Concours pour la Revue, Les petits papiers de Chloé : "Le mensonge et le silence arrangent bien des drames de famille" : dernier texte, le n°4

Publié le par christine brunet /aloys

La tante d’Amérique

 

Tom ne comprit que vers ses treize ans la nature du « voyage » d’Adèle. 

Depuis qu’il était en âge de poser des questions, il s’était toujours entendu répondre que cette tante avait, peu après le décès de son mari et pour en oublier le traumatisme, rejoint un mystérieux correspondant en Amérique du Sud. Bon… « traumatisme » et « correspondant » n’ayant probablement pas été les mots utilisés au début !

Il avait appris à l’école que l’Amérique, même limitée à l’Amérique du Sud, c’était grand. Très grand. Pourtant, chose un peu surprenante, ses parents ne lui avaient jamais révélé où précisément elle s’était établie, ni avec qui, bien qu’elle leur fît parvenir des nouvelles de temps en temps.  Sa mère, la sœur de tante Adèle, née Dupuis, lui lisait régulièrement des lettres assez brèves dans lesquelles  cette dernière parlait sobrement d’une vie de rêve dans un environnement exotique. 

Courtes missives toujours très commentées, d’autant plus qu’elles se trouvaient parfois agrémentées d’une photo d’Adèle prise devant un paysage à couper le souffle. Trop jeune à l’époque où elle était partie pour pouvoir se souvenir de ce à quoi elle ressemblait, ces photos étaient tout ce qui lui permettait de se la représenter. Sans surprise, elle était visiblement plus âgée que sa mère que ses grands-parents avaient eue « sur le tard », comme on le lui avait dit.

On en discutait souvent à table et, au fur et à mesure que les années passaient, Tom trouvait les explications de sa mère de plus en plus indigentes, celle-ci revenant sans cesse sur les mêmes observations enthousiastes  tout en éludant les questions trop précises. Quant à son père, Tom trouvait qu’il participait trop peu, se contentant en général d’approuver ce que disait sa mère. Sans parler de ces allusions énigmatiques et de ces fréquents sous-entendus qui l’excluaient de fait de la conversation. 

A onze ans, Tom se mit à collectionner les timbres.  Et demanda tout naturellement à voir l’enveloppe lorsque le facteur déposerait dans la boîte une lettre de tante Adèle. Il lui sembla alors remarquer, sans y faire trop attention, l’air gêné de son père. Une semaine après, pourtant, celui-ci lui tendit avec un grand sourire une « enveloppe par avion » décorée tout autour d’un liseré bleu, blanc, rouge du plus bel effet, avec leur adresse à l’encre violette et un magnifique timbre de Rio de Janeiro. Même pas oblitéré ! Tom sauta de joie.

Les lettres de tante Adèle continuèrent à rythmer la vie de la famille, provoquant les commentaires habituels à l’heure du repas. Le timbre, toujours brésilien mais toujours différent, n’était jamais surchargé d’un tampon de la poste, ce qui finit par intriguer Tom qui, trop heureux de pouvoir enrichir sa collection, se garda d’en faire la remarque. Un peu comme il avait préféré faire semblant, à six ou sept ans, de croire encore au père Noël…

Un dimanche, au salon avec ses parents, il fut surpris de les entendre échanger très vite quelques mots en anglais, une étrange manie qu’ils conservèrent par la suite. Un anglais qui ne leur était certes pas naturel, qui ne ressemblait pas vraiment à celui que son professeur avait commencé à lui enseigner dans sa classe de sixième.  Mais dont la prononciation lui parut du même coup bien plus claire ! Devinant que l’objectif était de faire en sorte qu’il ne comprît pas, il décida de prêter discrètement l’oreille. 

Un mot par ci, un mot par là… « Go », par exemple, ne présentait pas de difficulté, ce qui était rarement le cas. Il finit tout de même par remarquer que « health » revenait souvent et se demanda bien pourquoi. Il questionna alors son professeur pour savoir ce que « health » pouvait bien signifier. Celui-ci, s’étonnant d’abord de la question,  lui épela le terme en suggérant que, s’il avait bien compris,  ceci se traduisait par « santé ». Santé ? 

Plus il y réfléchissait, plus cette bizarrerie l’intriguait. Et puis un jour, ses parents, radieux, brandirent une lettre dans laquelle sa tante annonçait son intention de rentrer au pays. De rentrer sans tarder. D’abord réjoui par cette nouvelle inattendue, il fut quelque peu surpris de cette décision soudaine. Remettant à plus tard les questions, il se saisit de l’enveloppe pour aller en décoller le timbre. 

Même s’il ne comprit pas pourquoi il n’avait pas réagi plus tôt, ce fut à ce moment précis qu’il commença à réaliser qu’on lui racontait des histoires. Des histoires à dormir debout, forcément destinées à lui cacher un truc qu’il ne devait pas savoir. Ces timbres non oblitérés, cette écriture ressemblant tellement à celle de sa mère, ce langage codé, ces sourires en coin, la pâleur du visage de tante Adèle, pourtant photographiée devant une nature tropicale exubérante… Ou du moins un décor le suggérant ! On l’avait pris pour un imbécile… Il en fut mortifié. 

La pâleur d’Adèle… Il se souvint de cette allusion revenant régulièrement dans les brefs échanges de ses parents lorsqu’ils ne souhaitaient pas qu’il puisse comprendre.   « Santé », c’était ce que lui avait traduit son professeur, mot dont il avait par la suite confirmé le sens dans le dictionnaire… Un banal problème de santé, alors ? Une maladie dont aurait souffert Adèle ? Mais auquel cas, pourquoi tant de mystère ?

Ce fut en regardant un téléfilm policier qu’il eut soudain comme une révélation. Et si Adèle avait passé toutes ces années bien plus près d’eux que ce qu’on lui avait fait croire ? Ce qui expliquerait du même coup les absences répétées de sa mère qui avait toujours fermement insisté pour ne pas être accompagnée. 

Il fut persuadé d’avoir enfin décrypté l’essentiel de ces messages codés et découvert le pot aux roses, mais décida néanmoins de mener sa petite enquête. 

Peu de temps après, à l’heure du repas, il posa triomphalement au milieu de la table un journal local ouvert à la bonne page. Une page où un gros titre indiquait qu’une certaine Adèle Dupuis, condamnée à une lourde peine de prison et incarcérée à la Santé pour le meurtre de son mari,  allait être mise en liberté conditionnelle.

À la Santé… Eh oui ! Quoi de plus merveilleux qu’un long séjour à la Santé ? 

 

Publié dans concours

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J
Moi, après relecture et quelques hésitations, je vote pour le texte numéro 3...
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P
J'ai relu et je vais voter pour le 1 qui est peut-être un peu plus original. <br /> Mais j'aurais aussi bien pu voter pour les autres...
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C
Tu as jusqu'à demain 20h pour te décider !!!
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P
Prison, hôpital psychiatrique, divorce, on en cachait des choses aux enfants dans ce qu'on appelle le bon vieux temps. <br /> Encore un bon texte. Du coup, j'hésite et je vais revenir...
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C
Pour l'instant...<br /> Texte 1<br /> Texte 2 : II<br /> Texte 3 <br /> Texte 4 : III<br /> <br /> Tout se joue encore dans un mouchoir de poche... Pour l'instant !
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M
Je vote pour le numéro 4.
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C
De très beaux textes ! J'aime beaucoup le 4, mais je vote pour le n° 2
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A
Un beau bouquet de textes, félicitations aux auteurs. Mes préférés sont les nr. 2 et 4. Je vote pour le nr. 2.
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S
Superbe texte ! Très réaliste avec ce petit collectionneur de timbres qui doucement déchiffre la vérité. Bravo. Je vote pour ce texte. <br /> Texte 4 !
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M
J'adore !
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C
Et voilà... Il est déjà temps de voter !!!
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C
J'adore, tous les textes sont remplis d'imagination :-) J'ai particulièrement aimé le texte 1 et texte 4. Mais comme il faut choisir, je vote texte 4 ^^
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C
1er vote !