"La colère", un texte signé Marie-Noëlle FARGIER

Publié le par christine brunet /aloys

"La colère", un texte signé Marie-Noëlle FARGIER

La colère se trompe souvent de destinataire. Elle est comme une lettre paumée que le facteur distrait, a distribuée dans la première boîte à lettres d'une quelconque rue.

Dès sa première lecture, elle valdingue dans vos oreilles, chargée de tous ses maux, qui essaient de s'éliminer par votre bouche ouverte et muette devant tant d'humeur maladive ! "L'umor", ce fluide diabolique, s'infiltre dans vos veines et votre coeur s'emballe, des moiteurs dégoulinent de vos mains. Votre bouche toujours ouverte, parle avec des lèvres tremblantes, mais sans aucun son. Le mal s'amplifie jusqu'à ce qu'un mot encore plus terrible que les maux, surgisse de votre langue asséchée, sorti des profondeurs de la stupeur. Ou bien votre corps prend le relais, par un "je raccroche", un claquement de porte, une fin.

Après quelques minutes, voire quelques heures, voire quelques jours ou plus, l'umor s'en va. Votre anatomie reprend sa cadence rythmée par votre bonne humeur et votre claire pensée. Enfin vous réfléchissez ! Vous disant que cette lettre paumée ne vous était pas destinée. Mais à qui, pouvait-elle donc s'adresser ? Vous prenez l'annuaire, cherchant déjà dans votre quartier, puis dans votre ville, mais tellement de noms sont inscrits ! Cependant, un nom, gravé en gras, bondit et retient toute votre attention.

Une idée vous vient : "Si cette colère vous était réellement adressée...?"

Alors vous repassez tous les mots et maux échangés, et vous ne trouvez rien. Du moins, rien qui ne justifie une telle "umor". Même quelquefois au contraire ! Que de beaux mots et bienveillance et amour se sont propagés entre vous et cet expéditeur.

Ensuite, le poumon de la raison vous souffle : "Si cette lettre était en fait destinée à l'expéditeur ?" Vous refusez cette idée. Elle voudrait dire que ce pauvre expéditeur est si mal face à lui-même qu'il perd la notion de la vérité, de la réalité, qu'il ne sait plus qui il est ... Qu'il est empli de toute cette "umor" et va-t-il en guérir ? Car vous l'aimez cet expéditeur ! Et puis il doit être chargé de culpabilité face à ces maux dont il vous a accusé, véritablement ses propres maux.

Les maux de ne pas savoir être, de ne pas pouvoir faire, mais pour quelles raisons ? Ces raisons que vous avez tellement cherchées en vain; vous ne pouviez les trouver, elles ne vous appartenaient pas ! Les connait t-il lui même ? Sûrement ou peut-être pas ?

Oh et puis raz le bol !!! Vous n'avez pas envie que l'umor s'infiltre à nouveau dans votre lymphe, surtout que vous n'en êtes pas le déclencheur. Vous voulez bien la partager mais la porter seule, c'est trop demander !!! STOP STOP.....

Etes-vous en train de vous énerver ? Il ne faudrait pas que vous envoyiez une lettre de maux à un quelconque destinataire pour vous décharger de ce mal ? Et de ce fait, trouver un autre bouc émissaire ? Bouc émissaire qui pourrait encore lui-même s'interroger et faire de même pour s'alléger.....

L'umor serait-elle contagieuse ?

Pauvre facteur, quel poids dans son sac de messager ! :)

Marie-Noëlle Fargier

Publié dans Textes

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P
Très beau texte !<br /> Bravo Marie-Noëlle :-)
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M
Merci Marcelle, ton poème de ce matin : quel délice ! Des thèmes "un peu" opposés ce jour. D'habitude, on est mieux "synchro" :)
S
Un texte que je verrais bien scandé bien fort sur les planches. Un huis clos un peu sombre... Ca résonne! Ca tremble! Le talent d'un Jacques Weber ou d'un Sébastien Thiéry.<br /> Et moi qui applaudit.
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M
J'aime beaucoup le théâtre. Ton commentaire me touche d'autant plus. Il ne manque plus que l'interprète, je retiens tes suggestions :) Merci
P
La colère, la force du faible, aveu d'impuissance, avant de fondre sur la cible désignée a ravagé les entrailles de son locuteur. Elle a tellement macéré en son fond, faute de trouver les mots ou les gestes adéquats, qu'elle emmène tout sur son passage. Des dévastations intérieures et extérieures, il sera difficile de poser un autre regard, émettre de nouveaux mots. La colère s'en moque. Tapie dans le reflux, elle prépare ses prochains rugissements à moins que les mots du désir ne l'empoignent, la jettent par dessus bord et enfin débarrassés de ce faux-émissaire, énoncent leurs libres intentions.
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M
Tes mots, Philippe, répondent tellement à tout mon ressenti. Ils font mieux que répondre d'ailleurs, ils sont un regard plus fin et si vrai.
C
"Et le printemps et la verdure<br /> Ont tant humilié mon coeur,<br /> Que j'ai puni sur une fleur<br /> L'insolence de la Nature"...
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M
Touchée. "les fleurs du mal", le titre de ce recueil à lui-seul, dit tout. C'est tellement fort comme une musique, une peinture, ces mots qui rejoignent le pire et le meilleur, où seules des larmes peuvent répondre, moins pire que la colère peut-être...
C
Toutes ces humeurs négatives ne font du tort qu'à la personne qui les vit. Soyons égoïstes dans ce cas ...
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M
Tu as raison Carine-Laure. Mais on n'est pas toujours spectateur, on peut-être aussi auteur. Je crois qu'il ne faut pas l'oublier :)