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Séverine Baaziz nous dévoile le début de son nouveau roman « L’astronaute ». Parution en septembre 2019 !

Publié le par christine brunet /aloys

J’ai beaucoup hésité avant d’écrire ce qui va suivre. Je ne voulais ni choquer, ni déranger, mais dans l’état où je me trouve, je sais que je n’ai plus le choix. C’est maintenant ou il sera trop tard.

Ce matin, j’ai perdu deux dents. Ma vue se trouble. Bientôt mes doigts se mettront à gonfler. J’espère tenir jusqu’au point final, mais une chose est sûre, je vous livrerai tout de ce que j’ai vécu, sans mensonge ni compromission.

Je me dis que de moi, au moins, il restera ça.

 

Voilà, je me lance.

Tout a commencé dans le bureau de Berthier. Mon responsable. Convoqué au micro, j’ai foulé les marches qui me séparaient de lui, avec nonchalance. Je n’espérais plus rien de mon emploi. Pour tout dire, plus rien de la vie.

Affalé sur le siège à roulette, à une longueur de bras de son visage, j’attendais qu’il ouvre la bouche. Le nez me démangeait, chatouillé qu’il était par l’odeur mi-poivrée mi-mentholée de sa peau fraîchement rasée. Soudain, il a souri. A pleines dents.

Il a encore gardé son regard plongé dans le mien un moment, tout en continuant à sourire et, d’un coup, comme piqué par une guêpe, il s’est redressé, a frappé son bureau plein de paperasse du plat de ses deux énormes mains, avant de prononcer la phrase la plus improbable que la vie m’ait donnée à entendre :

Sacré Michel ! C’est votre jour de chance !

Ma femme venait de me quitter. Je vivais dans un minuscule appartement entièrement peint en vert têtard avec cinq cartons, deux valises et quelques centaines de cloportes.

— Ah ?

SACRE MICHEL ! Vous doutez, je le vois bien, vous doutez ! Attendez de savoir ce que la haute autorité vous offre comme perspective.

J’attendis.

— Michel, arrêtez-moi si je me trompe. Vous n’avez pas d’enfant et vous venez de vous séparer. En d’autres termes : aucune obligation familiale ?

— Non.

— TRES TRES BIEN !

Berthier hurlait comme si j’étais sourd. Ses mots ne s’articulaient pas, ils jaillissaient de sa bouche. Si bien que son haleine fétide en devenait insupportable. Des soufflantes de hareng et de persillade. Je n’avais alors qu’une hâte, c’est que tout cela se finisse au plus vite.

— Les espaces exigus ne vous posent pas problème ?

A choisir, je préférais les grands espaces.

Non.

PARFAIT !

Pitié.

Là, Berthier m’annonça ce qui aurait dû me combler de bonheur. Le Graal dans la profession. J’étais sélectionné, nommé, non, désigné à l’unanimité comme l’homme de la situation. Je décollais le lendemain. Félicitations.

Mais j’y pense, j’ai oublié de vous dire : je m’appelle Michel Bracowski, je suis astronaute.

 

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Extrait du roman : Argam par Gérard Le Goff

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait du roman : Argam par Gérard Le Goff

 

J'étais désormais persuadé que mon intrusion serait bientôt signalée au maître du domaine, osant à peine me demander qui pouvait régner ici. L’hémicycle passé, j'avisai une avenue dallée qui partageait une nouvelle pelouse, délimitée sur son pourtour par des massifs et que dominait encore une ligne de peupliers. Quelques stèles muettes parsemaient les abords de cette voie qui menait sous les murs de la maison de Martha de Hauteville.

Il s'agissait d'un manoir trapu, conçu dans ce goût gothique qu'affectionnent les britanniques. Le corps de bâtiment se présentait flanqué de quatre tours coiffées d’un cône en ardoise. Je localisai celle qui m'apparut endommagée la première fois où je découvris l’extérieur du domaine. Cette tour était dépourvue de toit et sa silhouette écimée s’achevait en crénelures irrégulières. D'imposantes fenêtres à meneaux et des vitraux démesurés trouaient les murs de pierre sombre de la partie principale de l’édifice, que rehaussaient des incrustations de briques rouges. Un imposant palier menait à la porte principale, faite d’un bois massif et sculpté, que surmontait un colossal linteau.

Alors que je détaillais toujours le logis, un couple surgit d'une étroite cavée pratiquée dans un hallier, qui débouchait au pied de la tour ruinée. Ils entretenaient, dans une langue que je ne parvins pas à identifier, un vif dialogue ponctué de rires et d'exclamations. L'homme était affublé d'une somptueuse veste rouge à pans, semée de ramages, d'une culotte et de bas en soie, de souliers à boucles d'argent, d'une perruque poudrée, ornée d'un nœud grenat sur la nuque et d'un tricorne de feutre broché. La femme portait une indescriptible toilette en taffetas vieux rose, que moirait la lumière pourtant faible, tandis que ses cheveux, d'évidence artificiels, tant par leur arrangement qu'en raison de leur couleur argentée, évoquaient une sorte de tiare cerclée de perles sans doute véritables. Un loup de satin noir dissimulait leurs traits, que je devinai cependant défaits et hachurés d'ombre. Ces êtres fantomatiques ne daignèrent pas se rendre compte de ma présence. Par contre, tout occupé à les observer pénétrer dans le manoir, je ne vis ni n'entendis s'approcher derrière moi un nouvel arrivant. Celui-ci m'aborda en ces termes :

— Le temps est le remède souverain.

Tout en me demandant à quel mal il faisait ainsi allusion, je fis face à cet intervenant si discret, et découvris alors l'une des créatures les plus extravagantes qu'il m'ait été donné de rencontrer dans mon existence. Malgré son manteau noir à la coupe stricte et en dépit de sa voix toujours plaintive, comme déformée par l'abus des trémolos, l'homme-caniche me fit plus d'une fois sourire. Ne constituait-il pas un irrésistible composé de pathétique et de grotesque avec cette face un peu écrasée, envahie de poils bouclés et soyeux, parmi lesquels luisaient des yeux en permanence humides au-dessus d'un nez qui prit l'apparence d'une pelote de cuir ?

— Même la plus profonde des peines, l'humiliation la plus insensée, la blessure cruelle, l'amour véritable, rien ne résiste à son salutaire travail d'usure.

— Où sommes-nous ? ai-je alors osé demander.

— Qui sommes-nous ? se permit-il de répondre, avant de se fendre d'un étonnant sourire.

J'aurais pu m'inquiéter, il est vrai, de la qualité de ce sourire.

L'être que j'avais surnommé l'homme-caniche ne paraissait plus vouloir me quitter. Volubile, il s'exprimait dans un français correct mais usait de phrases tronquées. Sans doute me supposait-il assez subtil pour combler les lacunes de son discours.

— Voyez-vous, j'ai trop souffert de l'immonde pitié des uns comme de la méprisable moquerie des autres. Vous ne trouverez personne qui ait pu, comme moi-même, ressentir jusqu'au tréfonds la terrible déchirure occasionnée par le rire d'une femme. L'écuyère! La ballerine!... Oh! Si forte cependant... Ce fut au cours d'une nuit sans lune que la foudre embrasa les écuries. Sans une hésitation, elle pénétra la fournaise afin de délivrer les bêtes entravées. Il ne convient pas de l'en blâmer. Ni de la plaindre. Elle n'aura connu que leur amitié crédule. Il fallait la voir rayonner lorsqu'elle recevait dans ses paumes tendues l'offrande de leur souffle...

Je n'ai pas souhaité l'interrompre. J'appris ainsi son histoire. Sans doute agréa-t-il ma compagnie puisqu'il se proposa comme guide pour une visite du manoir. Je lui ai aussitôt demandé d'où provenait la musique que l'on entendait parfois. Il grimaça un sourire. Ce rictus indéchiffrable le dispensa plus d'une fois de répondre à mes questions.

Une fois le palier gravi et l’impressionnante porte d’entrée franchie, nous entrâmes dans une salle si vaste que le bâtiment tout entier ne pouvait l'abriter. Ces distorsions de l'espace ne me surprenaient déjà plus. Je subodorais aussi que la temporalité, en ces lieux, n'obéissait pas aux mêmes lois que celles de notre univers supposé réel. En effet, après ma descente de l'escalier de bois pourri, j'avais pris la peine de consulter ma montre. Une demi-heure s'était écoulée depuis que la grille du domaine s'était refermée derrière moi alors que je pensais avoir déjà dilapidé plus du triple de cette durée au cours de mes pérégrinations.

La décoration de la pièce hors normes où nous nous trouvions ne ressemblait à rien de ce qui pouvait se pratiquer d'ordinaire. Du lointain plafond à caissons tombaient des lustres inouïs, sortes de dragons de métal vomissant des volutes de cristal, que retenaient des chaînes ouvragées. Les murs, tendus de tissu pourpre, semblaient zébrés, à intervalle régulier, par les flammes dorées d'appliques baroques. D'immenses tableaux proposaient des visions récurrentes d’incendies, plus extravagantes les unes que les autres. D'épaisses tentures, couleur de cendre, drapaient les embrasures. Le plancher semblait fait d'onyx tant le noir qui teignait son bois étincelait. Les abondantes sources lumineuses de ce lieu ne diffusaient pourtant qu'une clarté douteuse, comparable aux reflets estompés d'un crépuscule hâtif d'automne, si bien que l'on devinait à peine, dans les encoignures envahies par la pénombre, de lourds meubles ciselés, dont la ténébreuse apparence évoquait celle d'épaves à demi consumées. Au beau milieu de ce salon démentiel, sur une estrade, les musiciens en frac d'un quatuor à cordes demeuraient figés dans la posture attendue qu'exigeait la pratique de leur instrument respectif, victimes d'on ne savait quel enchantement.

— Ils interprètent le silence, commenta l'homme-caniche avec sobriété.

Il me conduisit ensuite devant un haut miroir, monté sur un châssis à pivots et serti dans un cadre orné de motifs compliqués, à la manière d'une monstrueuse psyché. Cet objet encombrant me parut occuper un emplacement incongru. Il trônait en effet devant une série de sièges disposés à dessein en arc de cercle à l'entrée d'une galerie débouchant dans la pièce principale, que nous venions de traverser. Une lumière rougeâtre, que versait un vitrail haut perché, évoquait une flaque irrégulière s'étalant devant cet arrangement inattendu. Néanmoins, je n'ai manifesté aucune surprise. Même lorsque mon guide liquéfia le verre du miroir d'un seul geste obscène.

— Si vous voulez bien me suivre...

Comment avions nous pu pénétrer sans transition dans cette chambre nue, au plancher circulaire et sans aucune issue ? Il ne m'en souvient guère. Là, gisaient les pires anomalies humaines qui se pussent concevoir, affalées à même le sol. Malgré moi, je fus parcouru par un long frisson de dégoût et d'effroi.

Tous insistèrent pour me raconter leur histoire. Je pourrais désormais vous révéler les pensées secrètes qui tourmentent la femme-serpent, dont le corps est recouvert d'ignobles squames. Je pourrais vous donner une idée du sens de l'humour démoniaque de l'homme-à-deux-têtes, qui porte sur le front, telle une bosse, la figure avortée d'un improbable jumeau. Je pourrais encore passer en revue les pitoyables délires des siamois, ou énoncer quelques-uns des innombrables syllogismes que ressasse avec délectation l'homme-caoutchouc, las de se planter des clous dans la poitrine. Je pourrais aussi relater l'amour impossible du cyclope pour la fille-de-verre et comment il la brisa dès leur première étreinte. Je pourrais vanter la patience de la naine à barbe qui endura tant de quolibets, la sagesse de l'homme-pierre qui apprécie chaque instant de l'existence malgré la calcification qui le gagne, l'altruisme de la momie qui perd régulièrement un peu de sa chair pourrie et plaint les autres, la roublardise de l'hermaphrodite peu avare de mignardises, la vaine déférence de l'hydrocéphale se déclinant en couinements apeurés. Je pourrais évoquer enfin les chagrins de l'homme-le-plus-gros-du-monde, en qui je crus voir une larve géante tant sa masse blanchâtre m'apparut composée d'anneaux considérables, gainés d'une peau distendue et translucide, entés de membres grêles et d'une tête réduite. Je les ai tous écoutés avec respect, malgré le sentiment de répulsion qu'ils m'inspiraient. Jamais ils ne manifestèrent à mon égard une quelconque hostilité.

Publié dans Textes

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"Transparente", un texte signé Carine-Laure Desguin publié dans la revue Aura 96

Publié le par christine brunet /aloys

Transparente


 


 

Le flic qui m’a reçue ce matin-là avait une tronche de déterré, un teint grisâtre, des yeux cernés et une barbe d’au moins trois jours. Sur le bureau derrière lui, des tas de dossiers ouverts, des photos qui s’éparpillaient, des visages d’hommes et de femmes, d’enfants aussi. On pouvait s’attendre à des photos de cadavres déchiquetés comme dans les feuilletons policiers mais non, ce n’est pas ça que j’entrevoyais et sur les murs, rien n’était épinglé, aucune photo, pas de noms avec des flèches qui partaient dans tous les sens. Je n’osais trop attarder mon regard sur tout ça mais c’était plus fort que moi, je n’arrivais pas à décrocher. Et puis l’air naze de ce type n’a pas captivé mon attention dès le départ, il avait un tel air absent, une partie de lui était dans ses enquêtes en cours, j’ai supposé. Parce qu’il se sentait comme obligé de s’occuper de moi, il m’a demandé ce qui m’amenait là, mon collègue m’a dit que ce n’était pas vraiment une plainte, n’est-ce pas madame…, madame Blaise, c’est bien ça ?

Oui, Blaise, c’est bien mon nom, en effet. Bien que je ne sois pas ici pour déposer une plainte je ne dois pas non plus vous faire part de félicitations ou de remerciements.

Le flic referma alors un dossier, une farde bleue qui était sur le bureau qui nous séparait, lui et moi. Il se retourna, prit conscience de tout ce foutoir sur le bureau derrière lui mais, après avoir rivé son regard au mien, il se retint de refermer toutes ses fardes grandes ouvertes. Sans doute m’avait-il jugée, j’avais l’air d’une innocente ou celui d’une femme trop bête, ou pas assez curieuse, voilà tout. Ou pire encore, une femme qui avait patienté pendant deux heures assise sur une chaise bancale dans un couloir plongé dans une pénombre perpétuelle et exempt de toute chaleur humaine, ça supportait pas mal de choses. Alors une telle femme n’avait pas la capacité d’établir des liens entre une telle photo et une autre, et surtout de relier tout ça à cette affaire dont tous les habitants de Mons parlaient en ce moment, « l’affaire des suicidés ».

Alors madame Blaise, je vous écoute.

Tout en disant ces trois mots, je vous écoute, il a sorti d’un tiroir une feuille blanche format A4, et il a pris un stylo. Il a écrit madame Blaise en haut à gauche et il a relevé la tête, tout en plongeant son regard vers le mien pour la toute première fois. Car depuis que j’étais entrée dans son local après avoir été annoncée sur un ton presque ironique par un de ses collègues, il ne m’avait pas regardée, ça je me le rappelle très bien. Alors madame Blaise, je vous écoute. J’ai essayé de rassembler mes esprits afin que mes propos soient énoncés le plus clairement possible mais tout ça, ce manque d’égard envers moi, cet entretien qui était pris à la légère, tout ça, ça faisait comme une grosse pelote de laine piquée de trente-six mille aiguilles, et ça me lacérait jusqu’au plus profond de moi.

Madame Blaise ? Cet homme, le meurtrier de mon mari, j’ai crû le voir rôder autour de la maison, j’ai dit en laissant un blanc de plusieurs secondes entre chaque proposition. Madame Blaise, vous dites : j’ai crû. Vous n’êtes donc pas certaine ? C’était le soir, la nuit, très tôt le matin ? Êtes-vous seule à l’avoir vu ? Réfléchissez bien, madame Blaise, car vos accusations peuvent peser très lourd…Pourquoi ne pas l’avoir pris en photo puisque vous, vous étiez chez vous, n’est-ce pas ? Soyez plus précise, madame Blaise, s’il vous plaît, madame Blaise …Ce n’était pas la première fois que je venais me plaindre d’avoir vu le meurtrier de mon mari et je me doutais que je n’étais pas prise au sérieux. Ne puis-je donc pas bénéficier d’une surveillance ? Les patrouilles de police ne pourraient pas s’attarder devant chez moi ? C’est vers la tombée de la nuit que j’aperçois ce type. Il me semble qu’il descend d’un bus avant de marcher jusque ma maison, les horaires correspondent. Il s’appuie contre le mur d’en face, allume une cigarette et reste comme ça pendant plusieurs minutes, le temps d’en fumer une, je suppose. Tout correspond, la taille de cet homme, son allure, sa démarche lorsqu’il retourne en direction de l’arrêt du bus, tout je vous dis, tout correspond. Même le chapeau. Car cela doit être noté dans le dossier, il portait un chapeau, le soir où mon mari fut retrouvé lâchement assassiné dans le garage, au moment où il sortait de sa voiture. J’ai peur vous comprenez, j’ai peur. Le mobile du crime n’a jamais été découvert, mon mari était un homme sans histoire, d’après moi. Alors je ne comprends pas pourquoi cet individu s’obstine.

Madame Blaise, cela fait plus de dix ans que votre mari a été assassiné, l’affaire est classée, vous comprenez ? Pourquoi voudriez-vous qu’un meurtrier revienne chaque mois et ce pendant dix ans sur les lieux du crime ? Afin de se faire intercepter par la police ? Des collègues sont restés devant chez vous des soirées entières et jamais ils n’ont vu un type répondant au signalement que vous nous donnez, jamais, madame Blaise, jamais. Alors je lui ai répondu que c’était normal, qu’une voiture de police garée devant chez moi attirait l’attention et que le meurtrier ne descendait pas du bus lorsqu’il voyait un tel véhicule. Le téléphone a sonné au moment où j’allais donner d’autres renseignements et le flic a commencé une conversation avec son interlocuteur. Non, il n’en avait plus pour longtemps au bureau. Oui, il serait sur la place du Parc dans une trentaine de minutes, on pouvait donc lui réserver une place au café de La Fontaine, il n’attendait que ça, se détendre enfin et oublier le boulot, il en avait bien besoin. Il voulait à tout prix oublier toutes ces conneries qu’on venait lui raconter et qu’il était obligé de noter et de répertorier, et que tout cela, c’était pire que le Mundaneum, tous ces dossiers qui s’entassaient. Il a même ajouté qu’il espérait que les ravioli soient aussi bien épicés que la semaine dernière, c’était si rare des ravioli cuisinés à la façon de sa nonna, elle épiçait tellement bien la farce des ravioli, sa nonna, ni trop, ni trop peu.

J’avais donc attendu plus d’une heure dans un couloir qui ressemblait à un hall de gare, avec des gens qui passaient et repassaient avec une telle indifférence que j’avais l’impression d’être transparente et j’étais ici dans ce bureau, face à un flic qui se foutait pas mal de ce que j’avais vu, qui n’en n’avait rien à cirer de mes craintes. Non, ce qu’il espérait, c’était que les ravioli du café de La Fontaine soient aussi bien épicés que ceux de sa nonna. Un de ses collègues pénétra dans le local sans même frapper, il avait l’air contrarié. Il dit qu’il y avait une réunion importante au local 212 et que le boss l’attendait. Il a lu d’un air dépité « ko » sur le postit affiché sur la machine à café et il est sorti. Allez madame Blaise, ne vous tracassez pas, il se fatiguera vite, ce bonhomme. Voilà ce que le flic me dit tout en chiffonnant la feuille A4 sur laquelle il avait noté mon nom en haut à gauche, madame Blaise.

Tout en se levant, il jeta la feuille dans la poubelle et s’excusa, on l’attendait au local 212. Une réunion importante. Mais je ne vous apprends rien, vous avez entendu ce que vient de me dire mon collègue, n’est-ce pas madame Blaise ? Je n’ai pas répondu, je n’ai rien dit, même pas un au revoir ou quelque chose comme ça.

 

Carine-Laure Desguin

 

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« Le petit recueil de nouvelles grises » signé Noémie Lariven Franceschi 

Publié le par christine brunet /aloys

« Le petit recueil de nouvelles grises » Noémie Lariven Franceschi 

Présentation de l’auteur : Je m’appelle Noémie, je suis née en 1988 et je vis sur l’île de beauté en Corse. Anciennement vendeuse de livres, je suis une serial lectrice,  passionnée de thrillers et de livres d’épouvante. Mes références sont Karine Giebel, Jacques Expert, Cédric Sire et Stephen King. En février 2018 a germé dans mon esprit une mini nouvelle et les 44 autres ont suivi très naturellement. C’est lorsque ma boutique a fermé que l’idée de publier ce petit recueil m’est venue. Ce sont mes premiers écrits mais ce ne seront pas les derniers. 

 

 

Présentation du livre: Il s’agit d’un recueil de courtes nouvelles dans un esprit plutôt sombre, c’est pourquoi je les ai nommées « les nouvelles grises ».  Elles sont toutes très différentes. J’ai tenté d’en faire suinter de l’émotion et de la surprise. J’ai pris beaucoup de plaisir à les écrire et j’espère de tout mon cœur que vous aurez le même plaisir à les lire. 

 

 

Résumé du livre: A tous ceux qui n'ont pas le temps de lire, à ceux qui s'endorment dès le deuxième chapitre, à ceux qui ont la flemme de commencer un pavé de sept cents pages, mais qui ont envie d'une dose de frisson, je vous présente ce petit recueil de nouvelles grises mais désaltérantes.

 

Vous y trouverez des personnages très différents à chaque page, des situations du quotidien qui basculent dans l'horreur en un clin d'oeil, des histoires courtes et sombres qui vous feront relativiser quant à vos petits soucis. Je vous souhaite une bonne lecture et de jolis rêves.

 

 

Extrait du livre: "Vous direz que je suis cinglé, dangereux, fou, un monstre. Oui vous devez avoir raison. Depuis que je suis enfant, je suis fasciné et même en admiration face à la douleur, j'aime faire souffrir, faire saigner. Infliger la douleur... Petit, c'était les animaux, Dieu seul sait combien j'en ai écorché. Plus tard, à l'adolescence, dès que j'en avais l'occasion, c'était ma petite sœur... »

Publié dans présentations

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"J'ai peur de vos sourires moqueurs…", une nouvelle signée Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

J'ai peur de vos sourires moqueurs…


 

J'ai peur de vous raconter cette histoire… On va encore dire que je l'ai inventée et pourtant c'est la vérité !

Il y a quelques années, lorsque j'étais petit, j'ai rencontré des Martiens! Vous voyez, vous commencez déjà à sourire. J'en ai marre de ces gens qui ne me croient pas !

L'après-midi du 24 décembre 1900 et quelques, je regardais par la fenêtre pendant que ma mère faisait des bouquettes. Eh voilà, on sourit encore, on ne connaît pas un mot typiquement liégeois et on rit bêtement !

La bouquette est un genre de crêpe à la farine de sarrasin agrémentée de raisins de Corinthe macérés dans le genièvre. Il neigeait doucement et la maison embaumait. On avait fait les courses la semaine précédente et le cuissot de sanglier attendait sagement au réfrigérateur. Maman avait trouvé une recette de sanglier au chocolat à préparer pour le réveillon. Encore ces sourires moqueurs ! Oui, ça existe une recette de sanglier au chocolat !

Depuis la veille, la viande marinait… Le foie gras était déjà coupé en belles tranches et Papa avait ouvert une bouteille de ce vin fabriqué à base de grains de raisins pourris. Je vois que vous vous marrez mais il existe vraiment, ce vin, le Sauternes ! Attendez d'en avoir goûté avant de critiquer !

Je crois que je vais m'arrêter de vous raconter cette histoire, j'avais bien raison d'avoir peur de la commencer. Vous ne croyez pas des choses vraies, alors comment voulez-vous croire à mon histoire de Martiens ?


 


 

Louis Delville

Publié dans Nouvelle

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"Elle et lui", une nouvelle signée Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

Elle et lui


 

Quand il parle de Catherine, il dit qu'elle est partie. Il ne prononce jamais les mots décédée ou morte. Deux ans après sa disparition accidentelle, cela lui fait tellement mal, qu'il préfère tricher. Il prolonge la présence de Catherine par des moyens tout simples et ordinaires. C'est la seule stratégie qui atténue un peu sa souffrance.

Chaque jour, il se parfume avec "Soleil bleu", son eau de toilette. Chaque jour, il porte un des foulards qu'elle aimait pour aller se coucher. Chaque jour, il cuisine les petits plats qu'elle appréciait le plus. Il fixe ses choix en fonction des goûts de Catherine. C'est elle qui dirige toujours sa vie.

Après son travail, quand la météo est plus ou moins clémente, il va sur la Grand-Place, s'assied à la terrasse du "Bar des amis", commande un vin blanc sec qu'il se propose de boire lentement et aussi un café serré parce que Catherine adorait les cafés serrés. Il refuse de changer des habitudes solidement ancrées.

Il reste longtemps là, il ferme les yeux, il prend dans sa poche un mouchoir blanc brodé de roses pourpres légèrement parfumé. Il a l'impression que Catherine est là près de lui, tellement proche. Il ne veut rien brusquer. Il attend qu'elle prenne les devants et dise quelque chose.

D'une élégance sobre, il porte invariablement, un costume bleu foncé ou gris, une chemise blanche ou beige et une cravate rouge unie. Catherine aimait qu'il s'habille ainsi. Il ignore les autres clients. Il ignore les badauds.

Il sent qu'elle est près de lui. Il perçoit son odeur. Il entend le bruit qu'elle fait en tournant sa cuillère dans la tasse. Il l'entend respirer. Derrière ses paupières closes, un grand sourire se dessine sur le visage de Catherine. Comme toujours elle a mis son rouge à lèvres vermillon. Elle porte la petite robe blanche à fleurs multicolores qu'elle aimait tant et la courte veste assortie. Elle est à ses côtés, elle a sa main droite posée sur son bras. Séductrice comme aux premiers jours, elle chantonne "la vie en rose". Il reste immobile, admiratif.

Leurs âmes se rejoignent ainsi comme chaque fois qu'elle chante. La force de Catherine passe en lui. Il a tous ses sens en éveil. Il n'est plus que frissons. Il a vingt-cinq ans l'âge auquel ils se sont rencontrés dans ce bar. C'est là qu'il vit à présent les moments les plus magiques de sa vie.

Chaque fois c'est un événement différent qui l'amène à regagner son appartement. L'autre jour il a entendu : "Désolé, Isabelle je dois te quitter, j'ai une course à faire pour maman. On se revoit demain ?". Le samedi précédent, c'était : "Jacques, il est temps de rentrer chez nous." Il a ouvert les yeux, c'était une femme âgée et très maquillée qui parlait ainsi à son mari. Il s'est alors décidé à prendre lui aussi la route du retour.

En cas de pluie ou de vent, il est déjà allé s'asseoir à l'intérieur du bar. Mais il est terriblement déçu car la magie n'opère pas. Il a beau sortir de sa poche le mouchoir blanc brodé de roses pourpres, il a beau fermer les yeux et avoir commandé vin blanc sec et café serré, rien d'extraordinaire ne se passe. Ce ne sont qu'effluves de café, de bière et de chocolat. Ce ne sont que présences bruyantes et banales.

Il s'est assis un samedi en terrasse alors que le temps était ensoleillé. Il a suffi d'une averse soudaine pour que tout bascule et que la présence de Catherine ne soit plus perceptible.

Certains jours sont, semble-t-il, maudits : il n'y a pas de place libre en terrasse. Il fait alors de nombreux allers-retours entre le parc communal et le bar sans qu'aucune table ne se libère. Le destin lui refuse l'enchantement auquel il aspire.

Heureusement, soir après soir, rentré chez lui, dans la salle de bains il retrouve le parfum de Catherine. Le plus souvent, quand il se regarde dans le miroir après s'être brossé les dents, il aperçoit de légères traces de rouge à lèvres vermillon sur sa joue. Avant de se mettre au lit, il tente de les effacer. En vain.

Cette après-midi-là, assis à la terrasse du "Bar des amis", il boit petite gorgée par petite gorgée son verre de vin blanc. Trois heures sonnent. Il lève la tête. Il la voit s'avancer. Elle marche nonchalamment. Elle s'assied près de lui, elle boit le café serré. Elle dit:"Fais-moi confiance. Nous nous retrouverons." Rêve ou illusion, il ne pourrait le dire !

Le soir même, allongé sur son lit, il y a comme un faible rayon de lumière venant de la fenêtre. Il se relève pour rapprocher les deux pans de la tenture. C'est ainsi qu'il l'aperçoit sur le trottoir de l'immeuble d'en face. Elle lui fait signe de la main et traverse la rue.

Un peu plus tard, alors qu'il est de nouveau étendu sur son lit, il entend des glissements de pas. Il s'imagine que ce bruit provient du studio voisin. L'immeuble n'est-il pas mal insonorisé et Monsieur Jonnart n'a-t-il pas lui aussi l'habitude de laisser la fenêtre un peu entrouverte ? Il s'assoupit. Il est tout à coup réveillé par une bouffée d'air frais. Il se redresse. Catherine est face à lui, immobile, entre les deux panneaux du rideau. Elle le regarde, le dévisage. Il n'entend pas un son mais les idées affleurent en lui comme si elle venait de les lui souffler. Des idées qui ne sont pas ses idées à lui mais ses idées à elle. Elle lui conseille de faire ce qu'ils envisageaient de faire ensemble, de continuer à écrire leur histoire, de s'installer dans le quartier du parc, de visiter Venise, de reprendre les cours de tango.

Les pensées se multiplient, elles le guident, le ramènent vers un chemin paisible. Elles viennent du passé, elles envahissent son présent. Il comprend qu'il n'est pas qu'un être de chair, qu'il n'y a pas que des paroles audibles qui l'interpellent, que les silences ne sont qu'apparents car ils portent des messages venus de l'au-delà. Le temps s'écoule, il s'endort. Sa réalité de dormeur oscille ainsi entre conscience et illusion, vie et rêve.

De nouveaux jours commencent pour lui. Catherine est dans sa mémoire, mais elle surtout à ses côtés le soir dans l'étroite ouverture laissée entre les tentures de sa chambre. Là dans la pénombre, il prend conscience qu'il n'a plus vraiment besoin de recourir à son parfum, ni de déguster invariablement les petits plats qu'elle appréciait le plus.

Au cabinet d'assurance où il travaille. C'est par touche légère que l'on évoque parfois Catherine. À quoi bon berner ses collègues en taisant sa peine ? D'ailleurs ses collègues ne penseraient-ils pas qu'il est devenu fou s'il faisait abstraction de leurs propos ? Maladroitement, il ose donc prononcer les mots décès et deuil. Il se parfume moins souvent d'une touche de "Soleil bleu". Il fréquente de temps à autre, moins régulièrement qu'autrefois, la terrasse du "Bar des amis". Quand il s'y rend, il commande cependant toujours un vin blanc sec et un café serré.

Il attend le rendez-vous du soir sans réelle impatience parce qu'il fait confiance à Catherine. Il y a un ange chez lui. C'est un ange bienveillant qu'il retrouve à l'heure du coucher, qui reprend ses marques dans un lieu où ils ont vécu ensemble, qui lui insuffle des forces et des pensées neuves, qui ne le juge pas, qui allège sa souffrance, qui lui dit et redit qu'il faut saisir les opportunités offertes ici et maintenant. Cet ange et lui ne reviendront jamais en arrière, mais continuent d'avancer. Chaque soir le miracle survient. Elle glisse discrètement, se faufile derrière la draperie. Elle fait surgir des mots, elle souffle des idées. Elle ne s'efface que lorsqu'il s'assoupit.

Il lui arrive d'évoquer quelquefois ce qui s'est passé des années plus tôt, l'horrible accident qui l'avait séparé de son grand amour.

Un matin d'été en entrant au cabinet d'assurance, il la voit dans la salle d'attente. Elle est plus petite que Catherine mais elle a le même sourire, les mêmes cheveux bouclés. Il devine que c'est la nouvelle intérimaire dont on avait annoncé la prochaine entrée en fonction à la dernière réunion. Il marche vers elle pour se présenter. Il lit sur son visage une sorte de surprise.

Elle lui dit : "Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés lors d'une formation… Je m'appelle Catherine-Marie." "Oui, je m'en souviens…", répond-il. Il ne lui avoue pas que le souvenir ne lui venu qu'au bout d'un bon moment.

En ce début d'automne, depuis quelques semaines, il leur arrive de se fondre parmi les clients à la terrasse du "Bar des amis". Pour lui, ce sera un café serré et pour elle un vin blanc sec.


 

Micheline Boland

 

Publié dans Nouvelle

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Un nouvel extrait du roman de Didier Veziano "Opération Taranis"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Bobigny - Seine-Saint-Denis.

Les allées du cimetière musulman perdu dans une zone industrielle au nord-est de Paris sentaient l’oubli, loin de l’esprit du projet politique qui prévoyait, au lendemain de la Première Guerre mondiale, de rendre hommage aux huit cent mille hommes de l'Empire colonial, soldats ou ouvriers dans les usines d'armement. Toutes les tombes étaient tournées vers La Mecque, les plus anciennes sobrement frappées du croissant et de l’étoile, les plus récentes se distinguant par une décoration plus riche. Dans le fond, les tours des cités restaient en retrait. Respectueuses. Yousef, comme c’était prévisible, était arrivé le premier. Il aperçut Saïd franchir le haut porche d’inspiration mauresque, au moment où une famille prenait le chemin inverse. Les deux hommes se donnèrent l’accolade, passèrent devant la salle de prière, un carré blanc surmonté d’un dôme, puis traversèrent un vaste espace vert parsemé de stèles anciennes identiques. Beaucoup semblaient abandonnées.

Tout en marchant, Yousef sortit une cigarette, la garda quelques instants en main avant de l’allumer, puis balaya le cimetière du regard en profondeur. À la suite de son entretien avec Abou Hamzra ils avaient décidé qu’il était temps d’intégrer Saïd au projet. Ce moment était important. Une fois dans la confidence il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Or l’être humain avait une propension naturelle à craindre le passage de l’imaginaire au réel. Tout le monde pouvait élaborer des projets, pour lui et les siens, très peu étaient capables de franchir le pas. Yousef s’adressa à Saïd sans préambule.

— Saïd, mon frère, Je crois en toi. Je vais juste te poser une question et je te demande de me répondre avec toute ta foi : jusqu’où es-tu prêt à aller pour la cause ?

Pour Saïd cela ne semblait faire aucun doute.

— Jusqu’où Allah le miséricordieux le voudra, mon frère. Le djihad, le vrai, le pur, n’a pas de limites. Il doit être mené sur toutes les terres souillées par les infidèles. Et tant que je serai en vie, je me battrai. Jusqu’à la dernière goutte de sang s’il le faut, Inch’Allah !

Yousef le devina sincère. Il secoua la tête plusieurs fois et sentant que Saïd attendait une suite, il enchaîna.

— Le monde musulman a mené de grands combats dans l’Histoire pour porter la parole du prophète – Allah le bénisse et le protège ! – mais aujourd’hui, des régimes de mécréants résistent et cherchent à nous humilier pour assouvir leurs déviances et leurs pensées impies en infligeant des souffrances à notre peuple. Cette situation doit cesser. Il n’y a plus de dialogue possible. L’islam ne peut se confondre avec l’athéisme, il ne signera aucune trêve avec lui. Finis les débats et la diplomatie. Ces régimes athées ne comprennent que le langage des balles et de la destruction.

Était-ce l’influence du lieu ? Yousef, dont les discours avaient d’ordinaire une portée plus politique, brûlait d’une ferveur religieuse inhabituelle. Ses yeux brillaient. Il parlait, les mains levées en direction du Ciel quand il entendit Saïd réciter le Coran comme pour mieux appuyer ses propos.

— « Préparez contre eux ce que vous pouvez réunir d’armement et de chevaux en alerte, pour épouvanter l’ennemi d’Allah, le vôtre, et outre ceux-là, d’autres que vous ne connaissez point, mais qu’Allah connaît ».

Ils passèrent une dizaine de minutes à errer dans les allées, faisant ressurgir du fond des siècles les versets les plus belliqueux. Transposés au temps présent, les mots lourds de sens résonnaient comme le roulement des secousses précédant un tremblement de terre. Saïd revint brutalement à la réalité.

— Je suis impatient de savoir quelle est la mission que tu souhaites me confier.

 

Publié dans Textes

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"Hôtel continental", une nouvelle signée Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

Hôtel continental


 

Hôtel continental. 120 chambres au centre-ville, à deux pas de la cathédrale, du théâtre des variétés, de l'hôtel de ville, de brasseries sympa, pas loin du parc.

Café-restaurant de l'hôtel Continental. Des murs jaune soleil, des chaises en cuir noir, des tables en bois rustique. Une fresque colorée derrière le bar.

Salle de séminaire de l'hôtel Continental. Des murs jaune doré. Des meubles de rangement bruns, des tables et des chaises brunes, faciles à déplacer. Un éclairage doux.

Mathieu 38 ans quitte la salle de séminaire. La formation à la communication gagnant-gagnant est terminée. Elle lui a laissé des idées plein la tête, l'a confirmé dans ses certitudes. Il en est convaincu : il maîtrise de mieux en mieux les rapports avec les fournisseurs, la clientèle, les collaborateurs. La vie lui sourit. Il va prendre une bière légère avant de remettre de l'ordre dans ses notes puis d'aller à la recherche d'un restaurant. Demain, de bonne heure, il reprendra l'avion vers Paris.

Bénédicte, 27 ans, boit un café dans le bar de l'hôtel. Elle aussi vient de suivre cette même formation. Elle fourmille de doutes. A-t-elle vocation de manipuler les autres ? Veut-elle de la vie qui se profile pour elle ?

Mathieu entre dans la taverne, il se dirige vers Bénédicte :

"Je peux m'installer près de toi ?

- Pas de souci.

- Alors contente de ces deux jours ?

- Bof !

-Bof ?

- Oui bof ! S'accorder aux autres pour les emmener sur notre territoire, c'est manipuler. Comment dire ça autrement ? Je viens d'entrer dans le monde du travail. J'ai papillonné un peu avant d'être engagée chez ALMW et je me demande si je ne serais pas davantage à ma place dans l'enseignement ou dans le culturel. Mes parents me le conseillaient, mais je n'aime pas suivre les idées des autres. On m'a trop guidée quand j'étais gosse et j'ai trop laissé faire."

Bénédicte s'épanche. C'est la première fois qu'elle se vide ainsi de ses préoccupations. Mathieu adopte les mêmes postures qu'elle.

"La fourchette d'argent", bistrot gourmand à une centaine de mètre de l'hôtel Continental. Des murs peints en blanc, de grandes toiles abstraites dans les tons rouges, des chaises garnies de rouge. Des spots à la lumière chaude.

Bénédicte et Mathieu sont assis face à face. Bénédicte parle. Mathieu l'écoute. Elle lui paraît fragile, si fragile. Mathieu scout toujours prêt, marié depuis quatorze ans avec Vanessa, une fille rencontrée sur les bancs du lycée, père de jumeaux de 12 ans. Bénédicte, femme enfant, irresponsable, indécise. Mathieu pressent qu'elle peut devenir sa BA du jour. Auteur d'un verre de Beaujolais village, d'un thé, d'un café, devant un steak tartare ou un petit gâteau, Mathieu est toujours prêt. Ses études l'ont conduit des sciences économiques vers la psychologie et le management. Bénédicte critique, remet en question l'attitude de ses parents, ses profs, son directeur, ses collègues, son amoureux, mais pas son propre comportement. Elle a l'impression d'être incomprise, bafouée. Mathieu écoute, écoute encore. Il reformule. Bénédicte pleure. Mathieu accueille ce mal-être. Il s'y connaît pour consoler, booster, aider à trouver sa route, recadrer tout en douceur.

Quand ils ont rejoint l'hôtel Continental, Bénédicte quitte Mathieu en lui adressant un sourire. Elle dit adieu.

Le lendemain chambre 225 de l'hôtel Continental, la femme de ménage découvre le corps de Bénédicte inerte sur le lit. Il n'y a plus rien à faire pour la sauver. Elle a avalé une boîte entière de barbiturique.

Le lendemain, place D4 de l'avion Genève-Paris. Cabine beige, sièges garnis de velours vert. Mathieu tente de consoler son voisin du décès de son père. Il l'a entendu sangloter, il a juste demandé : "Je peux vous aider ?" et l'homme qui semble avoir dépassé la cinquantaine lui a expliqué que son père est décédé, qu'il rentre à Paris pour assister aux funérailles. L'homme s'est épanché. Il a dit les malentendus, l'éloignement, les problèmes d'argent, les disputes pour des broutilles.

Il est ainsi Mathieu, il s'intéresse aux gens. Scout toujours prêt. Parfois il se rend utile, parfois il rate le coche et l'ignore. L'ignorance peut avoir du bon…


 


 


 

Micheline Boland

Publié dans Nouvelle

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Edmée de Xhavée a lu « Suicide dans l’après-midi » d’Anne Renault

Publié le par christine brunet /aloys

 

J’ai lu « Suicide dans l’après-midi » d’Anne Renault – Edmée De Xhavée


 

Le charme doucereux de la mort

Une écriture au charme un peu hypnotique, au parfum entêtant. Les vacillements de l’âme humaine y sont nombreux et exposés peu à peu, comme on libérerait une splendide pierre luisante – mais noire – d’un fouillis de papiers de soie multicolores. La mort est voluptueuse, son charme est puissant, ses sortilèges souverains. Dans ces nouvelles si bien écrites elle se donne, se cherche, se reçoit, se souhaite ou s’imagine dans un lent mais implacable cheminement intérieur.

La mort est aussi, toujours, dans l’ombre de la vie, de l’appel des sens, d’un grand appétit de plaisirs et d’émotions. Rien de sinistre dans ces nouvelles, mais l’arôme singulier d’une solitude qui crie et veut se réfugier dans l’inexistence. 

Les ambiances sont décrites avec la touche d’un Gustave Flaubert. Et le tumulte intérieur des personnages roule comme le tonnerre, explosant en sensualité parfois, ou en jalousie frôlant le désir de crime sans toujours s’y abandonner. L’intensité des émotions surprend, d’autant que bien des acteurs de ces nouvelles sont des gens comme les autres, semble-t-il. Comme nous. Et nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si nous aussi… dans une telle situation de vie, nous … 

Je ne désire pas user le plaisir de la découverte en abordant nouvelle par nouvelle et expliquant sa singularité. Toutes sont excellentes et aspirent le lecteur dès les premières lignes vers le dénouement, avec l’attrait d’un voyage dans l’interdit. Mais quelques phrases vous donneront un aperçu de la plume d’Anne Renault :

« Ce qu’il contemple, c’est une belle fille, robuste et simple, au regard sans expression. Elle est debout, tranquille, dans la partie sombre de la rue. Et devant elle, au premier plan, dans la blancheur aveuglante de la lumière, une ombre s’étire. »

« L. est une petite ville banale de Flandres. Les vieux quartiers s’étendent dans une boucle du canal. A l’entour, la campagne est plate, riche et sans beauté. De belles maisons de brique, aux vitraux de couleur s’élèvent au milieu des champs. »

« Le ciel est gris fer. Pas un souffle. Rien ne bouge et il règne une atmosphère d’attente qui énerve. Les hirondelles volent bas et crient en rasant le sol. »

Chacune de ces nouvelles a son intensité et son mystère propres. Chacune est servie d’une écriture forte, de descriptions minutieuses qui conduisent le lecteur à l’apaisement final.

 

Edmée de Xhavée

Publié dans Fiche de lecture

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Joseph Bodson chronique "Le transfert" de Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

Joseph Bodson chronique "Le transfert" de Carine-Laure Desguin

 

Le Transfert, pièce sortie voici peu de temps mais qui suscite pas mal de commentaires de lecture. Merci à Joseph Bodson, Président de l’AREAW (https://www.areaw.be/joseph-bodson/ )


 

Carine-Laure Desguin, Le Transfert. théâtre, Chloé des Lys, 2019.

C’est un sujet difficile que celui auquel Carine-Laure Desguin se mesure ici, il fait un peu songer à Kafka (La Métamorphose), à George Orwell, à Swift…Bien sûr, je puis vous dire que tout ici est métaphore, mais ce ne sera guère qu’un placebo, car je n’en suis pas si sûr que cela. Il y a tant de situations dans ce monde où nous vivons qui pourraient s’y rattacher, tant de faits, de réflexions, de chiffres qui nous y entraînent…Transfert, c’est-à-dire déplacement , et cela évoque le football, avec ses achats de joueurs (un joueur est-il encore un homme, ou déjà un demi-dieu, même s’il a, comme Achille, le tendon vulnérable), transport, que ce soit par ambulance ou par l’absorption de médicaments…

C’est un peu un synonyme de délocalisation, – et ici, cela s’applique aux hommes comme aux entreprises, et aux légumes. Vous arrivez le matin à votre bureau, votre place n’est plus votre place, il n’y a plus rien, qu’une place qu’on vous désigne au hasard, et des murs nus.

Ici, en fait, il s’agit de passer du monde des existants à celui de la non-existence. Les médicaments agissent avec une certaine lenteur, enlevant peu à peu à l’individu ce qui faisait de lui un homme: Mon tout est un homme. L’infirmière veille strictement à ce que la procédure soit respectée, et certains mots – ceux qui évoquent les sentiments humains – sont strictement interdits. Un médecin aussi est présent, mais il est lui aussi en débit de transfert.

Disons tout de suite que Carine-Laure Desguin avec cette pièce,e a gagné la partie: les dialogues sont vifs, incisifs, rien ne traîne, rien d’inutile. Le sens – celui du néant, de l’anonymat – apparaît très clairement, sans fioritures, et chacun de nous doit se sentir concerné. Des formules heureuses (même si elles parlent du plus grand malheur qui soit) parsèment le texte: Le blanc, c’est la couleur du vide (p.35) Elle a le don de la formule brillante et concise qui recherche le débat, ou plutôt qui le bloque. C’est sans solution. Numériser les dossiers absents des inexistants. (p.45): la bureaucratie de l’absurde. L’urinal banni des chambres devient une sorte de symbole fort: un inexistant ne peut pas pisser. Et le patient en est à se demander quelle faute il a commise…

Il ne reste plus qu’à croiser les doigts et à souhaiter à cette pièce tout le succès qu’elle mérite. Non pas une pièce qui vous pousse à désespérer, mais bien à prendre conscience de ce néant, de cette non-existence vers laquelle on vous pousse. Il ne reste plus que le rire qui puisse nous sauver, même si c’est un rire un peu grinçant.

 

Joseph Bodson


 

https://www.areaw.be/carine-laure-desguin-le-transfert-theatre-chloe-des-lys-2019/


 

Lien vers Le Transfert :

http://carineldesguin.canalblog.com/pages/le-transfert--theatre--editions-chloe-des-lys--2018/37214580.html

 

Publié dans Fiche de lecture

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