La première de couverture résume l'essence de ce roman complexe tout en nuances, en impressions, en clair-obscur. On se lance entre ses lignes les oreilles grandes ouvertes mais presque à tâtons tant les bruits, les voix, les sensations sont présentes, pesantes comme cette ambiance d'un jeu "pas vraiment" de dupe. Le lecteur fait corps avec Karl Erhard, enseignant aveugle mais époux clairvoyant et résigné. On entend le parquet ciré craquer sous les pas, les voix murmurées; on ressent presque la température des couloirs exigus qui rappelle certaines écoles de notre jeunesse.
Les personnages principaux ou secondaires oscillent entre vie scolaire et vie intime comme les lecteurs ballottés au gré des événements. L'histoire défile aux côtés de l'Histoire (avec un grand H) : on pénètre dans le quotidien des professeurs, leur mal-être, leurs doutes, leur métier passion pour mieux appréhender les liens privés qui unissent les trois personnages principaux.
Etude psychologique, étude sociologique, "La confession de Cleve Wood" joue sur le ressenti des lecteurs pour donner aux trois personnages principaux une dimension tragique et une épaisseur qui interpelle. Impossible de ne pas comprendre Hélène, la très jeune épouse de Karl mais comment ne pas avoir pitié du trop âgé époux qui se doute, sait, mais... Quant à Cleve Wood, tiraillé entre sa conscience et son désir, entre sa jeunesse et son amitié, difficile de le trouver si sympathique que ça et pourtant...
L'écriture très visuelle de Jean-Claude Texier nous transporte dans la maison des Erhard, un peu comme si, privés de la vue, nous découvrions couleurs, volumes et meubles au travers des autres sens exacerbés.
Alors, "quel est le sujet de ce livre ?" me demanderez-vous... Pas question de vous en dire trop mais...
Ce roman est l'histoire d'un amour inconditionnel, d'un désir insatiable, d'une conscience mise à mal. C'est le récit de trois destins qui se croisent, se télescopent avant de reprendre peu ou proue leur chemin.
Artiste d’origine italienne, sa famille émigre en Belgique dans les années cinquante. Enfant passionné et doué, en parfait autodidacte, il a appris seul à dessiner et à peindre. Il étudie l’histoire de l’art et de la littérature. En 1974, il expose au Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Il reçoit un accueil chaleureux de la presse qui l’encourage à continuer de peindre. En 1975 Aubin Pasque, peintre fantastique, l’intègre dans le Mouvement Artistique International Fantasmagie dont il est le fondateur. Salvatore Gucciardo a plus de 60 expositions personnelles à son actif. Il a reçu de nombreux prix et titres honorifiques en Belgique et en Europe. Il figure dans plusieurs dictionnaires, anthologies, catalogues, revues littéraires et artistiques, en tant que peintre et en tant que poète.
Il est édité dans plusieurs pays et certaines de ses œuvres ont été acquises par des musées belges, ainsi que par plusieurs villes en Belgique, en Italie et au Luxembourg. Parmi les très nombreux articles de presse qui lui ont été consacrés, on peut lire : « Grâce à un art extrêmement raffiné pratiqué par le Maître Salvatore Gucciardo, le public réalise un voyage à l’intérieur des émotions humaines, émotions mises en valeur par des couleurs créées par une personne dont on ne peut mettre en doute les compétences artistiques »
Son talent fut remarqué par le critique d’art Stephan Rey, alias Thomas Owen. Dès leur première rencontre qui date de 1976, une profonde amitié nait entre l’écrivain, membre de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique et le peintre, elle durera jusqu’à la mort du célèbre romancier en 2002. Il a fallu cinq ans pour que l’artiste finalise cette pièce maîtresse d’une œuvre qui compte plusieurs centaines de personnages. Salvatore semble nous dire, dans sa vision créatrice, combien prime la relation entre l’homme et la nature.
Son message est une source d’espoir, une quête spirituelle, une communion profonde entre l’homme et l’univers. Sa vision cosmologique est chaleureuse et poétique. Il place l’être humain au centre du monde. Anita Nardon, sociétaire de l’Association Internationale des Critiques d’Art lui consacre une monographie aux éditions Art In Belgium dans la collection « Traces de l’art ». Le peintre est aussi poète. Il a déjà publié plusieurs recueils de poèmes et figure dans plusieurs anthologies de poésie, notamment dans Vingt Poètes, Anthologie de la poésie contemporaine, Editions du Chasseur abstrait, France 2012, ainsi que dans l’anthologie « Les Poètes et le Cosmique » de JeanPierre Béchu et Marguerite Chamon, Editions Du Net, France 2015, de même dans l’anthologie « Les Poètes, l’Eau et le Feu » de J.P. Béchu et M. Chamon, Editions Du Net 2017. Cette passion pour la poésie n’est pas récente. A 17 ans il se passionnait déjà pour l’univers poétique d’Arthur Rimbaud et Charles Baudelaire.
Après deux recueils de poésies « Lyrisme cosmique » et « Méandres » parus aux Editions Chloé des Lys, Salvatore vient de publier son premier roman « Le Voyageur Intemporel », également chez Chloé des lys. Le voyageur intemporel est un voyage initiatique dans le temps, une fresque fantastique, un récit rocambolesque et poétique qui donne une vision insolite et complexe de la nature humaine dans sa nudité intérieure. Voici un petit extrait de ce qu’en dit Denis Billamboz, critique littéraire. « Je suis sorti de ce livre avec l’impression que Salvatore Gucciardo voulait évoquer tous les travers inhérents à la condition humaine et nous convaincre qu’il était inutile de chercher ailleurs une meilleure condition, partout ailleurs le bien et le mal s’affrontent toujours avec violence, et qu’il suffirait peut-être de conjuguer les forces ouraniennes et les forces chthoniennes pour que notre monde soit moins mauvais ». Plongez dans l’univers hypnotique de cet artiste dont on n’a pas fini de parler, en visitant son site : www.salvatoregucciardo.be
En voilà une belle destination de voyage, la Loire et ses châteaux qui font rêver : Chambord, le plus grand… Chenonceau, le plus poétique… Blois, le plus chargé d'histoire…
Parlons-en de Blois, une ville surprenante que j'ai revue sous le soleil. Nous logions en pleine ville dans un hôtel situé sous le mur du château et nous avions décidé qu'après une bonne nuit de repos, nous irions à la découverte de cette bâtisse aux styles nombreux et au passé prestigieux.
Chaque fois que je fréquente ce lieu que je connais par cœur, notre première rencontre date de plus de cinquante ans, j'ai toujours l'impression que le guide a vécu les événements qu'il se plaît à raconter. On s'attend toujours à ce qu'il sorte une photographie d'époque représentant le Duc de Guise agonisant dans le cabinet vieux entouré par ses assassins ! N'aurait-il pas aussi un enregistrement de la phrase prononcée par Henri III : "Il est encore plus grand, mort que vivant" ?
Ce que j'apprécie aussi c'est juste à côté du château le musée consacré à Robert Houdin, un enfant du pays, grand magicien du 19e siècle. Cette année, le "son et lumière" mêle magie et histoire…
Le seul problème est que l'éléphant que le magicien fait apparaître dans la cour s'est révélé bien vivant ! Croyez-moi, ça fait du dégât un éléphant dans un vénérable château et c'est vers minuit que le cornac est parvenu à s'en rendre maître !
Demain, après la grasse matinée, nous allons à Cheverny, le château de Tintin et Milou qui est un animal bien plus calme. Les seuls autres animaux sont les chiens de la meute mais, vu les circonstances, je m'attends au pire !
Un nouvel ouvrage intitulé « Poésies en gouttelettes – Epigrammes » de Antonia Iliescu va bientôt paraître chez les éditions Chloé des Lys.
Un extrait :
(…) J’ai conçu ce volume par le soin d’attirer l’attention du lecteur sur un genre de poésie qui, malgré son heure de gloire dans le passé, est aujourd’hui peu pratiquée et donc, peu connue. Le livre que je vous présente ici comprend deux parties distinctes :
Le premier volet est fait d’épigrammes et polygrammes originales, illustrées par l’auteure, groupées dans vingt-et-un thèmes : sur l’épigramme, politique, les lois de la physique, religieuses, vieillesse, épitaphes, histoire, l’art divinatoire, mariage et amour, enfants, écrivains et écrits, sur la bêtise, nature, rats, sur les voleurs, sur les chefs, internet, la chimie de la vie, agape, thèmes divers.
Le deuxième volet offre un bref regard sur l’histoire de l’épigramme dès son apparition en Grèce antique et jusqu’aux temps modernes, quand on observe une tendance à disparaître comme genre littéraire (surtout en France et en Belgique).
(…) Si celui qui prend cet ouvrage dans ses mains ne s’ennuie pas, mon but est atteint.
Et une épigramme :
« Noir et blanc » (thème pour un concours d’épigramme)
Écrire en noir et blanc c’est difficile,
Ce n’est pas tout à fait mon style.
Alors, devant le thème, j’ai échoué ;
La preuve que je suis très… nuancé.
J’ai lu Ici ou au-delà de Philippe Desterbecq – Edmée De Xhavée
145 pages, une ronde de nouvelles. Ronde parce qu’elles sont unies par une petite broderie au point de chainette, qui fait un cercle parfait. Le dernier maillon de l’une est le premier de la suivante, et le dernier maillon de toutes est le premier de toutes…
Un peu caramel salé. Sour Sweet. Une mélancolie bien dosée qui n’en fait pas un recueil dont sourire ou espoir sont absents.
Adèle qui a perdu son fils, et dont le chagrin a aussi détourné le mari. Reste l’amie Lisette, la fidèle amie, avec qui on parle, on pleure, on va au restaurant, on se confie… L’amie qui, parce qu’elle est si proche, doit aussi asséner un nouveau coup, qui exige alors d’elle… un terrible serment.
Line, la filleule de Lisette, adolescente sur le sentier de la guerre, il faut bien pourtant que les parents acceptent qu’on grandit, non ? Si à 16 ans on ne vibre pas comme un bourdon, quand le fera-t-on ? Surtout quand on a été adoptée… et qu’on découvre qu’on a … une sœur, une sœur vraie de vraie !
Et que dire du petit chat qui sauve Lilou ?
Et de cet enfant emmené au Maroc par son père il y a sept ans… sept ans de larmes pour la Maïté, qui pourtant voit sa vie illuminée par un nouveau bébé ? Où se trouve la raison, et où réside l’espoir ?
Le kangourou, le kangourou ange gardien qui fait l’objet de la couverture et d’une des histoires les plus douces du recueil… Pour qu’il puisse opérer son miracle, il fallait que Claudine et Viktor affrontent une nouvelle vie dans un autre monde… avec Sébastien…
Dorine, frappée par le destin, mais qui apporte à ses médecins des messages de leurs chers disparus… On n’est jamais seul.
Il y a des douleurs à affronter, parfois à surmonter, mais l’espoir est là, parfois simple lueur tremblante, mais qui ne demande qu’à éclairer…
Extrait du roman "Le dilemme de Trajan", dernier tome de la trilogie ouverte avec "Mon amour à Pompéi" et poursuivie par "Les larmes de Titus", sous réserve d'acceptation par le comité de lecture !
Le proconsul arrangea machinalement les plis de sa toge bordée de pourpre et contempla avec quelque pitié le vieil homme debout entre les deux gardes.
« Qu’on lui enlève ses chaînes et lui apporte une chaise ! » finit-il par ordonner.
Il attendit que le prévenu se fût assis pour renvoyer d’un signe les deux légionnaires qui allèrent se poster de part et d’autre de la porte donnant accès à la grande salle servant de tribunal. Puis il nota avec un certain étonnement que celui-ci, contrairement à la plupart des suspects qu’on lui amenait, le regardait sans crainte apparente.
« Dis-moi… » lui demanda-t-il sans brusquerie en passant du latin au grec. « On t’appelle bien Ignace et tu prétends bien être l’évêque d’Antioche ?
- On t’a dit vrai, consul !
- Et quel âge as-tu, Ignace ?
- Environ quatre-vingts ans, consul… »
Consul… Pline observa curieusement le vieillard. Une attitude sereine en dépit de sa situation, sans provocation mais sans fausse humilité, un homme drapé dans sa dignité qui refusait de s’adresser à lui en l’appelant « Domine », comme il aurait convenu. Un peu comme s’il avait considéré cet interrogatoire comme un entretien d’égal à égal.
Ignace… Ce nom lui avait par contre immédiatement rappelé quelqu’un.
« T’étonneras-tu si je t’affirme qu’à Antioche, il y a bien longtemps, j’avais déjà entendu parler de toi comme d’un fauteur de trouble ? »
Le prisonnier, nullement déconcerté, dévisagea son interlocuteur.
« Et toi, t’étonneras-tu si je te révèle qu’à la même époque, c’est moi qui ai conduit au camp militaire les médecins qui t’ont soigné ? »
Pline, pris de court, ne put s’empêcher de marquer sa surprise.
« C’est toi qui…
- Oui, consul. T’en souviens-tu ? Deux hommes, des étrangers parlant une langue bizarre, et une femme, une romaine ! Une medicae…
- Si je me souviens… » murmura Pline en remuant instinctivement sa jambe.
Incroyable, par les dieux… Mais pour être en mesure de lui rappeler de tels détails, cet homme ne pouvait mentir. Pourquoi justement lui ?
« Et… saurais-tu me dire d’où venaient ces trois personnages providentiels ? » demanda-t-il, abasourdi de pouvoir peut-être enfin lever le voile sur cet épisode mystérieux de sa vie.
« Non. Ce que ces gens m’ont dit d’eux-mêmes et de qui les envoyait s’est révélé être une fable. Mais ils possédaient à coup sûr des pouvoirs extraordinaires !
- Des pouvoirs dont tu as pu juger par toi-même ?
- Oui, tout comme toi. Des individus aussi habiles dans l’art de guérir que dans celui d’occire !
- Occire ? Veux-tu dire par là qu’ils t’auraient fort efficacement débarrassé de tes ennemis ?
- N’as-tu pas entendu parler, à l’époque, de ces fameux cadavres retrouvés par une de vos patrouilles sur la route d’Antioche ? »
Oui, effectivement. Il s’en souvenait, maintenant. Encore une chose dont tout le monde au camp s’était beaucoup étonné… Des brigands tués de façon tout à fait inhabituelle, avec un petit bout de métal dans la tête.
Jusqu’où cet étrange bonhomme saurait-il encore le surprendre ?
« Tu pourrais donc m’éclairer sur ce qui s’est passé et quelles armes inconnues ont été utilisées ?
- Ce serait un peu long à expliquer mais je propose de t’en parler, éventuellement, un peu plus tard si tu le souhaites. »
Éventuellement… Conscient du vif intérêt qu’il avait su provoquer, ce vieux filou entendait sans doute conserver, à toutes fins utiles, une monnaie d’échange.
« D’accord… » répondit Pline en souriant. « Nous y reviendrons. Toi non plus n’as donc jamais su qui les envoyait…
- Peut-être Dieu lui-même qui, pour une mystérieuse raison, a tenu à te sauver… Ce Dieu auquel tu ne crois pas ! »
Pline, plutôt agacé, balaya d’un geste les propos du vieil homme.
« Aurais-tu l’outrecuidance d’essayer de me convertir, par hasard ? »
Puis il réalisa que l’interrogatoire était en train de prendre un tour inattendu et qu’il était temps d’en revenir à l’objectif qu’il s’était fixé : essayer de juger en toute impartialité de la dangerosité de ce vieux fou. Même si les choses étaient devenues subitement un peu plus compliquées…
« Bien… Pourrais-tu m’expliquer ce qu’est un évêque ?
- C’est le guide spirituel d’une communauté chrétienne.
- Leur chef, en somme…
- Plus que ça…
- Explique-toi !
- Un évêque doit s’assurer que les membres de sa communauté n’oublient pas le message de notre Seigneur.
- Votre seigneur ?
- Jésus de Nazareth, condamné par Ponce Pilate à mourir sur la croix. »
Pline caressa sa courte barbe frisottante, signe chez lui d’une grande perplexité. Encore et toujours la même histoire…
« Tu as connu ce… Jésus de Nazareth ?
- Non… Mais j’ai connu certains de ceux qui le suivaient lorsqu’il prêchait, à Jérusalem, sous le règne de Tibère.
- Et ceci te suffit pour être convaincu que cet homme n’était pas un vulgaire agitateur, justement crucifié pour avoir tenté d’inciter le peuple de Judée à prendre les armes contre Rome ?
- C’est ce que prétendent les Romains, en effet… Pourtant, parmi ceux qui l’ont supplicié, certains ont ensuite admis leur erreur et reconnu en lui notre sauveur. Et juste après sa résurrection…
- Sa résurrection ! » réagit vivement Pline. « Crois-tu vraiment qu’un homme puisse revenir de chez les morts ?
- Un homme ordinaire, non, bien sûr. Mais lui était fils de Dieu et…
- Bon, ça suffit ! »
De plus en plus agacé, il comprit que la discussion allait vite tourner en rond.
« Sais-tu pourquoi tu es là, Ignace ?
- Sans doute parce que je suis un des principaux représentants de cette communauté de citoyens qui refusent de rendre un culte à l’empereur…
- Pas seulement. Tu as été arrêté pour avoir prêché dans l’enceinte de l’agora alors que j’avais strictement interdit tout rassemblement. Et des témoins de confiance m’ont rapporté des propos plutôt séditieux…
- Qu’entends-tu par là ?
- Ce que j’entends par là ? Encourager celles et ceux qui t’écoutent à abandonner la religion de nos pères et des pères de nos pères pour adopter tes propres superstitions constitue une attaque contre nos valeurs traditionnelles. Et prétendre que l’esclave est l’égal du maître une grave atteinte à l’ordre établi !
- Tu parles de valeurs… Considères-tu comme si valorisant le spectacle donné par les jeux du cirque et ne peux-tu comprendre notre refus d’y assister ? Je n’entendais pas par ailleurs remettre en cause l’ordre établi, comme tu dis, en parlant de l’égalité devant Dieu de l’esclave et de son maître !
- Insinuer qu’un esclave pourrait être l’égal de son maître me paraît pourtant de nature à…
- Devant Dieu, consul, pas devant les autorités… Pour notre créateur, nous sommes tous égaux : toi, moi, tes soldats, tes maîtresses, tes esclaves, tes amis et tes ennemis, les prostituées du port… »
Pline faillit se lever pour manifester son indignation, puis se ravisa. Au fond, à condition bien sûr d’accepter de considérer les choses avec suffisamment de recul…
Il se souvint de ce jour où Calpurnia avait durement réprimandé, puis puni, une de ses caméristes pour une simple maladresse. Et de sa propre réaction devant ce qu’il avait alors considéré comme une flagrante injustice.
« Stultissimus est, qui hominem aut ex veste aut ex condicione, aestimat » 1
Perplexe, il pensa qu’il pourrait être avisé d’encourager son épouse à lire Sénèque.
Christian Eychloma
Est tout à fait insensé celui qui apprécie un homme d’après l’habit ou d’après la condition.
1 Est tout à fait insensé celui qui apprécie un homme d’après l’habit ou d’après la condition.
Il y avait aussi cette sotte fille, la fille des concierges de chez Fauquier, une blonde qui se trouvait irrésistible, il s’en souvient. La fille du chauffeur, un brave type qui ne parlait jamais. Une des cousines – Micheline, sans doute - lui avait offert des vêtements qu’elle ne portait plus, et peu après il avait entendu Zélie lui reprocher – oui, maintenant il était certain que c’était Micheline car il revivait nettement la scène – de lui avoir donné des choses qu’on peut porter en famille mais pas quand on fait partie du personnel. Les shorts, par exemple, avait-elle dit d’une voix bougonne, comment lui interdire de les porter maintenant, et elle se pavane partout avec ça, mademoiselle Micheline ! Vous, ça allait, mais elle n’est pas de la famille ou des proches, ça ne se fait pas !Il ne faut pas lui monter la tête, elle est déjà bien assez fière comme ça…
Il faut dire que lui aussi, il avait eu l’impression qu’elle passait avec insistance devant le court de tennis quand lui ou les cousins Pierre et Clément jouaient, s’arrêtant pour détacher pensivement les liserons du grillage d’un air absorbé, feignant l’indifférence, la démarche d’une danseuse orientale, dans son petit short de lin beige.
Il la détestait, et se demande d’ailleurs pourquoi il avait un sentiment aussi défini pour elle qui ne l’intéressait pas du tout. Elle était un peu plus jeune que lui, trois ou quatre ans peut-être. Ou plus encore. Pierre la trouvait « damn sexy » mais estimait qu’il valait mieux garder ses distances, terrain miné était écrit en toutes lettres sur son front.
Il se demande même, à présent, si maman elle-même n’avait pas un jour dit quelque chose. Maman l’aimait bien, disait que ça devait être difficile pour elle d’avoir été arrachée à son pays, dont elle se souvenait certainement très bien, certainement assez pour en avoir la nostalgie. Elle la trouvait jolie, ou peut-être pas jolie, mais agréable. C’était plutôt ça, agréable. Elle le reprenait quand il la jugeait quelconque et trop voyante. C’est son type, mon chéri, elle est faite sur un modèle plus… comment dire ? Plus marqué. Mais elle n’est pas quelconque. Ceci dit elle risque fort d’avoir des ennuis car elle joue un peu de son type, justement, et n’a pas trop conscience sans doute de comment c’est perçu ici… Elle a de l’ambition, mais c’est un peu trop évident, parfois !
C’était une remarque de ce type que maman avait faite.
Pénétré par cette remontée dans le passé, il se tient debout devant la porte-fenêtre. Pas de Monsieur Fonction, qui est déjà passé le matin, par contre les corneilles ont l’air de répéter une attaque par escadrons car elles ne cessent de partir en reconnaissance et de revenir en vociférant ordres et impressions. À la main il tient un bol de thé – son thé de déchets – et grignote un biscuit au gingembre.
À cinq heures il y aura un bon documentaire sur la Patagonie, il ne faut pas qu’il oublie. Mais il peut terminer son thé sans hâte.
Ah ces tasses de thé qu’il apportait à maman, avec du citron et, justement, un biscuit au gingembre, de ceux que son amie Penelope lui envoyait d’Angleterre fidèlement à chaque fête de Noël. Il s’asseyait sur le bord du lit, lui redressait les oreillers, et ils avaient une petite pause de silence partagé, sans lecture ni musique, juste eux deux, l’intensité d’un long adieu qui s’égrenait jour après jour dans une multitude de rituels anodins. Il la voyait avaler l’odorant liquide, fermer les yeux et timidement sourire, puis elle lui pressait parfois la main – oh que la sienne était décharnée, parcheminée, avec ce solitaire qui luisait en tournant follement autour de son doigt squelettique aux jointures enflées.
Pourquoi donc avait-elle pensé que papa se remarierait ? Pourquoi, elle qui n’avait vécu que pour eux deux, n’avait-elle pas, au contraire, eu une pensée pour papa qui allait rester seul, si triste, encore bien jeune, abandonné malgré elle à une existence solitaire ?
Mais oui… mais oui, ça doit être lié à ça…
Il se souvient…
Cette sottise.
Comment donc une telle sottise avait-elle pu prendre cette place dans le désarroi de sa mère ?
Car oui, au retour de ces fameuses vacances, quand elle avait demandé si ils s’étaient amusés, reposés, ce qu’ils avaient fait tous les deux… papa avait dit, avec un soupçon de vantardise qui l’avait déconcerté « Ma Lizzie chérie, ton vieux mari fait encore des ravages ! La petite des concierges des Fauquier s’est jetée dans mes bras le jour du départ… et m’a embrassé ! »
Le visage de Maman s’était brièvement figé, comme aspiré de l’intérieur, puis elle avait lentement fini de mâcher le morceau d’une pomme qu’Yvonne avait coupée pour elle. Enfin elle avait fermé les yeux comme pour se préparer à un effort, et souri d’un air calme en demandant :
— Tu parles de la petite Toffee ?
Il se souvient soudaine de la tristesse qui avait tremblé comme des larmes dans le regard qu’elle et Yvonne s’étaient alors échangé.
Thérèse André-Abdelaziz, poète, nouvelliste, romancière et dramaturge, est l’auteure de huit ouvrages dont Je, femme d’immigré. De pièces radiophoniques et théâtrales. La dernière, Aigre-douce-amère, a été créée les 2 et 3 novembre 2018 à Nantes. Son écriture est axée sur la mémoire - des lieux et des gens dont on ne parle pas - la discrimination et l’exclusion.
Résumé :
Heures rebelles. Heures nomades. Heures tendres. L’essence d’une vie.
Chemin d’heures
à l’envers
ne peut se faire
« Poésie consciente, qui donne conscience : conscience poétique (…) D’un mot qui luit, qui vole, ou qui saigne. Sans parler du rythme, qui peut être haletant, comme le cœur de celle ou de celui qui marche, qui parcourt le chemin, qui marche son poème »
Après L’Élitiste (2012) et Loozie Anna (2015), notre collègue Jean-Claude Texier publie un troisième roman : La Confession de Cleve Wood. Confession, puisque le narrateur est, cette fois, un jeune professeur d’anglais d’origine britannique : il raconte, avec la pudeur que lui imposent sa réserve naturelle et son éducation religieuse, comme pour retrouver la paix intérieure, sa rencontre avec Hélène, ses sentiments pour cette jeune femme, pianiste de talent, divorcée et mère d’un adolescent, qui a épousé Karl Erhardt, professeur d’allemand devenu aveugle, de vingt ans son aîné, qu’elle avait aimé lycéenne.
Rencontre due au hasard, comme beaucoup d’évènements, apparemment sans importance, qui peuvent bouleverser une vie, puisqu’il est accueilli chez ce couple, ami de ses parents. « C’est peut-être la seule au monde / Dont le cœur au mien répondrait… » : ces vers de Nerval reviennent à l’esprit du narrateur. Le prénom de « Cleve » n’est pas sans rappeler la Princesse de Clèves, comme le remarque son proviseur. De fait, il y a quelque chose de tragique et de sublime dans cette histoire. Car ce roman décrit un amour impossible et indicible, le conflit entre l’amour et l’amitié : une union fragilisée entre Hélène et son époux, aveugle et beaucoup plus âgé, la passion de Cleve pour Hélène, qui se heurte aux interdits moraux, la passion d’Hélène pour Cleve. Finalement, Cleve retourne en Angleterre, où Hélène lui écrira, disparaîtra, reparaitra… Laissons au lecteur le soin de connaître, dans les dernières pages, le dénouement et le rôle de Frédéric, le fils d’Hélène, dans cette tragédie. Les derniers mots du roman ouvrent le champ des possibles : raconter son bonheur, même illusoire, est la chose la moins intéressante au monde. »
Ce roman, dont le cadre principal est encore le lycée Édith Cavell, est également l’occasion de s’interroger sur la vie enseignante, sur les difficultés entre les systèmes français et anglais, sur la relation pédagogique qui s’installe entre le professeur et ses élèves, la joie de la transmission, les difficultés de la tâche, les doutes qu’on peut éprouver.
C’est enfin une sorte d’adieu de l’auteur aux personnages de sa trilogie, qui lui sont devenus familiers et dont il se sépare avec nostalgie. Confirmation, s’il en était besoin, que la vraie vie et la littérature ont des liens très étroits.
Jean-Michel Léost
Jean-Claude Texier joue deux passages du roman sur YouTube
Christophe Van Staen est chercheur et poète. Auteur de plus de 120 études sur Rousseau et les Lumières, il a publié récemment La Chine au prisme des Lumières françaises (Bruxelles, Académie éditions, 2016), Rousseau et les Lumières (Paris, Honoré Champion, 2016), L’art de la guerre de Sun Tzu (Bruxelles, Lemaître, 2017) et la nouvelle Eddy Merckx, prix Nobel ? (Bruxelles, Lamiroy, 2019).
Synopsis
Un jour, quand cesse enfin le chahut du monde, les yeux se ferment pour de bon sur ce qu’on a omis de raconter, décor discret de la vie, lieux ne servant à aucune géographie, si ce n’est celle de ces bribes si fragiles qui tel jour, telle nuit, s’attachèrent au présent, avant de s’envoler.