Jean-François Foulon nous propose un extrait de son roman "Obscurité"

Publié le par christine brunet /aloys

Jean-François Foulon nous propose un extrait de son roman "Obscurité"

(...)

Il approchait de l’endroit fatidique, le cœur un peu serré, quand il entendit dans le lointain la musique plaintive de l’instrument. Elle était donc là ! Une vague de bonheur le submergea aussitôt. A pas de loup, il se glissa derrière les troncs pour parvenir à son lieu d’observation habituel.

La jeune fille était bien présente, en effet, mais elle avait encore changé de place ! Elle se trouvait aujourd’hui beaucoup plus près de la lisière de la forêt. Autrement dit, elle n’était qu’à une dizaine de mètres de lui, ce qui, à la fois le combla de bonheur et le paralysa complètement. Qu’est-ce qu’elle était belle ! Cette fois il voyait vraiment bien son visage… Elle avait un petit nez tout mignon et des lèvres très fines. Et ses mains ! Qu’est-ce qu’elles étaient fines elles aussi, avec leurs longs doigts allongés et délicats… Elle avait bien quinze ans, pour sûr, peut-être même seize. Qu’est-ce qu’il pourrait bien lui dire qui l’intéresserait, lui qui allait seulement en avoir douze dans deux mois ? Elle allait le prendre pour un gamin, ça c’était sûr.

C’est qu’en plus elle semblait vivre dans un univers tellement différent du sien ! Jouer de la musique comme elle le faisait, c’était fabuleux. Elle devait sûrement être riche et vivre dans un château, ce n’était pas possible autrement. Il imaginait des pièces immenses, avec des lustres de cristal pendus au plafond, des cheminées monumentales en marbre rose, des escaliers en pierre blanche larges comme des avenues, des tables de bois noir bien ciré, avec des corbeilles qui débordaient de fruits exotiques, et en plus de tout cela, une armée de domestiques qui s’empressaient de tous côtés. Dans une pièce merveilleuse aux fenêtres ogivales et aux vitraux colorés, elle devait apprendre la musique avec des professeurs de renom, venus de Paris tout exprès pour elle. Ou bien elle jouait seule, cherchant l’inspiration, et relevait parfois la tête en contemplant, rêveuse, le jeu de la lumière sur les vitraux. Certes, c’était là un mode de vie fort différent du sien et on était fort loin, assurément, de l’écurie obscure dans laquelle il devait s’enfermer pour échapper à son beau-père. Il avait honte d’être lui-même. La petite Peugeot, leur vie errante, sa sœur et ses jeux idiots de petite fille, tout cela lui semblait tellement minable par rapport à la vie que la musicienne devait mener…

Il la regarda encore, la contempla, plutôt. Elle termina un morceau et en entama un autre, encore plus beau, encore plus aérien. Il lui semblait voir les notes s’envoler comme des oiseaux et aller se perdre là-bas dans les feuillages. La mélodie était prenante, attendrissante même et n’était pas dépourvue d’une certaine mélancolie, voire d’une certaine tristesse. C’était véritablement l’âme de la jeune fille qui s’exprimait là et plus il écoutait cette musique, plus il avait l’impression de la connaître et même de la comprendre, elle. Car ce qu’elle disait, là, avec ses notes, c’est qu’elle était seule, un peu trop seule pour être heureuse. Cette mélancolie avait un petit côté attendrissant. Cependant, au lieu de pleurer sur son sort, la musicienne disait simplement ce qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même et du coup, parce qu’elle était parvenue à dire cela, sa propre tristesse se changeait en beauté. L’enfant venait de découvrir le langage artistique et il sut là, au bord de cette clairière, qu’il n’oublierait jamais cette leçon.

Il se passa alors une chose extraordinaire, une chose que l’enfant n’aurait jamais imaginée, même pas en rêve. Il s’était légèrement avancé pour mieux profiter de ce concert merveilleux et aussi, évidemment, pour mieux contempler ce corps féminin, penché avec grâce dans une sorte de recueillement intérieur. Soudain, après un dernier accord plus long et plus langoureux encore que les autres, la mélodie prit fin. Le silence qui suivit fut impressionnant. La jeune fille alors se redressa et tourna la tête dans sa direction. Bien qu’il fût en partie dissimulé dans les branchages, leurs regards se croisèrent. Il resta paralysé. Trop tard pour se sauver ou même pour faire un pas en arrière ! Elle lui sourit.

  • Tu as aimé ce morceau ?, demanda-t-elle.

On aurait dit qu’ils s’étaient toujours connus. Il ne sut que répondre et ne répondit donc rien, restant planté là comme un nigaud. Un peu décontenancée par son mutisme, elle n’en continua pas moins à lui sourire.

  • Allez, viens, ne reste pas là, caché comme une souris dans son trou. Tu peux venir près de moi pour écouter, si tu veux.

Alors il sortit de sa cachette car il n’avait pas d’autre alternative. Il se sentait pris en faute comme un voleur. Il aurait dû reculer et s’enfuir, mais il n’en avait plus ni la force ni le courage. Cette voix féminine l’avait complètement paralysé. Il fallait dire qu’elle était douce, incroyablement douce, d’une douceur qu’il n’avait jamais entendue nulle part ailleurs.

Publié dans Textes

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E
Je n'étais sans doute pas là quand ce texte a été publié, car je le découvre. Avec bien du plaisir, en plus!
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M
Comme le texte est prenant. L'art des phrases du réel langage pensé a le don d''offrir au lecteur le ressenti authentique. Une belle réussite et comme le livre doit être à son image, il ne peut qu'être tentant.
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J
Ce n'est pas moi qui vais dire le contraire, Martine :)
C
Je viens de prendre connaissance de votre livre et de l'extrait. C'est très beau, émouvant, léger et cependant très fort dans le ressenti de l'adolescent. Belle écriture, félicitations!
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J
Merci Christina :)
S
Très délicate expression des premiers émois.<br /> Grâce à la musique jouée par la jeune fille, le garçon a du vaincre sa timidité pour sortir de l'ombre.
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J
Il n'a pas eu trop le choix, à vrai dire. La jeune fille avait déjà repéré sa présence :))
J
Merci pour les commentaires :))
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P
Oups ! jeune fille !<br /> Une matinée de dimanche ( ensommeillée) ;-)
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P
C'est en effet très romantique, les premiers émois d'un jeune garçon et cette belle jeune f
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J
Comme c'est beau, Jean-François ! Romantique à souhait. Cette approche entre les deux adolescents est tellement bien dépeinte. J'aime la description des ressentis, des émois, des questionnements du garçon, ainsi que l'atmosphère du lieu, l'ambiance générale. Merci et bravo pour ce partage d'un joli moment de lecture.
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