Christian Eychloma nous propose un nouvel extrait de son nouveau roman "Ta mémoire, pareille aux fables incertaines"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

« Je suppose que vous pourriez aller beaucoup plus vite que ça ? » s’enquit Bob, debout dans le poste de pilotage, balayant curieusement du regard le tableau de bord de l’étrange engin.

« Nous le pourrions sans problème, mais préférons observer la plus grande prudence » répondit le commandant Jarov, bien calé dans son fauteuil, la main sur le levier de commande. « Avec une telle pression de l’air, la portance est énorme et nos deux moignons d’aile suffiraient amplement à nous propulser vers le plafond de la grotte à la moindre accélération… Sans même parler de ces espèces de lianes qui nous barrent souvent la route et que l’on n’aurait pas le temps d’éviter ! Veillez à propos à vous tenir solidement à la poignée de sécurité… »

Bob obtempéra avant de se pencher légèrement pour scruter, à travers l’épais matériau transparent de la verrière, la profonde caverne brillamment éclairée par les puissants projecteurs situés à l’avant de la « taupe ».

De drôles de plantes ligneuses, aux longues tiges fines et diaphanes, croissaient dans tous les sens le long des parois, s’en écartant parfois pour surgir comme par magie devant le nez de l’appareil lorsqu’on les éclairait, surprenant le pilote en l’obligeant à un brusque écart. Et ces bizarres bestioles ailées, forcément aveugles, zébrant en permanence de leur vol zigzagant l’espace clos fugitivement illuminé de ces tunnels enfouis sous des kilomètres de roche…

Des bestioles qui éveillaient tout d’un coup de vieux souvenirs de lecture. Comment appelait-on ces mammifères terrestres cavernicoles aux ailes membraneuses dont il se rappelait avoir vu des photos ? Peu importait… Il était au fond à peine étonné de retrouver ici comme un petit échantillon de la surprenante faune de cette lointaine planète mère qu’il ne connaîtrait jamais. Les cours d’exobiologie qu’il avait jadis suivis sur Atlantis ne l’avaient-ils pas amené à comprendre que la vie réutilisait toujours et partout les mêmes recettes gagnantes pour s’adapter à des situations similaires ?

Des situations similaires… Il avait beau se répéter qu’il appartenait à une civilisation entièrement tournée vers l’espace, une technocratie qui ne s’intéressait aux planètes plus ou moins habitables que pour les richesses minérales qu’elles pouvaient offrir, il lui était toujours aussi difficile d’admettre que les autorités d’Ouranos aient pu ignorer jusqu’alors l’existence de cet incroyable édifice naturel. Cet immense labyrinthe sous-terrain que d’autres avaient su discrètement utiliser à leur profit.

« Et vous dites avoir des cartes suffisamment précises de ce réseau de galeries dans lesquelles nous sommes en train de nous faufiler ? » demanda-t-il, un peu inquiet. « Je n’arrive pas à croire qu’il puisse vraiment s’étendre sous toute la surface…

- C’est pourtant vrai. Enfin, presque… Avec de nombreux endroits bien moins praticables que cette portion-là, mais ça passe toujours. Et heureusement pour nous car je doute fort que nous ayons eu le temps de nous échapper par la mer !

- Vous pensez qu’ils ont détruit la base, à l’heure qu’il est ?

- Si ce n’est fait, c’est qu’ils s’apprêtent à le faire… Il valait mieux foutre le camp au plus vite, croyez-moi. Notre base de repli la plus proche n’est qu’à cinq heures de route environ. Mais ce qui me préoccupe le plus, c’est que maintenant, ils savent. Fini, l’effet de surprise !

- Mais s’ils détruisent la base…

- Ils se douteront bien que nous en avons installé d’autres et feront tout pour les trouver. Ça risque d’être « chaud », à partir de maintenant…

- Ce qui me paraît rassurant, c’est qu’ils ne disposent probablement pas de la technologie leur permettant d’explorer les fonds marins comme vous pouvez le faire… Pourquoi l’auraient-ils développée, ignorant totalement ce qui était en train de se tramer ?

- Juste un petit sursis, Bob… Cela ne nous laisse qu’un tout petit sursis avant que nous ne ressuscitions l’antique guerre sous-marine ! » répondit le commandant sur un ton désabusé. « Avec toutefois d’autres moyens que ceux dont on disposait lors des batailles navales de notre bonne vieille Terre ! On a dû vous parler de ça à l’école ?

- Oui, je me souviens vaguement de ces histoires de sous-marins torpillant des navires qui à leur tour leur balançaient des charges explosives…

- Des grenades, c’est ça… On appelait ça des grenades.

- Ces récits m’amusaient beaucoup, étant gosse !

- Ça vous amusera moins lorsque les satellites d’observation, repérant le moindre déplacement de masses métalliques dans les profondeurs, nous enverront les chasseurs suborbitaux lestés de torpilles à charge d’antimatière… »

Bob, mal à l’aise, ne répondit pas. Il se contenta de tourner la tête vers l’arrière de la cabine où Alex, n’ayant pas suivi la conversation, s’entretenait calmement avec les deux nouveaux venus responsables bien malgré eux de la situation périlleuse où ils se trouvaient tous maintenant.

Il ramena son regard sur la nuque du commandant pour poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Comment pourrons-nous quitter Ouranos, maintenant ?

- L’équipage de l’Exocet apprendra ce qui s’est passé ici aussitôt qu’ils sortiront de l’hyperespace » répondit celui-ci sans quitter des yeux l’avant de la machine dont les phares paraissaient vouloir fouiller les entrailles de la planète. « Ne vous en faites pas… Vous pourrez tous embarquer lorsque le vaisseau se présentera à l’entrée de notre prochaine base, là où notre sous-marin nous attend déjà !

- Là-bas aussi un énorme tube blindé, j’imagine… L’Exocet se verrouillera directement sur le sas ?

- Si la topographie du lieu le permet. Sinon, le sous-marin se chargera de vous transborder sur le vaisseau posé un peu plus loin sur le fond… »

Cet incroyable voyage sous la surface d’un monde supposé sans mystère… Le vaisseau posé sur le fond de l’océan, attendant sagement ses passagers… Depuis le début de cette surréaliste aventure, tout ça réveillait en lui des bribes de souvenirs.

Ces naïfs romans d’anticipation datant d’une époque qui se perdait dans la nuit des temps. Un de ces auteurs anciens dont il avait oublié depuis longtemps le nom et qu’on avait dû lui présenter, étant gamin, à titre de curiosité. L’auteur, à ce qu’il croyait savoir, de quelques-uns des plus vieux récits de science-fiction. De ce que l’on n’appelait pas encore - de ce que l’on n’appelait plus - de la science-fiction.

Avant, bien avant la grande diaspora. Sur une Terre qui s’apprêtait à vivre, quelques siècles plus tard, ce que peu d’écrivains avaient osé imaginer.

Christian Eychloma

Publié dans Textes

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C
Et dire que c'est Bob qui pilote le truc, c'est dire le genre d'embrouilles qui se trament dans cette dimension-là...<br /> @ Christine: je reçois l'article d'Aloys chaque jour, parfois deux fois par jour avec un article vide et je peux poster un commentaire sans problème sauf de rares fois.
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C
:D :D Ouais... Il semble bien qu'il soit, une fois encore, mouillé jusqu'au cou ! Nouvelle preuve que la KMAR a le bras long...
S
Que d'imaginaire ! Et j'adore la dernière phrase :-))
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C
Merci Séverine ! Difficile de prévoir, en effet, ce que l'avenir nous réserve !
E
Ca m'a tout de suite replongée dans l'univers des films d'anticipation de mon enfance, avec le mélange de mondes, les vaisseaux étranges, technologies qu'on ne comprenait pas. Je me souviens d'un film dont nous avons parlé pendant des années avec ma mère, où les engins spatiaux remontaient le temps, ou arrivaient dans une autre poche de temps je ne sais plus, mais là il y avait des "Nagas", des sortes de troglodytes affreux avec un gros oeil bleu qui tenaient captive une superbe blonde pleurnicheuse. Nous avons, par la suite, surnommé Naga tous les gens que nous trouvions laids :D
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C
:D :D "Une superbe blonde"... Là, il va y avoir des déçus car il ne s'agit pas du tout d'un conte de fée ! (lol)
J
Cela promet.
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