Régine Laprade est l'invitée d'Aloys. Dans ses romans, "le présent et l'imparfait se mêlent sans cesse"...

Publié le par christine brunet /aloys

Régine Laprade a plusieurs cordes à son arc... Elle voyage beaucoup, écrit et présente avec passion ses romans à ses lecteurs dans de très nombreuses foires et salons. Aux côtés de son nouvel éditeur, elle sera même à Brive... 

 

La première fois que je l'ai rencontrée, elle m'a intimidée... Sérieuse, intransigeante dans la vie, elle l'est également en littérature. Ses récits sont rythmés, son écriture facile, ses sujets surprenants... Bon, vous l'avez compris, j'aime bien ses récits et j'avais envie de vous la faire rencontrer au travers d'un échange de mots, d'idées...

 

tetes-1348.JPGPrésente-toi, stp...    


Je suis née le 4 mars 1946 à CARLUX en Périgord noir,dans la maison où sont elles-mêmes

nées ma mère et ma grand-mère.Cette maison s'appelle La PRADE.


J'ai choisi ce nom pour écrire et suis désormais Régine LAPRADE.


Mariée,puis divorcée,mère de deux enfants,grand-mère de quatre petits enfants,j'ai

effectué ma carrière professionnelle de médecin ergonome à BRIVE -LA GAILLARDE en Corrèze,à 45 km de La Prade. Ma vie continue de se partager entre ces deux régions.

 

 Depuis quand écris-tu ? Un déclencheur ?


J'ai toujous aimé écrire. Enfant, je rédigeais de petites histoires pour mes poupées,encouragée par ma mèrre,institutrice. Médecin,je me suis appliquée à écrirerapports,communications,thèse,mémoire ,en m'appliquant à utiliser la langue française avec soin et un lyrisme qui semblait parfois peu scientifique!!  

                             

Ce n'est qu'à la retraite que j'ai enfanté de mon premier roman.Un jour en triant les

papiers de ma mère décédée,j'ai trouvé une liasse de feuilles dactylographiées: des anecdotes qu'elle avait soigneusement mises en page tout au long de sa vie.Sur le dessus de la liasse,une note manuscrite m'invitait à remettre les feuillets en ordre.C'est ainsi qu'est né LE COLLIER D'AMBRE. Depuis, écrire me passionne, m'est devenu indispensable. J'ai écrit trois romans en trois ans.

 

scan0004.jpgDonne-moi ta définition du mot écriture...

 

Pour moi,le mot écriture signifie deux choses:

-manier les mots et la langue française,

-transmettre l'amour de notre langue ainsi qu'un patrimoine composé de souvenirs d'une période révolue mais cependant encore proche .


Notre identité me parait faite de tout cela,y compris  celle de la jeune génération qui vit 

d'une façon si différente de celle que j'ai connue il y a 50 ans. Pourtant ces souvenirs font partie de leurs racines.

 

 Définis ton style...


Mon style est simple.Certains me reprochent d'écrire comme une institutrice, ce qui n'a rien de surprenant puisque je tiens ce goût de ma mère! J'aime les phrases accessibles à tous,qui ne nécessitent pas d'être relues plusieurs fois pour être comprises. Je m'attache au choix des mots,à la précision des déscriptions.


D'autres disent que je suis trop concise,que je vais droit au but,et qu'on reconnait bien là

le médecin !

 

 

Comment choisis-tu tes sujets ? D'où viennent tes personnages ?


Je choisis mes sujets à partir de situations que j'ai vécues ou qui m'ont été racontées, ou à

partir de personnages réels qui m'ont laissé une forte impression.Tous ont un point commun: ils ne considèrent jamais comme la victime des évènements  tragiques qui ont émaillé leur vie. Ils puisent en eux l'énergie de dominer ces évènements,de maîtriser leur destin ou de se reconstruire.

 

Jeanne, dans Le COLLIER D'AMBRE, Gabriel dans Le CAMION BLESSE, ou Hélène dans LE

BOIS DE MON PERE (qui sortira en octobre prochain ) ont tous ce point commun. Bien sûr autour du personnage principal tiré de la réalité, je brode, j'imagine, je romance.

 

Comment voit-on ta passion de l'écriture autour de toi ?


Autour de moi,si certains ne s'étonnent pas, me poussent à aller plus loin,m'encouragent à

progresser,d'autres semblent imaginer que mon égo,démesuré à leurs yeux s'est trouvé le moyen de se mettre en scène...


Je vis seule, donc m'isoler pour écrire,fréquenter les salons,m'absenter pour des

dédicaces,ne nuit pas à ma famille. Ma fille, elle, comprend très bien cette passion,relit mes manuscrits,conseille,... et envisage d'en faire autant !

 


    camion-blesse-couv-copie.jpg

 

 

Facile ou compliqué de mettre le point final à tes romans ?


Mettre le point final a un roman ne me semble pas le plus compliqué.Le plus difficile pour moi est d'amener le personnage principal à rentre en scène, à camper le décor et l'ambiance qui accrocheront tout de suite le lecteur et lui donneront le goût de lire la suite.


Tu dis écrire des récits qui mettent en scène le passé : inscris-tu tes histoires, tes

personnages dans un passé que tu veux rappeler ou fais-tu en sorte que cette approche du passé puisse interpeller le lecteur d'aujourd'hui ? En d'autres termes, ces récits s'adressent-ils à tous le monde ou ne touchent-ils qu'une certaine catégorie de lecteurs ?


Bien entendu, mes histoires du passé s'adressent à tous les lecteurs. J'ai eu le plaiseir récemment de constater que "Le camion blessé" est volontiers lu par des adolescents. En quelque sorte je lègue un patrimoine en espérant que les héritiers en feront bon usage.

Dans chaque roman, le fil conducteur de l'histoire se passe aujourd'hui même si je raconte hier. Le présent et l'imparfait se mêlent sans cesse.

 

Comme tous les auteurs, je suppose que tu as toujours, dans ta tête, un livre d'avance ? Si c'est le cas, envisages-tu d'ancrer l'une de tes histoires dans la vie d'aujourd'hui ?

 

Pour l'instant je n'ai pas de projet sur un roman totalement ancré dans la vie d'aujourd'hui. Maisje n'exclus nullement cette possibilité.

 

Tu as raconté comment ton premier livre, Le collier d'ambre, était né. mais comment "Le camion blessé" est-il né ? Drôle de titre... Tu m'expliques ?


"Le camion blessé" était dans ma tête depuis longtemps.J'ai rencontré Gabriel il y a trente ans.A la suite d'un tres grave accident ,il cherchait à faire une reconversion professionnelle.Je cherchais un secrétaire-assistant astucieux,débrouillard, capable de m'aider dans mon travail d'ergonome.Lors de l'entretien d'embauche j'ai immédiatement compris qu'il était l'homme de la situation.Au fil des jours il m'a raconté sa vie d'avant:celle dans laquelle il conduisait d'énormes camions sur les routes des années 60.Les anecdotes étaient parfois drôles,surprenantes,truculentes...Je disais il faudrait les écrire!J'ai attendu pour m'y mettre de connaître   parfaitement le personnage.J'ai vécu sa reconversion,sa renaissance à une autre vie.Nous avons travaillé vingt ans ensemble. Il m'accompagne parfois pour dédicacer à quatre mains!


100_6116.JPG Le titre est venu d'un lapsus, mais les lapsus sont souvent révélateurs.

Gabriel enfant rêvait tellement de camions qu'il s'identifiait vraisemblablement à eux.Plus tard au volant de ses engins il ne faisait qu'un avec sa machine.Il devenait lui-même le camion.Lors de l'accident qui aurait pu lui coûter la vie,le camion a été écrasé,l'homme gravement blessé.J'ai fait une contraction.La blessure a été physique bien sûr mais aussi morale:perte de l'identité, de l'image que l'on a de soi...et perte de l'image du camion !


 Je pense que ce n'est pas toujours simple de trouver un titre,celui-la est né au hasard

de ce lapsus et m'a finalement plu.

 

Tu me parles un peux du prochain roman ?


Le prochain roman traite d'un drame,une tragédie familiale à l'époque glauque de la

résistance en 1944 dans les bois du Quercy.L'époque des résistants de la dernière heure où

se mélangeaient héros et voyous.Elle est racontée par une femme de 91 ans aujourd'hui, une femme formidable qui vit notre vie actuelle de façon moderne,active. Elle existe vraiment,je la connais bien et l'admire beaucoup.Elle aussi a su se reconstruire tout en gardant au plus profond d'elle même la marque douloureuse et indélébile de ce drame.

 

En guise de conclusion, j'aimerais que tu nous donnes un petit éparçu de ton univers au travers d'un court extrait... 

 

Le soleil se lève sur le Larzac. Il nimbe les buissons rabougris de tons pastel,de dégradés de mauve et de rose.Cà et là émergent des taches plus claires,presque blanches,dont je ne sais s'il s'agit de cailloux ou de moutons.

 

   J'aime ce paysage lunaire,désertique,cette herbe sèche et courte,ce pays plat entaillé de rides profondes,vallées encaissées creusées dans les falaises calcaires.Je  baisse la vitre pour mieux respirer la fraîcheur du petit matin.Elle arrive par bouffées des Cévennes aux sommets encore enneigés que j'aperçois à l'hotrizon.

 

    Jacky dort dans sa couchette.Tant mieux.J'aime jouir seul de cet instant magique,calme,serein.Je suis heureux.

 

    J'ai mis le cap au sud.Je vais passer par Millau,Lodève...puis je vais descendre l'escalier,"la petite échelle",ce pas de l'Escalette si bien nommé,qui permet de quitter les hauteurs du plateau,la terrasse sèche et rocheuse,pour découvrir tout d'un coup la plaine du Languedoc que le regard embrasse ,ébloui.

 

     Suspendue en corniche,la route devient étroite,sinueuse:un goulet.Taillés dans la falaise,des créneaux de croisement sont aménagés,fabuleux travail de l'Homme pour vaincre la Nature.Je ne roule pas vite,la main sur le "bec de canne",prêt à changer sans cesse de vitesse,la tête inclinée vers la fenêtre ouverte.Les virages sont nombreux;il faut à la fois regarder et écouter,repérer au détour d'une courbe un autre camion souffrant dans la côte et se ranger sur le décrochement le plus proche,ou bien deviner la voiture dont le chauffeur  fasciné par le paysage néglige de tenir sa droite.Un coup de klaxon le rappelle brusquement à l'ordre.Chacun serre sa machine et lentement,précautionneusement,nous nous croisons.

 

      La voilà,la plaine.Sa beauté me subjugue chaque fois,comme une nouvelle découverte.L'émerveillement m'émeut,me pince le coeur.

 

 

       Je la domine encore un peu avant de la pénétrer et me repais les yeux de ses couleurs:le vert tendre de la vigne,celui plus argenté des oliviers...un camaîeu que coiffe le bleu vif du ciel...Là-bas au fond,n'est-cepas la mer? Mon voyage me mènera jusqu'à Nice. Je cueillerai une brassée de mimosa.La senteur sucrée et épicée à la fois embaumera mon camion jusqu'à Saint-Clément.Baptiste aidera Claudine à disposer les branches dans un grand vase.Il enfouira son nez dans les grappes duveteuses et je penserai à mémé Lisa...Elle me disait souvent en me caressant le visage:"Ta peau est douce comme un brin de mimosa!" Je ne savais pas au juste de quoi elle parlait.(Extrait de "Le camion blessé")

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

 

Publié dans l'invité d'Aloys

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M
<br /> J'aime beaucoup l'extrait choisi.<br />
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E
<br /> D'accord avec Carine-Laure. J'ai un peu la même démarche d'ailleurs: j'écris pour prolonger la vie de certains souvenirs - historiques, architecturux, dialectaux, sociaux...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'aime assez aussi cette écriture qui se limite à un essentiel de qualité...<br />
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C
<br /> Ecrire pour l'amour de la langue française et le plaisir de témoigner d'une époque. Laisser des traces de l'histoire de sa famille. Des raisons très généreuses et qui séduisent. <br />
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