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auteur mystere

« gcfghksxldfmwsdc » une nouvelle de qui ????

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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«  gcfghksxldfmwsdc »

 

‘gcfghksxldfmwsdc’ se dit-il in petto ! En fait, c’est impossible à exprimer avec les lettres de l’alphabet puisque ce n’est même pas un son (il n’a pas de bouche), mais une pensée qui perce dans son subconscient sous la forme d’une onomatopée virtuelle.

 

On pourrait traduire par ‘tiens ?’, ‘comme c’est curieux’ ou ‘étrange’ .

 

Ce n’est même pas un bruit, puisqu’il est liquide et coule en silence. Un être humain le  confondrait avec des gouttes de pluie ou une tache de mazout, compte tenu de sa réverbération irisée.

 

Mais alors quoi ? C’est une sorte d’extra-terrestre ?

 

Même pas, puisqu’il vit au même endroit que nous, mais dans un espace-temps distant d’une infime fraction de nanoseconde, un univers parallèle où la vie s’est développée au départ de l’hydrogène et non pas du carbone. Peu importe. Il s’est produit une subtile vibration spatio-temporelle et hop, le voila qui débarque chez nous (une chance sur un milliard) …

 

En principe ça ne dure jamais longtemps, encore que son temps à lui soit atomique. Mais ne compliquons pas les choses…

 

«  gcfghksxldfmwsdc » se dit-il in petto, en tombant nez à nez dans un caniveau avec un vieux thermomètre brisé en deux. 

 

C’est que la goutte de mercure qui y reste collée l’attire d’une façon incroyablement émouvante. 

 

Il n’a jamais vu (barrons le mot, car il n’a pas d’yeux non plus), il n’a jamais connu un ‘autre’ aussi beau et d’une fluidité aussi ferme. Il existe bien sur quelques ‘autres’ très denses dans sa soupe primordiale, mais leur poids est insignifiant comparé à ce qu’il  découvre comme une révélation… celui-ci a une densité qui l’étourdit de sensations, le traverse d’infimes vaguelettes de plaisir et le gonfle de désir.

 

Le voilà qui roule comme une minuscule boule gélatineuse, vibrante de sentiments condensés, vers l’orifice du tube en verre où, comme attiré par un aimant,  il s’infiltre d’un jet amoureux vers le liquide gris d’où n’émane pourtant aucune pensée d’union, rien sinon… une indifférence totale.

 

C’est déjà fini. Ils n’ont même pas eu le temps de se mélanger. Un frémissement de l’espace-temps l’a soudain ramené dans son univers parmi les autres liquides.

 

Mais il ne reluit plus, s’étale comme une vieille flaque et ne révérbera plus jamais les couleurs de l’arc-en-ciel.

 

Notre univers est insondable et dangereux.

 

 

Mais qui a écrit cette nouvelle ? Qui ???????

 

Publié dans auteur mystère

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Trio... Une nouvelle d'Anne Renault... Deuxième partie !

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

renaultanne

      TRIO, suite...

 

 


 

Marie envisagea avec une sensation de grand malaise l'éventualité d'une crise de larmes. Mais Sarah reprit, plus calmement:

              - Pardon, dit-elle, voilà, je vous explique. J'ai une amie, Carine, ma meilleure amie en fait, on peut dire que nous sommes très proches. Elle est malade depuis quelque temps déjà, et hospitalisée. C'est moi qui m'occupe d'elle. Une autre femme seule, eh oui... Je vais la voir tous les soirs en sortant du travail, je prends soin de sa maison, je lui relève son courrier, je tâche de la réconforter aussi. Ce n'est pas toujours facile... On m'a appelée ce matin, de l'hôpital, il est impératif que je lui apporte des vêtements aujourd'hui. C'est pour cela que je dois me rendre chez elle, et après à l'hôpital. Alors, vous pensez, quand j'ai vu que je n'y arriverais pas, j'ai paniqué, vous êtes ma dernière chance.

         Marie pensa que tout cela était un peu exagéré, Sarah semblait exaltée. Mais enfin, elle pouvait comprendre, l'amie malade, gravement peut-être, la fatigue de la semaine, et puis se heurter à cette impossibilité de transport, le froid, la pluie, les déplacements inutiles dans la ville, on pouvait imaginer de l'angoisse, comme si le monde s'était ligué contre elle pour l'empêcher de rejoindre Carine, de l'aider.

D'un ton apaisant, elle dit:

           - Ne vous inquiétez pas, Sarah. Moi, je m'appelle Marie, et quel hasard, n'est-ce pas, je suis seule aussi et tout à fait libre de mon temps, ce soir. Dites-moi où vous voulez aller et, après, je vous conduirai à l'hôpital.

          Et à énoncer ces simples mots, à se trouver ainsi près d'une inconnue, à qui elle était en mesure de rendre un service apparemment important, Marie sentit une chape de douceur, légère et chaude, l'envelopper tout entière. Comme un apaisement, la mise en place d'énergies vacantes et, elle s'en rendait compte maintenant, plutôt lourdes à porter. Des paroles montèrent à ses lèvres, qu'elle retint de justesse: « Savez-vous que c'est moi qui vous suis redevable ? Cela me fait du bien, vraiment, de pouvoir vous aider ». Mais dire cela, c'était trop... personnel. Eh puis, elles n'étaient pas là pour se faire part de leurs états d'âme.

                  - Indiquez-moi le chemin et allons chez Carine, dit-elle.

La voiture repartit, roula quelque temps dans des rues calmes, loin du trafic du centre.

                  - C'est ici, dit Sarah.

Un immeuble jaune, banal. Marie se gara en face de l'entrée, sur le parking d'une petite supérette, qui flamboyait dans la nuit. Des gens entraient et sortaient, chargés de paquets, de sacs garnis de provision pour le week-end. Chacun allait vers son refuge, sa cage, son nid. Presque tous se retrouveraient en famille, tourneraient le dos à la froide nuit de Novembre, feraient les préparatifs d'un repas plus détendu, sans la perspective d'un lever trop matinal, le lendemain.

 Marie éprouva vivement le caractère improbable de sa situation, être là, assise dans sa voiture, à attendre une inconnue, qui devait rejoindre une autre inconnue, et qui plus est, dans un hôpital. Lui échappaient aussi la cause de l'agitation de Sarah, ainsi que du caractère urgent de sa mission. N'importe, elle se sentait bien, on avait besoin d'elle, pour un temps elle échappait à la redoutable solitude, et, qui sait, cette rencontre pourrait avoir des suites, une amitié, au moins une relation, peut-être... Elle se morigéna immédiatement. Ne rien attendre, prendre ce qui est bon, et surtout ne rien attendre, ne rien imaginer. Mais c'était difficile...

Sarah ressortit de l'immeuble, un grand sac à la main et s'engouffra rapidement dans la voiture dont Marie lui avait ouvert la portière.

  - Merci, dit-elle, j'ai essayé d'aller vite pour ne pas vous faire attendre. Et puis - elle se tourna vers Marie - vous êtes vraiment tout à fait sûre que cela ne vous dérange pas de m'emmener à si loinl ? Vous pouvez peut-être me laisser simplement à la gare, il est bien possible qu'il y ait des taxis, maintenant.

Il était vrai que l'hôpital était très excentré, il faudrait bien une vingtaine de minutes pour l'atteindre.

            - Je vous ai dit que j'avais tout mon temps, et c'est beaucoup plus commode que je vous emmène. Votre taxi, ce soir, ce sera moi.

Marie avait voulu mettre un peu de légèreté, voire de gaîté dans sa réponse, mais Sarah n'y fit pas écho.

        - Encore merci, se borna-t-elle à dire, vous me rendez vraiment un très grand service.

            Puis elle se tut.

           Marie glissa un regard vers elle. Certes, elle ne distinguait presque rien de la femme assise à côté d'elle, mais elle aperçut son profil et, à la tension des mâchoires, à une immobilité qui confinait à la raideur, ainsi qu'à la courbure du dos, le cou rentré dans les épaules dans une position défensive, elle devina une tension écrasante.

Elles roulaient maintenant sur le grand boulevard qui traversait toute la ville, du Nord au Sud et elles avaient retrouvé une circulation dense. Les  feux mal coordonnés les ralentissaient. Encore beaucoup de monde sur les trottoirs. La pluie avait tout à fait cessé, mais les arbres noirs éparpillaient des gouttes, agités par un petit vent acide, désagréable.

Bientôt, elles distinguèrent l'énorme masse carrée et trapue de l'hôpital, avec, sur sa terrasse, des feux clignotants pour l'atterrissage des hélicoptères. La route s'élargissait, elles furent doublées en trombe par une voiture du SAMU, qui se précipita vers l'entrée des urgences, gyrophare flamboyant.

Sarah demeurait silencieuse, Marie eut l'impression que l'angoisse de l'autre femme avait encore augmenté. Elle la sentait fortement présente, à des signes infimes, le corps près d'elle qui semblait s'être replié, les mains qui s'étaient resserrées sur les brides du sac.  Elle-même commençait à en éprouver les effets, le bien-être de tout à l'heure, le plaisir du service rendu avaient disparu. Pourtant elles touchaient au but, Sarah allait pouvoir rejoindre son amie, lui apporter ce dont elle avait besoin.

« Peut-être est-elle très malade », se dit Marie, s'apercevant à cet instant qu'elle n'avait posé aucune question à ce sujet, ne voulant pas assombrir l'atmosphère de cette rencontre inespérée. De plus, un problème se posait : allait-elle demander à Sarah si elle souhaitait  qu'elle l'attende? Et si celle-ci refusait, comment ferait-elle pour rentrer en ville ? De toute évidence, Marie se devait de la ramener. Mais c'était engager un peu plus avant leur relation, et, depuis qu'elles étaient reparties, Sarah, par son silence,  n'avait rien fait pour aller dans ce sens. Marie préféra attendre qu'elles se séparent  pour voir comment les choses allaient tourner.

               - Si je vous dépose  à l'entrée principale des visiteurs, cela vous convient-il ? demanda-t-elle, je pense que c'est le plus court chemin pour atteindre n'importe quel service.

              - Tout à fait. C'est donc là que nous allons nous séparer. Je vous remercie  encore infiniment de ce que vous avez fait pour moi ce soir.

Marie attendit la suite. La voiture était maintenant à quelques mètres du grand porche de l'hôpital. La lumière blanche qui en émanait ruisselait sur le terre-plein qui y menait, comme une coulée de lait. A l'intérieur, on devinait des allées et venues incessantes. Des infirmières, des soignants sortaient, par petits groupes, riant, discutant.

Marie avait laissé le moteur allumé, afin de ne pas paraître attendre de Sarah des remerciements supplémentaires, et pour ne pas la retarder.  Aussi fut-elle surprise de la voir, au lieu de quitter la voiture, se tourner vers elle.

Un temps de silence, suspendu. Sarah baissa la tête, puis la releva après une profonde inspiration,  regardant maintenant Marie bien en face.

 - Je ne vous ai pas dit de quoi il s'agit vraiment, murmura-t-elle d'une voix sourde. Voilà, dans ce sac, il y a des vêtements, mais aussi des sous-vêtements, et des chaussures, un collier aussi. Ce n'est pas pour une sortie, non... C'est sa tenue pour la mise en bière. Carine est morte ce matin, à cinq heures.

          Elle pivota rapidement et quitta la voiture, laissant Marie sans voix. Sur le siège du passager, un rectangle blanc se détachait dans l'obscurité. Une des lettres, oubliée...

 

 

Anne Renault

annerenault.over-blog.com

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"Trio"... Une nouvelle de... mais de qui, au fait ? première partie !

Publié le par christine brunet /aloys

point d'interrogation

                                                        TRIO

 

 

 

 

 

Marie regarda une fois de plus par la fenêtre. Non, il ne pleuvait plus, vers quatre heures les trombes d'eau avaient cessé, faisant place à un temps menaçant. Des nuages bleu-noir se gonflaient entre les arbres du boulevard, leurs cimes atteignant le niveau de son appartement du septième et dernier étage. En bas, elle avait vu le toit de sa voiture,  garée contre le trottoir, qui luisait comme le dos d'un gros insecte. La circulation avait repris avec intensité, on était vendredi soir, dans une grande ville.

Puis elle revint au petit tas de courrier, posé sur la table. Les six enveloppes blanches, fermées, timbrées, attiraient le regard dans la pièce qui commençait à s'assombrir. Electricité, téléphone, internet... des factures pas urgentes, certes, mais qu'il faudrait poster. Marie pensa un instant que les lettres lui demandaient avec insistance de les prendre, de les mettre dans son sac et de les emporter. « Occupe-toi de nous ! ». Elle soupira. De plus en plus, depuis quelque temps, les choses semblaient s'animer, dire ou réclamer, une chaise de travers insistait pour qu'on la remît droite, un couteau tombé cherchait à l'apitoyer pour qu'elle le ramasse et le range, le coussin bleu du canapé, le soir, devant la télévision, lui susurrait: « prends-moi contre toi, contre ton ventre, j'ai besoin de chaleur ». Rien d'inquiétant, ce n'était pas réel, elle le savait. Mais l'était-ce beaucoup moins que ce que lui disaient ses collègues de travail, ou la caissière du super-marché... A vivre seule, on a besoin de peupler  l'univers qui vous entoure, il est bon que l'on vous demande et que vous donniez, sans cela la vacuité, le « pour rien » de sa vie devient par trop insoutenable. Alors pourquoi ne pas écouter les choses familières, dont on sait qu'elles ne vous feront aucun mal, parce que vous vivez en bonne harmonie avec elles depuis de nombreuses années.

Marie attrapa son sac, prit le paquet de lettres et les y rangea, enfila l'imperméable accroché dans l'entrée. En sortant de l'appartement, elle vit s'entr'ouvrir la porte d'en face, sur le palier. La vieille madame Kieffer se pencha dans l'entrebâillement.

  - Grisou n'est pas remonté, j'aimerais  bien qu'il rentre, voudriez-vous jeter un coup d'oeil dans la cour, en bas, et le mettre dans l'escalier si vous le voyez ?

Elle ajouta:

   - Vous sortez par ce vilain temps ! Et avec cette pluie, en plus, on est glacé !

   - Des lettre à poster ... Marie tapota son sac.

Au rez-de-chaussée, pas de Grisou. Le chat reviendrait bien, il revenait toujours, sachant d'instinct rester à l'arrière de l'immeuble, à l'écart du boulevard et de ses dangers.

Au premier feu, Marie regretta d'être partie. Il lui faudrait au moins vingt minutes pour atteindre la Poste, le trafic ne s'écoulait pas, la file de voitures restait bloquée malgré l'autorisation de passer, les véhicules de l'autre côté du croisement n'ayant pas bougé.

Quelle idiote ! Elle aurait dû aller à pied, à la boîte pas toute proche, certes, mais quand même, s'engager dans cette pagaille du vendredi soir, très mauvaise idée !  Puis elle pensa qu'elle n'était pas sortie depuis le début de la semaine, en dehors des aller et retour à son travail, qu'elle avait fait du ménage, regardé la télévision, qui la guettait encore ce soir  - des films, des films, à force, elle les mélangeait - que c'était le week-end et que personne parmi ses connaissances ne lui avait fait signe. A vrai dire, elle non plus...

Elle finit par voir apparaître l'imposant immeuble de la Poste, en face du terre-plein central du Boulevard Béranger où les vestiges du marché aux fleurs disparaissaient à grande vitesse, les fleuristes repliant leurs tentes, rangeant les plantes dans de grands pots de fer à l'arrière des camions, abandonnant sur le sol pétales froissés et tiges arrachées.

Il faisait sombre maintenant, les lampadaires n'allaient pas tarder à s'allumer. Pas question de se garer pour faire une petite visite au Printemps, qui brillait de tous ses feux, à cent mètres à peine. On était en plein centre ville, pas une place de parking. Elle se rangerait trois secondes avec ses feux de détresse dans l'espace laissé libre devant les boîtes, y jetterait ses lettres, et il faudrait bien rentrer... Elle mit son clignotant pour changer de file et se rapprocher du bâtiment, n'évitant cependant pas un coup de klaxon prolongé et un appel de phares, qui lui firent battre le coeur un instant.  Les agressions, elle supportait mal.

Comme elle encastrait la voiture dans l'étroit espace devant les boîtes, la pluie se remit soudain à tomber, une averse orageuse si violente que les gouttes se transformaient en lignes brillantes, qui faisaient un bruit d'enfer en frappant la carrosserie. Pourtant, pas question d'attendre, d'autres pouvaient venir poster leur courrier. Elle prit les lettres, les glissa sous son imperméable, inspira profondément et se jeta dehors. D'un bond, elle atteignit la borne jaune et glissa le paquet dans la fente. D'un autre bond elle regagna l'habitacle, les cheveux trempés, les mains ruisselantes. L'averse, les moteurs qui tournaient...il lui sembla que les bruits de la ville étaient multipliés par dix. Ils l'assourdissaient, ils frappaient à ses tempes. Il fallait s'échapper de là, vite.

Elle allait obliquer pour tenter de s'insérer dans la file de véhicules, prévoyant des difficultés car les conducteurs devaient être exaspérés, quand un coup assez fort fut frappé à la vitre du passager. Stupéfaite, elle arrêta sa manoeuvre, se pencha et tenta de voir qui l'avait donné. Impossible, la fenêtre était emperlée, le temps trop sombre. Sans doute quelqu'un qu'elle connaissait, ce n'était pas le quartier des mendiants ou des SDF. Elle actionna un bouton et la vitre s'abaissa. Elle vit un visage de femme, des yeux effrayés, un sourire hésitant, des cheveux noirs plaqués par la pluie sur le front plissé. L'inconnue cria presque, afin de se faire entendre dans le tumulte environnant:

   - Pardonnez-moi, s'il vous plaît, je sais que ça ne se fait pas, mais j'ai un grand service à vous demander. Vous comprenez, les bus sont en grève, je n'ai pas de voiture, et il me faut absolument aller quelque part. Si vous pouviez m'emmener, si cela ne vous dérangeait pas... Je n'ai pas l'habitude d'interpeller les gens, croyez-moi, mais cette fois, oui, cette fois, c'est une urgence. Je suis confuse...

Marie n'hésita pas. Elle se pencha un peu plus et ouvrit la portière. Une seconde plus tard, la femme était assise à côté d'elle. D'abord, elle ne vit d'elle qu'une silhouette qui s'agitait, un  manteau sombre trempé, un parapluie qu'elle tentait de coucher au sol.

   - Je vais vous mettre de l'eau partout. Ah! vraiment, je suis désolée ! Je suis venue   à l'arrêt de bus, ici.

Elle tendit un bras en direction de la Poste et Marie distingua le panneau jaune, l'abri de plexiglas, désert. Personne pour attendre, juste les allées et venues rapides de passants pressés.

     - Mais vous voyez, pas un bus ! quelqu'un m'a dit qu'un conducteur avait été attaqué, hier soir, et aujourd'hui, eh bien, ils sont tous en grève. Je suis allée à la  gare, à la station de taxis, j'ai attendu une demi-heure, pas un seul de libre. Alors, je suis revenue ici, je sais que les gens peuvent stationner une minute pour poster leur courrier, et j'ai pensé...

Marie ne l'entendait plus. Un conducteur compatissant venait de lui laisser l'espace suffisant pour qu'elle prenne place dans la file, qui avançait au pas.

      - Excusez-moi, dit-elle, je ne vous ai pas bien écoutée, c'est si difficile de circuler. Je me dégage d'ici, je trouve un endroit tranquille, et vous me direz où vous voulez aller.

Comme la femme ne répondait pas, Marie tourna la tête vers elle, intriguée. Elle vit son visage de profil, contracté, regardant fixement devant soi. Elle comprit que l'autre était au bord des larmes. Le soulagement ? Cette « urgence », une situation difficile ? Bah, elle ne risquait rien, la femme n'avait pas l'air perturbée, ses explications étaient plausibles. Et puis, elle avait du temps, tellement de temps, par cette soirée vide...

La pluie violente avait cessé. Subsistait une bruine froide, qui faisait luire les capots des voitures et entourait d'un halo les enseignes lumineuses maintenant allumées.

Marie tourna à droite, dans une rue tranquille et se gara sans difficulté. Elle se tourna vers sa passagère.

            - Ouf ! fit-elle, nous voici au calme, c'était vraiment la folie tout à l'heure.

L'habitacle recevait la lueur blanche d'un lampadaire, mais la femme se trouvait à contre-jour et Marie distinguait mal ses traits, seulement une masse de cheveux sombres et bouclés, une silhouette assez fine engoncée dans un manteau noir. Une odeur de laine humide, insistante mais pas désagréable, s'en dégageait.

- Alors, si vous me disiez en quoi je puis vous être utile, j'ai du temps ce soir, je vous emmènerai où vous voulez.

            - Je m'appelle Sarah.

     Marie, à nouveau, fut surprise de l'angoisse que trahissait le ton étranglé. L'émotion de la femme était intense et ne se justifiait pas par le simple service rendu, si insolite fût-il. La passagère fit une pause puis reprit avec plus de calme, en parlant lentement et en détachant nettement les mots, dans l'évidente intention de se maîtriser.

  - Vous n'imaginez pas à quel point ce que vous faites est important pour moi. Voyez-vous, je suis une femme seule...

Là-dessus Marie retint un sourire amer. «  Bienvenue au club », pensa-t-telle, formule qu'elle regretta immédiatement. Elle n'était pas ici pour s'apitoyer sur elle-même par personne interposée.

Sarah poursuivit:

             - Vous savez, quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de bus, pas de taxi, j'ai téléphoné pour qu'on vienne me chercher et m'emmener. Mais ils sont tous sur répondeur. C'est le week-end, ils veulent être tranquilles, ils ont déjà fait leurs plans pour la soirée.

 Marie les connaissait bien, ces « ils », les copains, les relations, les collègues, parmi eux personne d'absolument fiable, fidèle, sur qui l'on pût s'appuyer, quelle que soit la situation.

               - Alors, j'ai cru que je ne trouverais personne, personne, et alors, ça aurait été une catastrophe, vraiment.


Le timbre de la voix s'engagea dans l'aigu, en même temps qu'il faiblissait. 

 

 

A suivre demain....

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L'Amour au-delà, une nouvelle d'Adam Gray

Publié le par christine brunet /aloys

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L’Amour au-delà…

 

– Non, coupa Helen, de grosses larmes affluant, pareilles à la marée aux pieds du Mont Saint-Michel, dans ses grands yeux gris-vert.

– Ne vous méprenez surtout pas… Je comprends ce que vous ressentez. Je le comprends parfaitement mais… ce n’est pas sa volonté, répondit le chirurgien d’une voix bien trop mécanique pour simuler une réelle empathie. Vous devez le laisser partir. Demain, il nous faudra débrancher Aidan. Demain, Helen.

– Je ne suis pas prête, répondit-elle irritée.

 

Le praticien tourna les talons et quitta la chambre 408, où seule une photo d’un couple très heureux, ceinte d’un cadre rococo couleur camion de pompier, donnait à la pièce immaculée, blafarde, un dérisoire semblant de chaleur. Les fleurs dans le vase, des roses rouges, étaient mortes de soif depuis déjà plusieurs jours ; Helen avait complètement oublié de s’arrêter en acheter chez le fleuriste dans le hall de l’hôpital, au rez-de-chaussée.

Se penchant sur son jeune et bel époux, elle posa une joue sur son torse athlétique abîmé par une longue cicatrice, l’embrassant, tout d’abord, et se remit à pleurer, dans le plus pur silence que la pluie sur les vitres, un peu grasses, ne tarda pas à venir briser. Cruellement.

 

La journée défila, s’égrainant avec les allers et retours du personnel hospitalier, plus ou moins impassible, et, avec cette nouvelle et sombre journée, défilèrent les souvenirs…

La soirée était bien avancée.

La pluie avait cessé.

Helen se cala dans son fauteuil, ne cessant de veiller son époux, immobile dans son lit et relié à d’horribles et froides machines, imperturbables et menaçantes. Elles semblaient bien plus vivantes que son Aidan dans sa mortifère pétrification. Méduse n’aurait pas fait mieux…

 

Au moment de cesser sa lutte contre Hypnos et son fils, Morphée, Helen, les cheveux quelque peu défaits, prononça quelques mots. Ces mots : « Je ne veux pas te laisser partir. Je ne peux pas. »

Et, finalement, elle se mit à rêver…

De leur rencontre, alors qu’ils étaient tous deux étudiants en droit – lui, pour faire plaisir à sa famille car tout ce qui l’intéressait, dans la vie, c’était de devenir, clamait-il : « Un dieu du surf ! »

Lui revinrent leurs premiers mots échangés à la cafétéria, un jour de décembre ; il venait, se prenant les pieds dans le sac qu’elle avait négligemment jeté à terre, de lui renverser son plateau sur le pull-over blanc tout neuf qu’elle s’était acheté la veille. Revinrent, bien sûr, le tout premier fou rire et, surtout, le tout premier baiser quelques jours après dans la voiture d’Aidan. Elle rêva même du tout premier repas avec ses parents – ses parents à elle –, et se souvint à quel point sa mère avait été séduite. Et pour cause : Aidan était très avenant et plein d’humour, grand et beau garçon. Le gendre idéal, en somme. Helen, très belle avec un beau visage ovale encadré d’une longue chevelure blonde, et Aidan formaient un fort plaisant couple, alliant beauté et gentillesse, générosité, avec des rêves plein la tête. Entre autres, partir un jour à la découverte du Kilimandjaro. Peut-être Shanghai… Et surfer sur les vagues australiennes ! Ils auraient fait plein de photos pour ennuyer leurs familles avec des : « Ça, c’est Helen dans le jardin Yuyuan ! », et des : « Ça, c’est Aidan qui est tombé de sa planche à Bondi Beach ! »

Ils auraient fait un enfant, un soir, après le coucher du soleil, sur une plage de carte postale, derrière une dune… Un petit James ou une petite Kristen.

 

Helen dormait profondément.

 

Inconsciente d’être dans les bras de Morphée, elle poussa une porte qui venait de se matérialiser devant ses yeux, s’ouvrant, étrangement, sur le campus où ils avaient étudié…

– Aidan ? C’est… C’est toi ? s’étonna-t-elle, quoique très heureuse.

– Bien sûr, répondit ce dernier d’une voix enjouée. Ça me fait tellement plaisir de te voir ! Tellement de choses à te montrer… Comme tu es belle…

– Belle ? Tu parles !… À me montrer, dis-tu ? À quoi diable fais-tu allusion ?

– Ah ! Tu vas voir ! Ce soir, amour, nous allons faire le plus beau des voyages… Féerique ! Fantastique ! Magique !

Helen se mit à rire.

– C’est une nouvelle robe ? enchaîna-t-il rapidement.

– Elle te plaît ? s’enquit-elle en tournant sur elle-même.

– Beaucoup. Tu es merveilleuse. Mais comme toujours. L’heure tourne… Allez ! Ne perdons pas une minute…

– Ton côté énigmatique, derrière ce sourire qui te rend si sûr de toi, c’est peut-être cela que j’aime le plus chez toi. Et quand tu relèves ton sourcil gauche, également…

Aidan, alors, prit sa moitié par la main et la pria de fermer les yeux.

– Tu as confiance en moi, n’est-ce pas ? demanda-t-il. Où aimerais-tu être, en ce moment ?

– Où j’aimerais être ? Hum… Laisse-moi réfléchir. Ah ! Oui ! Sur cette plage dont tu m’as si souvent parlé, en Australie.

– Très, très, très bon choix, se satisfit-il. Ouvre les yeux et… regarde !

Helen hallucina, littéralement. Aidan et elle y étaient : à Bondi Beach. Le soleil se couchait, donnant une belle couleur vermeille et dorée au pays des kangourous, et ils étaient seuls au monde. Complètement.

– Je dois rêver, murmura-t-elle, se blottissant contre le corps tout chaud de son époux.

– C’est bon de rêver, affirma-t-il. Et ton maillot de bain est… très sexy…

– Ça alors ! s’exclama Helen en baissant les yeux. Mais… c’est de la magie !

Réalisant que son époux était dévêtu lui aussi, elle lui murmura qu’il était… très viril dans le sien…

– Tu veux qu’on aille affronter les vagues ? la pressa-t-il avec l’impatience d’un enfant.

– Quoi ? Les vagues ? Tu es fou ! J’ai bien trop peur des requins ! C’est plein de requins et de crocodiles, ici ! Et pas des petits !

Aidan se moqua gentiment.

– Puis il fait nuit… Et des vagues, des vagues… il n’y en a pas ! poursuivit-elle.

Il releva les yeux, claqua des doigts… et le soleil chassa brusquement les ténèbres naissantes. Il faisait jour, à nouveau, et un vent idéal faisait se soulever les vagues de l’océan Pacifique.

– Satisfaite ? Il fait jour, y a des vagues… et il n’y a aucune bestiole affamée dans l’eau.

– Mon Dieu… Ou je rêve ou je deviens folle…

– Mais tu n’es pas folle, Helen, rassure-toi. Sinon de moi, j’espère bien !

Souriant, Aidan se pencha sur sa femme et l’embrassa passionnément, comme la toute première fois, quand deux corps étrangers se touchent et se découvrent, fusionnent, explosent, provoquant les plus intenses, les plus incroyables et les plus inoubliables des frissons…

Deux anges sur le sable.

Du doré et du bleu à perte de vue ; véritable paradis anamorphosé, comme un acrylique qui prendrait vie…

– Je t’aime, dit Helen sur le ton de la confidence.

– Moi aussi, dit Aidan. Plus que tout au monde.

Helen surfait sur de hautes vagues avec l’homme qu’elle aimait. Son dieu du surf à elle toute seule… Ils glissaient, tous les deux, sur la même planche. Sur le Pacifique. Aidan se mit à crier d’excitation et de bonheur. Helen, d’ordinaire sage, l’imita. Ils étaient heureux. Le monde leur appartenait.

– Je n’ai jamais éprouvé un tel bonheur, avoua Helen en resserrant ses bras autour de la taille d’Aidan. On devrait faire cela bien plus souvent !

– On le fera, promit-il. Mais ferme les yeux, maintenant.

Helen s’exécuta, exaltante. Lorsqu’elle les rouvrit enfin, ils avaient atterri en plein milieu… d’un carnaval… Dans les rues de la Nouvelle-Orléans ! Et des airs de jazz fusaient ! Et des gens costumés s’amusaient tout autour.

– Tu aimes ?

– C’est incroyable, dit Helen.

– Alors… pense très, très, très, très fort à un costume, n’importe lequel, et claque des doigts ! Je vais faire la même chose.

– Tu es sérieux ?

– Ai-je l’air de plaisanter ? (Il releva son sourcil gauche.)

Helen baissa les yeux, amusée, et pensa très fort à cette actrice dont elle avait oublié le nom mais qu’elle avait adorée dans les trois premiers volets de Pirates des Caraïbes. Puis elle claqua des doigts.

– Mademoiselle Swann ! s’exclama Aidan. J’adore…

Helen se mit à rire en découvrant le costume sur son corps tout fin, apparu, encore une fois, comme par magie. Aidan claqua des doigts et se retrouva, lui, dans le costume de Brad Pitt dans Troie.

– Mon Achille ! s’écria Helen.

– Plutôt cool, non, tous ces gros muscles ? plaisanta-t-il. Allez ! Profitons de la fête et… dansons !

Les deux amoureux virevoltaient, insouciants, pris dans la folie nocturne de ce carnaval étourdissant de couleurs et de sons.

Les rues de la Nouvelle-Orléans étaient très colorées et ornées d’accessoires de fêtes et de ballons de toutes les formes. Il y avait des cracheurs de feu, des clowns et des acrobates, des cajuns qui marchaient sur des échasses et l’on pouvait admirer, de-ci de-là, un James Bond, une Angélique, un Robin des Bois et même… des morts-vivants ! Quelques enfants, d’ailleurs, étaient déguisés en Michael Jackson et lui rendaient hommage en exécutant, plus ou moins bien, la célèbre chorégraphie de Thriller.

– Je voudrais que cette nuit ne s’achève jamais !!!!!! hurla Helen, s’efforçant de couvrir le son des instruments de musique.

– IDEEEMMM !!!!!! cria Aidan encore plus fort.

Il la serra dans ses bras, très fort contre son cœur, et caressa sa chevelure, s’enivrant de sa douce odeur de miel.

 

Toute la nuit, Aidan emmena Helen dans des lieux réellement exceptionnels : aux pieds des Pyramides, sur la Grande Muraille de Chine, au sommet de l’Himalaya et, bien sûr, du Kilimandjaro, pour finir dans un somptueux jardin japonais.

Tout était définitivement possible : nager au milieu des dauphins ou prendre le thé en plaisantant de bon cœur avec la Reine Mère… Pourquoi s’en étonner, après tout ?

 

– Es-tu heureuse ? demanda Aidan. Je veux dire… As-tu assez de belles images, dans ta tête ? Dis-moi…

– Que dois-je comprendre, Aidan ? s’inquiéta-t-elle alors, revenant immédiatement à la réalité.

– Parce qu’il est l’heure.

– L’heure ? L’heure de quoi ? marmotta-t-elle. Mais elle savait.

– L’heure de nous dire au revoir, Helen. Un ange m’a accordé cette nuit. Tout ce condensé de souvenirs avec toi. Il nous a offert ce qu’aurait dû être notre vie, de beaux moments et même… davantage. Tout cela en quelques heures à peine.

– Tais-toi, supplia-t-elle.

– Tu dois me laisser m’en aller, poursuivit-il. Tu dois me débrancher et continuer ta vie sans moi… Tu m’entends ? Helen ?

Les lèvres rouges carmin de la jeune femme furent prises de tremblements. Elle se mit à pleurer.

– Je ne peux pas, Aidan. Je ne peux pas… Comment je pourrais ?

– Il le faut, amour. Je ne suis déjà plus ici. Ce n’est plus que mon corps, et ce corps est vide…

– Arrête, je t’en supplie. Tu me brises le cœur. Pourquoi tu me brises le cœur ?

– Un cœur si plein d’amour ne peut se briser, Helen. Pourquoi tant de désespoir ? Ce n’est pas un adieu, tu le sais bien. Quand l’heure sera venue, nous nous retrouverons. Je serai là. Je t’attendrai.

– Mais moi ? Que vais-je faire, toute ma vie, sans toi à mes côtés ? Que vais-je faire, toute ma vie, sans jamais plus entendre le son de ta voix ? Sans venir t’embrasser le matin quand tu te réveilles ? Sans cet enfant que nous ne ferons jamais ensemble ?

– Je vois, dit-il.

Il fronça les sourcils et se remit à parler.

– N’as-tu pas remarqué des changements, ces derniers temps, Helen ?

– Des changements ?

Elle réfléchit, fébrile.

– Tu t’en souviens, de cette nuit ? Il y a deux mois avant mon accident de moto. Tu t’en souviens ?

Helen fronça les sourcils. Hésita… Puis elle toucha son ventre, le caressa, et réalisa… Elle portait leur enfant. C’était une certitude. Il sourit, tout en versant une larme qui vint effleurer sa lèvre supérieure. Elle éclata en sanglots, tout en souriant d’une joie paradoxalement… « retrouvée ».

– Tu vas vivre une longue et belle vie, amour. Avec notre James, ou notre Kristen. Tu seras une mère exceptionnelle et ça, vois-tu, je le sais. Je le sais comme un et un font deux. Tu vas aimer notre enfant et il va t’adorer, comme moi je t’ai adorée. Tu vas être forte pour lui, pour moi. Mais moi, mon heure est venue. La tienne, non… Promets-moi d’être heureuse. Promets-le-moi.

– Je suis triste… Je suis en colère !… Comme je t’aime, Aidan. Comme je t’aime… Je te le promets, oui, sanglota-t-elle. Mais pourquoi diable ne peux-tu pas te réveiller ?

– Ça va aller, n’ai pas peur. Embrasse-moi une toute dernière fois, s’il te plaît. Nous n’avons plus beaucoup de temps, elle arrive…

Helen, désemparée, embrassa son Aidan une dernière fois. Elle sentit une incroyable chaleur l’envahir, douce et bienfaisante. Régénératrice…

Une intense lumière dorée entoura le corps d’Aidan et le souleva du sol, l’arrachant des bras d’Helen. Elle voulut crier mais il lui sourit. On aurait dit le dieu Apollon prenant place sur son char solaire… Alors, elle s’obligea à être forte. À son tour, elle esquissa un sourire, comme un ultime geste d’amour. Le corps d’Aidan devint une image évanescente et il disparut.

Pour de bon…

 

Dans la matinée qui suivit, quand l’infirmière de jour se présenta dans la chambre 408, Aidan, libéré, souriait dans son repos éternel, ses parents à ses côtés.

Helen, elle, s’était éclipsée, rassérénée, les laissant dire au revoir à leur fils, leur Aidan, et se préparer, déjà, au premier jour du reste de sa vie avec son James. Car c’était un p’tit mec, dans son ventre ; elle en était sûre. Et ce serait un dieu du surf.

 

Dehors, le soleil brillait de mille feux.


 

 

Adam Gray

 

 

Publié dans auteur mystère

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Le jeu d'aloys... Mais qui a écrit cette nouvelle ?

Publié le par christine brunet /aloys

point d'interrogation

 

L’Amour au-delà…

 

– Non, coupa Helen, de grosses larmes affluant, pareilles à la marée aux pieds du Mont Saint-Michel, dans ses grands yeux gris-vert.

– Ne vous méprenez surtout pas… Je comprends ce que vous ressentez. Je le comprends parfaitement mais… ce n’est pas sa volonté, répondit le chirurgien d’une voix bien trop mécanique pour simuler une réelle empathie. Vous devez le laisser partir. Demain, il nous faudra débrancher Aidan. Demain, Helen.

– Je ne suis pas prête, répondit-elle irritée.

 

Le praticien tourna les talons et quitta la chambre 408, où seule une photo d’un couple très heureux, ceinte d’un cadre rococo couleur camion de pompier, donnait à la pièce immaculée, blafarde, un dérisoire semblant de chaleur. Les fleurs dans le vase, des roses rouges, étaient mortes de soif depuis déjà plusieurs jours ; Helen avait complètement oublié de s’arrêter en acheter chez le fleuriste dans le hall de l’hôpital, au rez-de-chaussée.

Se penchant sur son jeune et bel époux, elle posa une joue sur son torse athlétique abîmé par une longue cicatrice, l’embrassant, tout d’abord, et se remit à pleurer, dans le plus pur silence que la pluie sur les vitres, un peu grasses, ne tarda pas à venir briser. Cruellement.

 

La journée défila, s’égrainant avec les allers et retours du personnel hospitalier, plus ou moins impassible, et, avec cette nouvelle et sombre journée, défilèrent les souvenirs…

La soirée était bien avancée.

La pluie avait cessé.

Helen se cala dans son fauteuil, ne cessant de veiller son époux, immobile dans son lit et relié à d’horribles et froides machines, imperturbables et menaçantes. Elles semblaient bien plus vivantes que son Aidan dans sa mortifère pétrification. Méduse n’aurait pas fait mieux…

 

Au moment de cesser sa lutte contre Hypnos et son fils, Morphée, Helen, les cheveux quelque peu défaits, prononça quelques mots. Ces mots : « Je ne veux pas te laisser partir. Je ne peux pas. »

Et, finalement, elle se mit à rêver…

De leur rencontre, alors qu’ils étaient tous deux étudiants en droit – lui, pour faire plaisir à sa famille car tout ce qui l’intéressait, dans la vie, c’était de devenir, clamait-il : « Un dieu du surf ! »

Lui revinrent leurs premiers mots échangés à la cafétéria, un jour de décembre ; il venait, se prenant les pieds dans le sac qu’elle avait négligemment jeté à terre, de lui renverser son plateau sur le pull-over blanc tout neuf qu’elle s’était acheté la veille. Revinrent, bien sûr, le tout premier fou rire et, surtout, le tout premier baiser quelques jours après dans la voiture d’Aidan. Elle rêva même du tout premier repas avec ses parents – ses parents à elle –, et se souvint à quel point sa mère avait été séduite. Et pour cause : Aidan était très avenant et plein d’humour, grand et beau garçon. Le gendre idéal, en somme. Helen, très belle avec un beau visage ovale encadré d’une longue chevelure blonde, et Aidan formaient un fort plaisant couple, alliant beauté et gentillesse, générosité, avec des rêves plein la tête. Entre autres, partir un jour à la découverte du Kilimandjaro. Peut-être Shanghai… Et surfer sur les vagues australiennes ! Ils auraient fait plein de photos pour ennuyer leurs familles avec des : « Ça, c’est Helen dans le jardin Yuyuan ! », et des : « Ça, c’est Aidan qui est tombé de sa planche à Bondi Beach ! »

Ils auraient fait un enfant, un soir, après le coucher du soleil, sur une plage de carte postale, derrière une dune… Un petit James ou une petite Kristen.

 

Helen dormait profondément.

 

Inconsciente d’être dans les bras de Morphée, elle poussa une porte qui venait de se matérialiser devant ses yeux, s’ouvrant, étrangement, sur le campus où ils avaient étudié…

– Aidan ? C’est… C’est toi ? s’étonna-t-elle, quoique très heureuse.

– Bien sûr, répondit ce dernier d’une voix enjouée. Ça me fait tellement plaisir de te voir ! Tellement de choses à te montrer… Comme tu es belle…

– Belle ? Tu parles !… À me montrer, dis-tu ? À quoi diable fais-tu allusion ?

– Ah ! Tu vas voir ! Ce soir, amour, nous allons faire le plus beau des voyages… Féerique ! Fantastique ! Magique !

Helen se mit à rire.

– C’est une nouvelle robe ? enchaîna-t-il rapidement.

– Elle te plaît ? s’enquit-elle en tournant sur elle-même.

– Beaucoup. Tu es merveilleuse. Mais comme toujours. L’heure tourne… Allez ! Ne perdons pas une minute…

– Ton côté énigmatique, derrière ce sourire qui te rend si sûr de toi, c’est peut-être cela que j’aime le plus chez toi. Et quand tu relèves ton sourcil gauche, également…

Aidan, alors, prit sa moitié par la main et la pria de fermer les yeux.

– Tu as confiance en moi, n’est-ce pas ? demanda-t-il. Où aimerais-tu être, en ce moment ?

– Où j’aimerais être ? Hum… Laisse-moi réfléchir. Ah ! Oui ! Sur cette plage dont tu m’as si souvent parlé, en Australie.

– Très, très, très bon choix, se satisfit-il. Ouvre les yeux et… regarde !

Helen hallucina, littéralement. Aidan et elle y étaient : à Bondi Beach. Le soleil se couchait, donnant une belle couleur vermeille et dorée au pays des kangourous, et ils étaient seuls au monde. Complètement.

– Je dois rêver, murmura-t-elle, se blottissant contre le corps tout chaud de son époux.

– C’est bon de rêver, affirma-t-il. Et ton maillot de bain est… très sexy…

– Ça alors ! s’exclama Helen en baissant les yeux. Mais… c’est de la magie !

Réalisant que son époux était dévêtu lui aussi, elle lui murmura qu’il était… très viril dans le sien…

– Tu veux qu’on aille affronter les vagues ? la pressa-t-il avec l’impatience d’un enfant.

– Quoi ? Les vagues ? Tu es fou ! J’ai bien trop peur des requins ! C’est plein de requins et de crocodiles, ici ! Et pas des petits !

Aidan se moqua gentiment.

– Puis il fait nuit… Et des vagues, des vagues… il n’y en a pas ! poursuivit-elle.

Il releva les yeux, claqua des doigts… et le soleil chassa brusquement les ténèbres naissantes. Il faisait jour, à nouveau, et un vent idéal faisait se soulever les vagues de l’océan Pacifique.

– Satisfaite ? Il fait jour, y a des vagues… et il n’y a aucune bestiole affamée dans l’eau.

– Mon Dieu… Ou je rêve ou je deviens folle…

– Mais tu n’es pas folle, Helen, rassure-toi. Sinon de moi, j’espère bien !

Souriant, Aidan se pencha sur sa femme et l’embrassa passionnément, comme la toute première fois, quand deux corps étrangers se touchent et se découvrent, fusionnent, explosent, provoquant les plus intenses, les plus incroyables et les plus inoubliables des frissons…

Deux anges sur le sable.

Du doré et du bleu à perte de vue ; véritable paradis anamorphosé, comme un acrylique qui prendrait vie…

– Je t’aime, dit Helen sur le ton de la confidence.

– Moi aussi, dit Aidan. Plus que tout au monde.

Helen surfait sur de hautes vagues avec l’homme qu’elle aimait. Son dieu du surf à elle toute seule… Ils glissaient, tous les deux, sur la même planche. Sur le Pacifique. Aidan se mit à crier d’excitation et de bonheur. Helen, d’ordinaire sage, l’imita. Ils étaient heureux. Le monde leur appartenait.

– Je n’ai jamais éprouvé un tel bonheur, avoua Helen en resserrant ses bras autour de la taille d’Aidan. On devrait faire cela bien plus souvent !

– On le fera, promit-il. Mais ferme les yeux, maintenant.

Helen s’exécuta, exaltante. Lorsqu’elle les rouvrit enfin, ils avaient atterri en plein milieu… d’un carnaval… Dans les rues de la Nouvelle-Orléans ! Et des airs de jazz fusaient ! Et des gens costumés s’amusaient tout autour.

– Tu aimes ?

– C’est incroyable, dit Helen.

– Alors… pense très, très, très, très fort à un costume, n’importe lequel, et claque des doigts ! Je vais faire la même chose.

– Tu es sérieux ?

– Ai-je l’air de plaisanter ? (Il releva son sourcil gauche.)

Helen baissa les yeux, amusée, et pensa très fort à cette actrice dont elle avait oublié le nom mais qu’elle avait adorée dans les trois premiers volets de Pirates des Caraïbes. Puis elle claqua des doigts.

– Mademoiselle Swann ! s’exclama Aidan. J’adore…

Helen se mit à rire en découvrant le costume sur son corps tout fin, apparu, encore une fois, comme par magie. Aidan claqua des doigts et se retrouva, lui, dans le costume de Brad Pitt dans Troie.

– Mon Achille ! s’écria Helen.

– Plutôt cool, non, tous ces gros muscles ? plaisanta-t-il. Allez ! Profitons de la fête et… dansons !

Les deux amoureux virevoltaient, insouciants, pris dans la folie nocturne de ce carnaval étourdissant de couleurs et de sons.

Les rues de la Nouvelle-Orléans étaient très colorées et ornées d’accessoires de fêtes et de ballons de toutes les formes. Il y avait des cracheurs de feu, des clowns et des acrobates, des cajuns qui marchaient sur des échasses et l’on pouvait admirer, de-ci de-là, un James Bond, une Angélique, un Robin des Bois et même… des morts-vivants ! Quelques enfants, d’ailleurs, étaient déguisés en Michael Jackson et lui rendaient hommage en exécutant, plus ou moins bien, la célèbre chorégraphie de Thriller.

– Je voudrais que cette nuit ne s’achève jamais !!!!!! hurla Helen, s’efforçant de couvrir le son des instruments de musique.

– IDEEEMMM !!!!!! cria Aidan encore plus fort.

Il la serra dans ses bras, très fort contre son cœur, et caressa sa chevelure, s’enivrant de sa douce odeur de miel.

 

Toute la nuit, Aidan emmena Helen dans des lieux réellement exceptionnels : aux pieds des Pyramides, sur la Grande Muraille de Chine, au sommet de l’Himalaya et, bien sûr, du Kilimandjaro, pour finir dans un somptueux jardin japonais.

Tout était définitivement possible : nager au milieu des dauphins ou prendre le thé en plaisantant de bon cœur avec la Reine Mère… Pourquoi s’en étonner, après tout ?

 

– Es-tu heureuse ? demanda Aidan. Je veux dire… As-tu assez de belles images, dans ta tête ? Dis-moi…

– Que dois-je comprendre, Aidan ? s’inquiéta-t-elle alors, revenant immédiatement à la réalité.

– Parce qu’il est l’heure.

– L’heure ? L’heure de quoi ? marmotta-t-elle. Mais elle savait.

– L’heure de nous dire au revoir, Helen. Un ange m’a accordé cette nuit. Tout ce condensé de souvenirs avec toi. Il nous a offert ce qu’aurait dû être notre vie, de beaux moments et même… davantage. Tout cela en quelques heures à peine.

– Tais-toi, supplia-t-elle.

– Tu dois me laisser m’en aller, poursuivit-il. Tu dois me débrancher et continuer ta vie sans moi… Tu m’entends ? Helen ?

Les lèvres rouges carmin de la jeune femme furent prises de tremblements. Elle se mit à pleurer.

– Je ne peux pas, Aidan. Je ne peux pas… Comment je pourrais ?

– Il le faut, amour. Je ne suis déjà plus ici. Ce n’est plus que mon corps, et ce corps est vide…

– Arrête, je t’en supplie. Tu me brises le cœur. Pourquoi tu me brises le cœur ?

– Un cœur si plein d’amour ne peut se briser, Helen. Pourquoi tant de désespoir ? Ce n’est pas un adieu, tu le sais bien. Quand l’heure sera venue, nous nous retrouverons. Je serai là. Je t’attendrai.

– Mais moi ? Que vais-je faire, toute ma vie, sans toi à mes côtés ? Que vais-je faire, toute ma vie, sans jamais plus entendre le son de ta voix ? Sans venir t’embrasser le matin quand tu te réveilles ? Sans cet enfant que nous ne ferons jamais ensemble ?

– Je vois, dit-il.

Il fronça les sourcils et se remit à parler.

– N’as-tu pas remarqué des changements, ces derniers temps, Helen ?

– Des changements ?

Elle réfléchit, fébrile.

– Tu t’en souviens, de cette nuit ? Il y a deux mois avant mon accident de moto. Tu t’en souviens ?

Helen fronça les sourcils. Hésita… Puis elle toucha son ventre, le caressa, et réalisa… Elle portait leur enfant. C’était une certitude. Il sourit, tout en versant une larme qui vint effleurer sa lèvre supérieure. Elle éclata en sanglots, tout en souriant d’une joie paradoxalement… « retrouvée ».

– Tu vas vivre une longue et belle vie, amour. Avec notre James, ou notre Kristen. Tu seras une mère exceptionnelle et ça, vois-tu, je le sais. Je le sais comme un et un font deux. Tu vas aimer notre enfant et il va t’adorer, comme moi je t’ai adorée. Tu vas être forte pour lui, pour moi. Mais moi, mon heure est venue. La tienne, non… Promets-moi d’être heureuse. Promets-le-moi.

– Je suis triste… Je suis en colère !… Comme je t’aime, Aidan. Comme je t’aime… Je te le promets, oui, sanglota-t-elle. Mais pourquoi diable ne peux-tu pas te réveiller ?

– Ça va aller, n’ai pas peur. Embrasse-moi une toute dernière fois, s’il te plaît. Nous n’avons plus beaucoup de temps, elle arrive…

Helen, désemparée, embrassa son Aidan une dernière fois. Elle sentit une incroyable chaleur l’envahir, douce et bienfaisante. Régénératrice…

Une intense lumière dorée entoura le corps d’Aidan et le souleva du sol, l’arrachant des bras d’Helen. Elle voulut crier mais il lui sourit. On aurait dit le dieu Apollon prenant place sur son char solaire… Alors, elle s’obligea à être forte. À son tour, elle esquissa un sourire, comme un ultime geste d’amour. Le corps d’Aidan devint une image évanescente et il disparut.

Pour de bon…

 

Dans la matinée qui suivit, quand l’infirmière de jour se présenta dans la chambre 408, Aidan, libéré, souriait dans son repos éternel, ses parents à ses côtés.

Helen, elle, s’était éclipsée, rassérénée, les laissant dire au revoir à leur fils, leur Aidan, et se préparer, déjà, au premier jour du reste de sa vie avec son James. Car c’était un p’tit mec, dans son ventre ; elle en était sûre. Et ce serait un dieu du surf.

 

Dehors, le soleil brillait de mille feux.

 

 

Publié dans auteur mystère

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le jeu d'aloys... Mais qui a écrit cette nouvelle ?

Publié le par christine brunet /aloys

L'appartement

 



Désoeuvrée, elle s'approcha du balcon puis rentra  à l'intérieur de l'appartement.

 
Il n'était que 10 heures en ce  matin estival et le soleil cognait déjà bien fort par dessus la montagne. Elle resta là, assise devant la baie vitrée, contemplant le calme absolu de ce dimanche. D'où elle se trouvait, elle ne pouvait voir le bas des pentes et donc aucun humain. Étaient-ils déjà debout du reste ? On était au milieu des vacances. Les seuls mouvements perceptibles étaient ceux des hirondelles qui chassaient en bande, prenant soudain toutes ensemble des virages brusques.

 
Silencieux aussi, le lent mouvement des télécabines qui se croisaient, les unes partant à l'assaut de la plus proche cime, les autres rentrant sagement à la station. Le tout en boucle incessante.

 
Un éclair furtif attira son attention, derrière les baies du chalet situé en vis à vis.

 
Elle comprit immédiatement : quelqu'un l'observait avec une lunette et venait de la déplacer pour bénéficier d'un meilleur angle de vue.

 
Il était bien tôt et elle portait un simple déshabillé un peu vaporeux. Trentenaire encore,  à l'approche de la quarantaine elle était dans la pleine maturité de sa beauté.

 
Elle sourit intérieurement en rejetant de la main l'un de ses bandeaux noirs qui venait de lui tomber sur l'oeil. Il retomba ; elle résolut de les attacher en arrière d'un chouchou. Elle sourit à nouveau discrètement, s'avisant que le geste des mains jointes derrière la tête projetait avantageusement vers l'avant sa poitrine déjà un peu lourde.

 
Ah, l'indiscret ! Eh bien, il allait en avoir pour son argent, et elle, par la même occasion, allait se faire un petit plaisir.

 

Elle baissa la tête et, comme surprise du soleil qui lui chauffait le buste,  elle fit glisser lentement ses mains de son cou jusqu'à ses seins. Très doucement, feignant la rêverie, elle les entoura, les releva et entreprit de se caresser négligemment.


Ce faisant, elle se demandait qui pouvait bien être la personne qui l'observait ce matin-là. Un homme, sans nul doute. Peut-être un bel hidalgo, un peu oisif, comme elle, et qui la trouvait à son goût, jouant les voyeurs.


Surtout ne pas montrer qu'elle avait remarqué sa présence, le plaisir n'en serait que plus grand. Ah, quel bonheur de parfois titiller l'Interdit !


Tout en accentuant se caresses, elle l'imaginait lui, derrière l'oeilleton de visée, fantasmant tout comme elle, son souffle s'accélérant peu à peu, ses mains indécises, oui... ses mains... Et elle se mit à les penser sur elle, accomplissant ces mêmes gestes qui les portaient imperceptiblement de son torse à son ventre qu'elles frôleraient, passant alors doucement sur le voile délicat. Elle le fit à sa place. Comme pour être plus à l'aise, elle écarta un peu les cuisses. Que pensait-il à ce moment ? Cette interrogation porta son excitation à son comble. Ses mains remontaient centimètre par centimètre et elle frissonna de désir.


   Elle eut juste le temps d'ouvrir grand la bouche et d'écarquiller les yeux quand la balle l'atteignit en plein front, ornant celui-ci d'une petite étoile rouge, lui arrachant tout l'arrière du crâne.

 

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Nouveau jeu.... je préfère ne pas savoir !

Publié le par christine brunet /aloys

 

Visuel Auteur - PDNA

 

 

Je préfère ne pas le savoir !

 

 

            C’est à cause de Jean Lebas, mon voisin. Un vieux garçon dérangé dans sa tête, mais qui de loin me semblait engageant. Trop, au goût de Thomas. Mon mari le déteste. Il ne perd pas une occasion de le dénigrer : « C’est un débile, oui, mais surtout il est obsédé, raille-t-il souvent. Tu crois que je n’ai pas remarqué comme il te suit des yeux dès que tu mets un pied dans le jardin ? Même au loin, faut toujours qu’il regarde par là ; il épie, la langue pendante. Doit être en manque…Un frustré ! Faudrait le faire enfermer, ce taré !»

            Je passe sous silence la délicatesse de mon époux : n’aurais-je d’attrait que pour les refoulés et les simplets ? Oui, passons ; je préfère ne pas savoir comment Thomas me considère …En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il projette sur le voisin ses pulsions et ses faiblesses. Mon mari n’est pas fidèle, loin s’en faut ! Il cavale comme un lièvre. Deux années de vie commune à moissonner les trophées comme on collectionne des papillons sous verre ou des capsules de Perrier.

            Au début, mon cœur n’en pouvait plus de se briser et j’ai beaucoup pleuré sous les morsures de la jalousie. Mais, tout passe. Ce fut ensuite le temps de la dépréciation : tout était de ma faute, j’étais -trop ceci ou pas assez cela- ; je me suis méprisée.  Evidemment, l’amour trahi a rendu l’âme sur le bûcher de la confiance perdue… J’ai appris la colère, pratiqué la révolte, goûté à l’amertume. Pour lui, j’avais quitté tous mes amis, ma carrière, mes racines, ma ville et ses lumières. Pour lui, j’avais choisi l’exil dans ce patelin paumé, enthousiaste à connaître les plaisirs de la ruralité, les arbres séculaires, les mésanges rémiz, la grande longère aux murs épais –le berceau de sa famille. Une vie nouvelle s’annonçait, loin de la grisaille bétonnée et de la pollution. De nouveaux amis, plus authentiques et solidaires, me tendraient la main. Tu verras, disait-il.

            Souris des villes et rat des champs…Thomas est un chasseur. Le piège s’est refermé sur moi. La campagne bucolique est une insupportable thébaïde ; la longère, une bâtisse souffreteuse tourmentées par des ombres. Et je n’ai pas d’amis. Je suis une étrangère au pays des pécores. Finalement, j’ai coulé dans l’indifférence. C’est commode, sans aspérités, sans douleurs. Un peu comme l’amnésie. J’attends que le temps passe, j’attends que l’énergie me revienne pour retourner d’où je viens. Là-bas, dans la lumière et les turbulences de la vie, chez moi. Mais pas sans rien ; et Thomas, s’il me laisse partir, ne voudra rien partager. Ni sa longère familiale dans laquelle j’ai investi aux heures de la rénovation, ni mes propres économies placées en toute innocence sur son compte : la plus belle bourde de ma vie, celle du printemps des illusions ! Thomas…Si ses escapades juvéniles me chagrinent encore, c’est pour lui. Il ne sait pas vieillir, il souffre du mal du temps qui le précipite vers la maturité, il s’accroche comme le rescapé d’un naufrage à quelque bois flottant qui ne l’emmène nulle part. Il ment, il trahit, il profite… Triste sire d’un conte banal et frelaté.

 

            Ce matin, je lui ai raccroché le téléphone au nez. Il ne pouvait pas, affirmait-il, rentrer à la maison avant demain. Selon lui, la SNCF était encore en grève…J’ai contre-attaqué : « Le journal télévisé ne pipe pas mot de l’événement ! Thomas, tu me prends pour une andouille ? » Et j’ai coupé la communication. Il tentait de me faire avaler la couleuvre qui l’autoriserait à se pâmer dans les dentelles d’un jupon de passage, j’en étais sûre.

            Je me demandais encore –simple curiosité- si le piquet de grève serait blonde, brune ou rousse, cheveux longs ou coupés courts, mûrie d’expérience ou tendre sous la dent, quand le carillon a retenti. Trois notes aigrelettes à bout de souffle, comme mon humeur, mon humour, mes amours. Le voisin se dandinait sur le seuil, une corbeille de gariguettes étranglée entre ses grosses mains de fermier. Jean Lebas élève des cochons et des poulets. Je ne sais pas s’il les tue, et je préfère ne pas le savoir. Sa ferme est suffisamment à distance derrière nos haies pour me permettre d’ignorer les hurlements –sauve qui peut- des gorets et les cris de panique des volailles.

            Pour la première fois en deux ans, le voisin avait franchi la frontière séparant ses terres des nôtres. Je ne l’avais jamais vu que de loin…De lui, je savais ce que les rumeurs galvaudaient. Une mauvaise chute dans la soue des cochons, son crâne qui rencontre le coin d’une auge, la perte irrémédiable d’une grande partie des facultés mentales… Des amnésies en pointillés. Un inepte solitaire depuis le décès de sa mère. Pourtant, il avait beau dérailler, l’innocent attendrissait les femmes du hameau. Elles l’aimaient bien. En conséquence de quoi, les hommes ne l’appréciaient pas trop…Surtout le boucher, Armand Recoin. Jean Lebas et la fille du boucher avait été –presque- fiancés. C’était avant la chute, avant les courants d’air dans la tête. Depuis, refroidie par les absences qui délitaient l’esprit de son petit ami, Murielle l’évitait. Elle avait vite guéri du chagrin sans épaisseur qui sonne le glas des passions adolescentes. Lebas, on ne savait pas…il vivait si souvent ailleurs, là où le portaient les caprices de ses synapses endommagées.

            - B’soir, M’dame, s’cusez l’dérangement…j’ai cueilli des fraises, c’est ben trop pour moi tout seul et…

            Il était tout rouge, comme ses fraises. Statufié dans des bottes raidies par le purin, à l’étroit dans un bleu de travail tout taché de…de quoi ?... Je préfère ne pas le savoir. Il a laissé sa phrase trainailler dans le silence et j’ai craint qu’il n’ajoute « …faut pas gâcher ». Cette expression ! Elle est d’ici, de la campagne… Je ne la supporte plus. Par chance, Jean Lebas s’est tu. Dérouté par la vacuité soudaine de sa conscience trouée, il n’était plus tout à fait là. Sous des sourcils noirs en broussaille, des yeux gris ardoise hypnotisaient les miens. Un sourire embryonnaire tourmenté cherchait sa voie dans le visage ahuri où les plis du front trahissaient des efforts de concentration. J’ai pensé à la multiplicité des univers, à l’improbable alliance des contraires, au choc des cultures, à la diversité de l’humanité. J’ai eu pitié. Dans un élan d’amour universel, même pour les demeurés, je l’ai fait entrer. Trop seule, trop triste, désabusée, trop fatiguée, j’avais peut-être besoin de compagnie…

 

      - Vous ne me dérangez pas, Jean. Merci pour les fraises, elles sont superbes…Ne restez pas là, il commence à pleuvoir. J’ai du vin, du Pomerol, c’est l’heure de l’apéro, ça vous dit ?

 

            J’ai perçu dans ma voix le ton qu’on emploie pour s’adresser aux petits enfants, ou aux personnes très âgées, ou bien encore aux étrangers. Une armée de syllabes trop détachées et très sonores… C’est ridicule, on peut être idiot sans être sourd, que je sache…

J’ai pensé à Thomas. S’il apprenait la démarche du voisin, l’invitation à déguster du vin, nul doute qu’un drame éclaterait sur-le-champ. Pourtant, ou à cause de cela justement, cet acte téméraire me réjouit. Une petite revanche personnelle, comme un soufflet à l’infidèle, un courant d’air frais sur mes brûlures d’amour-propre. J’imaginais déjà la scène magistrale de l’homme adultère et pour autant,  époux furieusement jaloux. J’y ai pris du plaisir. J’avoue.

 

 

            Aurais-je mieux fait de déguster mon Pomerol toute seule ? Je ne sais pas.

 

            Au troisième verre, le fermier s’est découvert les talents d’un conférencier. Plus moyen d’endiguer la marée volubile. Engourdie par le nectar, j’écoutais d’une oreille distraite les histoires éculées du hameau, quand au milieu des potins de commères, Jean a glissé les mots qui m’ont fait sursauter : « vot’ mari, j’l’ai vu en v’nant…dans l’fossé…n’allait pas fort… ».

 

            Plus aucun doute, le voisin était un crétin, l’évidence me sautait au visage ! Il avait vu mon mari dans un fossé, Thomas était peut-être blessé, et il me l’annonçait entre deux cancans, comme si l’événement n’avait pas plus d’intérêt que la panne de son tracteur ou les mœurs suspectes du curé !

 

            Dégrisée, j’ai bondi sur mes jambes légèrement chancelantes. Jean suivait le cours de ses fadaises, vautré dans le fauteuil de Thomas. Je l’en ai tiré violemment, paniquée par la nouvelle qu’il avait déjà, lui, totalement zappée... Pas moyen de le ramener au sujet…Je l’ai entrainé jusqu’à la porte. Il avait tout du pantin…« Dépêchez-vous, allez, Jean ! Montrez-moi …Où avez-vous vu Thomas ? Quand ? ».

 

            Ainsi, mon mari avait renoncé à découcher, ou la fille n’avait pas voulu s’allonger ? Pris de remord, enfin gagné par la raison, peut-être,  il avait pris le train, récupéré sa voiture à la sortie de la gare et… Et quoi ? J’ai tenté de le joindre sur son téléphone portable. En vain. La messagerie capturait mon appel.

 

            Poussé, tiré, houspillé, Jean finit par nous mener à la lisière de ses terres. Là où la route disparaît sous la boue  et longe en surplomb un canal aux eaux profondes et noires. Il pleuvait des torrents d’apocalypse, on ne voyait pas à deux mètres devant soi, une nuit privée de lune vomissait du brouillard. Alors, je l’ai vue. La carcasse de la Toyota s’accrochait sans grand espoir sur la pente de l’autre côté du remblai. Jean restait derrière moi, les bras ballants, plus stupide que jamais. J’ai bondi sur la portière. Enchâssé dans l’habitacle rétréci par les chocs, Thomas râlait, inconscient. Sa tête saignait beaucoup. Il respirait faiblement, comme un  soufflet de forge détraqué au terme de sa course.

 

L’idiot retrouva une étincelle d’esprit : 

 

      - N’va pas bien, hein ?

 

            Seigneur, qu’il m’agaçait ! L’empathie ne résiste pas à toutes les circonstances… Le demeuré, j’avais vraiment envie de le gifler …Au lieu de quoi, j’ai hoqueté entre deux sanglots, à l’étroit dans l’étau de sentiments contradictoires. Thomas est volage, c’est vrai, mais il est aussi mon mari…. J’ai hurlé :

 

            - Non, il ne va pas bien du tout ! Vite, il faut le sortir de là…C’est de la glaise, c’est instable, la voiture va glisser dans le canal d’une minute à l’autre. Aidez-moi, bon sang !…

 

            Je me suis retournée. Jean Lebas s’en allait, sa silhouette déjà s’effaçait dans le brouillard mouillé. Un innocent, oublieux de l’instant présent. Où allait-il ? Et puis, à quoi bon, il ne savait déjà plus où nous étions, ni pourquoi. Avant que la nuit ne se referme sur lui, il m’a semblé l’entendre délirer… « Valent pas mieux qu’ les gorets… ».

Il n’y avait plus une minute à perdre. Arc-boutée sur la poignée, les muscles tétanisés, j’ai réussi à décoincer la portière…

  

            J’ai un peu froid. Je n’ai pas envie d’allumer la lumière. D’ailleurs, le jour se lève… Il n’y a plus de Pomerol, j’ai fini la bouteille en dégustant les gariguettes. J’ai mal au cœur, c’est le vin. Les fraises, peut-être ? Dans quelques heures, j’irai dire aux gendarmes qu’hier, mon mari n’est pas rentré. Ils riront sous cape, solidaires dans la virilité –Ah, celui-là, quel gaillard !-…Ils devineront que Thomas a découché, ce n’est pas la première fois.

Un peu plus tard, sûrement, Armand Recoin viendra lui aussi les trouver, angoissé par l’absence inexpliquée de sa petite Murielle…

 

            Feront-ils la relation ? Combien de temps avant qu’ils ne finissent par draguer le canal ? La barre à mine abandonnée sur le tapis de sol aura-t-elle suffisamment rouillé pour effacer le sang et camoufler les initiales gravées par son propriétaire, le tueur de gorets amnésique ?…  Et lui, de quoi se souviendra-il ? Je l’ignore.

 

            Moi, en fin de compte, quand j’ai compris, j’ai tout laissé s’enfoncer dans les eaux ténébreuses. La carcasse de la Toyota, le mari adultère, la délurée à moitié dévêtue serrée contre lui, la barre à mine du demeuré.

 

            Libérée ? En tout cas, je rentrerai chez moi. Le reste, je préfère ne pas le savoir.

 

 

Qui a écrit cette nouvelle ??? Alors ?????

 

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L'auteur de cette nouvelle qui a été primée est Philippe Desterbecq !

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Phil D

 

Un thé de Chine

 

 

 

Garçon, un thé chinois avec trois sucres, s’il vous plaît.

Olivier s’arrêta, médusé.  Se pouvait-il qu’il s’agisse du même homme ? Etait-ce lui, l’homme qu’il avait recherché pendant tant d’années, son père ? Celui qui avait envoyé sa mère au tombeau ? Celui qui avait modifié le cours de sa vie ? Celui qui l’avait abandonné 19 ans plus tôt, le laissant seul, à côté de sa mère en sang ?

Il avait cinq ans alors mais les événements sont restés gravés dans sa mémoire à tout jamais.  L’insouciance de son jeune âge ne lui avait pas permis de prendre conscience que son père, l’homme qu’il idolâtrait, battait sa mère à la moindre occasion.  Les ecchymoses et les blessures multiples qu’elle essayait de cacher n’avaient jamais vraiment attiré l’attention d’Olivier.  Quelquefois, il lui demandait : « T’as fait bobo maman ? ».

Les réponses de sa mère lui suffisaient : « Ne t’en fais pas, mon petit, je suis tombée dans l’escalier.  Maman est si maladroite ! »  Et Olivier retournait à ses jeux égoïstes.  Mais ces réponses n’auraient pas dû suffire à Adèle, la voisine ! Elle n’avait pas cinq ans, elle ! Elle était en âge de comprendre que Lucie était battue par son mari ! Elle aurait dû intervenir !

Quand Olivier décida de venger sa mère, morte parce qu’elle avait oublié d’acheter du thé chinois, il était encore très jeune : douze ans, peut-être. Ballotté d’un foyer à une famille d’accueil, d’une famille d’accueil à une autre, Olivier s’était forgé un caractère : dur, irascible, vindicatif, effronté, …

Quand il avait commencé à mettre son plan à exécution, il avait dix-sept ans.  Son seul regret, c’est qu’Adèle n’avait pas souffert.  Il l’avait tuée trop vite.  Sa seule joie, c’est qu’il était sûr qu’elle l’avait reconnu au moment où il l’avait surprise dans son lit.  Son regard, horrifié, lorsqu’il lui avait serré le cou, le poursuivait encore la nuit mais il avait fait ce qu’il fallait.

Son deuxième meurtre fut moins précipité, mieux préparé.  Il n’avait pas eu de difficulté à retrouver le médecin qui, régulièrement, soignait sa mère et constatait ses blessures.  C’était un copain de Marc, son père, et il n’avait rien tenté pour sauver Lucie.  Avait-il quelquefois parlé à Marc de son caractère violent ?  Avait-il essayé de l’empêcher de battre sa femme ? Olivier en doutait.

Quand, à dix-huit ans, il avait quitté le foyer St-Christophe, il était parti directement à la recherche du médecin.  Il avait oublié son nom mais pas son regard indifférent aux souffrances de sa mère.  Il l’avait retrouvé facilement : le cabinet n’était pas éloigné de la maison où Olivier était né.  Il l’avait suivi pendant trois jours, trois jours de filature, comme un vrai détective, sans se faire remarquer.  Un matin, le docteur Erikson partit à la pêche.  Olivier le retrouva au bord de l’eau.  Ils discutèrent un moment, Olivier l’accusant de la mort de sa mère, le vieux médecin se défendant à corps perdu.  Puis, comme, de toute façon, Olivier était bien décidé à lui régler son compte, il mit fin à la conversation en jetant le docteur à l’eau.  Olivier était beaucoup plus fort que le médecin, il lui maintint la tête sous l’eau sans grande difficulté.  Il s’assura qu’Erikson était bien mort puis s’en alla en sifflotant, les mains dans les poches.

Il mit ensuite son troisième plan à exécution.  Il fallait qu’il retrouve son père.  Mais comment ? Où retrouver un homme qui se cache dans un monde aussi vaste ? Il pouvait être n’importe où.  Une intuition lui disait qu’il avait quitté la Belgique (comment s’y serait-il caché ?) pour la France (son père adorait ce pays) et qu’il le retrouverait grâce au thé de Chine.  Un rêve (prémonitoire ?) lui avait montré son père, vieilli, barbu, assis à une table de restaurant et commandant un thé de Chine avec trois sucres.  Il détenait là la solution.  Il en était sûr !

Sa décision fut vite prise, il entra à l’école hôtelière et en devint un des meilleurs éléments.  Il apprit tous les rudiments de la cuisine avec une facilité déconcertante.  Les autres élèves que, taciturne, il ne fréquentait pas, l’enviaient.  Comment pouvait-il préparer des plats aussi réussis ? Certains étaient dignes d’un grand chef !

Parallèlement, il potassa des livres de pharmacologie et, surtout, de toxicologie.  Les livres de médecine encombraient sa chambre.  Les fioles de tout genre, étiquetées à l’aide de phrases codées, côtoyaient les livres sur les rayons de sa bibliothèque.  Bientôt, les poisons et leurs effets n’eurent plus aucun secret pour lui.  Il préparait des potions et observait leurs effets sur des rats, des lapins ou les chiens des voisins.  Un jour, il expérimenta une potion sur un de ses « camarades » de classe.  Il versa quelques gouttes d’un liquide rose dans le thé de son voisin de table.  Celui-ci vomit tripes et boyaux et mit trois jours pour se remettre.  Olivier était sûr qu’en doublant la dose, un homme plus corpulent ne s’en remettrait pas.  Le médecin, appelé la nuit, ne diagnostiqua qu’une indigestion.  La prise de sang ne révéla rien d’anormal.  Olivier avait gagné !

Son diplôme en poche, il s’exila en France.  Mais, curieusement, il se fit engager comme simple serveur.  Ce n’était pas dans la cuisine d’un restaurant qu’il allait retrouver son père !  Celui-ci aimait le soleil, Olivier avait donc choisi le sud de la France comme lieu de résidence et pour commencer ses recherches. 

Pendant trois ans, il avait écumé tous les restaurants de la Provence et de la Côte d’Azur, se faisant engager dans l’un, se sustentant dans un autre. Il savait qu’il cherchait une aiguille dans une botte de foin mais il ne se décourageait pas.  Il le retrouverait devrait-il y passer sa vie entière !

Olivier monta ensuite en Ardèche.  Et c’est dans le troisième restaurant dans lequel il travaillait qu’un homme lui avait demandé un thé de Chine avec trois morceaux de sucre.  Son père ? Il scruta le visage de l’homme.  Les années passées avaient-elles pu le changer à ce point ? Olivier ne pouvait détacher son regard de ces yeux.  Des yeux de meurtrier ? Des bribes de phrases se bousculaient dans son cerveau : « Non ! Je t’en prie…arrête…s’il te plaît ! Non ! Marc…j’ai simplement oublié d’en acheter.  Je vais y aller.  Il est tard mais je dérangerai le gérant.  Marc…s’il te plaît, tu me fais mal ! »  Les souvenirs affluaient, plus précis.  Il vit sa mère, agonisant.  Il se vit, lui, caché sous un fauteuil.  Il entendit le cri de la voisine.  Il revit les policiers, l’ambulancier.  Il entendit ensuite Adèle : « Je ne savais pas » et puis son propre cri : « Menteuse ! ».

Eh bien ! Qu’attendez-vous ? Quelque chose ne va pas ?  Ne me dites pas que vous n’avez pas de thé de Chine ?

Olivier redescendit sur terre.

Tout va bien, ne vous en faites pas.  Excusez-moi ! Ce sera donc…un thé de Chine avec trois sucres.  Et pour madame ?

Olivier examina le visage de la compagne de l’homme assis à ses côtés et il sut qu’il ne s’était pas trompé : une cicatrice barrait le front de la dame, une légère trace jaunâtre sur la joue droite s’effaçait et des yeux de chien battu ou de biche apeurée, des yeux craintifs le regardaient.

Un café, s’il vous plaît.

Olivier rentra dans la cuisine et s’adossa à la porte.  Enfin ! Après toutes ces années d’attente, de vaines recherches, d’espoir déçu, il était là, il le tenait !

Qu’est-ce que je prépare ? lui demanda Julien, son copain.

Un thé de Chine…sans sucre et un café.

Olivier ôta une petite clef de la chaîne en argent accrochée à son cou.  Il ouvrit une petite armoire et en retira trois morceaux de sucre légèrement rosés.  Il n’eut aucun moment d’hésitation.  Il plaça les deux tasses sur un plateau et fit glisser le sucre dans le thé fumant.  Il déposa deux cuillères et deux gâteaux à la châtaigne sur le plateau et le porta à la table 26.

S’il vous plaît…en souvenir de Lucie, murmura-t-il.

Pardon ?

Olivier ne répondit rien.  Il se retourna et disparut.  Le couple s’interrogea du regard mais ne fit guère attention à la remarque du garçon.

 

Trois jours plus tard, installé dans son lit, Olivier put lire, dans les faits divers : « Le célèbre architecte ardéchois, Carl Lalille, a été retrouvé mort dans son lit par son épouse Gabrielle ce mardi 17 octobre.  D’après son épouse, M. Lalille se plaignait de douleur au ventre depuis quelques jours.  Nos sincères condoléances à sa famille.  L’Ardèche perd un grand artiste ! »

Architecte, son père ? Il avait donc bien changé ! Et ce nom, où était-il allé le chercher ?

Le 19 octobre, Olivier put lire dans le journal : « Les médecins ignorent la cause de la mort de l’architecte Lalille, décédé à son domicile ce 17 octobre.  Ils ont découvert, dans son corps, une dose infime d’arsenic, dose insuffisante pour avoir causé la mort du quinquagénaire.  Le corps médical reste perplexe.  L’inhumation aura lieu… ».

Olivier sourit vraiment pour la première fois depuis dix-neuf ans.

Il postula ensuite pour le poste de chef-cuistot dans ce même restaurant où son père avait rencontré la mort.  Sa vie à lui était là, désormais, dans cette Ardèche ensoleillée où il avait pu accomplir sa vengeance.

 

2 ans plus tard.

Dans la cuisine du restaurant, le nouveau serveur s’adressa à Olivier :

Un thé de Chine avec trois sucres et une glace à la vanille pour la table 23 s’il te plaît.

Olivier regarda le garçon qui le commandait, médusé.  Il se précipita dans la salle et se dirigea vers la table 23.  Les yeux du client et du chef se rencontrèrent.  Ils se reconnurent immédiatement : « Bonjour Olivier, content de te revoir ! »  Marc Morry n’avait absolument pas changé !

 

FIN

 

 

Philippe Desterbecq

 


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philibertphotos.over-blog.com

 

 

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Qui est l'auteur de cette nouvelle ?

Publié le par christine brunet /aloys

 

point d'interrogation

 

 

 

-          Garçon, un thé chinois avec trois sucres, s’il vous plaît.

Olivier s’arrêta, médusé.  Se pouvait-il qu’il s’agisse du même homme ? Etait-ce lui, l’homme qu’il avait recherché pendant tant d’années, son père ? Celui qui avait envoyé sa mère au tombeau ? Celui qui avait modifié le cours de sa vie ? Celui qui l’avait abandonné 19 ans plus tôt, le laissant seul, à côté de sa mère en sang ?

Il avait cinq ans alors mais les événements sont restés gravés dans sa mémoire à tout jamais.  L’insouciance de son jeune âge ne lui avait pas permis de prendre conscience que son père, l’homme qu’il idolâtrait, battait sa mère à la moindre occasion.  Les ecchymoses et les blessures multiples qu’elle essayait de cacher n’avaient jamais vraiment attiré l’attention d’Olivier.  Quelquefois, il lui demandait : « T’as fait bobo maman ? ».

Les réponses de sa mère lui suffisaient : « Ne t’en fais pas, mon petit, je suis tombée dans l’escalier.  Maman est si maladroite ! »  Et Olivier retournait à ses jeux égoïstes.  Mais ces réponses n’auraient pas dû suffire à Adèle, la voisine ! Elle n’avait pas cinq ans, elle ! Elle était en âge de comprendre que Lucie était battue par son mari ! Elle aurait dû intervenir !

Quand Olivier décida de venger sa mère, morte parce qu’elle avait oublié d’acheter du thé chinois, il était encore très jeune : douze ans, peut-être. Ballotté d’un foyer à une famille d’accueil, d’une famille d’accueil à une autre, Olivier s’était forgé un caractère : dur, irascible, vindicatif, effronté, …

Quand il avait commencé à mettre son plan à exécution, il avait dix-sept ans.  Son seul regret, c’est qu’Adèle n’avait pas souffert.  Il l’avait tuée trop vite.  Sa seule joie, c’est qu’il était sûr qu’elle l’avait reconnu au moment où il l’avait surprise dans son lit.  Son regard, horrifié, lorsqu’il lui avait serré le cou, le poursuivait encore la nuit mais il avait fait ce qu’il fallait.

Son deuxième meurtre fut moins précipité, mieux préparé.  Il n’avait pas eu de difficulté à retrouver le médecin qui, régulièrement, soignait sa mère et constatait ses blessures.  C’était un copain de Marc, son père, et il n’avait rien tenté pour sauver Lucie.  Avait-il quelquefois parlé à Marc de son caractère violent ?  Avait-il essayé de l’empêcher de battre sa femme ? Olivier en doutait.

Quand, à dix-huit ans, il avait quitté le foyer St-Christophe, il était parti directement à la recherche du médecin.  Il avait oublié son nom mais pas son regard indifférent aux souffrances de sa mère.  Il l’avait retrouvé facilement : le cabinet n’était pas éloigné de la maison où Olivier était né.  Il l’avait suivi pendant trois jours, trois jours de filature, comme un vrai détective, sans se faire remarquer.  Un matin, le docteur Erikson partit à la pêche.  Olivier le retrouva au bord de l’eau.  Ils discutèrent un moment, Olivier l’accusant de la mort de sa mère, le vieux médecin se défendant à corps perdu.  Puis, comme, de toute façon, Olivier était bien décidé à lui régler son compte, il mit fin à la conversation en jetant le docteur à l’eau.  Olivier était beaucoup plus fort que le médecin, il lui maintint la tête sous l’eau sans grande difficulté.  Il s’assura qu’Erikson était bien mort puis s’en alla en sifflotant, les mains dans les poches.

Il mit ensuite son troisième plan à exécution.  Il fallait qu’il retrouve son père.  Mais comment ? Où retrouver un homme qui se cache dans un monde aussi vaste ? Il pouvait être n’importe où.  Une intuition lui disait qu’il avait quitté la Belgique (comment s’y serait-il caché ?) pour la France (son père adorait ce pays) et qu’il le retrouverait grâce au thé de Chine.  Un rêve (prémonitoire ?) lui avait montré son père, vieilli, barbu, assis à une table de restaurant et commandant un thé de Chine avec trois sucres.  Il détenait là la solution.  Il en était sûr !

Sa décision fut vite prise, il entra à l’école hôtelière et en devint un des meilleurs éléments.  Il apprit tous les rudiments de la cuisine avec une facilité déconcertante.  Les autres élèves que, taciturne, il ne fréquentait pas, l’enviaient.  Comment pouvait-il préparer des plats aussi réussis ? Certains étaient dignes d’un grand chef !

Parallèlement, il potassa des livres de pharmacologie et, surtout, de toxicologie.  Les livres de médecine encombraient sa chambre.  Les fioles de tout genre, étiquetées à l’aide de phrases codées, côtoyaient les livres sur les rayons de sa bibliothèque.  Bientôt, les poisons et leurs effets n’eurent plus aucun secret pour lui.  Il préparait des potions et observait leurs effets sur des rats, des lapins ou les chiens des voisins.  Un jour, il expérimenta une potion sur un de ses « camarades » de classe.  Il versa quelques gouttes d’un liquide rose dans le thé de son voisin de table.  Celui-ci vomit tripes et boyaux et mit trois jours pour se remettre.  Olivier était sûr qu’en doublant la dose, un homme plus corpulent ne s’en remettrait pas.  Le médecin, appelé la nuit, ne diagnostiqua qu’une indigestion.  La prise de sang ne révéla rien d’anormal.  Olivier avait gagné !

Son diplôme en poche, il s’exila en France.  Mais, curieusement, il se fit engager comme simple serveur.  Ce n’était pas dans la cuisine d’un restaurant qu’il allait retrouver son père !  Celui-ci aimait le soleil, Olivier avait donc choisi le sud de la France comme lieu de résidence et pour commencer ses recherches. 

Pendant trois ans, il avait écumé tous les restaurants de la Provence et de la Côte d’Azur, se faisant engager dans l’un, se sustentant dans un autre. Il savait qu’il cherchait une aiguille dans une botte de foin mais il ne se décourageait pas.  Il le retrouverait devrait-il y passer sa vie entière !

Olivier monta ensuite en Ardèche.  Et c’est dans le troisième restaurant dans lequel il travaillait qu’un homme lui avait demandé un thé de Chine avec trois morceaux de sucre.  Son père ? Il scruta le visage de l’homme.  Les années passées avaient-elles pu le changer à ce point ? Olivier ne pouvait détacher son regard de ces yeux.  Des yeux de meurtrier ? Des bribes de phrases se bousculaient dans son cerveau : « Non ! Je t’en prie…arrête…s’il te plaît ! Non ! Marc…j’ai simplement oublié d’en acheter.  Je vais y aller.  Il est tard mais je dérangerai le gérant.  Marc…s’il te plaît, tu me fais mal ! »  Les souvenirs affluaient, plus précis.  Il vit sa mère, agonisant.  Il se vit, lui, caché sous un fauteuil.  Il entendit le cri de la voisine.  Il revit les policiers, l’ambulancier.  Il entendit ensuite Adèle : « Je ne savais pas » et puis son propre cri : « Menteuse ! ».

Eh bien ! Qu’attendez-vous ? Quelque chose ne va pas ?  Ne me dites pas que vous n’avez pas de thé de Chine ?

Olivier redescendit sur terre.

Tout va bien, ne vous en faites pas.  Excusez-moi ! Ce sera donc…un thé de Chine avec trois sucres.  Et pour madame ?

Olivier examina le visage de la compagne de l’homme assis à ses côtés et il sut qu’il ne s’était pas trompé : une cicatrice barrait le front de la dame, une légère trace jaunâtre sur la joue droite s’effaçait et des yeux de chien battu ou de biche apeurée, des yeux craintifs le regardaient.

Un café, s’il vous plaît.

Olivier rentra dans la cuisine et s’adossa à la porte.  Enfin ! Après toutes ces années d’attente, de vaines recherches, d’espoir déçu, il était là, il le tenait !

Qu’est-ce que je prépare ? lui demanda Julien, son copain.

Un thé de Chine…sans sucre et un café.

Olivier ôta une petite clef de la chaîne en argent accrochée à son cou.  Il ouvrit une petite armoire et en retira trois morceaux de sucre légèrement rosés.  Il n’eut aucun moment d’hésitation.  Il plaça les deux tasses sur un plateau et fit glisser le sucre dans le thé fumant.  Il déposa deux cuillères et deux gâteaux à la châtaigne sur le plateau et le porta à la table 26.

S’il vous plaît…en souvenir de Lucie, murmura-t-il.

Pardon ?

Olivier ne répondit rien.  Il se retourna et disparut.  Le couple s’interrogea du regard mais ne fit guère attention à la remarque du garçon.

 

Trois jours plus tard, installé dans son lit, Olivier put lire, dans les faits divers : « Le célèbre architecte ardéchois, Carl Lalille, a été retrouvé mort dans son lit par son épouse Gabrielle ce mardi 17 octobre.  D’après son épouse, M. Lalille se plaignait de douleur au ventre depuis quelques jours.  Nos sincères condoléances à sa famille.  L’Ardèche perd un grand artiste ! »

Architecte, son père ? Il avait donc bien changé ! Et ce nom, où était-il allé le chercher ?

Le 19 octobre, Olivier put lire dans le journal : « Les médecins ignorent la cause de la mort de l’architecte Lalille, décédé à son domicile ce 17 octobre.  Ils ont découvert, dans son corps, une dose infime d’arsenic, dose insuffisante pour avoir causé la mort du quinquagénaire.  Le corps médical reste perplexe.  L’inhumation aura lieu… ».

Olivier sourit vraiment pour la première fois depuis dix-neuf ans.

Il postula ensuite pour le poste de chef-cuistot dans ce même restaurant où son père avait rencontré la mort.  Sa vie à lui était là, désormais, dans cette Ardèche ensoleillée où il avait pu accomplir sa vengeance.

 

2 ans plus tard.

Dans la cuisine du restaurant, le nouveau serveur s’adressa à Olivier :

Un thé de Chine avec trois sucres et une glace à la vanille pour la table 23 s’il te plaît.

Olivier regarda le garçon qui le commandait, médusé.  Il se précipita dans la salle et se dirigea vers la table 23.  Les yeux du client et du chef se rencontrèrent.  Ils se reconnurent immédiatement : « Bonjour Olivier, content de te revoir ! »  Marc Morry n’avait absolument pas changé !

 

FIN

 

 

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Nouveau jeu sur Aloys... Qui est l'auteur de cette nouvelle ???

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes2/delvilletete.jpg

 

FLORENCE, MA SECONDE VILLE

 

Je devais avoir treize ou quatorze ans, lors de mon premier voyage à Florence. Dès mon arrivée, j'ai été conquise par la luminosité unique de la région. Certes, le soleil ne brillait pas plus là qu'ailleurs et mon jeune âge devait y être pour quelque chose puisque le second jour, alors que je déambulais dans les couloirs de la Galleria degli Uffizi à la recherche de ma mère, j'ai été aussi éblouie par un tableau dont le seul nom me faisait rêver : la sensuelle Venere di Urbino du Titien.

 

Voir ainsi la nudité parfaite d'une femme était pour moi une révélation de ce que j'allais devenir. Si Vénus pouvait ainsi se prélasser sur son lit, pourquoi pas moi dans quelques années ? Ce n'était guère l'habitude dans la famille d'aborder ce genre de sujet et je me gardai bien d'en parler à ma mère que j'avais enfin retrouvée au détour d'un couloir…

 

Le même jour, une autre révélation me fut donc offerte, les pâtes cuites al dente ! Des pâtes aux formes et aux goûts si variés, le parmiggiano au goût fort, bien différent du fromage râpé de Belgique.

 

À la maison, nous mangions traditionnellement des pâtes le jeudi. Des macaronis Soubry au jambon et fromage dans lesquels la brave Simone, cuisinière engagée par mon père, mélangeait une petite boîte de purée de tomates. Je trouvais ça excellent et jamais je n'avais imaginé que la cuisine italienne était à des lieues de celle de Simone.

 

Notre chambre avec terrasse donnait sur l'Arno qui, en ces premiers jours d'avril, était tumultueux comme un torrent de montagne. La chaîne des Apennins avoisinante commençaient montrer des taches vertes annonciatrices du printemps. Le ciel limpide se couvrait parfois rapidement de nuages gris et menaçants qui disparaissaient aussi vite qu'ils étaient arrivés ! Et toujours cette lumière unique que je n'ai jamais vue que là, à part peut-être durant l'été indien d'Amérique du nord que j'ai découvert bien plus tard.

 

Il y avait donc ces découvertes mais surtout le sourire des employés de l'hôtel. Certains, les plus jeunes, se montraient empressés à nous aider, à anticiper nos demandes ou même à nous proposer leurs services pour une visite de la ville, ce que nous avons toujours refusé. Les plus âgés, obséquieux parfois, se contentaient de faire leur service, parlant sûrement de nous entre eux tout en jetant des regards attentifs sur nos cheveux blonds et nos vêtements pas du tout "italiens". Lorsqu'ils ont appris que nous étions belges, leur attitude a changé du tout au tout. Certains nous ont montrés des photos, qui d'un oncle mineur près de Liège ou qui d'un frère parti travailler là-bas, en Belgique. Nous étions devenues les idoles de tout ce petit peuple !

 

La guerre n'avait pas laissé trop de traces. Quelle ne fut pas d'ailleurs notre surprise d'apprendre que la libération de Florence avait eu lieu en même temps que celle de nos villes. Un point commun de plus !

 

Florence restera pour moi, une ville de découverte, où les œuvres sublimes des peintres italiens rejoignent la fierté des bâtiments et l'éclat lumineux du ciel.

 

C'est à la fin de notre séjour que j'ai fait la connaissance de Salvatore, guide au Couvent San Marco. C'est là qu'il m'a fait découvrir les œuvres de Fra Angelico et les fresques dans les cellules des moines.

 

Ah, Salvatore et son charmant accent, Salvatore et son rire communicatif, Salvatore et ses grands gestes qui ponctuaient tout son discours. Maman nous avait laissé pratiquement en tête-à-tête pour aller admirer l'Annonciation à Marie et Salvatore m'avait emmené dans le cloître bien désert ce jour-là !

 

Il est resté deux jours à guetter notre passage, en vain. Alors, n'y tenant plus, il est arrivé le dernier soir à l'hôtel dont, dans ma naïveté, j'avais révélé le nom. Il est entré dans la salle à manger, s'est approché de notre table, nous a salué et a très cérémonieusement demandé ma main à ma mère qui lui a rit au nez ! Il est reparti comme un voleur et nous ne nous sommes jamais revus !

 

Les valises faites, le lendemain, nous avons repris le train vers la Belgique et son printemps humide et frais. Je me souviens du ciel bas qui nous attendait à la gare de Bruxelles. Mon père nous attendait à la sortie et avait, pour l'occasion, la voiture de son patron avec son chauffeur en livrée, s'il vous plaît ! Les deux femmes de sa vie valaient bien cet accueil, avait-il déclaré à ma mère !

 

Je me souviens encore de ce voyage initiatique comme celui qui m'a fait découvrir une ville superbe et où je suis retournée moultes fois. Salvatore avait disparu mais la lumière de Florence était toujours bien présente.

 

Florence où j'ai connu mes premiers émois amoureux, mais aussi où j'ai découvert la Vespa, les pâtes, les vraies et ce cappuccino qui reste pour moi la meilleure chose qui soit.

 

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

Publié dans auteur mystère

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