu reviens lundi, donc. Hum… Si j’étais toi, je resterais à Los Angeles, Ivana. On ne sait jamais. Wild pourrait revenir d’ici deux ou trois jours, je veux dire. Il est peut-être au lit en compagnie d’une admiratrice, dans un hôtel quelconque. Ça m’est arrivé à moi aussi, tu sais, avant de rencontrer Ningsih…
– Eh bien ! Je repartirai, ce n’est pas compliqué… C’est bien pour ça que les avions existent, non ? On dirait que tu n’as pas envie que je revienne, mon frère ? Tu as envie que je revienne, pas vrai ?
– La petite maline… C’est l’évidence même, Ivana. Papa sera ravi, qui plus est. Tu lui manques tellement.
– Oui, c’est ce que je pense, moi aussi. Je suis réellement impatiente d’être de retour à la maison. J’en ai soupé d’Hollywood !
– Moi de même, sœurette. Et merde !!! Sur ce, je vais te laisser… Il est vraiment tard, ici, ou tôt, et j’ai besoin de dormir un peu. Les dernières heures ont été éprouvantes.
– Dans ce cas, repose-toi bien, grand frère. Et l’on se revoit d’ici peu. Je t’aime fort, fort, fort !
– Moi aussi je t’aime. À très vite. C’est bizarre… Elle ne m’a pas demandé des nouvelles d’Adam. Vraiment bizarre…
7
Julian se leva. Il enfila son pantalon de survêtement noir et alla retrouver Adam dans sa chambre.
– Nous avons un problème, lui dit-il.
Deux heures après les premières lueurs de l’aube, les deux comparses se retrouvèrent à l’orée de la forêt de sapins et de cèdres, derrière le château Kolovos. Julian portait son pantalon de survêtement et un débardeur d’une blancheur des plus éclatantes, et Adam, juste un pantalon de survêtement gris. Il préférait courir torse nu.
Ils commencèrent leur jogging au milieu des arbres majestueux.
– Donc, Ivana revient lundi ? On n’est pas dans la merde, d’Ju’, soupira Adam. Comment va-t-on faire ?
– Comme tu dis… Et, je ne sais pas, elle était vraiment bizarre au téléphone. Je crois que ma sœur me cache quelque chose, si tu veux mon avis.
– Tiens donc ! persifla Adam. Quelle surprise ! Un autre membre de la famille Kolovos qui aurait des secrets ? C’est on ne peut plus bizarre, effectivement.
– Te cacher ma véritable nature n’était en aucune façon un manque de confiance en toi, Adam. J’avais… (Il marqua une petite pause, baissa les yeux sur la litière forestière odorante.) J’avais peur.
– Et peur de quoi ? Que je te considère comme un monstre ? Que je mette un terme à notre amitié ? Oui, j’aurais eu peur. Oui, je me serais peut-être enfui. Mais j’aurais fini par réfléchir et par revenir, d’Ju’. Ce ne sont pas que des mots. Tu es ma famille. Francesco est ma famille. Ivana aussi est ma famille. Je te l’ai dit je ne sais combien de fois et j’aime à le répéter peut-être parce que je suis enfant unique… Tu es mon grand frère. Je t’aime.
– Tu vas finir par me faire pleurer, murmura Julian. On devient beaucoup plus sensible, avec les années, ne le sais-tu donc pas ? Si tu n’étais pas torse nu, mais surtout tout en sueur, je te serrerais dans mes bras. Moi aussi, je t’aime. Il n’y a aucune différence entre ma sœur et toi, Adam. Mais… qu’est-ce qui te fait rire ?
– Oh ! Mais rien… Rien du tout. Aucune différence entre ta sœur et moi, hein ? Tu me parles bien de la même fille qui se demandait pourquoi il n’y avait pas eu douze autres films avant Apollo 13 ? La même fille qui a crié au scandale quand est directement sorti Apollo 18 ?
Julian se mit à glousser, puis à rire de bon cœur. Heureusement que ce bon vieux Francesco ne se trouvait pas là !
– Ce n’est vraiment pas cool de se moquer d’Ivana de cette façon, Adam, tenta d’articuler Julian, les yeux plein de larmes. C’est ma sœur, tout de même !
– Non, c’est certain… Mais c’est un petit peu de ta faute, espèce d’hypocrite ! répondit le jeune homme qui peinait à reprendre son souffle. « Et que s’est-il passé entre Apollo 13 et Apollo 18, hein !?! Pff ! Y a même plus Tom Hanks ! », rappela-t-il, hilare, essayant d’imiter la voix d’Ivana.
– Mais tu vas t’arrêter, oui ? le réprimanda Julian. Allez, rentrons, maintenant… Une bonne douche, un bon petit-déjeuner copieux, puis je te raconterai toute mon histoire depuis le jour où Lénora m’a mordu…
L’endroit était d’un gigantisme indescriptible, mais il semblait aussi très ancien. On aurait dit qu’il s’étendait à perte de vue. Littéralement. J’allai prendre appui sur la balustrade ajourée en pierre, devant moi, afin de balayer les lieux du regard, lesquels étaient situés en contrebas. La balustrade courait sur tout un chemin dallé d’une largeur conséquente. Outre cela, ce chemin faisait tout le tour de la cavité souterraine qui s’offrait à mes yeux. Il n’était pas nivelé. À deux endroits, côté ouest et côté est, quelques marches permettaient de poursuivre sa route : trois pieds plus haut, à l’ouest, trois pieds plus bas, à l’est. Une petite coquetterie architecturale, sans doute. Et de nombreuses torches étaient accrochées sur tout le pourtour, de loin en loin.
J’admirai maintenant la demi-douzaine d’escaliers qui permettaient de descendre jusqu’au fond de la grotte. J’avais presque envie d’utiliser le mot royaume. Çà et là, des espaces de détente atypiques, puisqu’il s’agissait bien de cela, s’élevaient à différentes hauteurs. On y accédait grâce à des escaliers. Ces vastes espaces étaient eux aussi entourés de balustrades en pierre ajourées et reliés entre eux par des passerelles. C’était très Burtonesque. À première vue, tout était taillé dans la pierre, mais il y avait pourtant tout le confort moderne. En effet, chaque espace avait ses banquettes, ses poufs, ses tables et ses chaises. Il y en avait quatre, au total, très largement distants les uns des autres. Les points lumineux que je distinguais devaient être les flammes des bougies dans des photophores. Tout au fond, à l’angle nord-est, un gigantesque escalier remontait de la base jusqu’à un possible cinquième espace aménagé. Mais cet endroit était trop loin et mal éclairé pour réussir à deviner s’il était semblable aux autres. Il était plus élevé, aussi, et coupait le chemin de ronde interne. C’était peut-être là-haut que se trouvait le maître des lieux : Joshua.
Il y avait également pas mal de végétation. Du lierre grimpait et s’enroulait sur cinq piliers colossaux ornés de cannelures placés comme un cinq sur un dé, mais de façon beaucoup plus éloignée. Ils devaient avoir été construits pour soutenir la voûte de ce microcosme. Tout me semblait dément. J’avais du mal à en croire mes yeux, et des questions par dizaines se bousculaient dans ma tête. Par dizaines ? Non, plutôt par centaines ! J’étais assez curieux de connaître l’histoire de cet endroit.
Au milieu, un bar attenant se trouvait au pied du majestueux pilier central. Comme les espaces de détente alentour, il était tout autant atypique : en pierre et en demi-cercle. Mais le dessus du comptoir semblait en granit.
Sauf pour ce qui était de la musique, dont les boum ! boum ! répétitifs me tapaient passablement sur les nerfs, j’étais assez séduit. Certaines personnes dansaient, comme envoûtées par cette rythmique « années 1990 ». D’autres discutaient, se promenaient ou s’embrassaient.
– Ils possèdent sûrement leur propre réseau électrique… pensai-je. Ou des groupes électrogènes en quantité, ce qui serait quand même beaucoup plus logique. Ils semblent bien organisés, quoi qu’il en soit.
Je parcourus le chemin rectiligne se trouvant sur ma gauche. Lorsque j’arrivai tout au bout, je descendis un grand escalier en pierre qui serpentait, faisant glisser ma main sur la tablette de la balustrade. Gravés à la surface des marches, je remarquai une multitude de dessins et de signes qui m’étaient inconnus. Les spots qui balayaient les lieux de lumières multicolores ne m’incommodaient pas, mais la musique, agaçante à mon goût, faisait vibrer tout mon corps. Je n’avais que vingt-huit ans, à l’époque, mais cette musique, ce n’était pas pour moi. Mais alors, vraiment pas ! J’étais définitivement rock.
Les gens me dévisageaient et parlaient tout bas, je le vis bien, mais personne ne m’adressa la parole. C’était très bien comme ça… Était-ce tous des loups-garous ?
D’en bas, la grotte semblait encore plus haute. Je pus constater que la pierre était très soigneusement travaillée. Tout, des murs aux colonnes, avait été construit de façon très artistique. Probablement sur plusieurs dizaines d’années… Un véritable travail de titan.
Évitant de regarder quiconque dans les yeux, je me frayai un chemin jusqu’au bar, dont le comptoir était en granit noir du Zimbabwe. Je m’assis et commandai son cocktail le plus fort au barman, un grand gaillard aux longs cheveux châtain clair, éclaircis grâce à des mèches blond miel. Son âge se situait autour de vingt-cinq ans. Ses yeux bleu céruléen en amande me scrutèrent un petit moment, après quoi il me demanda si c’était moi, « l’humain ». J’opinai, le regardant non sans une certaine défiance. Mais il semblait réellement amical. Le genre de gars qu’on trouve immédiatement très cool.
Il posa un verre plein de liquide vert pâle devant moi, me disant que j’allais kiffer, mais il refusa de me dire ce qu’il y avait dedans, comme alcools, lorsque je lui posai la question.
– Fais juste confiance au barman… murmura-t-il en me faisant un clin d’œil.
J’appris que son prénom était Kristoff. Il jugea bon de préciser l’orthographe. Je lui donnai alors le mien, mais il répondit qu’il savait déjà.
Sirotant ma boisson – effectivement, je « kiffai » –, je me retournai pour observer discrètement les hommes et les femmes. Aucun n’était vêtu de façon extravagante. Ils avaient entre vingt et quarante ans. Certains étaient peut-être plus âgés, mais ils étaient beaucoup plus rares.
Kristoff perçut mon angoisse et me dit de ne pas m’inquiéter, que personne n’allait me sauter à la gorge et que nous n’étions pas dans un film d’horreur, mais dans une espèce de discothèque. Puis il se mit à rire. Je voulus bien sûr en apprendre davantage sur le Big Bad Wolf, mais le barman ne lâcha rien. Il ne savait peut-être pas grand-chose. Ou même rien. Il m’offrit un autre verre.
Au bout de dix minutes, une femme vint m’accoster. Grande, brune, des yeux noisette… Elle était divine.
– Je suis Janine, se présenta-t-elle d’une voix ténue. C’est moi qui suis venue jusqu’à votre appartement, à la demande de Joshua, glisser le plan sous votre porte. Vous avez résolu l’énigme de la croix celtique assez rapidement, j’ai vu… C’est très bien, ça. J’aime beaucoup vos reportages, au fait. Vous êtes très talentueux, Max.
– Merci pour le compliment. Vous m’observiez donc ? J’ai peut-être crié des obscénités, à un moment. Ce que je n’aurais pas fait, si j’avais su que…
– Que j’étais une femme ? se gaussa-t-elle. Ce n’est pas grave. Suis-moi, maintenant, je te prie. On se dit « tu », si tu veux bien ? Ce serait mieux.
– Je te souhaite une bonne nuit, frérot, dit Julian. Ne t’inquiète surtout pas… C’est un très vieux château, et il y a des bruits, parfois, au beau milieu de la nuit. Nous, nous y sommes habitués, mais ça peut évidemment surprendre.
– Je n’ai pas peur des fantômes. Ne t’inquiète pas, toi non plus… badina Adam. Sur ce, bonne nuit, d’Ju’. See you tomorrow !
Quand Adam eut refermé la porte de sa chambre, Julian fit marche arrière, redescendit les marches de l’escalier quatre à quatre et se dirigea, illico presto, vers le vestibule. Là, il poussa une porte relativement discrète et monta l’escalier en colimaçon de la tourelle, dont les marches avaient été taillées dans la pierre. Il se figea à mi-chemin, car une drôle de silhouette semi-transparente, indolente, le précédait. Elle montait tout doucement. Sur ses gardes, il la suivit.
Arrivée tout au sommet de l’escalier, la silhouette traversa sans peine la porte en bois qui lui faisait face. Julian, méfiant, accéléra pourtant le pas, puis tourna la poignée. Sur le chemin de ronde externe, côté façade sud, la bien étrange silhouette s’était immobilisée au beau milieu du chemin. Elle humait l’odeur d’agrumes des aiguilles du sapin pectiné qui dominait, à l’est.
Julian s’approcha et lui commanda de se retourner, ce qu’elle fit.
Ce fantôme, il le reconnaissait. Il l’avait vu plusieurs fois, il y a quelques années. Ornella aussi, l’avait vu. Il s’était présenté sous le nom de Jiminy. Mais lorsque Daphné, quand elle tomba le masque le jour des vingt-sept ans d’Ivana, leur révéla qu’ils ingéraient des doses massives de vigabatrine, ainsi que des psychotropes et des corticoïdes, depuis de longues semaines, il avait fini par mettre les apparitions ponctuelles dudit Jiminy, comme celles de Jacobo Kolovos ou de la Mort, sur le compte des effets secondaires de ces produits.
Julian et le fantôme se rejoignirent et se scrutèrent longuement.
– Je te connais… dit le fantôme, s’exprimant d’une voix profonde. Je me souviens de ton visage.
– Je vous connais aussi, Jiminy. Pourquoi êtes-vous ici ? J’ai du mal à croire que vous êtes bien réel. Je pensais avoir tout imaginé…
– Et toi, alors ? Que fais-tu là, sur ce chemin de ronde ? demanda à son tour le fantôme. Dis-le-moi.
– Je dois protéger les miens et toutes les personnes qui vivent dans ce château, répondit Julian, sans ambages. La toiture me semblait une position stratégique. Mais je vous repose la question, Jiminy : pourquoi êtes-vous ici ? Et je ne parle pas du chemin de ronde…
– Jiminy ? réfléchit le fantôme. C’était bien mon prénom, je m’en souviens. Mon esprit était quelque peu embrumé, lors de notre première rencontre. Je m’appelle Jiminy MacCorkindale. J’étais le timonier sur le Theϊκόs Kolovos. Nous étions en l’an 1842.
– Le Theϊκόs Kolovos ?
– C’est bien ça.
– Le navire de Jacobo Kolovos ?
– Oui. Nous avons péri, je crois… Le Triangle… Aucun survivant…
– Vous m’en voyez désolé, dit Julian. Mais je…
– Une femme ! s’écria le fantôme.
– Une femme ? répéta Julian.
– Il y avait une femme, oui. Elle était rousse.
– Rousse ? frissonna Julian. Des cheveux orange…
– Rousse, en effet.
Julian posa ses mains sur la ceinture de mâchicoulis, perturbé par ce qu’il venait d’entendre. Une femme aux cheveux roux. La femme aux cheveux orange. Absurde ! Simple coïncidence ! Le fantôme parlait de l’an 1842. Nous étions le 5 août 2018.
Il se retourna prestement vers Jiminy MacCorkindale et se montra plus pressant.
– Je vous ai posé une question, Jiminy. Répondez, s’il vous plaît… Pourquoi êtes-vous ici ? Il me faut savoir.
Le fantôme le considéra un long moment, ne faisant qu’accroître l’impatience peu contenue de Julian. Son sourire affable alternait avec une expression beaucoup plus sinistre, mais non menaçante – il affichait seulement une profonde inquiétude, comme s’il redoutait d’avoir à prendre la parole, de dire ce qu’il savait, ou ce qu’il soupçonnait… La consistance incertaine de son corps spectral variait d’une quasi transparence, laissant filtrer les lumières, à une apparence humaine presque totale. L’homme, qui devait avoir dans les quarante-cinq ans à sa mort, était assez quelconque. Son visage n’avait rien d’exceptionnel. Il avait les cheveux blancs, il était grand, quelque peu bedonnant, mais la créature qu’il était devenu était assurément éblouissante. Magique…
Pourtant, l’heure n’était nullement à la pâmoison.
– Des forces obscures nous ont réveillés, lâcha le fantôme. Encore une fois… C’est à cause d’elles que les minces barrières entre le monde matériel et l’au-delà sont en train de céder.
– Nous ? fit Julian. Cela veut-il dire que vous n’êtes pas le seul ici, Jiminy ?
– À ma connaissance, je suis le seul à avoir passé la brèche… Mais d’autres sont attirés vers votre château, et leurs intentions ne sont pas des plus pures…
– Et ces forces obscures… Pouvez-vous m’en dire un peu plus ? Je dois savoir ! Je dois être prêt !
– Je crois que tu sais déjà tout ce qu’il y a à savoir, dit le fantôme. Il faut que tu fasses très attention, Julian Kolovos… Car chaque créature a son antagoniste, et ton antagoniste sera très bientôt là, j’en ai bien peur… Non ! Attends ! Je sens quelque chose… Quelque chose, oui… Ça approche ! C’est sombre ! Et ça déborde de haine.
Julian écarquillait les yeux. Son cœur allait exploser. Il n’avait pas peur pour sa vie. En aucune façon. C’était bien pour les siens et pour tous les êtres humains innocents, présents entre les murs du château, qu’il tremblait. Il était un loup-garou puissant, mais il n’était pas une armée à lui tout seul…
Julian regarda le fantôme de Jiminy MacCorkindale s’évanouir, puis il bondit, avec agilité et grâce, sur la toiture à deux pans avec croupes, constituée de pierres naturelles grises, à peine bleutées. Là, il tourna avec frénésie sur lui-même, se sentant frôlé à maintes reprises… Il bondit sur le toit conique d’une tourelle, puis de nouveau sur la toiture, puis au sommet d’une autre tourelle.
– Montre-toi ! hurla-t-il. Il est inutile de te cacher, j’ai reconnu ton odeur. Montre-toi ! Et sur-le-champ !
Il bondit une nouvelle fois et atterrit sur le chemin de ronde. Il se redressa et se retourna prestement, les yeux jaunes et brillants. La femme à la chevelure orange lui faisait face. Elle était troublante.
– Ne cesseras-tu donc jamais de me harceler ? lui cria Julian. Depuis des années, je sens ta présence derrière moi !
– Un peu de calme, s’il te plaît, mon joli loup, murmura la femme, d’une voix étonnamment suave. Il n’est pas très sain, pour la santé, de s’emporter de cette façon, ajouta-t-elle sur un ton railleur.
– Tu te moques de moi ? fulmina Julian. Fais donc ça, si ça t’amuse, mais jamais – jamais, tu m’entends ? – tu ne toucheras à un seul cheveu de mon père, de ma sœur ou de mon frère, car tu mourras bien avant, tu peux en être sûre ! Je t’égorgerai !
– Vraiment ? fit-elle alors, s’approchant sans crainte. Et que crois-tu pouvoir faire, mon joli loup, alors que nous sommes encore loin de la prochaine pleine lune ? Tu as développé les dons que je t’ai donnés, bravo, et tu les maîtrises peut-être incroyablement bien, aujourd’hui, mais je suis tout de même ton aînée, ne l’oublie pas. Je ne parle pas de l’âge précisé sur mon acte de naissance – tu l’auras compris, je suppose ? Je suis beaucoup plus puissante que toi, mon joli loup. Range tes crocs et tes griffes. C’est très viril, c’est certain, mais range-les, je te le conseille vivement. Si ça peut te rassurer, je n’en ai rien à faire de ta famille, de ton impresario, que tu appelles ton frère, ou de quiconque dans ce château. Ils n’ont rien à craindre de moi. Ce que je veux, c’est toi !
Désormais, Vincent n'ira plus se balader le long des chemins de halage, qui bordent le canal d'Arles. Il a pourtant si souvent emprunté le pont-levis de Langlois, au pied duquel les laveuses rincent les draps blancs avant de les faire sécher au soleil énorme de midi. Dans la chambre de l'hôpital, Vincent semble sur l'autre rive. Son existence à la dérive ne verra plus les matelots qui remontent, le cœur battant, avec leurs amoureuses vers la ville d'Arles. Marchant sur les sables mouvants de son existence, il se revoit sur la plage de Saintes-Maries-de-la-Mer... Le ciel d'un bleu profond, d'un bleu outremer a désormais fait place à la grisaille. Les barques se sont échouées sur le sable humide et figé. Celle qu'il a baptisée "Amitié" semble désormais se prénommer "Regrets". Ces barques sans capitaine ne prendront plus la mer. Elles n'affronteront plus les vagues de la Grande Bleue et les tempêtes soudaines. Le village de pêcheurs, quant à lui, pleure l'artiste qui divague et est tourmenté par son geste insensé qui l'a embarqué dans cette mouvance dont il ne peut s'extraire et qui lui confère ce vague à l'âme.
Aujourd'hui et demain, Bernard Wallerand nous propose un extrait des 2 récits de vie qui se dévoilent en alternance dans le roman.
Premier extrait "côté Eliott"
Côté Eliott
A l'école, la belle Margot ne s'assied plus à côté de lui depuis deux semaines. Elle l'a laissé tomber. Pour intensifier sa peine, elle ne répond pas à ses textos et elle le supprime de sa liste d'amis sur la toile, d'un simple clic de souris.
Dans sa chambre, complètement désespéré, Eliott ne comprend plus rien à sa vie ! Il passe des nuits blanches, des nuits étoilées, agitées, dans un ciel tourmenté. Il laisse son portable constamment allumé sur son oreiller. Le niveau sonore est au maximum. Le téléphone reste malheureusement silencieux. Pas d'"I love you" retentissant ! Un silence de marbre au sein duquel résonne une évidente déchirure. Margot a fait un stage intensif de piano le week-end qui a précédé leur incompréhensible rupture. Cela, il le sait.
Eliott se lève péniblement le matin. Il s'assied sur son lit. Ses mains retenant son visage, il pleure amèrement.
Dans le hall central de l'école, il manque une pièce du patchwork. Les mains frêles de Margot tapotant le piano ne sont plus. Au poignet de Margot, le bracelet bleu décoré à la Van Gogh n'est plus. Les Rommy Tilfiger font place aux Adodas ! Eliott emprunte dans une solitude pesante le long couloir de l'école. Les yeux de tous sont rivés sur lui. C'est clair pour tout le monde que Margot et lui ne sont plus ensemble.
.../....
Ainsi Margot a-t-elle préféré tapoter sur le piano un début de romance à quatre mains avec un certain Adelin plutôt que de tapoter des "je t'aime aussi" sur son écran ! Et c'est donc ainsi que les mains d'Adelin ont effleuré celles de Margot, juste au moment où, sur le clavier du piano, les graves ont rejoint les aigus. Sur la portée de musique ont ainsi fleuri les demi-pauses, les pauses, les soupirs et les crescendos. Eliott en crie de chagrin. Il en rugit d'amertume. Il en hurle de désespoir !
Emilio est arrivé en Belgique dans les années 50 et il a travaillé dans une mine de la région jusqu'à sa fermeture. Que faire quand on a moins de 40 ans dans un pays accueillant et socialement avancé, on cherche et on trouve.
En Sicile, il avait son grand-oncle Antonio qui était glacier à Catane. Lors d'un voyage, il est allé le voir, ce grand-oncle et lui a dit combien il aimerait exercer son métier.
En moins de 15 jours, Emilio a tout appris des recettes d'Antonio, ses trucs, ses tours de main.
Le mois de septembre était particulièrement clément et Emilio qui s'était bien équipé dès son retour a commencé à vendre des glaces à l'italienne dans son garage.
Ses voisins étaient enthousiastes et le bouche à oreille fonctionnait si bien qu'Emilio ne savait plus où donner de la tête.
Heureusement pour lui, la mauvaise saison arrivait et les amateurs se faisaient plus rares.
"Et pourquoi ne ferais-tu pas une tournée avec une camionnette ?"
L'idée de Luigia, sa femme, était bonne.
Emilio a eu quelques mois pour acheter une camionnette, la faire repeindre en couleurs vives et l'équiper d'un matériel ultra moderne.
Comment faire savoir aux clients que l'on arrive dans le quartier ?
Luigia, une fois de plus, a eu l'idée : installer une sono et faire passer une musique entraînante.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Le gamin qui s'y connaît en électronique a tôt fait de bricoler quelque chose.
C'est depuis ce jour qu'Emilio est connu dans toute la ville. Lui et sa camionnette vert, blanc, rouge et la musique de Titanic.
Je m’appelle e. Née d’un latin lointain, très vite, j’ai été considérée comme vulgaire dans les langues d’oc et oïl. Arrivée à Paris, ville pas encore très lumineuse, j’ai fréquenté Versailles où les h se faisaient aspirer quand ils n’étaient pas muets.
Si Versailles m’était conté, je serais assise sous un charme que seul un hêtre pourrait me faire rougir. J’y ai posé mes fesses et mes yeux pour glaner cette luxuriance entre fruit vert et fruit sec. Les jardins ruissellent d’anecdotes et de rencontres fortuites. Fort vite je me suis effacée pour entendre la pluie me secouer.
Cloîtrée dans un cocon, je suis devenue papillon. Mes ailes colorées rivalisaient avec les fleurs posées en parterre, rangées comme des i. Fluette et coquette, je volais de mes pétales jusqu’au jour où un filet m’attrapa dans ses entrailles.
Aveuglée par les mailles en dentelle, j’ai dû porter la culotte pour ne pas me faire piquer par un dard qui butinait tout ce qui voltigeait de part et d’autres.
C’est ainsi que je me suis recroquevillée en chenille autour d’un h muet.
Si les noces furent mielleuses, je décidai de ne pas garder ma langue en poche.
Environ une heure plus tard, Ivana, déjà pomponnée, descendit dans le grand salon, toute guillerette. Une cartomancienne rencontrée lors de la fête d’anniversaire du jeune Abhishek l’y attendait depuis dix minutes. La femme aux cheveux orange et au visage buriné, vêtue comme les bohémiennes dans l’imagerie populaire, fut accueillie par Caroline qui demeura sur place pour, d’une part, s’occuper de l’époussetage des meubles et, d’autre part, se divertir du spectacle grotesque que lui offrirait, à coup sûr, cette petite imbécile d’Ivana.
Car c’était la toute dernière lubie de la star : se faire tirer les cartes. Il y a quelque temps, cela avait été la pratique du yoga – qu’elle abandonna dès qu’elle réussit, Dieu seul sait comment, à se faire un tour de reins. Avant la pratique du yoga, cela avait été des cours de country. Mais le professeur la pria de ne plus jamais revenir, la qualifiant de catastrophe ambulante ! De tsunami ! Elle pensa également s’essayer au paintball… Par chance, son père lui fit promettre d’abandonner son idée de se mettre au tir à l’arc sur leur domaine.
– Ma colombe… Et si jamais tu tirais dans les fesses de ton frère pendant qu’il est à cheval ? Ou si tu tuais la bonne !?! Le tricot, qu’en penses-tu ? Quoique… non : les aiguilles ! On ne sait jamais, tes yeux !
Et que dire de la fois où, croyant adopter des maine coons, elle revint au château, embobinée par un vendeur, disons, louche, avec un couple de hyènes tachetées ? Quel cirque dans les couloirs et les pièces du château… Francesco, Ornella, Sofia, Dimítrios et la domestique couraient dans tous les sens, se croisaient et se croisaient encore, poursuivis par les bébés de la star hilare, poussant des cris d’horreur, alors que les hyènes ricanaient. Julian regretta fortement d’avoir raté ce merveilleux spectacle.
Pauvre Caroline… Aux urgences, encore une fois !
Quand Ivana tournait, dès qu’une scène nécessitait un minimum d’adresse – ne parlons même pas de cascades ! Car une doublure était alors requise –, le pire n’était jamais bien loin… Ni les services d’incendie et de secours. Une actrice exceptionnelle, certes, mais un cauchemar durant les tournages. Ainsi que dans la vie de chaque jour.
– Après la méchante reine, voici Blanche-Neige, dit la domestique à voix basse, se mettant à fredonner Supercalifragilisticexpialidociousafin de rendre Ivana complètement folle, car la star détestait Mary Poppins, et ce, depuis qu’on lui avait refusé de reprendre le rôle de Julie Andrews dans cette nouvelle version cinématographique qui, au final, était tombée à l’eau.
La séance put commencer après quelques : « Chut !!! », des regards obliques et un minimum de préparation et de manipulation des cartes du tarot – dit « de Marseille ». Mais Caroline, se tenant à bonne distance, jouant avec son plumeau comme un chef d’orchestre avec sa baguette, reprit de plus belle, augmentant le volume dès que revenait le mot le plus incroyable jamais créé pour une chanson et faisant, par là même, sursauter Ivana à chaque fois, comme si la malheureuse était assise sur un ballon sauteur ! La star finit par perdre son sang-froid.
– Mais allez-vous vous taire, Caroline !?! Nous sommes occupées, Raka et moi ! Êtes-vous réellement idiote ou le faites-vous exprès !?!
– Je ne voulais pas importuner Mademoiselle. Que Mademoiselle et son amie m’excusent.
– Allez voir ailleurs si j’y suis, Caroline. Il émane de tout votre être des ondes négatives qui perturbent notre concentration. N’auriez-vous pas tous les W.-C. du château à récurer, à tout hasard ?
– Mais même ailleurs, Mademoiselle, il serait bien difficile de vous ignorer… Des portraits de Sa Majesté recouvrent la plupart des murs de ce château.
– Vous êtes sotte, Caroline.
– Juger autrui… c’est se juger soi-même, Mademoiselle !
– Oh ! Quelle impudence… Je le dirai à papa, quand il descendra, et vous serez crucifiée ! CRU-CI-FIÉE !!! Dehors, maintenant ! Dehors !!! s’époumona Ivana, folle de rage et rouge comme le nez de l’auguste.
La domestique quitta la pièce une fois de plus, mais plutôt fière d’avoir réussi ce qu’elle espérait réussir : faire sortir Ivana de ses gonds. Dans le vestibule, tout en s’éloignant, elle se remit à chanter la chanson à tue-tête…
– Vous entendez, Raka ? Vous entendez ? Elle le fait exprès. C’est le démon, cette fille ! Un jour, j’en suis sûre, je vais avoir une rupture d’anévrisme à cause d’elle !
– Souhaitez-vous que nous arrêtions, très chère ? demanda alors la cartomancienne à Ivana, exaspérée.
– Arrêter ? s’étonna la star. Mais non, ça va aller, Raka. Il me faut absolument savoir. Continuez, je vous en prie.
– Fort bien. Comme il vous plaira. Mais quelle était votre question, déjà ? Cette chanson m’a fait perdre le contact avec les puissances supérieures.
– Eh bien, Raka, est-ce que c’est moi qui vais décrocher l’Oscar de la meilleure actrice lors de la prochaine cérémonie, voyons !?!
Raka tira les cartes et fit mine de très longuement réfléchir. Elle fronça les sourcils, manipula les cartes, soupira, manipula les cartes à nouveau, puis elle ouvrit de très grands yeux.
– Oui ! Les puissances supérieures sont formelles ! s’écria-t-elle.
Ivana, ivre de bonheur, se mit à gesticuler sur son siège et à pleurer comme une démente. Gloussant en même temps, elle n’arrêtait pas de demander à son invitée si c’était bien vrai.
Elle se leva subitement, surexcitée. On aurait dit qu’elle allait prononcer son discours de remerciements.
– Il faut que nous fêtions ça ! Après tout, c’est mon anniversaire, aujourd’hui. Sortons vite m’acheter de nouveaux atours et de nouvelles paires de chaussures ! Je sais où trouver les derniers modèles qu’on ne verra jamais sur quiconque. Vous n’allez pas en croire vos yeux, Raka ! Bien sûr, je vous achèterai un petit quelque chose pour vous remercier, vous et les puissances supérieures…