Erreur sur la personne, une nouvelle d'Alain Magerotte

Publié le par christine brunet /aloys

 

Alain

 

ERREUR  SUR  LA  PERSONNE

 

Docteur Illabondo,

J’ai bien reçu, par envoi postal, la bague aux vertus magiques que je vous avais commandée. Elle répond à mon attente. Je ne souffre plus d’arthrite depuis que je la porte. Malheureusement, j’ai contacté une étrange et douloureuse infection à la main gauche.

Mon médecin traitant ne parvient pas à déterminer l’origine du mal. Il n’exclut cependant pas le fait que la bague pourrait en être la cause. Il s’agirait, pour lui, d’une réaction allergique au métal.

J’ai essayé désespérément de vous joindre par téléphone. C’est la raison pour laquelle, je vous envoie ce pli recommandé.

Répondez-moi vite, Docteur, afin d’apaiser mon anxiété.

Bien à vous.

Rémy Fasilado.

 

Monsieur Fasilado,

Je suis très peiné de ce qui vous arrive; toutefois, si je suis bien le docteur Illabondo, je n’ai rien à voir avec l’homme qui vous a envoyé cette bague. Il doit y avoir erreur sur la personne. Je suis médecin agréé et non vendeur de talismans ou autres amulettes. Il s’agit d’une méprise.

Je vous conseille d’actualiser votre carnet d’adresses.

Bien cordialement.

Primo Illabondo.

P.S. : En qualité de praticien, je vous invite à suivre le conseil de votre médecin traitant.

 

 

Cher Docteur Illabondo,

Je suis très satisfaite, au-delà de toutes mes espérances, du collier indien que vous m’avez fait parvenir.

Joueuse invétérée, au grand désappointement de mes proches, j’ai pris soin de me l’attacher autour du cou avant de rentrer ma grille de loto. Grande fut ma surprise, lorsqu’au tirage du soir, j’ai constaté que les six numéros, que j’avais cochés, étaient sortis.

Je suis devenue riche, Docteur, et cela grâce à vous !

Dites-moi ce qui vous ferait plaisir. Si, si, je tiens absolument à récompenser mon bienfaiteur.

Chaleureuses amitiés.

Ella Labaraka.

 

Docteur Illabondo,

Votre réponse me conforte dans l’idée que vous fuyez vos responsabilités. Je vous signale que ma main a tellement enflé, qu’il m’est devenu impossible d’ôter la bague. La gangrène s’est déclarée parce que j’ai trop tardé à me faire soigner, on parle d’amputation…

Je vous promets d’avoir bientôt des nouvelles de mon avocat…

Je ne vous salue pas, BANDIT, ESCROC !

Rémy Fasilado.

 

Très cher Docteur Illabondo,

Je ne trouve pas de mots suffisamment forts pour vous témoigner toute ma reconnaissance. Grâce à l’onguent miraculeux que vous m’avez concocté, j’ai repris goût à la vie. Je suis un autre homme. Vivre parmi mes semblables ne me terrorise plus.

Je ne détourne plus les yeux au moindre regard et ne me réfugie plus dans l’alcool lorsque surgit une difficulté. Je me suis même surpris à poser les yeux avec insistance sur la croupe de ma jeune collègue.

Mes relations avec mon père s’en sont trouvées améliorées. Le dialogue entre nous s’est rétabli.

Ma plus sincère considération.

Luc Thimoraie.

 

Monsieur Fasilado,

Croyez que je compatis pleinement au malheur qui vous accable. J’imagine ce que la perte d’une main peut procurer comme douleur physique et mentale.

Cependant, je ne puis calmer mon indignation devant l’odieuse méprise dont je suis la victime.

Pour la énième fois, je vous le répète, Monsieur Fasilado, je suis un homme intègre qui tente d’exercer son métier du mieux qu’il peut !

Retrouvez votre bon sens et tâchez de mettre… la main sur le véritable responsable de votre mésaventure.

Salutations tout de même.

P. Illabondo.

 

Docteur Illabondo,

Puisqu’il faut vous appeler Docteur… sachez que j’ai pris connaissance de vos coordonnées en tombant, fortuitement, sur le journal intime de mon épouse.

Elle y note, avec beaucoup d’enthousiasme, la chance qui l’accompagne depuis l’acquisition de ce maudit collier indien. Elle est intimement persuadée que c’est grâce à lui qu’elle va toucher le jackpot au loto. Malheureusement, elle a égaré le bulletin gagnant.

Après de nombreuses et infructueuses recherches, de rage et de dépit, la pauvre femme a tenté de se suicider.

Je me rends, chaque jour, à son chevet, à l’hôpital de la Charité. Son état n’évolue guère et les médecins se montrent pessimistes…

Malgré son vice pour le jeu, c’est une femme formidable ! Mais, une telle considération ne peut que laisser indifférent une crapule de votre espèce. Aussi, je vous mets en garde : s’il devait lui arriver des bricoles, songez sérieusement à préparer votre testament…

A bientôt, DOCTEUR !

G. Labaraka.

 

Monsieur Labaraka,

J’en appelle à votre bon sens. Comment pouvez-vous imaginer, l’espace d’une seconde, que je sois responsable de ce qui arrive à votre épouse ? Comment donc pourrais-je vous faire comprendre que je n’ai rien à voir avec un tel commerce ?

Je préfèrerais me faire couper la main plutôt que de me laisser entraîner dans de telles escroqueries.

Je clame mon innocence bien haut et fort : JE NE SUIS PAS RESPONSABLE DE CE QUI ARRIVE À MADAME LABARAKA !

J’ignore totalement comment mes coordonnées figurent dans les documents de votre Dame, c’est une méprise.

La colère vous aveugle, cher Monsieur, reprenez-vous avant de commettre, peut-être, l’irréparable.

Croyez en l’assurance sincère de ma compassion.

P. Illabondo.

 

 

Monsieur Illabondo,

C’est volontairement que je n’emploie pas le terme Docteur. Je suis le père de Luc Thimoraie. Ce nom vous dit quelque chose ? Vous lui avez fabriqué un onguent qui devait le guérir de sa timidité maladive.

Au début, son comportement s’est sensiblement modifié. Luc a acquis, petit à petit, une assurance qui lui avait toujours fait cruellement défaut. Je pensais, naïvement, qu’en vous contactant, mon fils avait frappé à la bonne porte. Doucement mais sûrement, il se libérait de ses inhibitions. Hélas, il ne sera pas resté libre très longtemps. Il s’est fait arrêter après avoir braqué un bureau de poste, alors qu’il était recherché pour le viol de la fille de nos voisins.

S’il s’avère que votre prescription est la cause de ses mauvaises actions, ça ira mal pour votre matricule.

Je vous méprise momentanément (attitude à confirmer), Monsieur.

Colonel de l’Armée de terre en retraite, Honoré Thimoraie.

 

Maître Th. Anthropofilou, avocat.

Docteur Illabondo,

En qualité de conseiller de la famille Fasilado, je suis mandaté par les proches de Monsieur Rémy Fasilado pour vous signifier une action en justice. J’ai d’ailleurs l’intention de requérir à votre égard un jugement exemplaire qui fera date dans les annales judiciaires.

Monsieur Rémy Fasilado est décédé peu de temps après son opération. La cause exacte reste à déterminer mais, après analyse, il appert que la bague, sensée le soulager, contenait un puissant analgésique diffusé dans l’organisme par de minuscules orifices.

Si l’expertise démontre la culpabilité de la bague aux vertus magiques, vous serez poursuivi pour : pratique illégale de la médecine, abus de confiance et homicide involontaire.

Dans votre intérêt, je ne peux que vous conseiller vivement de vous mettre en rapport avec un avocat, si vous n’en possédez pas encore.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance d’une maigrichonne considération.

Maître Th. Anthropofilou.

 

Au Marabout Kise Sisepa Seki Niolo,

Seki Niolo, Je suis dans les tracas jusqu’au cou. Vous m’aviez cependant certifié que, grâce à votre magie, je pourrais me refaire une nouvelle vie, échappant ainsi à la police.

Au lieu de cela, me voilà accusé d’exercice illégal de la médecine, d’abus de confiance et d’homicide involontaire. Vous concéderez aisément que la pilule est dure à avaler…

Je vous avais pourtant parlé d’une rédemption sincère; après avoir supprimé des vies, je désirais en sauver. Résultat de votre travail : je me retrouve dans la peau d’un charlatan, empoisonneur de surcroît !

J’attends de votre part une solution rapide à mes problèmes, sinon je ferai de vous ma prochaine victime.

P. Illabondo.

 

Cher ami,

Tout d’abord, sache que Kise Sisepa Seki Niolo, le grand Marabout, est un authentique sorcier dont les succès, comme les feuilles mortes, se ramassent à la pelle. Ensuite, mon Dieu, quelle colère, mais surtout, quelle ingratitude ! Quand je pense que je t’ai ouvert ma porte et t’ai caché pour que la police, qui cernait les environs, ne te mette pas la main dessus…

Tout juste après ton arrivée, Primo Illabondo, mon voisin de palier, est mort. Coup de pot, il épousait le profil de ton désir que Kise a eu la gentillesse de bien vouloir combler.

J’ai commencé par avoir le réflexe de conserver son esprit avant de t’hypnotiser pour transférer l’âme du défunt dans ton corps puis, Kise s’est débarrassé de la dépouille d’Illabondo en la jetant du toit. Vous aviez la même taille et comme son visage a été réduit en bouillie lors de son atterrissage sur le pavé, la police a pensé que le gisant c’était toi, méconnaissable sur un corps démantibulé, vidé de sa substance spirituelle. Il y avait une cohue indescriptible en bas. Trop contents de mettre fin à une cavale qui durait depuis des mois, les flics ont considéré l’affaire comme terminée. Dorénavant, tu ne pouvais plus nuire à quiconque et… à l’insu de tous, tu pouvais commencer ta nouvelle vie… dans la peau de Primo Illabondo ! L’essentiel était donc atteint.

N’était-ce pas ce que tu voulais : aider les autres plutôt que les détruire ? J’ai peut-être oublié de te le préciser, aussi, je m’empresse de le faire aujourd’hui au moyen de cette lettre, Primo Illabondo était docteur, certes, mais pas n’importe lequel : docteur en sciences occultes, vendeur d’amulettes et… schizophrène ! Ah ! Ah ! Ah ! Je t’ai bien eu, ASSASSIN !

                                                                                  Kise Sisepa Seki Niolo.

Publié dans Nouvelle

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M
<br /> <br /> Avec beaucoup de retard (because vacances), merci Claude<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Le regretté Maître Capello aurait dit: ah, ah, ah, j'en ris encore! C'est incroyablement drôle!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci Alain<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Excellent, je me suis bien amusé. Ca sert aussi à ça l'écriture.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci Claude<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Voilà du distrayant. L mot du colonelo est désopilant.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Quelques jours de repos (avant d'en prendre d'autres), un bref retour pour remercier (par ordre d'entrée en scène): Philippe D, Christine, Micheline, Edmée, Anne et Carine-Laure.<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> J'apprécie ces textes à l'issue plus qu'improbable ...Des textes à la Bob Boutique, à l'Alain MAgerotte...<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Quel humour noir !!! Histoire cruelle et délectable...<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Ah moi j'adoooooore! Rien de moins. Bravo!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bravo pour cette magnifique nouvelle au rythme soutenu et à la chute imprévue !<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Décidément, je me laisserai toujuors surprendre par tes nouvelles, Alain ! Pourtant...<br /> <br /> <br /> Une super chute ! Et que dire des noms des personnages ? Excellent, vraiment !!!! Bravo !<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Une nouvelle tout à fait particulière et une chute qu'on n'attendait pas. Bravo!<br /> <br /> <br /> <br />
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