Christine Brunet en invitée du blog Aloys avec le prologue de son dernier thriller policier, Malfarat

Publié le par christine brunet /aloys

 

Ceyreste. Février 1943

 

 

Il fait nuit. Il gèle à pierre fendre dans les ruelles pavées du petit village provençal. Toutes les fenêtres sont tendues d’un lourd tissu noir ou barricadées derrière les volets en bois. Pas une lumière ne filtre. Tout semble endormi. Pas un bruit.

 

Pourtant, en y regardant de plus près, une ombre rase les murs, avance avec circonspection, oreille aux aguets. Elle s’arrête sous un balcon, observe à droite puis à gauche, se déporte dans une zone plus éclairée et observe ce premier étage : un mouchoir esseulé et raidi par le froid pendouille sur une corde à linge. C’est le signal : la voie est libre.

Agile comme un singe, l’ombre grimpe le long de la gouttière, passe la rambarde, retire le mouchoir et tape le volet du bout de l’index. Le battant s’ouvre puis se referme immédiatement sur le visiteur.

 

L’intérieur de l’appartement est commun à toutes les maisons de village : tommettes en terre cuite rouge au sol, murs blanchis à la chaux, chaises en paille installées autour d’une lourde table ronde. Sur la droite, le coin cuisine avec sa pile en pierre de Cassis et le poêle à bois qui ronronne doucement. Dessus, un poêlon en terre garde au chaud le repas de la semaine.

 

Une jeune femme se jette au cou de l’homme, l’embrasse avec emportement :

  • Joseph ! Mon Dieu ! Tu es là, enfin ! Ce que j’ai eu peur ! s’exclame-t-elle en détaillant le petit gabarit fluet aux courts cheveux noirs plaqués sur le crâne. Tu en as mis du temps !

 

Elle regarde le pantalon, élimé comme sa parka, l’écharpe tricotée, les bottines usées, remonte vers la ceinture et devine la présence rassurante du Lüger qu’il trimbale partout.

  • Ça a été chaud… Hum, ça sent bon ! Les enfants ?
  • Au lit.
  • Les boches ?
  • Rien d’inhabituel. Tu as tes instructions ?

 

Il élude les questions pour ne pas mettre son épouse trop en danger.

  • Je mange et je repars.
  • Tu rentreras quand ?
  • J’en sais rien…

 

Il hésite et décide de lui en dire plus : elle est forte.

… Je dois partir sur Lyon…

  • Lyon ! Oh Bonne Mère ! Mais…
  • Chut… Ultra secret.

 

Elle essuie ses mains tremblantes à son tablier : elle est plus pâle que d’habitude.

  • Et j’aurai des nouvelles ?
  • Tu sais bien que non…  

 

Il évite son regard et s’installe à table sans aller voir ses deux gosses : pas l’envie qui lui manque, mais la pudeur peut-être, ou la crainte de ne plus avoir le courage de repartir.

  • Je te sers tout de suite…

 

Empressée, elle court vers l’évier, sort de dessous un bol puis se déporte vers le poêle et remplit l’écuelle qu’elle pose devant son mari avec un morceau de pain noir.

  • Des rutabagas… Rien trouvé d’autre.

 

Il grogne, mais enfourne la nourriture à toute allure.

  • Au fait, Mireille, fais attention aux Figuières. Ils fricotent avec les schleus.
  • Très bien… Mais notre Victor et leur fils jouent ensemble à la sortie de l’école. Je fais quoi ? Difficile de les en empêcher sans qu’ils posent tout un tas de questions…
  • Je sais… Mais tu dois être très prudente avec ce que tu dis aux enfants… Tu m’as compris ?
  • Je sais, mon chéri… murmure-t-elle en s’essuyant à nouveau les mains à son tablier fleuri. Tu sais que le père Figuières a disparu ?

Joseph acquiesce et passe simplement l’ongle de son pouce en travers de la gorge : exécuté.

  • Sur les ordres d’en haut… Un collabo de moins, c’est toujours ça… siffle-t-il, les sourcils froncés, mauvais.

 

Un caillou contre le volet. Il bondit comme s’il est monté sur ressort.

  • Il est temps, ma chérie. Fais bien attention à toi et aux gosses.
  • Attends ! J’ai quelque chose pour toi…

 

Elle sort d’un tiroir un papier plié avec un mot écrit à l’encre bleue qu’elle lui tend… « Llm Malfarat »

 

Il prend la missive[1], contemple l’écriture, fronce vaguement les sourcils très noirs, l’ouvre, en parcourt le message et empoche le papier sans plus d’explication.

  • Sois prudent !
  • Évidemment…

 

Il se lève, la prend par la taille, l’embrasse avec emportement et quitte le petit logement pour le balcon. En un clin d’œil, il a disparu dans la nuit. 

 

Texte de l’ordre de mission

« Pour la Question de font Chapelle ji serai le Samedi 9 Courant 13h

Ne manqueS paS di Etre ce Jour

GilReilGer »

 

 

 

 

Mars 1943

 

Des hurlements, des pleurs, des supplications… Au premier étage de la maison de village, quatre agents de la Gestapo mettent le petit appartement provençal à sac. À leurs côtés, deux Français de la Milice en long manteau noir, croix gammée au bras, montrent un empressement suspect. Une paire de boucles d’oreille en or disparaît dans l’une des poches avec quelques pièces de monnaie et deux tickets de rationnement découverts dans l’un des tiroirs renversés au sol. Les deux enfants et la femme sont poussés sans ménagement sur le palier puis dans les escaliers.

En bas, une voisine pomponnée, en robe fourreau décalée pour l’endroit et talons hauts, petit chapeau perché sur une coiffure sophistiquée, observe la scène, sourire mauvais aux lèvres : elle a dénoncé ses voisins sans états d’âme. Des communistes à ce qu’on dit, peut-être même des juifs… Le mari est toujours absent, dans le maquis à ce qu’on raconte.

Elle est du côté de la loi. Son mari l’était aussi ! Un bon Français éliminé par ces traîtres à leur Patrie, ceux qui se disent ‘Résistants’… Résistants à quoi, on se le demande !

Elle regarde la femme et ses deux rejetons partir vers la place où un camion bâché les attend. Enfin débarrassée… Enfin vengée !

 

Son regard croise celui de Mireille, haineux, puis celui de l’aîné, Victor, le copain de classe de son fils Paul et enfin les yeux noir charbon de la cadette. C’est une autre étincelle qu’elle y décèle, frissonne puis se reprend : quelle importance ? Ceux qui partent avec la Gestapo disparaissent à jamais.

 

Elle peut dormir sur ses deux oreilles…

 

[1] Cette lettre existe vraiment avec ses fautes… Seule la signature a été modifiée… Et ce n’était pas un ordre de mission… Du moins a priori !

Publié dans extraits, l'invité d'Aloys

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E
Quelle introduction, tu nous a mis un bel hameçon ! J'ai trop envie d'aller de l'avant et de savoir....
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C
Merciiiii à tous !
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B
D'accord avec Carine-laure! <br /> <br /> Ce prologue donne vraiment envie de poursuivre la lecture ....
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C
On lit deux lignes et on plonge déjà dans le récit. Ce sera un succès. Bravo Christine!
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M
Récit très prenant. Bravo, Christine !
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A
Très efficace, je confirme ! Un prologue qui donne envie de découvrir une suite qui, j'en suis sûre, doit emprunter bien des chemins...
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P
Un si beau souvenir !
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J
Très efficace ! Un suspense établi en un rien de temps... Chapeau bas, Christine !
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