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Texte 4 concours ""la passion détruite se transforme en passion à détruire"

Publié le par christine brunet /aloys

NUAGES SUR UNE VIE

À près de quatre ans, il passait beaucoup de temps à gribouiller en utilisant des crayons de couleur. Luc, son parrain, disait en riant : "C'est le prochain Picasso !" Sa grand-mère relativisait l'importance de ce penchant : "Ça lui passera ! Toi Luc, quand tu étais gamin, tu imitais bien les cris des oiseaux, des chats, des chiens."

Il a dix ans. Il aime dessiner sur un bloc de feuilles blanches. Il dessine une pomme, un chien, un oiseau, une boîte, une plante, un chapeau, des choses qui sont à portée de son regard. Il s'est le plus souvent préalablement assis confortablement devant le bureau de son père, devant la table de la cuisine ou devant celle de la terrasse. Mais il lui arrive aussi de s'agenouiller face à une des tables gigognes du salon et de se mettre à y dessiner lorsque des endroits plus pratiques sont momentanément inaccessibles. Un jour, dans un supermarché, il s'est emparé d'une petite annonce sur laquelle une femme offrait ses services de professeur de dessin tandis qu'à côté d'autres petites annonces avaient été épinglées sur lesquelles l'on proposait les services de professeur de mathématiques, de français, d'anglais  et de sciences. Il était si heureux d'avoir fait cette découverte. De retour chez lui, il a montré l'annonce à ses parents, mais ceux-ci ont refusé de répondre à son attente. Il a ainsi continué à dessiner seul, à essayer de s'améliorer… Il se voyait déjà devenir un autre Philippe Geluck ou un autre Vadot, des dessinateurs dont il voyait les œuvres dans des journaux ou des magazines.  Il lui arrivait d'ajouter des yeux sur les feuilles d'une plante, une bouche de laquelle sortaient deux ou trois mots sur le couvercle d'une tirelire, un nuage en forme d'arrosoir au-dessus d'un chapeau…

Il a grandi. Il a continué de crayonner même si ses parents accordaient peu d'attention à sa passion. Il a participé à des concours de dessin, il s'y est parfois plutôt bien classé. Il a exprimé le désir de s'inscrire dans un atelier de dessins, mais cela a été jugé superflu aussi bien par sa mère que par son père. Les activités scolaires étaient pour eux les plus importantes qui soient. Un cours d'anglais était, selon eux, bien plus utile qu'un atelier de technique du dessin. Il ne s'est pas opposé aux attentes parentales. Il était un bon élève, docile, appliqué. Il était un fils soumis. Il n'a pas insisté…

Il est devenu une de ces personnes que l'on peut voir esquisser une silhouette ou des formes sur une enveloppe, dans un journal ou un agenda. Il est devenu quelqu'un qui conservait les plus belles traces de sa passion dans un classeur et dans une boîte. Il est devenu au fil du temps une de ces personnes aigries et terriblement déçues de n'avoir pu mener à terme un projet artistique. 

Il avait atteint la trentaine quand il s'était mis à critiquer de plus en plus régulièrement les tentatives de son entourage de valoriser des talents sportifs, littéraires, créatifs ou autres que manifestaient des enfants, des amis ou connaissances. Il s'amusait à mettre en évidence les failles de ces personnes dans des domaines plus lucratifs. Il avait développé un sens aigu de la critique.  Il blessait, il griffait sans pitié les egos sans prendre conscience que cela était lié à sa passion rejetée, mise aux rebus. Il se dérobait à la légèreté de loisirs improductifs. Il se vengeait.

Il travaille dans un cabinet d'avocats. Il est spécialiste des conflits de voisinage. Il est un homme qui fait mal en paroles, qui est mal avec lui-même, que le souci de décrédibiliser, de fracasser, de renverser, de détruire dévore de l'intérieur. Une cousine consciente de son mal-être lui a suggéré de bénéficier d'un suivi psychologique, mais il estimé cela superflu. Nuages sur sa vie. Il se demande encore s'il aurait pu devenir une sorte de Geluck… 

 

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Texte 3 concours "La passion détruite se transforme en passion de détruire"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Clics et Whisky 

 

Dans une pièce sans fenêtre, dans un appartement au trente-troisième étage de la Tour Avant-Seine à Paris,  règne le bruit des touches. Un clavier Azerty sur lequel il ne cesse de pianoter. Nous appellerons Bernard ce fameux “Il” dont l’identité doit rester secrète jusqu’à la fin de cette histoire. Bernard, donc, est un homme discret. Certains diraient étrange, inquiétant, voire malaisant. Toujours est-il que personne dans le gratte-ciel n’a jamais entendu le son de sa voix. On le croise, toujours dans le même ascenseur, mais rien de plus. D’ailleurs, il ne sort jamais. Il commande. Des petits paquets et des grands cartons qu’il récupère auprès du concierge en échange d’un clignement agité de la paupière gauche et d’un sourire compulsif. Ses mains moites tremblent. Sa chemise est mal boutonnée. Toujours.

En ce mardi pluvieux dégoulinant sur les immenses baies vitrées de la Tour, c’est un petit colis qui l’attend dans la loge du rez-de-chaussée. Petit, mais non moins lourd. Sans dire merci, Bernard tourne les talons et rejoint son appartement qu’il ferme à double tour. Dans le carton : Jack Daniel, Clan Campbell, Johnnie Walker et Ballantine’s. Il dévore des yeux les bouteilles avec l'œil lubrique du client impatient devant les vitrines d'Amsterdam. Il transpire et, rapidement, jette son dévolu sur le degré le plus élevé. Un verre. Deux. Trois. Quatre. Le cinquième pour plus tard. Les veines pulsatiles, il pénètre dans la pièce sans fenêtre qu’il verrouille d’un regard écarquillé à l’attention du système de reconnaissance de l’iris. Dans la pénombre, il titube telle une brebis égarée jusqu’à s’asseoir au centre, sur la chaise à roulettes. Le jeu peut commencer. Frénétiquement, il tape sur les touches. Et le compteur du jour démarre, s’affole, en quelques minutes il avoisine déjà le millier de personnes. Bernard se frotte les mains. Ça le grise, l’électrise. A Tokyo, Milan, Berlin, Liège, Aix-en-Provence et partout ailleurs, les gens tombent comme des mouches. Crise cardiaque. Le dada du jour. En quelques clics, Bernard choisit ses victimes et pousse sur entrée. La douleur est immédiate, l’issue fatale. 

C’est tellement plus simple avec l’informatique. 

Même s’il les hait foncièrement ces êtres qu'il a créés à son image, si médiocres, cupides, égotiques, épouvantablement décevants, il se réjouit de ce bel outil inventé par leurs soins.

A présent, vous savez tout : le Bon Dieu existe, il habite la Tour Avant-Seine à Paris et il est alcoolique.

 

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Texte 2 concours "La passion détruite se transforme en passion de détruire"

Publié le par christine brunet /aloys

 

"La passion détruite se transforme en passion de détruire"

 

Oh si j’ai aimé devenir la femme de chambre de Mademoiselle Emilie. Elle et moi avions le même âge, la même taille, les mêmes cheveux. C’est sa mère qui l’a remarqué et qui a annoncé d’un ton enjoué : notre petite Jeannette pourra se soumettre au supplice des mesures avec la couturière, si fastidieux. Sans parler des essais avec les postiches pour les coiffures de fête. Notre Emilie est impatiente comme un poulain de race, cette gentille Jeannette ne pouvait mieux tomber. 

 

Certes, les attaches d’Emilie étaient plus aristocratiques, ses doigts plus fuselés, ses cheveux plus fins, sa nuque plus délicate. Elle me le disait ici et là, terminant ses constatations d’un haussement d’épaules navré accompagné d’un « ma pauvre Jeannette… ». Moi j’étais toute retournée d’émotions quand je laçais son corset, fermais l’attache de son collier de perles, ajustais un ruban dans les entrelacs de ses cheveux. Au fond, elle était un peu moi, et j’étais un peu elle. Placée derrière elle, face au miroir, je savais que les plis de cette soie rose dragée souligneraient mes formes de la même manière, que ces dentelles lilas fané enlaceraient aussi joliment ma gorge, et je nous souriais, toute prise par un bonheur enchanté. 

 

Je la voyais comme une sœur, un double, une autre moi avec un autre passé, un autre destin. C’était délicieux.

 

Puis survint Réginald Bettonville-Flémalle. Beau comme l’archange Gabriel sur la fresque de la chapelle. Et – comment lui en vouloir ? – envoûté par Mademoiselle Emilie. Il s’accordait avec ses parents : oui, elle avait une silhouette pleine de distinction, un port de tête élégant, une taille adorablement prise. Tout lui allait, tout lui seyait. Sa chevelure n’avait son pareil dans le monde entier. Mon cœur s’emballait : après tout… il me décrivait aussi, et je rougissais, troublée. 

 

Tu rougis comme une vilaine betterave, me disait Mademoiselle Emilie, agacée je ne savais de quoi. Tes doigts sont rugueux. Tu as une haleine de pot de chambre. Tu commences à grossir, je ferai mes essayages moi-même. Tes cheveux sont cassants. Il faudra qu’on te trouve quelque chose à faire en cuisines, ma pauvre Jeannette… Je vais en parler à maman, ça devient absurde. Tu ne te vois quand même pas enfiler ma robe de mariée avant moi, non ? 

 

Je me suis retrouvée aux cuisines, les cheveux emprisonnés dans une coiffe, les mains craquelées, vêtue d’honnêtes matières robustes et peu flatteuses, bardée d’un grand tablier. Et alors que je sortais jeter les épluchures de pommes de terre au poulailler, j’ai presque trébuché sur la pointe de botte du jeune Bettonville-Flémalle, fumant sur le vieux banc de jardin. « J’ai un court instant cru voir Emilie, c’est sidérant ! » s’étonna-t-il (et mon cœur fit un triple saut périlleux, me remplissant de joie…). « Oh non Monsieur, Mademoiselle Emilie est tellement plus gracieuse que moi, on ne s’y trompe pas si on y prend garde : regardez ses cheveux, luisants et sains. tout mérite de cette étonnante perruque arrivée d’Angleterre, car la pauvre… eh bien la pauvre, je sauvegarderai son secret. Bref, la voici sauvée ! Et puis sa jolie silhouette élancée, souple, droite, seuls les artifices d’un corset renforcé pouvaient l’en parer, vous voyez je n’ai que ce que la nature m’a parcimonieusement donné… Et il n’est un secret pour personne que son haleine – pardonnez-moi ma franchise – vraiment pestilentielle soir et matin est sous contrôle depuis qu’elle mâche des bâtons de réglisse. Oh non cher monsieur Bettonville-Flémalle, ne vous y trompez plus, Mademoiselle Emilie fait bien meilleur effet qu’une humble fille de cuisine… »

 

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Texte 1 concours "La passion détruite se transforme en passion de détruire"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Exsangue 

 

   À présent qu’il est embarqué dans cette périlleuse et éreintante aventure, il se voit mal bifurquer ou faire volte-face, envoyer tout péter et s’inscrire pour entamer un autre cursus, tout cela à deux doigts de décrocher ce fameux diplôme, un passeport pour bosser et peut-être entasser des tunes. Peut-être car ça, c’était avant. Avant quoi, il ne cherche même plus. Annoncer un autre choix à ses vioques qui s’étaient saignés aux quatre veines pour lui payer ces longues études, ça lui fendrait le cœur. Ce père épuisé par les heures sup, ce père qu’il respecte tellement et qu’il ne fait plus que croiser de temps en temps. Ces derniers mois ont tué son idéal, toutes ses heures de garde enfilées les unes après les autres, des pauses prises plic ploc ou pas du tout, un demi-sandwich avalé en visionnant une échographie, ou en écoutant au téléphone les doléances d’une hiérarchie écrasante. Il jette un œil sur la pile de documents qu’il doit signer et qu’il a envie d’envoyer aux calendres grecques. Et bordel, c’est dimanche quand même. À l’infirmière qui lui rappelle qu’une vingtaine de patients attendent la consultation dans une salle dont on ne peut repousser les murs, il lâche avec ironie que s’ils ne piétinent pas dans leur sang, ils peuvent encore rester là quelques heures. Il apprend que le gynécologue de garde a jeté l’éponge et que son remplaçant arrivera en retard, le gars crèche à deux cent bornes de là. Les ordinateurs rament et le service help desk reste injoignable, faudra faire avec ça jusqu’à demain, espère-t-il. L’équipe de gériatrie est mécontente, elle avertit que plus un seul lit n’est disponible, les patients seront dirigés vers la médecine mais là aussi, ça commence à déconner. L’infirmière revient, le lit cinq vient de clampser, la famille demande des explications au plus vite, le dossier complet, et surtout les médicaments administrés ces dernières heures car le décès de leur mère, ça, les enfants ne comprennent vraiment pas. L’infirmière insiste et souligne que l’un des enfants est administrateur dans la boîte et ça, ça pue, c’est pas ça qu’il faut pour le moment, ce décès incompréhensible tombe mal, très très  mal.  

   Ce soir, c’est l’anniv de Laura. Rapido le futur toubib lui envoie un texto, Désolé ma douce, annule le resto et réserve pour demain. Je te promets. 

 

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Christine Brunet a lu pour ActuTv « Les Apprent-histoires » de Julie Toussaint

Publié le par christine brunet /aloys

« Les Apprent-histoires » Julie Toussaint

 

Coup de cœur pour ce recueil de quatre mini histoires destinées aux petits. J’ai adoré les découvrir en me disant, à chaque fois, que mon fils aurait adoré que je les lui raconte le soir, avant de se coucher.

Ces textes, très bien écrits, sont ludiques et éducatifs, agrémentés de jolis dessins que j’aurais bien aimé en couleur pour plus d’attractivité (tant pis !) : l’enfant apprend en s’amusant le rôle de la ponctuation avec « les petits points ». Il comprend la notion de petit et de grand, de vaste avec « Si petit, et pourtant… ». Il joue avec les lignes, courbes, droites et toutes leurs possibilités dans « T’as la ligne ? » et enfin, il découvre le rôle des aiguilles d’une horloge avec Pik et Pak, les aiguilles romantiques.

Bel exercice de pédagogie et d’imagination : l’auteur, Julie Toussaint, sait parler aux enfants. Elle sait les intéresser, titiller leur curiosité et leur intellect. Tout est rythmé pour ne jamais susciter l’ennui. L’enfant apprend en s’amusant et l’adulte s’implique en s’amusant également.

Un ouvrage à découvrir, à lire à tous vos petits bouts !

 

Christine Brunet

 

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Résultats concours "Les petits papiers de Chloé" - Thème : "Lâcheté(s)"

Publié le par christine brunet /aloys

Texte 1 : Carine-Laure Desguin  ............................ 1 voix

Texte 2 : Edmée de Xhavée .....................................  4 voix

Texte 3 : Micheline Boland

Texte 4 : Micheline Boland

Texte 5 : Brune Sapin

Texte 6 : Joe Valeska ....................................................  1 voix

Texte 7 : Philippe Desterbecq

 

Bravo à Edmée de Xhavée, notre gagnante !!!

 

Et merci à tous les participants qui nous ont proposé de très beaux textes !!!!!

 

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Texte 7- le dernier ! Concours "Les petits papiers de Chloé"; "lâcheté(s)" - On vote sur ce post !

Publié le par christine brunet /aloys

 Dernier texte du concours ! Votes jusqu'à demain soir 21h sur ce post en commentaire ! 

Résultats le 31/10 

*

 

Je sais, j’ai été lâche. Je n’ai rien fait, pas bougé le petit doigt pour que les choses se déroulent autrement, mais si j’avais dit ou fait quelque chose, est-ce que tout aurait été différent ?

Je ne voulais surtout pas le perdre. Je n’aurais pas supporté de vivre seule. J’ai toujours eu peur de la solitude. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai épousé John : pour ne pas être seule, pour ne pas avoir à affronter les épreuves de la vie sans aide, pour ne pas avoir les pieds froids la nuit.

Quand j’ai épousé Patrick, j’étais très jeune. Ma mère venait de mourir ; je n’avais ni frère ni sœur. Ma mère et moi, nous avions toujours vécu en symbiose : jamais l’une sans l’autre. Je ne me serais sans doute jamais mariée si ma mère avait vécu plus longtemps. Mais la maladie l’a emportée alors qu’elle était encore dans la fleur de l’âge. Il faut dire qu’elle ne s’est pas vraiment battue pour rester avec moi. Elle m’aimait, je le sais, mais jamais elle n’avait pu oublier son bel amant, mon père, et son véritable désir était d’aller le retrouver là où il devait l’attendre, dans un lieu auquel je n’avais pas accès.       
Patrick m’a trompée avec tout ce qui bouge : sa secrétaire (le coup classique), ma meilleure amie (oui, je sais, ça fait terriblement cliché, mais c’est la vérité), la voisine,… Je n’ai jamais rien dit. Là aussi, j’ai été lâche. Je préférais fermer les yeux afin qu’il ne me quitte pas. Je n’aurais pas supporté de vivre seule dans ce grand appartement vide dont j’avais hérité à la mort de ma mère. Et pourtant, il est parti, m’abandonnant à mon triste sort. J’avoue que je n’ai pas vraiment souffert de la solitude à ce moment-là, car avant de partir il m’avait laissé un cadeau : une petite graine qu’il avait implantée dans mon ventre. J’avais quelqu’un à qui parler : une vie qui se développait à l’intérieur de moi. Nous étions deux, seules contre le monde entier, comme je l’ai été longtemps avec ma mère jusqu’à ce qu’elle m’abandonne.

John, je l’ai rencontré au bureau. Un gars sympa qui s’intéressait à moi. Ça ne m’a pas laissé indifférente. Un jour, Elodie, ma petite fille allait me quitter, elle aussi, et je me retrouverais seule pour le restant de ma vie. J’ai dit « oui » à John, même si je ne l’aimais pas vraiment : il semblait si amoureux. Et puis, il était fou de ma petite Elodie. Il avait toujours rêvé d’avoir des enfants, d’avoir une petite fille aussi jolie que Boucle d’Or, aussi mignonne, qui deviendrait une jeune fille attirante, mais ça, je l’ai compris bien tard.

Elodie n’avait pas douze ans quand j’ai senti les premiers regards appuyés de John. Je n’en ai pas dormi de la nuit. J’avais sans doute mal vu, pas John, non pas lui, pas le papa de remplacement, pas le beau-père, charmant, attentionné, qui avait fait sauter sur ses genoux ma petite fille toute son enfance. Je me rends compte que j’ai employé le verbe « sauter ». Je ne savais pas à cette époque, qu’un jour, il signifierait tout autre chose !

Elodie grandissait en beauté (ça non plus, je ne l’avais pas remarqué avant d’avoir capté le regard envieux de mon amant). Elodie avait grandi si vite ; elle était devenue femme si tôt, si jeune. Elle était attirante, c’est indéniable, même pour un amant fidèle et amoureux comme John. Elodie commençait à se maquiller ; sa poitrine pointait maintenant sous son corsage trop serré ; elle s’achetait ses vêtements toute seule (elle n’avait déjà plus besoin de moi) et ses jupes étaient de plus en plus courtes, ses pulls de plus en plus décolletés.

Je n’ai rien dit, j’ai été lâche. J’ai fait semblant de rien. Je pensais qu’Elodie n’oserait jamais séduire son beau-père, celui qui l’avait fait sauter sur ses genoux. J’ai pensé que John n’oserait jamais toucher sa belle-fille, ma petite fille, ma poupée, mon ange.

Quand la police est venue sonner à ma porte pour m’annoncer que ma fille avait porté plainte contre mon compagnon, j’ai à nouveau été lâche. J’ai fait semblant. Non, je n’avais rien vu, rien remarqué. Ce n’était pas possible. Ma fille mentait. John n’aurait jamais osé…

Un jour, Elodie allait me quitter ; qu’importe que ce soit maintenant.  John, lui, resterait avec moi jusqu’à la fin de ma vie. Entre les deux, j’avais choisi. Ma fille mentait, je le savais !

Ce jour-là, John est rentré à la maison, un grand sourire aux lèvres, un bouquet de fleurs dans les mains. Il m’a embrassée et m’a simplement dit : « Merci chérie ».

Et moi, je me disais : « Pardonne-moi, ma chérie, mon Elodie, mon amour. Je suis si lâche, mais je ne pourrais pas vivre seule, tu comprends ? ».


 

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Texte 6 : concours "Les petits papiers de Chloé" ; "Lâcheté(s)"

Publié le par christine brunet /aloys

Niccolò

 

Dire adieu à Niccolò fut inqualifiable. Mais quel choix pourrait-on avoir, expliquez-moi, à seize ans ? Je ne pouvais pas avouer à mes parents ma flamme pour lui. Ni que je refusais de repartir chez nous, en Belgique. Alors, j’ai pleuré et pleuré encore. En silence. Bruyamment. J’ai caché mon visage quand les larmes débordaient aux moments inopportuns. J’ai couru me cacher dans ma chambre où son débardeur, imbibé de l’odeur de sa sueur séchée, était caché sous mon matelas. Le débardeur qu’il portait durant une partie de volley-ball endiablée… Le débardeur que j’ai réclamé, la veille de mon départ, et que j’ai chéri toute ma vie. Comme la relique de notre amour.

Niccolò, mon Italiano, travaillait, cet été-là, dans la station balnéaire de l’île Fitzroy où nous séjournions alors, mes parents et moi. Il était très sûr de lui et presque arrogant. Moi, j’étais une pauvre andouille que personne ne remarquait jamais. Mes seize ans m’étouffaient, cet été-là… Niccolò était un adulte de vingt-six ans, et je le vénérais. Il était si grand ! Si physiquement parfait ! Si « tout » ! J’étais, moi, d’une insignifiance rare… Pourquoi aurait-il posé ses yeux sur moi ?

Pourtant, il le fit. Mais jamais il ne m’encouragea. Bien au contraire, il me repoussa. Mais sans toutefois me brusquer. Jour après jour, croyez-moi, je fis tout mon possible pour le faire céder.

Une nuit, sur une plage de corail, je lui avouai mes sentiments. Il sourit, puis murmura que je lui compliquais grandement les choses. Lorsque je l’embrassai sur l’épaule, il me repoussa encore, m’intimant de rester sage. Je n’avais pas envie d’être sage ! Je l’aimais à la folie… Au bout de peut-être une minute, il pivota, se pencha sur moi et, finalement, m’embrassa. J’en eus le souffle coupé… Il ricana, mais pas méchamment. Je devais le regarder comme s’il était une star hollywoodienne.

Je me blottis contre son torse et voulus le caresser, l’embrasser encore, mais il resta de marbre. « Je t’ai donné ce que je pouvais te donner », dit-il comme un lourd regret.

Mais, quelques jours plus tard, dans ma chambre, juste à côté de la chambre de mes parents, nous fîmes l’amour… aussi discrètement que possible. Ce fut magique ! Les détails m’appartiennent…

Pendant la dernière semaine de nos vacances en Australie, nous ne nous quittâmes plus. Mes parents soupçonnaient quelque chose, bien sûr, et je me souviens lui avoir dit que je ne voulais pas qu’il ait des ennuis. « Chut… », me dit-il. Cette semaine fut merveilleuse, mon Dieu ! Mais notre séparation fut la mort de mon adolescence. La déchirure de mon âme qui ne guérit jamais vraiment.

On s’écrivit… On se téléphona… Cela dura des mois. Un jour, fatalement, il me dit qu’il avait rencontré quelqu’un. Je crus mourir, mais je lui souhaitai évidemment tout le bonheur qu’il méritait. « Je t’aimerai toujours », dit-il avant de raccrocher. « Je t’aimerai jusqu’à ma mort », répondis-je.

Les années passèrent. Dix années passèrent. Nous nous retrouvâmes par hasard, un soir, dans un restaurant en Italie. J’étais accompagné. Lui aussi.

Nous échangeâmes un long sourire. Un sourire qui exprimait joie et frustration. Je me levai et me dirigeai vers les toilettes, espérant le voir me suivre. Il le fit.

Les yeux débordant de larmes, nous nous donnâmes une longue et chaleureuse accolade, et nous échangeâmes un baiser intense. Sa langue m’électrisa. Quel bonheur ! Quelle torture !

« Je n’ai jamais cesser de penser à toi », m’avoua-t-il. « Je n’ai jamais cessé de t’aimer », avouai-je à mon tour. « J’ai toujours ton débardeur. Il est toute ma vie. »

Mais notre vie nous attendait… Nous retournâmes donc chacun à notre table, le cœur en mille morceaux. Il fallait faire semblant. Il ne fallait pas blesser les nôtres.

Au moment de partir, il fit mine de bousculer ma chaise. Une excuse pour poser une dernière fois sa main sur mon épaule. Mes larmes coulèrent malgré moi. Je ne le revis plus jamais.

Ma vie ne fut pas laide. Pas du tout. Mais elle ne fut pas complète. J’ai aimé, sincèrement. J’ai donné, très sincèrement. Mais mon cœur était irrémédiablement malheureux.

Aujourd’hui, j’ai 58 ans, et je viens d’apprendre la mort de Niccolò. Je n’ai jamais autant souffert. Jamais autant pleuré. Et je maudis notre lâcheté et le carcan de la bienséance.

Je n’ai plus la force d’écrire, pardonnez-moi… Je sens les médicaments m’aspirer dans le néant qui me réconfortera. Je viens te retrouver, mon Italiano ! Je viens te retrouver sur cette île, en Australie. Sur cette île où, sans le vouloir, tu m’as volé ma raison. Je t’aime tellement…

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Texte 5 : concours "Les petits papiers de Chloé" ; "Lâcheté(s)"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Bravade contraire

 

Mystères, secrets – surprises !

Lâchetés ?

Mensonges, trahisons

– découverts, explications, se justifier.

Lâcheté, lâcheté !

Les lâches tuent d’un trait, d’un regard, d’un faux parler

– d’une promesse niée, d’un serment brisé –

d’un cœur déchiré, d’un soupçon

– il suffit de soupçonner,

il suffit d’idées.

Lâcheté, lâcheté !

Les mots sont les pires

– trop vides, trop étriqués pour traduire la pensée.

Le mot lâcheté

Celui de vivre

Celui d’aimer

– jamais assez,

jamais vivre assez fort pour aimer.

Écrire, c’est plus vrai.

Pas pour dire.

On n’écrit pas pour dire.

On écrit pour se rapprocher, pour moins de lâcheté, moins de paroles

– pour calmer le vent,

et distraire la gravité du temps –

pour ne pas exténuer le sens des sentiments.

Pour le courage des émotions.

Écrire, ou créer – c’est toujours vrai.

C’est brandir

Brandir inlassablement

Contre les promeneurs, contre les mains dans les poches

Contre les imposteurs d’être

Brandir ce que créé

Ce que créé malgré.

 

 

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Texte 4 : concours "Les petits papiers de Chloé" ; "Lâcheté(s)"

Publié le par christine brunet /aloys

CÔME VERSUS GRÉGORY

 

 

Côme est un jeune collégien de douze ans. Il est petit, mince, intelligent, poli, cultivé, excellent élève, plutôt timide. Il manifeste un bégaiement dont s'amusent avec discrétion la plupart de ses condisciples.  Cet après-midi-là, à l'heure de la sortie des classes, dans le large et long  passage qui relie la rue principale à la rue où se situe le collège, des éclats de voix et des rires se font entendre. Quatre adolescents s'en prennent à Côme. Ils le bousculent, ils l'imitent, ils l'appellent "le bègue" laissant indifférents d'autres collégiens et collégiennes qui empruntent eux aussi le passage. Tous continuent leur chemin comme si rien de spécial ne se passait, comme s'ils étaient soudain devenus sourds et aveugles aux sévices et à la détresse.

Grégory est un adolescent élancé de quinze ans, il avance seul d'un pas rapide, il voit la scène et se précipite aussitôt vers le petit groupe. Il enjoint : "Laissez-le. C'est mon cousin, mes parents sont des amis du préfet de discipline et je pourrais vous dénoncer, car je vous connais de vue, je vous repère jour après jour dans la cour de récréation." Ces affirmations plus ou moins élaborées à partir de la vérité impressionnent les collégiens qui disparaissent sur-le-champ. Côme balbutie plusieurs "merci" et Grégory poursuit un bout de chemin à ses côtés. Il lui dit : "Ne me remercie pas tant. C'est normal que je sois intervenu. Plus tard, fais la même chose si tu te trouves dans le même genre de situation…"

*******

Côme a vingt ans. Il est étudiant à l'université et rejoint à pied son logement. C'est un début de soirée d'automne comme les autres. L'obscurité l'emporte déjà sur la lumière, mais des lampadaires éclairent  un peu les lieux. En passant dans le square situé en face de l'immeuble où il loue un studio, Côme entend des cris. Il presse le pas, rentre au plus vite sans jeter un regard derrière lui. Il emprunte l'ascenseur, puis, sitôt franchie la porte d'entrée de sa chambre, il s'élance vers la fenêtre. Il aperçoit ainsi deux hommes qui portent des coups à un autre.

Il est tétanisé. Il n'ose appeler les secours, il n'ose prévenir d'autres habitants, il n'ose même pas ouvrir la fenêtre et se mettre à hurler pour alerter des passants. Il a peur. Les mots drogue, trafic, violence, racket lui font peur, si peur ! Son pouls s'accélère.

Le lendemain, il apprend par Lucas, un autre locataire, que la veille en rentrant du travail, celui-ci avait découvert couché sur un banc du square un individu blessé qu'on avait tabassé pour lui voler son portefeuille. Il avait dû emmener l'homme aux urgences. L'homme était, semble-t-il, fort traumatisé.

Côme repense alors à Grégory. N'a-t-il pas trahi Grégory en n'intervenant pas ? Alors, il se met à pleurer. Tous les lâches pleurent-ils quand ils prennent conscience de leur lâcheté, se demande-t-il ?

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