Un texte de Bernadette Vroman dans la revue Aura
Je n’en ai jamais eu l’ombre d’un doute, ce mot me suivrait toute ma vie… J’étais née dans l’ombre, je mourrais dans l’ombre.
Dès l’enfance, je me plaisais à me réfugier à l’abri des regards, ces véritables projecteurs dont la lueur m’a toujours incommodée. Je ne parlais qu’aux livres, qui m’accompagnaient dans un coin du jardin, sous un arbre aux lanternes, l’ombrelle, mon chapeau de soleil, ou dans la niche du chien, mon antre préféré.
Ils m’emmenaient dans des histoires légendaires, d’âmes errantes, de sombres manoirs, de lieux hantés. Et tous les soirs, je partais à la chasse d’un fantôme qui aurait pu se cacher sous mon lit. A peine couchée, des ombres fantasmagoriques se manifestaient derrière la lucarne de ma chambre, venant tourmenter mes nuits.
L’astre du jour ne m’était pas destiné, provoquant sur ma peau trop blanche des rougeurs, les mêmes que celles qui se dessinaient sur mes joues si j’avais le malheur de prendre la parole quand nous étions plus de deux.
Une nuit, la reine des ombres, sous son jour le plus brillant, murmura à l’étoile d’argent, qui ne pousse qu’en présence d’ombre, non sans lumière : tu devrais te mettre sur le devant de la scène, plutôt que de rester dans l’ombre toute ta vie. Moi, sortir de l’ombre ? Jamais de la vie ! J’y suis, j’y reste !
Depuis ce jour, je me suis mise à écrire, à découper des silhouettes, des fleurs, des montagnes, que je mets en lumière, et le théâtre d’ombres fait partie désormais de ma vie. Je savais dès lors que je mourrais ombromane.
Bernadette Vroman