Texte 3 : I => Micheline Boland Texte 5 : II => Séverine Baaziz Texte 6 : II => Edmée de Xhavée Texte 9 : I => Philippe Desterbecq
Donc, les textes de Séverine Baaziz et d'Edmée de Xhavée sont ex aequo !!!
Arghhhh Bon... On fera avec !!! et les deux textes seront publiés dans la revue...
Bravo à elles deux et un grand merci pour tous les auteurs participants, aux deux auteurs qui ont été également plébiscités ainsi que nos lecteurs toujours plus nombreux !!!
« Le bonheur est dans le pré Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré Cours-y vite il va filer »
Pourquoi cette comptine trottait dans ma tête, ce jour-là, alors que j’essayais vainement de lire un roman que j’avais déniché dans la bibliothèque à moitié vide de ma femme, je n’en savais rien. Quand je dis « ma femme », je devrais plutôt dire « mon ex » puisqu’elle avait mis les bouts, un beau matin, emportant avec elle la plupart des livres de l’appartement, tous nos souvenirs de vacances et aussi notre bébé de 9 mois !
Qu’est-ce que le bonheur ? me demandai-je en chantonnant cette comptine idiote. Existe-t-il vraiment ? Je ne me souvenais plus avoir été heureux un jour. Bien sûr, dans son existence, on rencontre des petits instants de bonheur qu’on essaye d’enfiler les uns après les autres, comme des perles rares, sur un fil qu’on appelle « bonheur ». Le jour le plus beau de ma vie est sans conteste celui où Caro m’a dit « oui, bien sûr, oui, j’accepte de t’épouser » à moins que ce ne soit le jour où j’ai vu le visage de mon petit bonhomme pour la première fois. J’ai été heureux, oui, je suis bien obligé de l’avouer, mais le bonheur ne dure jamais. J’étais bien placé pour le savoir.
Après m’avoir dit « oui », Caro m’a dit « non, non, je ne reste plus avec toi, non, je ne suis pas heureuse avec toi, non, je ne te pardonne pas tes erreurs, non, nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre, je me suis trompée, adieu ». Et elle est partie emportant avec elle une partie de mon âme et le plus beau cadeau qu’elle m’ait jamais fait : Noé.
J’avoue : je ne suis pas parfait et je lève le coude un peu trop facilement. L’alcool me rend heureux ou du moins m’aide à oublier que je ne le suis pas, que les quelques années que nous avons passées ensemble, Caro et moi, n’ont pas toujours été teintées de rose. C’est ma faute, je sais. Je ne sais pas être tendre, je ne sais pas exprimer mes émotions. Mon enfance a joué un grand rôle sur ma vie d’adulte. Des parents qui se disputaient sans cesse, les baffes que je recevais trop souvent, le manque d’amour qui me faisait pleurer, seul, dans mon lit, le manque d’attention tout simplement. Je me suis toujours senti de trop, le coucou dans un nid d’alouette !
Je n’ai jamais frappé Caro, je le jure. J’avais trop vu mon père cogner ma mère pour que j’imite son comportement. Moi, je me suis plutôt réfugié dans l’alcool les jours de déprime, les jours gris, les jours où je ne me sentais pas heureux. Caro a essayé de m’aider, au début. Elle m’a même accompagné chez un psy, mais mon enfance était trop marquée en moi.
On a cru, tous les deux, que l’arrivée d’un bambin pourrait arranger mes problèmes. Je pourrais lui donner tout l’amour que je n’avais pas reçu. On était trop jeunes, irresponsables encore. Caro voulait continuer à s’amuser, à sortir avec ses copines, à faire la fête. Elle me laissait Noé, parfois, me prouvant ainsi qu’elle me faisait confiance. Et moi, je voulais être digne d’elle, de la confiance qu’elle m’accordait, mais seul avec le petit, je déconnais. Je m’enfilais bouteille de bière après bouteille de bière et Caro me retrouvait avachi dans le divan pendant que Noé hurlait de faim, de peur, d’isolement.
Je n’en veux pas à Caro d’être partie. Je n’aurais jamais pu la rendre heureuse et j’aurais fini par transmettre ma morosité à Noé. Ma mère me l’a assez répété : je suis toxique !
Je mets la radio. Comme un fait exprès, c’est la voix de Jackie Quartz qui emplit ainsi mon appartement :
« Je voudrais vivre ailleurs Ailleurs pour le meilleur Oublier la douleur »
Et si l’adage était vrai ? Si l’herbe était vraiment plus verte ailleurs ?
Sur un coup de tête, je pars, sans rien emporter, à part mes souvenirs blottis dans un coin de ma tête, je claque la porte et je me retrouve dehors. J’avance au hasard des rues, au hasard de mes pas, là où ils me conduisent. Se pourrait-il que le bonheur m’attende quelque part ? Un avenir heureux existe-t-il encore pour moi ? J’arrive à la gare. Je vérifie mes poches : j’ai un peu d’argent, assez pour prendre le train pour n’importe où, qu’il m’emmène, je ne sais où, là où on ne m’attend pas, là où on ne me connait pas.
Je monte dans le train, il démarre, les paysages défilent. Je ne les vois pas vraiment. Mon esprit s’égare. Je suis déjà ailleurs, à l’aube d’une nouvelle vie. Je vais tout reprendre à zéro, renaitre.
Terminus. Je descends du train, j’avance sur le quai. Un vieil homme me regarde intensément. Dans son regard, je lis de la bienveillance, de l’amour ou presque. Son visage me dit quelque chose. Une photo. Un portrait sur le mur du salon chez mes parents. Mon grand-père, celui qui a été tué à la guerre ! Un sosie ? Mais pourquoi ce vieil homme me regarde-t-il comme ça ?
Je m’avance vers lui, attiré par son regard ardent.
« Viens, me dit-il, en me tendant la main, je t’attendais… »
« Oh oh Je voudrais vivre ailleurs Oh oh Besoin d’un peu d’chaleur… »
La chose est simple, si le bonheur était ailleurs, il ne serait pas ici et, de ce fait, nous ne le connaitrions pas et n’en parlerions donc pas. Or, tout le monde rencontre des moments de bonheur, il peut donc se trouver ici et partout ailleurs. Nous pouvons dire également qu’il est toujours là car, dans ce monde, à chaque instant, il est possible de trouver quelqu’un qui vit un heureux moment…
Le bonheur se produit donc partout et en tout temps. Dès lors, pourquoi n’est-il pas pour tous omniprésent?
La réponse est aussi simple : jamais satisfaits, nous attendons autre chose, une personne, une promotion, de l’argent, la pension, du temps et les minutes s’écoulent imperturbablement. La vie glisse ainsi entre nos mains. Insatiables, nous regrettons, nous espérons, nous culpabilisons. Pourtant, demain, notre vie prendra fin et le monde encore tournera. Il répétera les mêmes situations avec les autres générations. Le bonheur est résolument ailleurs si nous demeurons dans l’attente ! N'attendons plus, vivons!!!
Ces propos ne constituent ni baratin, ni discours utopique enfantin, ils expriment une solution pour s’ouvrir à la félicité. Nous devons chérir tout ce que nous croyons déjà posséder, nous réjouir de ce que nous sommes sans s’y accrocher. Ramener au présent notre attention, maintenant et sans raison.
Quand sommes-nous heureux ? Quelle est la convergence de tous ces moments furtifs de bonheur ? Nous sommes heureux quand nous sommes amoureux, lors d’un accomplissement, durant nos réunions familiales (normalement :-D), lors de soirées entre amis, devant un livre qui nous transporte, nous apprend, quand la musique nous emporte, quand la nature nous surprend. Nous sommes heureux quand nous vivons l’instant pleinement, lors de ces moments, nous ne réfléchissons pas à nos tracas, nous sommes suspendus, légers. Apparaissent alors le silence du dialogue mental et l’enchantement de la situation. Ces deux ingrédients, paix et émerveillement, compose, selon moi, la recette du bonheur.
Sachant que le bonheur est toujours là, il suffit de s’habituer à le voir, à le sentir, à le vivre, à le devenir… si nous devenons le bonheur, il devient inconditionnel. Nous pouvons toujours être en paix car ce à quoi nous devons faire face reste inévitable lorsque cela arrive. La vie suit un chemin semé d’aventures que nous devons vivre, celles-ci peuvent être tristes, joyeuses, stressantes, douloureuses, enivrantes, nous connaissons tous cela mais savoir que c’est ainsi et l’accepter nous apaise…
Quant à l’émerveillement, c’est la beauté de la vie : pendant que certains trouvent normale de voir un coucher de soleil, le sourire d’un enfant, d’entendre le chant des oiseaux, du vent, de communiquer avec autrui, de gouter saveurs et fruits, de toucher une peau, de respirer,… d’autres y voient, inlassablement émus, le beau et la majesté.
Non, ce n’est pas facile, cela requiert courage, foi et discipline. Le courage de passer les obstacles, de continuer à être joyeux, la discipline de ne pas suivre les ruminations et les trompe-l’œil, de faire, de chaque jour, un nouveau jour porteur de foi en ce que nous sommes, de foi en cette vie, en cet univers qui s’anime en nous et autour, quoi que nous fassions.
Finalement, en écrivant ces lignes, m’apparait la raison ultime… Pourquoi vivons-nous ?... Pour incarner le bonheur malgré tout !
C’est toujours la bonne heure pour le bonheur, il est clairement là, il est dans l’acceptation, il réside dans les mauvais moments et dans les bons. Il est l’Amour de la vie telle qu’elle est. Nous ne pouvons pas réellement tout en comprendre mais nous pouvons sentir sa profondeur qui correspondra toujours à une ouverture du cœur…
Assise sur cette banquette, j'observe les paysages qui s'effilochent au fil des kilomètres. Je suis pensive, comme envoûtée par le tangage et la musique du train. Je rêve d'un ailleurs, de m'évader jusqu'au bout d'un long trajet ferroviaire, jusqu'à voir se dessiner les faubourgs de Paris, de Luxembourg ou encore de Vienne. Je rêve, mais je n'agis pas. Chaque jour sauf le dimanche, j'emprunte le train et je descends à la gare située à cinq cents mètres de la librairie où je travaille. Un réel hiatus entre mon rêve et la réalité.
Un dimanche, le jour de l'anniversaire de mes vingt-cinq ans, je décide de me rendre à Paris. Me voici sur le quai, j'attends le TGV. Me voici qui monte dans le wagon. Me voici assise en face d'un bel homme brun qui représente pour moi l'élégance parisienne. L'homme me sourit, j'ai l'audace de me noyer un instant dans le bleu de ses yeux. Je suis troublée.
Tout à l'heure, oui tout à l'heure, le bonheur me réchauffera. Je verrai Paris. J'invente des images plus belles encore que celles des guides touristiques. Je me souviens d'un voyage scolaire là-bas au terme de mes études secondaires…
J'entends des voyageurs qui palabrent à propos du petit appartement qu'ils occupent à Paris. Ils aspirent à en trouver un autre, car le leur ne dispose même pas d'un petit balcon. Ils bavardent, mais leurs propos ne m'atteignent pas… Il me semble que les gens parlent rarement de la lumière qui enjolive leur quotidien, ils parlent plutôt des ombres. Ils ne saisissent pas la chance de disposer du cadre de vie exceptionnel qui est parfois le leur.
Les minutes filent. Le train roule. Je monte vers Paris. S'ouvre à moi la certitude de toucher bientôt au bonheur éphémère en appréhendant la beauté de la ville, en mangeant dans une brasserie, en marchant dans un parc, en visitant un musée. Peut-être un jour trouverai-je les ressources nécessaires pour m'établir à Paris et m'y enraciner dans un bonheur durable ?
Voici que j'aperçois les abords de la gare. Voici que le wagon s'arrête. Voici que la porte s'ouvre. Voici que je descends et marche sur le quai. Voici que je sors de la gare. Voici que j'aperçois un miséreux. Voici que je suis rappelée à la réalité. J'ai les pieds sur terre comme je les ai quand je travaille, quand j'aperçois les fumées des usines.
Ce soir, je rentrerai chez moi et je penserai que le bonheur est ailleurs, qu'il est peut-être au bord d'une plage ou sur un sentier de montagne. Le bonheur n'est-il pas toujours ailleurs ?
Octave en a plus qu’assez. Léonie – quel nom, Léonie, hein ? Certes, on serre un peu les lèvres quand on l’entend appeler Octave. Mais ça a du cachet, Octave… - Léonie donc le rationne, lui interdit certains endroits de la maison (pas sur la table, pas sur le beau fauteuil, pas sur le comptoir de la cuisine, pas sur la pile de linge repassée… les coins « non-non-pas-là » sont innombrables, maintenant qu’il y pense !), et ne veut pas qu’il sorte. À croire que dehors, ce lieu splendide où s’abattent les pluies, le soleil, des volutes de brume, des feuilles se querellant avec le vent, c’est dangereux.
Alors un jour il décide de se faufiler au dehors comme un courant d’air et d’aller être heureux ailleurs. Ailleurs c’est partout sauf chez Léonie. La joie, la griserie, les palpitations devant cet extraordinaire ailleurs. Il n’est pas arrivé bien loin encore qu’il entend la voix fêlée d’inquiétude de Léonie qui le hèle en agitant sa boite de croquettes « Chat chichiteux ». Qu’elle les mange, ses croquettes et d’ailleurs j’ai fait pipi sur les roses qu’elle flatte de niaiseries tous les jours, le sécateur à la main. Et une crotte sur le seuil.
Le soir, les coussinets des pattes à vif d’avoir grimpé les murs, longé les barrières, gratté dans les cailloux et la terre, une question surgit : où dormir, où me faire servir à manger, maintenant ? Le destin, bienveillant, le fait tomber nez à nez avec un jeune homme promenant son chien, une horrible chose baveuse qui se met à gronder pour ensuite pousser des cris de jouet en plastique mou. Couic ! Couic ! Jeune homme rieur, très certainement gentil et ébloui devant ce bel exemplaire de chat européen tout ce qu’il y a de bien fait. Le chien – Simba, oui c’est le nom de ce gnome pelé et gueulard – n’est pas content du tout mais qu’importe, Octave - qui se retrouve baptisé Minou – s’impose. La maison sent le patchouli, le jeune homme est certes gentil et le laisse monter sur le divan où lui-même s’étale après avoir enlevé ses chaussures, libérant une pestilence inquiétante. Gentil mais un peu dégueu. Simba, d’ailleurs, s’empresse de démontrer qu’il était là le premier et s’étend sur le dos, offrant au regard indigné d’Octave une boutique ma foi assez repoussante. Loin de la petite serrure de velours qu’il a, lui. Mais demain sera un autre jour, le bonheur n’est certainement pas loin, l’aventure de la liberté éperdue l’attend.
Jeune homme gentil mais dégueu ne le retient pas, au contraire. Sa vie est un lieu à portes ouvertes, il aime sa freedom et on y entre, sort, rentre et ressort comme dans un téléfilm américain. Et Octave reprend sa route de pèlerin intrépide le ventre creux, car jamais Léonie n’aurait osé lui servir des restes de très vieux spaghetti au pénicillium dans une assiette sale, et lui présenter une écuelle d’eau, piscine à mouches mortes. Jamais.
Mais qu’importe un peu de faim, un de ces idiots oiseaux fera l’affaire. Sauf que ça ne s’attrape pas comme ça, ça bouge tout le temps ces saletés-là, et ça se croit malin de sautiller en hurlant… Coup de chance, un merle est tombé du nid. Tout le fun de la chasse est fichu, mais par contre il est déjà plumé. Moche comme tout, avec cet énorme bec et des yeux comme des grains de café, globuleux et fermés. Tout compte fait, c’est mauvais, en plus. Les croquettes chat chichiteux – lièvre aux rognons, ses préférées – sont relevées, ont un arôme invitant, une tendreté idéale. Ceci est infâme.
Mais qu’importe, je m’habituerai peu à peu, deviendrai un chasseur redoutable…
C’est étrange comme le monde lui paraissait vaste, car sans y avoir pensé, il est certain de se trouver à proximité de chez Léonie. L’odeur familière des géraniums à la fenêtre, des croquettes, du Chanel numéro 5 – il le sait, car elle lui en met une goutte derrière les oreilles quand ils attendent de la visite… - lui arrive. Il n’y a plus qu’à suivre ce ruban de fumets divins. C’est étrange, aussi, cette joie chaude qui l’envahit, et ce poids d’une vie de mercenaire qui s’envole tout à coup. S’il le pouvait, Octave sourirait.
Et c’est avec – autre étrangeté – un élan amoureux réel qu’il s’élance pour se frotter aux chevilles de Léonie, qui coupe les têtes mortes des rosiers en pleurant. Rrrrrrrrouh ? Octave, amour de ma vie !!!!
J’ai toujours craint le malheur bien plus que je ne désirais le bonheur. Pour me sécuriser, j’évite toute prise de décision et surtout tout changement de trajectoire. Je reste bien sur ma piste, skis parfaitement parallèles, et je file pas trop vite pour éviter tout risque d’avalanches. Mais je déteste la neige, j’ai froid, les lèvres gercées et les orteils comprimés par ces putains d’après-ski de merde.
Bref, passons sur cette allégorie un peu hasardeuse, je suis une femme aigrie. Aigrie et totalement obnubilée par l’impensable idée de quitter son mari. C’est dit. Je fais semblant que tout va bien, mais intérieurement, je suis en perpétuelle alerte rouge. Ça pleut, ça gèle, ça craint. Je ne vous parle même pas des dégâts. Je sais, je vous entends, vous vous dites Mais pourquoi ne pas se séparer ? On n’a qu’une vie, non ? Eh bien justement, avec une seule vie, on n’a pas le droit à l’erreur. Imaginez si notre divorce mène au suicide de mon époux. Ou pire, s’il met fin à mes jours. Et puis, j’oubliais de vous dire : nous avons deux adorables ados, Justin et Justine. Rien que l’idée de leur annoncer notre rupture me fend le cœur. Ils ne comprendraient pas. Et surtout, ils me détesteraient. Je deviendrai celle à cause de qui tout s’effondre. LA coupable. Hors de question. Je tiens beaucoup trop à eux.
Ah, le désamour. Le fuir, le combattre ou vivre avec ? Je crois que j’aurais pu m’en accommoder s’il n’y avait pas eu cette goutte de trop. Une goutte faite à 99% d’eau et de chlorure de sodium. Quand mon mari m’a annoncé, en sortant de chez le médecin, alors que je l’attendais oisivement à la terrasse d’un café, que son hypersudation était hormonale et surtout irrémédiable, j’ai crû tomber de ma chaise. Là, comme ça, en plein milieu de gens assis comme il faut. Irrémédiables, ses auréoles malodorantes sous les aisselles, irrémédiables, ses cheveux suintants, irrémédiables, ses mains collantes. Ah, non. Trop, c’est trop !
J’ai donc décidé de tout faire pour qu’il me quitte. J’ai commencé par prendre du poids, un peu, beaucoup, à la folie. Mais malgré mes efforts, il continuait à me trouver séduisante. Échec cuisant. En attendant de trouver une autre solution, chaque soir, je lui servais une tisane bien chaude. Avec un somnifère dissous au fond de la tasse. Ainsi, j’avais la paix. Il s’endormait sur le canapé et, moi, dans notre grand lit frais sans son corps dégoulinant. Bien sûr, une pareille fatigue, si subite, surgissant systématiquement dès les premières minutes du journal télévisé, le questionnait, mais jamais il n’aurait pu imaginer que j’étais la main qui l’assommait.
Un soir de décembre, j’eus une illumination. Mon mari ronflait profondément sur le canapé depuis une bonne heure et je regardais l’émission d’investigation d’Elise L. Passionnante. Et inspirante. Le sujet : “Facebook, nouveau responsable des divorces d’aujourd’hui”. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? J’allais enfin offrir à mon mari une bonne raison de me quitter. Monica B. Son grand amour de jeunesse. Après quelques clics, je découvre qu’elle est toujours aussi ravissante, tout juste divorcée et, au bout d’un seul message et six émoticônes, je jubile en lisant qu’elle serait ravie de dîner avec moi. Enfin, avec lui, ou plutôt moi me faisant passer pour lui, enfin, vous comprenez. Gloire à Facebook !
Six semaines plus tard, mon mari me quitte.
Six semaines plus tard encore, je rencontre Georges C.
Aujourd’hui, tout va bien.
Justin et Justine vivent étonnamment bien notre séparation et j’ai retrouvé la silhouette de mes seize ans. Un seul bémol : Georges C. s’est bien gardé de me dire qu’il souffrait d’une inflammation chronique de l'œsophage responsable d’une haleine souvent fétide.
La dentelle d'un feuillage, l'odeur du café, la saveur d'un carré de chocolat, la douceur de son peignoir, le chant d'un oiseau, les roses d'un ciel matinal, autant de petits bonheurs qui s'offraient le plus souvent à Violette peu après son lever.
Il arrivait à Violette de regarder défiler les nuages et de trouver en eux l'écho de sa légèreté intérieure.
Jour après jour, elle renouvelait ses remerciements au destin pour les cadeaux qu'il lui avait accordés.
Ce matin-là, elle était montée dans le train et s'était assise en face de deux femmes qui bavardaient. Violette avait l'impression de partager malgré elle quelque chose de leur intimité. Le bonheur d'une de ces femmes tenait, disait-elle, à un déménagement, plus précisément à l'achat d'une maison entourée d'un magnifique jardin.
Violette jeta un coup d'œil sur le paysage. Dehors, quantité d'herbes folles et de fleurs sauvages frémissaient un peu sous le souffle du vent. Cette beauté gratuite n'était-elle pas partie intégrante de la magie du moment ? Observant le paysage et écoutant les deux femmes, Violette se pencha sur son propre vécu : serait-elle plus heureuse si la terrasse de son studio était plus grande ? Non, conclut-elle.
Ce qui est désarçonnant avec le bonheur, pensa-t-elle, c'est que chacun en a une approche différente. Il n'y a pas une recette universelle. C'est tellement personnel. Il ne se définit pas une fois pour toute ni de la même manière pour chacun.
Violette regarda sa bague. Aussitôt, elle replongea dans le passé et revécut des instants de grâce. Elle fut transportée ailleurs et affleura en elle le souvenir de sa grand-mère la lui offrant pour ses dix-huit ans. Des sensations affluèrent : la voix douce de sa grand-mère, ses yeux bleus, son sourire, le délicat mouvement de sa main, le frémissement de ses narines. Elle pouvait presque toucher du doigt l'infinie joie d'autrefois. Ce bonheur-là, c'était son trésor, un trésor d'amour reçu sans condition. C'était bien plus que l'espèce de gri-gri que sa mère appréhendait dans ce bijou de famille.
Pourtant, se dit Violette, le bonheur ne se conjugue-t-il pas d'abord au présent même si de tendres ou forts souvenirs l'habitent à l'occasion. L'instant suivant ne sera du bonheur que si l'on y met une part de soi et pour cela il faut se connaître, être conscient de ce qui fait vibrer et aussi de ce qui entache la qualité de son ressenti.
L'espoir d'un avenir meilleur n'est pas le bonheur, songea-t-elle. Non, espérer c'est juste donner un coup d'accélérateur pour avancer.
Le bonheur passé comme le bonheur futur ne sont pas de vrais bonheurs. Ce qui a un réel prix c'est le temps actuel dans toute son intensité et sa fièvre. Encore faut-il apprendre à le cueillir…
Le train entra en gare. Violette se leva, se dirigea vers la porte, elle sentit des effluves de jasmin apportés par le parfum d'une voyageuse et le bonheur l'envahit tout entière.
Ah l’amour ! Celui des poètes, des chansons, des romans, celui qu’on croque à pleine dents, celui que tout un chacun attend ! L’amour rose, l’amour bleu, l’amour fou.
Marie l’a attendu toute sa vie, l’amour ! Il n’est jamais venu ! Et ce n’est pas faute d’avoir tout mis en œuvre pour qu’il vienne à elle !
Petite, elle a cherché l’amour maternel, mais la femme que le ciel lui avait choisie comme génitrice ne lui a témoigné qu’indifférence. Pourtant, Marie était une petite fille toute mignonne et obéissante. Elle a toujours tout fait pour plaire à sa mère. Elle l’aidait dans ses tâches ménagères, elle travaillait bien à l’école, ne contredisait jamais ses parents, ne leur demandait ni cadeaux extravagants ni argent de poche. Son père était toujours absent et sa mère lui préférait ses copines. Carole passait des heures au téléphone, des soirées dans des pubs, au cinéma, au théâtre, pendant que sa fille restait seule chez elle, frissonnant d’inquiétude.
Puis un jour, lorsque Marie a eu 16 ans, elle a tout plaqué : l’école, sa mère, tout. Elle avait trop donné, trop attendu l’amour d’une mère indigne. Elle l’a compris en lisant un de ces sempiternels romans que Carole exécrait. Elle est partie sans rien, sans laisser une lettre explicative, sans un mot. Elle a cru rencontrer l’amour en la personne de Carlo. Il était beau comme un dieu. Il avait dix ans de plus qu’elle, mais qu’importe. Elle en est tombée folle amoureuse. Mais pour lui, tout ça n’était qu’un jeu et aussi un moyen de subsistance, car le beau Carlo a mis très vite la jeune fille naïve qu’elle était alors sur le trottoir avec l’ordre de rentrer au bercail avec du fric et pas qu’un peu.
Marie se souvient de cette époque avec horreur : sa première passe, les mains grasses et velues d’horribles personnages sur son corps de jeune fille et bien plus encore. Les jours ont succédé aux jours, les passes aux passes. Marie est devenue une pute, une putain de pute. Il faut employer les mots adéquats.
Si Marie n’a pas trouvé l’amour en la personne de son mac, elle a trouvé une certaine protection, presque un foyer, même si elle côtoyait souvent des êtres démunis comme elle, des jeunes filles qui ne faisaient que passer dans l’appartement loué par Carlo en plein centre-ville. On ne peut pas dire qu’elle a trouvé de l’amour auprès de ces filles blessées comme elle par la vie, mais, parfois, une certaine complicité.
Quelques années plus tard, elle a cru trouver l’amour auprès de sa fille, une jolie colombe arrivée un beau jour de printemps sans que sa mère s’y attende. Marie avait fait ce qu’on appelle un déni de grossesse. Elle allait donner naissance à un être créé à partir d’une graine inconnue, ce n’était pas possible ! Qui parmi tous ces hommes abjects avaient-ils pu lui laisser ce souvenir en partant ? Marie s’était pourtant toujours bien protégée !
Le fait est qu’une petite fille vint au monde. Quand elle la vit, toute rose, les cheveux noirs encore mouillés, la figure encore fripée, son cœur fondit littéralement. Si elle n’avait jamais trouvé l’amour, elle allait en donner, et à profusion ! Hélas, Marie ne reçut en retour que de l’indifférence, une fois de plus. Même sa fille ne l’aimait pas, c’était manifeste ! En fait, Marie pensait ne pas mériter l’amour des autres puisque personne ne lui en avait donné.
Aujourd’hui, Marie est vieille : elle a 25 ans. Vous direz sans doute qu’elle est encore bien jeune et, dans votre esprit à vous, vous aurez sans doute raison. Mais Marie se sent très vieille, elle a trop vécu, elle a trop donné, elle se sent vide, sans force, vieille, il n’y a pas d’autres mots.
Sur le pont qui surplombe l’autoroute, Marie pense à tout ça, à l’amour qu’elle a cherché désespérément et qu’on a toujours refusé de lui donner, à sa triste vie façonnée par des mains bien mal intentionnées. Elle regarde en bas, toutes ces voitures qui filent à vive allure. Il suffirait d’un instant de courage, un petit saut dans le vide. Un petit article dans le journal pour signaler l’accident et Marie aurait disparu de la surface de la terre, invisible comme elle l’a toujours été. L’aura-t-elle, ce courage-là, l’aura-t-elle ? Le bonheur tant recherché, le trouvera-t-elle ailleurs ?
Je saute à cloche-pied sur les gués de la vie. Je ne me hâte pas d'atteindre l'autre rive. Les détours sont permis et j'en tente certains. D'autres sont imposés et parfois surmontés. Mais il en est certains que je veux refuser. C'est alors que je tombe et que le flux me glace. Il me faut surnager dans les tourbillons fous. Vouloir ne pas mourir avant que de survivre. Une main secourable m'est quelques fois tendue . Mais c'est au fond de moi que je trouve la force. Je ne sais d'où elle vient. Elle est là, elle attend. Enfin je la saisis comme un fruit enfin mûr. Que reprenne la danse des fragiles équilibres !
Le bonheur est ici quand on peut le goûter. Il est une rencontre méritée ou fortuite.
Le bonheur est ailleurs quand on est plein d'aigreur. Quand on reste planté au milieu du courant.
Il n'est pas le courant, il y est parsemé.
Courage ou inconscience, qu'importe, je le poursuis ! Je garde les blessures des glissades et des chutes, mes étendards intimes qui me forgent et me font.