Un bout de ciel pour les cochons, une nouvelle signée Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

Un bout de ciel pour les cochons, une nouvelle signée Micheline Boland

UN BOUT DE CIEL POUR LES COCHONS

Un jour, une phrase. Un jour, une idée qui monte en soi pour quelques mots entendus par hasard. Un jour, un appel flamboyant auquel on ne peut que répondre. Un projet impératif, éveillé en quelques secondes. Une imagination attisée par ce projet si puissant.

Jeannot est un enfant de la campagne. Souvent, il joue dehors seul ou avec des copains. Quand il s'ennuie ou quand on lui demande, il accompagne son père aux champs, à l'étable, à l'écurie, au poulailler ou à la porcherie. Il l'aide comme il peut. Il nourrit les bêtes, il les soigne. Il manie brouette, pelle, râteau et fourrage avec dextérité. Il y a toujours quelque chose à faire dans une exploitation agricole.

Ce matin-là, pluvieux et triste, Jeannot écoute la radio. Il entend quelque chose qui le touche comme le toucherait l'annonce d'une épidémie de fièvre aphteuse, de peste bovine, de brucellose ou de grippe aviaire. "Les porcs ne peuvent regarder le ciel. Leur nuque ne permet pas les mouvements nécessaires à l'observation du ciel." Jeannot n'écoute pas plus loin les propos du journaliste. Jeannot sent monter en lui une immense compassion. Jeannot a le cœur qui chavire, la respiration qui s'emballe, les joues qui s'empourprent. "Pauvres bêtes", chuchote-t-il. Le sort des porcs est ainsi remis entre les mains d'un enfant apitoyé qui rêve déjà aux moyens d'améliorer la condition porcine. Jeannot rêvasse en regardant le ciel où s'amassent les nuages. Pour lui, enfant de la campagne, ce serait une punition atroce que de ne pouvoir observer le ciel. Même chargé de nuages gris, même sombre, même encombré de la violence orageuse, le ciel n'offre-t-il pas à tout un chacun des caresses divines ?

Belle occupation pour Jeannot. Il ne se dérobe pas à son nouveau devoir. Les jeux de ballon, la construction de cabanes, les soins au bétail, tout cela n'a plus qu'un piètre intérêt. À présent qu'il sait, quel pourrait être son devoir si ce n'est celui d'améliorer la vie des cochons ? Pourrait-il trouver le repos si ne lui venait une solution ? Jeannot se torture l'esprit. Jeannot tourne en rond avec son problème.

"Jeannot, va nettoyer l'évier de la salle de bain. Tu y as laissé des traces de dentifrice. Dépêche-toi. Enlève aussi la trace sur le miroir. Après tu éplucheras les pommes de terre."

L'appel de sa mère dérange bien sûr Jeannot. Adieu rêverie ! À contrecœur, l'enfant obéit. Ils sont quelques-uns à avoir eu l'inspiration, là où ils ne l'attendaient pas. Ainsi, il en est de Jeannot comme d'Archimède qui fit sa découverte dans une baignoire. L'idée est venue à l'improviste tandis que Jeannot astique le miroir. Mais oui, il suffisait d'y penser !

Quelques jours plus tard, le soleil revenu, Jeannot s'en va chercher, au grenier, le grand miroir qui autrefois se trouvait dans le hall d'entrée de la maison. Qu'importent les éclats, les taches, les points noirs, pour l'usage qu'il prévoit. Son trésor sous le bras, Jeannot s'en va vers le pré où paissent les cochons. C'est au milieu du pré qu'il pose le miroir. Il prend la précaution de l'entourer d'un grillage. Puis, emmenant dans ses bras, le cochonnet Miguel, celui qu'il préfère, il le met près du miroir. Le groin du cochon, le visage souriant de l'enfant, un morceau de ciel bleu, un bout de grillage sont reflétés. Miguel semble beaucoup apprécier. Il joue les dandys face au miroir. Jeannot rit. Tant de bonheur pour le plaisir supposé d'un animal ! Un de ces instants précieux entre tous !

Le labeur quotidien, ce voleur de loisir, amène ce jour-là le père à une étrange découverte. Un miroir dans le pré où se trouvent les cochons ! Il n'est pas besoin d'être Sherlock Holmes pour deviner qui a eu cette idée.

Interrogé, Jeannot affirme avec aplomb que c'est un moyen des plus sûrs pour que la viande de porc soit délicieuse à souhait. Foi de journaliste agricole, ose-t-il affirmer.

Une bonne idée publicitaire n'étant jamais à négliger, le père parfait l'idée de son fils. Sur le bas du mur de la porcherie qui jouxte le pré où sont souvent les cochons, il colle des miroirs. Il accroche aussi solidement des bouts de miroir le long de la clôture. Est-ce l'effet des reflets du ciel ou de leurs propres reflets, le temps passant, il lui semble que les cochons deviennent plus dynamiques, plus espiègles et surtout plus dodus. Il fait donc connaître chez les commerçants qui vendent sa production porcine l'originalité du produit qu'il offre : "La viande des porcs qui voient le ciel, la viande la plus tendre et la plus goûteuse."

Et cela marche. Coup de bluff ou pas, message fantaisiste ou réalité, c'est à chacun d'en décider. Mais le porc devient l'incontournable viande de première catégorie que se doivent de cuisiner tous les maîtres queux des environs, toutes les ménagères avisées !

(Extrait de "Contes à travers les saisons")

Micheline Boland

micheline-ecrit.blogspot.com

Publié dans Nouvelle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Merci beaucoup Marcelle, Marie-Noëlle, Jean-Louis et Didier !
Répondre
P
Une jolie fable poétique !!!
Répondre
M
Nous aussi aurions bien besoin de miroirs !<br /> Belle leçon tout en poésie. Bravo Micheline !
Répondre
J
Plus partagé sur ma page FB et mon blogue ....
Répondre
J
Je rejoins Didier. Ce Jeannot est décidément vachement (plutôt cochonnement ) sympathique, tenace et plein d'imagination. Toi aussi par la force des choses, bien entendu, Micheline.Texte à lire en classe et à servir de support dans l'enseignement ! Bravo et merci pour ce petit bijou d'écriture ! De surcroît, cela me pousse à la réflexion, et j'ai envie de poser des tas de questions à ma vétérinaire ! ( je signifie celle qui s'occupe de ma petite chienne Gypsy ) Combien d'animaux sont dans le même cas ? Pourquoi, comment, où, handicap ou pas, etc ? ET c'est vrai qu'il y a pléthore de préjugés sur le cochon totalement faux !
Répondre
D
Micheline, ce fabuleux animal qu'est le cochon méritait bien un superbe texte pour lui tout seul. Merci pour lui !
Répondre