EDMEE DE XHAVEE : VENT 5 SUR L'ECHELLE DE BEAUFORT

Publié le par aloys.over-blog.com

Edmee-chapeauVent 5 sur l’échelle de Beaufort
A Paolo Conte

 

 

Léger comme un halo de vapeur langoureux, il s’éveille, s’élève dans les rayons translucides du soleil des premières heures du jour. Hésite, monte un peu, s’arrête, tourne, descend en piqué pour animer de son souffle une vieille casquette près de la niche du chien qui s’ébroue et ouvre un œil à peine curieux. La casquette finit un petit mètre plus loin, le chien remue le bout de la queue, gémit et se tourne de l’autre côté pour prolonger sa nuit.

 

Le coq apparaît, et le vent lui lisse les plumes de la queue, elles brillent comme la soie et se courbent sur son flanc alors que l’animal pousse son salut au jour nouveau, cocorico ! Un petit tourbillon, une envolée de paille, un volet mal fermé qui grince et cogne rythmiquement le mur… Prenant de la vigueur il s’élance dans le feuillage d’un chêne, dans lequel cependant il doit se calmer, s’infiltrant au mieux dans les branches où un nid abandonné contient un vieil œuf de Pâques fondu et enveloppé dans du papier doré.

 

Une fois sorti du labyrinthe végétal, il se tiédit voluptueusement au soleil qui a maintenant chassé la brume pailletée et séché la rosée. Doux et joueur, il s’engouffre dans le linge mis à sécher sur la corde, transformant les jeans en manches à air. Les essuies de cuisine claquent comme des coups de fouets. Une longue jupe fleurie se détache de sa pince, et s’affale dans une bande du potager, au pied des plants de tomates.

 

Rasant l’herbe qui se plie à son vouloir, il se dirige vers les champs de blé. Il les transforme en mer d’or, agitée de vagues merveilleuses et imprévisibles, tantôt vers le nord tantôt vers le sud. Une trouée soudaine révèle la course d’un lapin de garenne, vibrant de toute sa petite vie. Le pelage de son dos est chatouillé par la brise qui alors remonte pour s’unir au vol d’un corbeau. Ses yeux sont comme des galets noirs et mouillés, ses ailes s’appuient sur le vent dans une danse ludique et intime. Ils tournoient, s’élèvent et s’abaissent sans hâte, et bientôt un autre corbeau se joint à eux. Sur le toit d’une ferme, la girouette tourne lentement en se plaignant.

 

Mais le voilà qui reprend sa promenade, curieux de la route au loin, droite, bordée de peupliers d’un côté et d’un champ rempli de marguerites et coquelicots de l’autre. Une petite Renault jaune fonce gaiement, au son de Paolo Conte. La capote est baissée et sur la banquette arrière se trouve un volumineux bouquet de roses rouges. Un jeune homme décoiffé et à lunettes noires se rend chez sa fiancée dont c’est l’anniversaire. Ils iront à la mer pour le week-end. Il y aura du vent, a-t-on annoncé, mais la petite villa de Saint Idesbald est bien abritée, et le barbe-que aura bel et bien lieu. Il se retourne pour comprendre d’où vient ce claquement de tissu semblant sortir de la capote, ne voit pas le trou dans l’asphalte devant lui. La voiture fait un saut, le jeune homme perd le contrôle. Et la vie. Le vent se rue sur la tôle repliée, et expulse les roses libérées par la portière béante, qui s’enfuient sur la route, meurtrissant et perdant leurs fragiles pétales. Ce qui reste du jeune fiancé se laisse enlacer par le vent. Oui c’est bien moi là en bas, que s’est-il passé ? J’ai tourné la tête et puis quoi ??? Paolo Conte répète dis donc, Madeleine, Dis-donc Madeleine avec une tendre insistance… Sur le pare-brise, le sang sèche déjà en mille petites taches brunes, tandis qu’une longue coulée épaisse rampe encore sur la carrosserie jaune et tombe sur la route. Un morceau de la capote déchirée s’agite de plus en plus fort. Sur les fils électriques, des moineaux pépient, frémissants de joie de vivre.

 

Plus loin des vaches cherchent déjà l’ombre des saules. Un léger frémissement agite la surface de la mare et le vent taquine les mouches qui tourmentent les flancs des bovidés placides. Un veau aux pattes frêles se glisse sous sa mère, qui le pousse sous elle d’un coup de museau rose et humide. Dans le lointain les tremoli d’une ambulance et le son paisible d’un clocher se mélangent. Au pied d’une belle meule de foin quelques hommes se restaurent. Des tartines de pain gris avec une tranche de bon jambon coupé gros déposé sur du beurre généreux qui fond, leur graissant les doigts qu’ils lèchent. La crinière blonde d’un percheron se marie aux boucles sombres d’une jeune femme qui lui embrasse le dessus de la lèvre avec extase, cet endroit indiciblement doux et qui sent la truffe.

 

Plus impétueux soudain, le voilà qui transforme la terre du chemin en nuage grisâtre et agressif. Il griffe le visage et les yeux de deux petites filles portant chacune un sac à dos et chantant « You’re beautiful ! » à tue-tête. Elles s’arrêtent en protestant, se mettent dos au vent, qui alors tourne et les force à se remettre dans l’autre sens, crachant et se frottant les paupières rougies. Déjà désintéressé il continue sa course rapide et fait s’envoler un vieux sac de supermarché en plastique. Lentement, vite, plus haut, presque au sol, pour en perdre le contrôle dans une haie d’aubépine où une musaraigne se tient immobile, ses longues moustaches aplaties par la rafale. Alors il suit le ruisseau, en ride la surface, plie ses roseaux, bouscule le chapeau de paille d’un gamin qui essaye de construire un barrage et tombe à l’eau en essayant de le retenir.

 

Des amoureux marchent devant lui, se dirigeant vers l’orée d’un petit bois. Elle a une  robe blanche très lâche, de longs cheveux roux lisses, et le visage d’un Botticelli. Elle rit et hâte le pas avec impatience vers le bois. Le vent pose son haleine sur elle, agite ses cheveux qui entrent dans la bouche du jeune homme, écrase le devant de sa robe sur sa poitrine, qu’on devine nue, et fait remonter sa jupe comme une immense corolle au-dessus de sa taille, révélant une autre nudité. Un double éclat de rire s’envole avec lui, gai et surpris.

 

Un homme en salopette lave sa voiture au tuyau d’arrosage. Il fredonne pour lui d’une belle voix feutrée. Une bourrasque courbe le jet de l’eau contre un rayon de soleil, le décomposant en minuscules gouttelettes irisées, comme une vapeur scintillante de couleurs mouvantes.

 

Les ombres s’agrandissent au sol, comme de longs spectres. La lumière est rose et or. Un tracteur plein de cruches à lait se débat dans une ornière, le vieil Hubert peste et jure contre l’engin rebelle. Il tente de s’allumer une cigarette pour se calmer, mais la flamme se plie, s’allonge, se déchire, et puis s’éteint. Et Hubert de pester encore plus fort. Les aboiements de son chien lui parviennent, lui faisant peser son retard. Et la Paulette qui a de la famille pour goûter aujourd’hui, elle a fait sa tarte au sucre, nom de nom, il ne m’en restera plus ! La Paulette, elle, se lève de sa chaise en soupirant : « Trois fois que le vent ouvre la porte aujourd’hui ! » et se décide à fermer la fenêtre qui fait courant d’air.

 

Maintenant les mouvements du vent sont berçants, enveloppant êtres et choses avec affection. Ils remuent le poil emmêlé d’un vieux chat juché sur le siège d’une moissonneuse rouillée. Dirigent les canards dans l’abri, comme des mains anxieuses. Apportent la voix d’un joyeux ivrogne qui rentre chez lui. Mêlent à l’air le parfum d’une grillade et de bois qui calcine. Caressent les géraniums dans leurs pots. Apaisent le front d’une femme enceinte, assise sur le pas de sa porte, qui s’évente avec un magazine en soupirant « encore un mois ! » Gonflent les rideaux de voile de la chambre d’une vieille dame qui raconte en souriant sa journée à la photo de son mari mort à la fin de la guerre. Répandent les pleurs d’un enfant qui ne veut pas se coucher… Murmurent le chant de la vie en s’engouffrant par une porte entrebaîllée.


 

EDMEE DE XHAVEE

http://edmee-de-xhavee.over-blog.com

Publié dans Nouvelle

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C
<br /> <br /> je ne connais pas Paolo Conte... Et oui... Mais cette nouvelle est bien belle...<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Y a pas à dire, ça décoiffe!<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci les filles! J'ai envoyé ce texte à Paolo Conte il y a deux ans, il l'a trouvé plein d'images poétiques. Et j'imagine sa voix en fond. Aaaaaah, Paolo Conte! Et le vent d'une belle journée<br /> chaude...<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Dès les premières lignes j'ai repensé aux très beaux textes de Colette, cette aptitude à décrire le simple le traditionnel le<br /> quotidien et  sculpter de mots doux ronds et précis ce vent que nous connaissons tous pour le rendre inattendu et à la fois gentil ou méchant; comme la vie, tout simplement<br /> ...<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Et -hop là- ! Quelque 80 lignes où rien ne manque, où tout est à sa place, où les mots s'enlacent, se dépassent, se surpassent et... hop là, "tralalalère" comme<br /> dirait Edmée de Xhavée !  Avec pour seul personnage principal, le vent. Un anodin du quotidien. Et pourtant,<br /> aussi, le chef d'orchestre tantôt lénifiant, tantôt violent des petits et des grands événements de la vie. Du grand Art. BRAVO,<br /> BRAVO, BRAVO !<br /> <br /> <br /> "Madeleine" - Paolo Conte...<br /> <br /> <br /> Qui, tutto il meglio è già qui,<br /> non ci sono parole per spiegare ed intuire<br /> e capire, Madeleine, e se mai ricordare…<br /> tanto, io capisco soltanto<br /> il tatto delle tue mani e la canzone perduta<br /> e ritrovata<br /> come un’altra, un’altra vita…<br /> <br /> Allons, Madeleine,<br /> certi gatti o certi uomini,<br /> svanti in una nebbia o in una tappezzeria,<br /> addio addio, mai più ritorneranno, si sa,<br /> col tempo e il vento tutto vola via,<br /> tais-toi, tais-toi, tais-toi…<br /> <br /> Ma qualche volta è così<br /> che qualcuno è tornato sotto certe carezze…<br /> …e poi la strada inghiotte subito gli amanti,<br /> <br /> per piazze e ponti ciascuno se ne va,<br /> e se vuoi, laggiù li vedi ancora danzanti<br /> <br /> che più che gente sembrano foulards…<br /> Ma tutto il meglio è già qui, non ci sono parole…<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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