Janna Rehault nous propose un extrait de son roman "La vie en jeux"

Publié le par christine brunet /aloys

Janna Rehault nous propose un extrait de son roman "La vie en jeux"

Chapitre : La rivale virtuelle

(…) Mes vieilles craintes se sont réalisées : j’ai eu une rivale. Je l’ai compris le jour où Max m’a informé solennellement qu’il avait enfin rencontré la femme de ses rêves. Certes, ce n’était pas la première fois que je l’entendais parler de ses petites copines virtuelles. Mais cette fois-ci, d’après lui tout était « différent ». Il avait enfin réussi à trouver et à programmer son idéal féminin.

Et moi dans tout cela ? Depuis quatre ans qu’on se connaît, je cherche sans cesse à attirer son attention d’homme... aucune réaction. Je vais bientôt finir par me sentir comme un être asexué à ses yeux. J’aurais beau faire un strip-tease devant lui, je ne serai jamais que sa « meilleure amie ». (…) A dire vrai, je ne sais même pas comment je dois le prendre : je ne peux pas en être jalouse quand même ? Rien n'est plus stupide que de jalouser une femme virtuelle.

(…)

Je me suis mise à fouiller dans les programmes personnels de Max. (…) Sans trop de peine, j’ai trouvé le fichier qui m’intéressait. Il contenait plusieurs dossiers : « Informations générales », « Physique », « Caractère », « Ressources vocales » et ainsi de suite. Je clique sur « Physique ». Quelques dizaines de mes photos en 3D apparaissent sur l’écran. De face, de profil, de dos, en pied, dans un angle, dans un autre, etc. Etape suivante : « Caractère ». Bien qu'il m’arrive de manquer d’objectivité dans mon auto-estime, je me suis reconnue dans le caractère programmé. Plus la peine de continuer l’enquête, tout était clair comme le jour : ma rivale était ma copie conforme.

Hum, ce serait drôle si ce n’était pas si triste… Et moi, j'étais quoi dans cette histoire ? Un matériel de base pour version numérique de la femme idéale ? Avant je voyais Max comme une espèce de Pygmalion. On pouvait reprocher à Pygmalion d’être un pervers incapable d’aimer d’autres choses que sa propre création, mais il y avait dans sa puissance créatrice quelque chose de sublime, de surhumain. Max on ne pouvait même pas se dire créateur, il m'avait seulement plagiée. C'était un pervers, c’est tout. (…)

Donc, les conclusions suivantes s’imposent. Primo : je dois être bien à son goût. Secundo : soit Max n’ose pas avoir de relations avec moi, soit il préfère ma version de synthèse. A supposer que la deuxième hypothèse soit juste, cela veut dire que Max est tout simplement incapable d’aimer une femme réelle. (…) Peut-être est-ce toujours cette peur de perdre alors ? Moi je peux bien le perdre, mais pas lui, il aura toujours avec lui mon duplicata. J’aurais beau partir à l’autre bout du monde, vivre avec un autre mec, devenir alcoolique ou nymphomane, peu importe. Il lui restera toujours mon autre… enfermée dans son ordinateur quoi qu’il arrive. La femme qui ne le quittera jamais et ne le trompera pas une seule fois. Copie fidèle doublée de copine fidèle.

Je me demande ce qu’en aurait dit Freud. Il a eu de la chance finalement, à son époque de tels cas n’existaient pas encore. Il se serait définitivement perdu dans ses théories et aurait muni la psychanalyse, déjà bien tarabiscotée, de notions supplémentaires du genre : « le moi et la copie du moi », « le sur-virtuel-sur-moi », « le ça virtuel », « complexe de réalité », « fixation au stade virtuel », « virtuel clivage du moi » et ainsi de suite.

Publié dans Textes

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P
Comment lutter contre une rivale ... virtuelle ?<br /> Et Freud qui n'est plus là ...
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