L'interview de Didier Fond pour son nouvel ouvrage "Les somnabules"... La suite...

Publié le par christine brunet /aloys

 

- Après avoir évoqué la genèse de ce roman, j’aimerais que nous parlions à présent de l’intrigue, du décor, des personnages. Car enfin, où sommes-nous ? Quelle est cette ville ? Pourquoi est-elle présentée comme une ville morte, abandonnée de ses habitants ? Pourquoi sont-ils partis ?

- Partis et revenus pour onze d’entre eux. Mais de là à savoir la cause de ce départ précipité… Peut-être les lecteurs vont-ils être déçus de se rendre compte que, le livre refermé, ils n’en savent finalement pas plus à la fin qu’au début sur certains points. C’est évidemment voulu. L’étrangeté de la situation entraine fatalement un environnement lui-même étrange, des personnages au comportement qui sort de ce qu’on appelle la « normalité ». Tu te demandes quelle est cette ville, si on peut la nommer : oui et non ; si elle existe ou si elle est totalement imaginaire : les deux, car bien sûr, le modèle réel est assez reconnaissable, j’ai gardé les noms exacts de certains lieux mais les distances, les éléments qui la composent ont été modifiés. Ainsi lors de la promenade nocturne du groupe à Saint-Jean, si l’on s’était trouvé dans la réalité, il aurait été impossible de voir, du bord de la rivière, la place où se réunissent les Gardiens de la nuit. De même, il aurait fallu que mes personnages soient munis de jumelles pour distinguer aussi précisément les lumières. Ainsi on peut éventuellement identifier cette ville mais les transformations spatiales en font une autre ville, qu’il devient alors difficile de nommer.

- Mais pourquoi en avoir fait un désert total ? Quelle en est la cause ?

- Cela fait partie des mystères qui ne seront jamais résolus. Chacun peut imaginer ce qu’il veut. Il faut simplement se rappeler qu’elle est absolument intacte : il n’y a aucune ruine, rien n’a changé si ce n’est que la population a disparu. Certaines solutions deviennent alors impossibles : pas de guerre, pas de bombardement, pas de missile atomique. Peut-être une épidémie, un conflit bactériologique. On ne sait pas. Simplement, les habitants ont fui, pour une raison connue d’eux seuls et même pas de moi car honnêtement, j’ignore quelle pourrait être l’origine de ce départ. Pour moi, cette ville que je voyais en pensée ne pouvait qu’être abandonnée. Encore une fois, cela fait partie de la mise en place d’un décor inquiétant et oppressant. La chaleur torride qui enveloppe la ville est également un élément destiné à mettre mal à l’aise le lecteur. Pourquoi fait-il si chaud ? Les conditions climatiques se sont-elles détériorées ? Est-ce la raison de cet exode ? Cela parait peu probable mais c’est une piste… qui ne mène en fait nulle part puisqu’aucune solution ne sera donnée.

- Au fond, il suffit d’accepter les présupposés tels qu’ils nous sont donnés, sans chercher à rationaliser les faits.

- Exactement. Et ce n’est pas toujours facile, je le reconnais, en fervent lecteur d’ouvrages fantastico-étranges (joli néologisme !) que je suis. Il faut évidemment prendre garde, à force de vouloir être étrange, de ne pas tomber dans le grotesque ou l’invraisemblable.

- En tout cas, il y a une chose qui me semble assez claire, si on excepte les membres de la Divine Trilogie : ce sont les rapports entre les personnages.

- Oui, ce que tu dis est très juste. On comprend vite leurs relations et leur état d’esprit les uns envers les autres. Les deux qui me paraissent le plus évident à analyser sont Louis et le narrateur.

- Effectivement : leur relation est très ambiguë.

- Ca dépend de quel point de vue on se place. En ce qui concerne Louis, il n’y a aucune ambiguïté chez lui. Il éprouve pour le narrateur une très vive amitié, mais cela ne va pas plus loin. Celle qui le fascine et qui va facilement le séduire, c’est Eralda. Le narrateur, par contre, est amoureux de Louis, cela se devine aisément car des indices ne cessent d’être donnés tout au long du roman. C’est ce qui rend si terrible sa situation : il éprouve un amour impossible, qui devient de plus en plus évident, mais qui est source de terribles souffrances au regard des événements qui vont survenir. En même temps, Axel ne le laisse pas indifférent sur le plan physique. Il rêve à lui, mais il ne sait pas trop quels sentiments il ressent à son égard. Ajoutons qu’il n’est pas indifférent au charme sensuel d’Eralda, ce qui complique davantage la situation. Le narrateur semble en fait être quelqu’un de très complexe, bien plus que Louis ; a-t-il vraiment vécu ou bien n’a-t-il fait que rêver sa vie ? Lui-même n’arrive pas à le savoir et c’est l’objet de sa méditation nocturne sur le balcon.

- Nous avons affaire à un groupe que le narrateur appelle « les survivants de Saint-Jean » ce qui laisse supposer qu’ils ont été confrontés à des dangers mortels. Et logiquement, ils devraient s’entraider, être amis à cause de ce qu’ils ont tous vécu, ce qui n’est pas le cas. Je vais même aller jusqu’à dire qu’ils se détestent et qu’ils ne se supportent pas. Du reste, le narrateur le dit franchement.

- Tout à fait. Chacun s’occupe de soi d’abord, même si parfois, un vague reste d’altruisme se manifeste : je pense à l’attitude d’Arabella face à Elsa qu’elle raccompagne chez elle parce qu’elle ne se sent pas bien : elle incite ceux qui n’ont pas participé à l’expédition à aller la voir. Ou bien aux regrets du narrateur quand il apprend la mort d’Elsa. Mais ce sont vraiment des moments très rares. Ce n’est qu’à la fin que le narrateur comprendra à quel point, finalement, il était attaché à eux.

- Venons-en maintenant à la Divine Trilogie : un surnom plus qu’étrange, qui laisse supposer bien des choses…

- Et que la fin est censée expliciter. Oui, en effet, les rapports qu’ils entretiennent entre eux sont également étranges, Axel le dit nettement quand il affirme qu’en apparence, ils sont souvent en train de se disputer mais qu’ils sont et seront toujours unis face aux décisions graves à prendre. Raphael paraît parfois en opposition à ses deux amis, mais c’est pour mieux se rapprocher d’eux quand c’est nécessaire. Quant à leurs rapports avec les « survivants », ils sont simples : ils les commandent, les dominent, leur imposent des règles. Vers la fin, le destin de Mona-Lisa montre clairement à quel point ils sont, tous les trois, redoutables. Et combien Louis a eu raison d’affirmer qu’ils n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être.

- Dernière question, et pas la moins facile : pourquoi restent-ils dans cette ville à attendre Dieu sait quoi. Pourquoi ne repartent-ils pas ? Et derrière cette histoire fantastique, se cache-t-il un message, une réflexion sur l’être humain ?

- Louis pose la même question au narrateur et je vais vous faire la même réponse que ce dernier pense sans la dire à voix haute : ils sont déjà partis, mais ils sont revenus. L’extérieur n’offre plus rien, sinon que des raisons de désespérer. Autant revenir chez soi et attendre.

- Terrible fatalisme qui les enchaîne au sort qu’ils ont voulu fuir mais qu’ils subissent quand même. Belle ironie !

- C’est vrai. Mais au fond, ils ne se posent pas longtemps la question. Quant à un éventuel message derrière ce roman, assurément non : pour moi, ce n’est qu’une histoire que j’ai aimé raconter, et que, je l’espère, les lecteurs apprécieront, rien de plus. Mais chacun peut y voir ce qu’il veut : c’est le privilège du lecteur de pouvoir se l’approprier, sans tenir compte des intentions de l’auteur.

Publié dans interview, présentations

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