Didier Kelecom nous propose un extrait de son roman " Mystérieuse entrevue"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Réveil douloureux

 

 

 

L’être est couché dans un lit, il dort. Son rêve l’entraîne dans une chambre close, sans porte ni fenêtre. Un sommier défoncé, au matelas poussiéreux, trône au milieu de la pièce. La chaise, sur laquelle repose une tunique, complète l’ameublement. Une lumière sombre inonde le sol.

Le rêveur se lève, fait quelques pas, touche la muraille, passe au travers pour se retrouver à nouveau à côté du lit.

La mémoire vide, l’esprit embrumé, l’être se recouche, se réfugiant dans l’oubli.

 

Le cauchemar se prolonge par une image incrustée profondément dans sa tête :

«  La tempête faisait rage, le vent hurlait à la mort, les lourds nuages menaçants filaient dans le ciel gris. Abandonné de tous, un petit garçon luttait pour sa vie, accroché au grand mât d’un voilier en perdition.

Il appelait sa maman en vain... »

 

Sous le choc, l’être s’éveille, saute du lit, crie :

  • Thanatos, Dieu de la mort, du renouveau et de la vie, sauve-moi !

Une fugace apparition se présente à son regard : un jeune page très beau. Un ange ?

À nouveau seul, bien réveillé cette fois, l’être contemple la pièce vide. Il veut sortir de cette chambre étouffante mais la porte est fermée à clé. Des pas se font entendre dans le couloir. Il appelle, frappe le battant alors que le bruissement s’éloigne.

S’acharnant sur la poignée, il tire de toutes ses forces. Brusquement la serrure cède, le battant pivote, le précipitant au sol. D’un bond, l’adolescent se relève. Il remarque une inscription à moitié effacée gravée sur le bois du battant : « Thanos d’Adrianos ». En dessous une plaque est apposée : « Interdiction d’entrer : fantôme ! ».

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le garçon se rappelle qu’il y a au bout du couloir une salle de bains pourvue d’une petite piscine d’eau de mer. Plonger et nager lui feront le plus grand bien. Il s’y rend. La porte est ouverte : un autre garçon y patauge déjà.

Un miroir orne le mur du fond. L’être se voit dans cette glace murale. Son corps nu est vert brillant, ses mains ont quatre doigts, ses pieds quatre orteils. Sa coiffe est noire et drue, ses yeux sont marrons. Bref, il se reconnaît dans ce reflet, celui d’un jeune Aquouarien typique, semblable au nageur qui ne le remarque pas, ne répond pas à ses questions, l’ignore...

Devant l’absence de réaction de l’autre, l’être retourne dépité dans sa chambre et s’assied sur le lit qu’il sent à peine. Est-il transparent ? Est-il un fantôme ?

Par petites touches, comme une peinture qui se construit, la mémoire lui revient lentement. Des souvenirs grossiers, des visages à peine reconnaissables, des sentiments flous, comme des dessins d’ordinateur aux pixels trop gros...

 

Thanos d’Adrianos, c’est lui, un enfant d’Aquouaria, la planète océane, un monde venteux. Hélios, le soleil qui l’éclaire, n’apparaît jamais, toujours caché par les nuages qui filent du Couchant vers le Levant. Le jour est long, la nuit interminable et pluvieuse.

Comme agent attaché à la couronne, il bénéficie de cette vieille mansarde blottie dans les combles du palais royal.

Il a cette impression terrifiante d’avoir dormi trop longtemps, des siècles.

Par la fenêtre l’adolescent contemple le paysage, la cour intérieure du palais éclairée par le jour naissant. De loin, le redoutable volcan Pyros s’impose au regard, menaçant, susceptible de détruire la capitale du royaume, Hislandopole, la grande ville portuaire de la mer du Levant. Le spectacle lui est familier mais diffère par de multiples détails.

Des fragments d’images de sa jeunesse lui reviennent : enfant, il a vécu chez les Océaniens de la mer du Couchant, dans le Grand Refuge. Sa vie s’est poursuivie sur le continent, aux Embruns. Orphelin, il n’a aucun souvenir ni de son père, ni de sa mère. Le duc Adrianos des Embruns, son protecteur, l’a adopté. Depuis, il se nomme Thanos d’Adrianos.

 

Soudain, deux portraits éclairent son esprit : une femme, un homme. Ils ont la peau blanche, les cheveux blonds, les yeux bleus. Ils sont d’un autre monde. Papa ? Maman ? Thanos se reconnaît dans le visage de cette mère, de ce père. Comme eux, il est Terrien ! Son nom est « Athanase Dumont ».

Il est l’enfant des étoiles, nommé ainsi car piégé par le pont des étoiles, cette machine à voyager dans l’espace. Venant d’ailleurs, il s’est retrouvé transporté sur un bateau en perdition, aux prises avec les tempêtes de la mer du Couchant, non loin du duché des Embruns.

 

À nouveau des bruits. Etouffant de solitude, Thanos sort de sa chambre et se place face au garçon sorti du bassin, bien décidé à se faire remarquer pour engager la conversation !

Celui-ci ne s’arrête pas et passe à travers lui !

C’est impossible. Serait-il un fantôme ?

Ne sachant que faire, Thanos se réfugie dans sa chambre. Enfermé dans sa solitude, il compte les secondes, les minutes, les heures. Sa vie déroule lentement devant ses yeux, lui révélant ses dernières aventures, puis c’est le mur : il n’y a plus rien à voir.

 

Un personnage étrange apparaît soudain au milieu de la pièce.

  • Qui êtes-vous ?
  • Je suis Norbert, l’intelligence artificielle. Je vis dans l’ordinateur central et toi, un être virtuel comme moi, tu existes dans ma mémoire ! Tu viens d’un fichier back-up, une sauvegarde informatique.
  • C’est impossible !

Moqueur, Norbert lui lance à la tête sa tunique et s’assied sur le siège ainsi libéré.

  • Rhabille-toi !

Rougissant, l’adolescent s’exécute. Une question lui brûle les lèvres.

  • Ce que je suis, est-ce la réalité ?
  • Oui, c’est la réalité... Ou plus exactement, c’était la réalité. Soixante-dix-sept années aquouariennes se sont écoulées entre la création de ta sauvegarde et ta résurrection, cinquante années terrestres.
  • Pourquoi cette résurrection ?
  • Parce que le roi me l’a demandé. Laisse-moi te raconter ce qui s’est passé pendant ta longue absence :

 

« Au décès du roi précédent, mort sans enfant, une assemblée constituante a désigné son successeur, un mauvais choix.

En effet, au fil des années, le pouvoir a corrompu l’esprit de ce monarque vieillissant qui cherche à se dupliquer en utilisant le pont des étoiles. Il a reformé une équipe, relancé les recherches. Le chef de l’État aspire à la vie éternelle, voulant passer d’un corps mourant à un corps numérisé et préservé dans la mémoire de l’ordinateur central. »

 

  • Norbert, tu n’as pas répondu à ma question ! Pourquoi moi précisément ?
  • Parce que tu es le seul à avoir été sauvegardé, corps et esprit, dans la mémoire de l’ordinateur grâce au pont des étoiles quand il fonctionnait encore. Les autorités m’avaient demandé de t’enregistrer avant que ton double physique ne parte en mission sur la Terre, ensuite pour Theirra. Il n’était pas sûr que tu réussisses et survives à ces expéditions.

Thanos se rappelle vaguement cette dernière mission : la conquête au nom des Aquouariens de Theirra la blanche, planète froide et vide d’intelligence. Ce monde s’était révélé être le futur de la Terre. Donc l’humanité avait disparu !

Trop sollicité, le pont des étoiles avait été détruit. Son double était resté là-bas, y était mort.

  • Quel est mon rôle ? Que dois-je faire ?
  • Tu dois tester et valider le bon fonctionnement de la nouvelle mouture du pont des étoiles. Nous vérifierons que le corps fourni par la machine est viable.
  • Les souris de laboratoire, ne les tue-t-on pas en fin d’expérience ?
  • Cela n’arrivera pas ! Tu es sous ma protection.
  • Tu n’as en principe pas voix au chapitre.
  • Tu te trompes : mon pouvoir est immense mais caché.
  • Tu vas donc me matérialiser ?
  • Oui !
  • Quand ?
  • Maintenant !

Norbert se lève, fait un signe à l’enfant des étoiles de le suivre. Il traverse sans encombre la porte fermée, suivi de près par le garçon. Instantanément, les deux êtres numériques sont dans la grotte laboratoire du mont Olympus, la montagne sacrée.

Thanos espère recevoir d’autres révélations sur son passé. Il en n’est rien : si ses souvenirs en tant que Terrien du nom d’Athanase Dumont couvrent une vie entière, ceux de son séjour sur Aquouaria sont incomplets. Il y a trop de lacunes !

  • Norbert, tu me caches des choses !
  • Certains faits laissent des traces traumatisantes. Tu n’en as pas besoin !
  • Qui est ce Johan Mercier ?
  • C’est celui qui est parti sur Theirra à ta place. Le back-up date d’avant ta dernière mission sur la Terre : récupérer un corps viable pour ton esprit. Les informations que tu pourrais recevoir ne sont pas de toi mais de ton double mort sur la planète blanche. À quoi sert d’en savoir trop ?

 

Sur l’estrade de l’esplanade face à la pyramide blottie au sein du mont Olympus, dans laquelle fonctionne le pont des étoiles, Thanos est couché à même le sol. Norbert se tient devant lui et commente le transfert :

  • C’est parti !

La figure de synthèse s’estompe lentement, se brouille, se dissout dans l’espace, laissant la place au vide, au néant... Thanos s’endort. Il lui semble encore entendre l’intelligence artificielle lui murmurer à l’oreille : « Dorénavant tu auras un passé, un présent, un futur. La vie reprend son cours, les temps changent. »

 

Publié dans extraits

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A
Un extrait qui sent bon la S.F. et la Fantasy. Il donne envie d'en découvrir plus...
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