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Texte n°4 concours "si l'hiver m'était conté"

Publié le par christine brunet /aloys

LA CRÈCHE DE TANTE MARGUERITE

 

Coralie aime particulièrement le mois de décembre. Cela lui rappelle tant de bons souvenirs. Son anniversaire d'abord, la Saint-Nicolas ensuite et puis Noël.

 

Et le Nouvel An me direz-vous ? Eh bien non, Coralie ne l'aime pas. Les interminables visites chez des gens qu'elle ne connaît pas ou si peu, mais que Papa et Maman appelle Tante ou Oncle.

 

Ce premier janvier-là, pour la dernière visite de la journée, Coralie accompagne ses parents chez Tante Marguerite, une vieille femme fort acariâtre. Elle habite au premier étage d'une vieille maison située pas loin de chez eux, juste à côté de l'église. C'est toujours le même rituel, les galettes faites maison à peine sucrées et une tasse de mauvais café. Coralie se contentera d'une tasse de lait tiède… C'est toujours plus agréable que l'infâme breuvage que ses parents se forcent à boire !

 

Quelque chose inquiète quand même Coralie c'est le fait que la vieille femme, si pieuse, n'a même pas songé à mettre une crèche au pied du minuscule sapin artificiel qui décore son salon. Mais elle se garde bien de parler. Chez Tante Marguerite, les enfants ne parlent que si on les y autorise.

 

Pourtant, à son retour à la maison, elle questionne…

 

- Dis, Maman, pourquoi il n'y a pas de crèche chez Tante Marguerite ?

 

- Ah ma chérie, il ne faut jamais en parler devant elle. Elle a perdu son fils unique quand il avait deux mois. Tu sais, à l'époque, la rougeole, ça ne pardonnait pas !

 

L'explication lui a suffi. Quelques mois plus tard, début décembre, Coralie a demandé à aller rendre visite toute seule à Tante Marguerite. Ses parents ont bien sûr accepté, heureux de voir leur fille prendre cette initiative.

 

Coralie avait emporté avec elle un petit sac.

 

"Un cadeau que j'ai fait spécialement pour elle !" avait-elle dit…

 

Elle était revenue toute joyeuse, parlant peu de l'après-midi passé et ne disant rien d'autre que le plaisir de sa visite.

 

Les parents de Coralie étaient intrigués mais comme il n'y avait eu aucune mauvaise réaction de la tante, ils n'ont rien demandé.

 

Jusqu'au premier janvier suivant… Coralie était toute joyeuse à l'idée d'aller rendre visite et avait annoncé fièrement : "Vous allez avoir une surprise !"

 

Juste à côté du sapin, il y avait une jolie crèche en carton.

 

"C'est moi qui l'ai réalisée et je suis venue la porter à Tante Marguerite qui a bien voulu l'exposer. Regardez, il y a tous les personnages !"

 

Ce jour-là, les galettes avaient meilleur goût, le café était buvable et Tante Marguerite bien plus bavarde qu'à son habitude. Il a même semblé aux parents de Coralie, que les deux complices échangeaient de temps en temps un petit clin d'œil.

 

Quant à l'enfant dans la mangeoire, il souriait…

Publié dans concours

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Texte n°3 pour le concours "si l'hiver m'était conté"

Publié le par christine brunet /aloys

DONNER, C'EST DONNER

 

Jean était pauvre, tellement pauvre que la fente de sa tirelire était recouverte de toiles d'araignées poussiéreuses. Jadis, c'était un gars qui plaisait aux filles et aux fermiers du coin. Il était fort comme un chêne et avait la main à tout, disait-on au village. Il était capable de porter un porc de plus de cent kilos et même de soulever une charrette pendant que son propriétaire réparait une roue. Puis, il y avait eu l'accident. Il était tombé en réparant le toit d'une grange. Depuis lors, il boitait et se montrait nettement moins fringuant. Il continuait pourtant à faire des petits boulots à gauche et à droite ce qui lui permettait de survivre tant bien que mal. Parfois, il aidait un vieux ou un enfant sans rien en attendre en retour.

 

Noël approchait et dans la petite maison de Jean, le cellier était quasiment vide. Comment passer un réveillon digne de ce nom avec quelques carottes, des pommes de terre, deux ou trois oignons et des noix ? Alors Jean réfléchit à quels services il pourrait proposer pour remplir sa bourse et son garde-manger. Il réfléchit, réfléchit et eut l'idée de bricoler des montages floraux pour les vendre au marché.

 

Pour cela, il lui fallait des branchages de sapin, du houx, des bouts de ruban, de la ficelle. Il collecta tout cela chez des gens qui le connaissaient bien et l'embauchaient régulièrement pour de menus travaux. Puis, il se mit à l'ouvrage…

 

Le jour du marché, il transporta dans sa vieille brouette tous ses montages jusqu'à la place de l'église où il s'installa et attendit les acheteurs.

 

"Après tout, c'est mon sapin et mon houx, je ne te payerai donc point" dit le Firmin, un riche paysan des environs venu acheter un joli montage.

 

"Ce n'est pas ton sapin, c'est le mien. Regarde comme les aiguilles sont bleutées. Jean a travaillé. Tout travail mérite salaire. Paie-le !", répliqua Mariette qui assistait à la scène.

 

Pendant ce temps-là, Jean commençait d'un geste lent à défaire le montage choisi par Firmin pour lui rendre son houx et son sapin. Il faisait cela sous le regard d'un groupe de personnes qui avaient été attirées par la grosse voix de Firmin et celle si aiguë de Mariette.

 

Du groupe s'élevèrent d'autres "paie-le !" Puis le silence se fit. Firmin et Mariette avaient le visage empourpré. Jules, le maire, qui de loin avait assisté à la scène, s'approcha. Il prit une petite branche de houx et une autre de sapin, et les tendit à Firmin. "Voilà ce que tu demandais, je crois. Décore ta maison !"

 

Firmin s'en alla en maugréant. Chacun avait un avis à donner mais plus personne n'osa s'y risquer.

 

Tous les montages de Jean lui rapportèrent un peu d'argent avec lequel il put s'offrir quelques douceurs pour fêter Noël.

 

 

 

Publié dans concours

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Texte n°2 concours "si l'hiver m'était conté"

Publié le par christine brunet /aloys

IL NEIGE SUR LE PAYS…

 

Qu'est-ce qu'il lui a pris, ce fichu anticyclone des Açores? Mais qu'est-ce qu'il lui a pris ?

 

Cela faisait quelques semaines que j'étais né là haut, de la rencontre de vapeur d'eau et du vent et je m'y plaisais bien. Transporté au gré des courants aériens, je me prenais pour une minuscule montgolfière et je voguais.

 

J'avais ainsi traversé l'océan, quittant mon Canada natal, pour doucement me diriger vers l'est.

 

C'est en arrivant presque en Europe qu'il nous a surpris mes frères et moi, ce fichu anticyclone. Là, en quelques heures, il nous en a fait voir du pays ! C'est qu'à chaque passage de frontière, on parlait de nous. Et suivant les spécialistes, nous étions tour-à-tour, vague de froid, blizzard (vous avez dit blizzard ?), nuages d'altitudes ou encore courant du Labrador ! Vous savez où c'est, vous, le Labrador ? A part la rue où Tintin habite au numéro 26, personne ne sait ça, sauf les météorologues !

 

Bref on nous traitait de tous les noms, sans même nous connaître !

 

Dans ma famille, nous sommes pacifiques et nous ignorons les injures et les disputes. Nous avons donc continué notre ronde autour de la Belgique, petit pays qui, après avoir été pendant des siècles le champ de bataille de l'Europe, était devenu la cible de tous les mauvais temps qui passaient à proximité.

 

Certains d'entre nous sont tombés sur une région où on parlait français, comme au Canada, mais avec un accent… Là où d'autres sont arrivés, c'était une langue inconnue mais les enfants ont eu l'air de nous apprécier. Mais le plus gros de notre troupe s'est retrouvé au-dessus d'une jolie ville qui portait deux noms, Bruxelles et Brussel !

 

Drôle de ville où de superbes bâtiments anciens voisinent avec des taudis. Où on laisse des maisons tomber en ruine, juste à côté d'un gros truc avec neuf grosses boules et qui ressemble à un gros cristal. Là, on s'est amusé à virevolter tout autour en passant de plus en plus vite près des gens qui nous regardaient.

 

Puis, je ne sais plus lequel d'entre nous a décidé de remonter un peu et d'aller voir plus loin.

 

On est tous parti vers le sud et on a décidé de s'arrêter définitivement dans de jolis jardins entre des maisons.

 

C'est là qu'il m'a trouvé, sur la terrasse de sa cuisine. Il était sorti pour mettre une bouteille de champagne au frais et c'est probablement ce qui nous a tous attirés !

 

Il m'a écouté longuement… Je lui ai raconté notre histoire, il m'a un peu parlé de son pays, de ses habitants, de Tintin et Milou puis il est rentré au chaud. Je l'ai vu s'asseoir face à une machine avec plein de petits boutons avec des lettres et un écran. Il m'a regardé une dernière fois à travers la vitre et a commencé à déplacer ses doigts. Pendant ce temps-là, je suis devenu comme une vulgaire goutte d'eau, moi le flocon de neige du Canada.

 

 

 

Publié dans concours

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Texte n°1 pour le concours "si l'hiver m'était conté"

Publié le par christine brunet /aloys

Une nuit de janvier…

 

L’angélus résonne. Coline, silencieuse comme une matinée d’hiver…

L’église de village, de doux nuages sont là. Blancs. Roses.

Une vie de femme, d’épouse, de mère trace son ébauche au rythme du labeur, de la force et de la bonté. La vie s’écoule sereine et paisible dans l’odeur de la terre qui monte après la pluie. Coline éveillée près de l’enfant qui dort. La douceur du silence et le noir de la nuit. C’est l’histoire d’un amour pour les siens. C’est le chemin de forêt qui se perd dans la brume. C’est le ruisseau d’argent sur la buée d’un miroir. C’est un rêve d’hiver où les grands feux s’allument. C’est la source d’eau vive au fond de nos mémoires. C’est le vent qui se lève et les branches qui ondulent. C’est quelques grains de pollen au cœur d’un bouton d’or. C’est la chanson des roseaux dans la brume d’un matin. C’est un enfant qui sourit dans un livre d’images. C’est les oiseaux du ciel à portée de nos mains. L’odeur de la terre qui monte après la pluie. Coline éveillée près de l’enfant qui dort. La douceur du silence et le noir de la nuit. C’est l’histoire d’un amour pour les siens. Dans sa grande maison de pierres, immobile sur le pas de la porte, Coline scrute l’horizon.

Enhardie par l’hiver qui se veut clément, elle enfile son gilet par-dessus son tablier et entre dans l’enclos aux coquelicots.

C’est une fin de chemin, presqu’une fin de vie. Oh ! Elle a eu une vie riche bien remplie Coline. Elle sent qu’elle va bientôt s’interrompre. Alors, elle remue ses souvenirs. Les yeux grands ouverts. Ouverts sur un monde qui lui a tant apporté. Tant donné, tant repris aussi. Léo qui a su être au fil des ans, son fidèle compagnon de tous les instants, rythmant avec elle les saisons de la vie. Brusquement malade, si tôt disparu. Chagrin. Elle continue, la vie, en emportant dans son ombre, ses sœurs et frères tant aimés. Et Coline au milieu de ses fleurs, console ceux qui pleurent et fleurit ceux qui meurent. Trop de morts terribles l’entourent. Et la maladie la frappe à son tour. Elle est déjà hors du monde, hors du temps. Une courte promenade dans l’hiver naissant et elle part.

Un murmure dans le vent. Une nuit de janvier, Coline se glisse dans l’invisible. Nous croyons que la mort est une absence, elle est une présence secrète. Nous croyons que la mort crée une infinie distance. Elle la supprime, cette distance. Que de liens elle renoue. Que de barrières elle brise. Que de murs elle fait crouler. Que de brouillard elle dissipe. Aujourd’hui, la terre du village la recueille, reflet de sa douceur.

 

Durant l’hiver, toutes les fleurs de demain sont dans la semence d’aujourd’hui.

Publié dans concours

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L'invité d'Aloys, Trystan Faussurier, 9 ans...

Publié le par christine brunet /aloys

009
Bonjour,

Je m'appelle Trystan et j'ai 9 ans et demi.
Je suis en cm2.J'ai trois passions: l'écriture, les félins et les sciences. Souvent, mes idées de poèmes ou d'histoires me viennent de mes chats.
J'ai écrit "les étoiles du destin" en pensant à la saga d'Erin Hunter qui décrit la vie de chats sauvages. Dans ce poème, je veux évoquer un guérisseur amoureux qui essaye de vivre avec la personne qui l'aime, mais les traditions de son clan les en empêchent; alors, il demande conseil à ses ancêtres.

Les étoiles du destin

En observant les étoiles
J’ai tout compris.
Sur cette gigantesque toile
J’ai su que l’on serait toujours unis.
Et le ciel s’est comme penché
Il m’a parlé.
Car au-delà des pensées
Se trouvait mon destin caché.
Je me suis battu
Pour nous sauver…
J’ai couru
Pour te retrouver…
Ainsi j‘ai vu,
En oubliant le passé,
La lumière revenue,
Je me suis tourné,
Je me suis souvenu,
Emerveillé…
En observant les étoiles
J’ai tout compris.
Sur cette gigantesque toile
J’ai su que l’on serait toujours unis.
Et tout s’est révélé
Tu étais là ma bien-aimée.
Car au-delà des pensées
Se trouvait l’amour masqué.
Du haut des cieux,
Nous empêcherons le sang de couler,
Et heureux,
Nous serons plus fort que la destinée.
Trystan Faussurier



Publié dans l'invité d'Aloys

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Didier Fond présente son nouveau roman, "L'Annonciade"...

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes2/fond2.jpg

 

 

 

L’ANNONCIADE

 

 

 

L’Annonciade, c’est un retour dans le passé. Oh, pas un passé très éloigné : les années 1960. Mais écrire ce roman fut pour moi l’occasion de revenir un bon nombre d’années en arrière, dans un quartier de Lyon que j’ai définitivement quitté et où j’avais vécu toute mon enfance et mon adolescence.

 

Lorsque ce projet m’est venu à l’esprit, je n’avais en tête que l’intrigue policière ; le quartier des Pentes n’étaient alors qu’un décor et rien de plus. Ce qui comptait, c’était la façon dont j’allais dévoiler peu à peu les informations nécessaires à la découverte de la vérité, sans jamais faire intervenir directement la police ou un enquêteur quelconque. Tout devait être révélé par les rumeurs et les conversations des gens du quartier. La police n’apparaissait qu’à la fin, pour clore le récit. C’était en soi un exercice suffisamment périlleux sur le plan purement technique de la narration.

 

Et puis, petit à petit, au fil des pages, les souvenirs d’autrefois sont revenus à ma mémoire ; j’ai donc entrelacé dans l’intrigue des portraits, plus ou moins fidèles, des gens que j’avais côtoyés. Les conversations ont pris un tour différent, et la description en 1966 de ce quartier des Pentes, un peu comme une photographie prise sur le vif,  est devenue presque le point central du récit. Heureusement, je n’avais pas perdu de vue mon projet original ; mais il n’a pas été facile de mêler ce qui relevait de l’intrigue policière et ce qui se voulait un instantané d’une époque révolue.

 

Car, en presque cinquante ans, le quartier des Pentes de la Croix-Rousse a beaucoup changé, ce qui, en soi n’a rien d’étonnant. L’évolution était sans doute nécessaire. Et les gens qui m’ont servi de modèles ont, pour la plupart, tous disparus. Que leurs descendants se rassurent : j’ai suffisamment modifié la vérité pour qu’ils deviennent des personnages de roman, c'est-à-dire des êtres fictifs, qui ne sont pas les êtres réels. Je crois qu’il faut insister sur cette caractéristique fondamentale de la littérature qui se sert du réel pour exister mais que l’écriture modifie considérablement, au point de créer d’autres êtres humains qui n’ont rien à voir avec ceux qui vivent dans le monde concret, à trois dimensions, même si leurs aventures ressemblent beaucoup à celles que nous pourrions vivre. La « photographie » dont j’ai parlé plus haut ne veut restituer que l’ambiance, l’atmosphère de village du quartier des Pentes et de cette ville que j’aime tant ; si elle a valeur de « documentaire », c’est seulement à travers les façons de vivre, de considérer les rapports humains, à travers les aspirations des personnages, leur appréhension du monde qui les entoure et qui sont surtout liées à une époque, des milieux sociaux, des lieux (l’opposition entre le quartier des Pentes et le quartier d’Ainay est à cet égard tout à fait significative) et non à travers la fidèle restitution de ce qu’ils étaient réellement. Et cela parait évident, car le point de départ du roman, le meurtre de la rue de L’Annonciade, est totalement fictif, de même que tous les événements qui l’entourent. Il m’a fallu donc « mettre » en quelque sorte les personnages au service de l’intrigue et par là même, leur donner une dimension hors de la réalité.

 

Par exemple, cette sale fouine d’Emeline Lemaire (qui ressemble à la Justine Putet de Clochemerle, je m’en suis aperçu une fois le roman achevé, et j’imagine que j’ai subi inconsciemment le poids de l’œuvre de Gabriel Chevallier) est un personnage totalement inventé. Elle réunit en elle toutes les particularités des vieilles femmes que j’ai pu côtoyer dans mon enfance. Mais elle est un élément essentiel du puzzle, pour des raisons que je ne dévoilerai pas, car elles sont liées à la résolution de l’énigme. En ce qui concerne Edith Martin, la laitière, un des personnages principaux du roman puisque l’essentiel se passe dans son magasin, si j’ai accentué son côté « excentrique » et « douce ahurie », j’avoue que certains traits sont en revanche totalement vrais, entre autres sa manie de laisser la porte de son magasin grande ouverte en plein hiver… parce qu’elle ne supporte pas l’odeur du fromage. Mais les gens d’Ainay et tout ce qui est lié à leur passé sont, eux, des créations de mon imagination, rendues nécessaires par l’intrigue.

 

L’Annonciade n’est pas un roman nostalgique ; en tous cas, il n’a pas été écrit avec l’idée de magnifier le passé pour mieux descendre le présent.  Evoquer l’autrefois ne veut pas dire le regretter. L’époque où nous vivons n’a certes rien de réjouissant, mais celle qui se dessine à travers les pages du roman n’est guère attrayante non plus. Penser qu’elle était exempte des difficultés quotidiennes, du mal de vivre, de la souffrance morale est une aberration, et un non sens.

 

Cependant, lorsqu’il m’arrive de revenir dans le quartier des Pentes et que je revois ces rues qui furent pour moi le monde entier pendant de longues années, je ne peux m’empêcher d’avoir le cœur serré. Il n’y a plus rien, ici. Je veux dire, rien de ce que j’ai connu. Plus de magasins mais des pianos-bars, des pubs où la « jeunesse » branchée vient se divertir le soir. Et quand j’évoque la rue Pouteau, ce lieu central du roman, ce n’est pas ce désert de devantures définitivement closes que je revois ; ce ne sont pas ces trottoirs livrés le soir à cette pieuvre monstrueuse qu’est l’industrie automobile. C’est la rue pavée grouillante d’une vie populaire, avec ces groupes de femmes bavardant au coin d’une rue, c’est ce flot incessant de piétons qui coulait entre le Plateau et les Terreaux, cette agitation de l’heure vespérale où le trolleybus déversait sa cargaison de travailleurs harassés, où hommes et femmes remontaient de la Presqu’île et s’arrêtaient à la pâtisserie, à la charcuterie, à la laiterie… Personne ne songeait à communiquer. On parlait, simplement.

 

La superbe couverture réalisée par France Delhaye ne donne pas de piste concernanthttp://www.bandbsa.be/contes3/annonciade.jpg l’intrigue, mais donne par contre une des clefs symboliques du roman : du haut de la colline de Fourvière, la ville est dominée par deux statues : l’une, miséricordieuse, de Marie, l’autre, vengeresse, de Saint Michel. Et c’est ce dernier qui apparaît de dos, au premier plan. Il représente à la perfection le poids des conventions sociales et morales, de l’éducation et de la religion qui, avant 1968, écrasaient les aspirations individuelles et pouvaient être ressenties, paradoxalement, à la fois comme un précieux garde-fou et comme une intolérable absence de liberté. La lance de Saint Michel n’est-elle pas comme une menace invitant les hommes à ne point transgresser les interdits ?...

 

J’ai aussi voulu évoquer, surtout dans les premières et les dernières pages du roman, l’importance à cette époque du brouillard à Lyon. Avec ses deux fleuves, ses marécages du Rhône non encore asséchés, la ville était réputée pour son ambiance brumeuse, grise, triste. Les façades noires et crasseuses de ses maisons ajoutaient encore à cette atmosphère qualifiée de « lugubre ». Certes, lugubre, elle pouvait l’être ; mais quelle poésie perdue dans ces nuances de blanc, de gris et de noir…

 

Sur le plan symbolique, le brouillard est important, dans L’Annonciade, même s’il n’apparaît qu’au début et à la fin : il cache, travestit, déforme. Derrière ce rideau blanc, se dissimulent les envies secrètes, les complots occultes, les manœuvres frauduleuses… Mais ne permet-il pas également, comme les masques de Carnaval, d’être librement soi-même, de se révéler enfin tel qu’on est, ne serait-ce que le temps d’une soirée ?...

 

Il n’y a plus de brouillard sur les Pentes. Ni à Lyon même. De vrai brouillard. Je refuse de donner ce beau nom à cette brume légère et vaporeuse qui enveloppe parfois la ville et qui vient beaucoup plus souvent du couloir de la pétrochimie que du Rhône ou de la Saône. J’ai connu des petits matins sublimes sur les ponts, perdu dans l’opacité des volutes blanches, quand le vert émeraude des eaux du Rhône jaillissait tout à coup à la faveur d’une trouée. J’ai senti, humé, adoré cette odeur de marais qui montait des fleuves et vous plongeait dans un univers qui n’avait pas besoin d’enchanteur ou de sorcier pour être magique. J’ai connu dans les rues de cette ville des plaisirs désormais interdits, aussi interdits que le sont à présent la fumée des cigarettes et l’odeur de la sueur.

 

Il n’y a plus de maisons crasseuses, noires, couvertes de suie et de pollution ; il n’y a plus de ruelles sombres et mystérieuses. Du moins ne les vois-je plus. La souillon s’est mis du fard aux joues. Elle est devenue ouvertement belle. Et c’est bien, finalement.

 

Mais à la splendeur et la richesse de Shéhérazade, j’ai toujours préféré la beauté cachée de Cendrillon.

 

 Didier FOND

 

 

http://fonddetiroir.hautetfort.com/

Publié dans présentations

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Christine Brunet a lu "Farces et attrapes" de Gilles Saint-Laurent

Publié le par christine brunet /aloys

 

Photo Christine Brunet NB

 

 

J'ai donc lu, "Farces et attrapes" de Gilles Saint-Laurent. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, ce nom est un pseudo... celui de Laurent Dumortier, bien connu par ailleurs pour ses recueils poétiques.

 

Pourquoi ai-je choisi ce petit recueil de nouvelles ? D'abord par envie récurrente de lire du fantastique... Et puis je voulais découvrir ce que Laurent avait publié sous cette autre identité. Bien entendu, le titre aurait pu être un atout supplémentaire mais je me suis laissée guider dans ce choix par... l'auteur lui-même.

 

Lorsque je l'ai reçu, j'ai été vaguement déçue de constater qu'il ne s'agissait pas là, sans doute, d'unhttp://www.bandbsa.be/contes3/farcesattrappesrecto.jpg recueil de textes à tendance SF ou fantastique mais le dessin de la couverture m'a interpellé. J'ai ouvert le livre... et je ne l'ai plus refermé jusqu'au point final !

 

D'accord, j'en conviens, le titre augure rires, fêtes familiales et joies enfantines... Un titre qui est, en lui-même, une farce...

 

J'ouvre le livre et me voilà bien attrapée au jeu équivoque de l'auteur :  des nouvelles courtes, surprenantes, fortement teintées de fantastique comme je les aime, avec des chutes et des détours étonnants.

 

Violence, terreur, un soupçon de suspens, un brin de folie... 

 

Un brin seulement ? Non, beaucoup ! Un peu comme si le monde devenait fou ! Dimensions parallèles ou Histoire parallèle ? La farce est bien là, dans le trompe l'oeil, en embuscade.

 

Des jeux d'enfants qui tournent court, un gouvernement qui pratique l'épuration ethnique des... Belges, un restaurant où il ne fait pas bon prendre quelques kilos de trop, et j'en passe..

 

Un ton ironique qui nimbe cet univers en contrepoint tapi au détour du quotidien... Je me suis amusée entre deux grincement de dents... Un livre à découvrir !

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

www.passion-creatrice.com

Publié dans Fiche de lecture

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Pour un désir venu de l'adolescence, une nouvelle de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

 

POUR UN DÉSIR VENU DE L'ADOLESCENCE

 

11 janvier

 

Je pose un baiser sur sa joue. Depuis mes 12 ans, j'ai rêvé de poser un baiser sur sa joue, de lui prendre la main, de respirer son parfum, de l'écouter, d'être suspendue à ses lèvres.

 

Aujourd'hui, je pose un baiser sur sa joue. Je dis "sincères condoléances". Ma main demeure serrée dans la sienne. Je voudrais que l'instant s'étire jusqu'à n'en plus finir.

 

Il lâche ma main. Je fais un pas. Je serre la main de sa mère, je murmure "sincères condoléances". Je m'en vais, mes épaules supportent le poids du monde. Ma démarche est lente.

 

Je n'ose jeter un regard en arrière. Je devine ses yeux, bleus, si bleus. Ma tendresse pour lui ne s'est jamais émoussée.

 

Cela fait plus de dix ans que j'ai épousé un voisin et pourtant, j'ai continué à rêver de lui. Il était de tous mes fantasmes. Chimères, utopies et compagnie.

 

"Tout vient à point à qui sait attendre."

 

 

12 janvier

 

Je vais le revoir. Je vais aller chez lui. Depuis le décès de son père, mon mari s'est mis en tête de l'aider à accomplir les démarches administratives qui s'imposent. De simple relation d'affaire, il est devenu pour lui plus qu'un copain.

 

Je voudrais que de telles occasions se multiplient.

 

"Abondance de biens ne nuit pas".

 

 

13 janvier

 

Je le revois chez sa mère. Je pose un baiser sur sa joue, un baiser pour consoler, pour manifester la sympathie, pour me rapprocher de lui. Personne ne pressentirait le plaisir venu de ce simple baiser sur la joue. 

 

Son deuil nous rapproche. Je laisse parler mon mari, je laisse passer les mots au-dessus de moi comme des insectes inoffensifs. Je ne vois que Philippe.

 

Entre deux sanglots, sa mère me dévisage. A-t-elle l'intuition du trouble, du désir, de l'attention gourmande que je porte à son fils ? Non. De nouveau, elle parle de la longue maladie de son mari.

 

Elle pleure encore. Je demeure muette.

 

Toute la pièce embaume le vétiver. La voix grave, chaude de Philippe s'offre à moi. Un contenant dont le contenu m'est presque indifférent. Que m'importent les paroles. Seuls comptent le timbre, le rythme, la musicalité des phrases qui s'enchaînent.

 

J'aspire à ce baiser que je poserai sur sa joue en quittant la maison. Puis j'aspirerai aux baisers suivants.

 

Pour un simple baiser, je rédigerais toutes les adresses, je timbrerais toutes les enveloppes, j'entendrais de longues heures le récit d'une agonie.   

 

Sur le carton de remerciements, la photo du père me renvoie au fils. Une ride de bienveillance au coin de l'œil. Un pli de timidité sur le front. Un peu du même bleu dans la pupille.

 

"Vouloir c'est pouvoir."

 

 

15 janvier

 

"Ne sois pas vexée, ma chérie. La mère de Philippe ne veut plus que tu m'accompagnes chez eux. Elle a l'impression que tu dégages quelque chose…, quelque chose… de pas très net… J'irai donc seul chez eux ce soir, pour y voir plus clair dans tous ces problèmes de succession."

 

Ô regrets. Comment ne suis-je pas parvenue à contrôler davantage mes élans ? Comment cette mère qui a tant couvé son unique fils est-elle parvenue à percer une part de mon émotion ? Comment a-t-elle eu l'audace de formuler sa pensée ? Vigilance d'une âme simple? Intuition d'un cœur de mère ? Qui pourrait le dire ?

 

Je boirai le calice jusqu'à la lie.

 

"Le vin est tiré, il faut le boire."

 

 

17 janvier

 

Je parcours le marché hebdomadaire. Je vais d'échoppe en échoppe. Je suis pareille à un chercheur, à un félin, à une louve. Je flaire. Je suis à l'affût d'une trace, d'une silhouette, d'une odeur, d'une démarche. Je rôde. Je vais, je viens.

 

Une intonation, une inflexion particulière. C'est sa voix. C'est lui. A quelques mètres à ma gauche, face à l'étalage du fromager.

 

Mon cœur bat la chamade, mes mains tremblent, une boule se forme dans ma gorge.

 

C'est sa voix. C'est lui. Il m'a vue, il me fixe.

 

Sa mère est à ses côtés. Elle ne m'a pas remarquée. Elle se penche pour choisir un fromage.

 

Je fais un signe de la main, comme une enfant timide le ferait en croisant saint Nicolas ou le Père Noël. Il sourit. Il me sourit.

 

Je n'ai pas posé un baiser sur sa joue mais j'ai vu se métamorphoser le bleu de ses yeux et il n'est plus pour moi d'autre azur que celui de ses yeux.

 

"Bien faire et laisser dire."

 

 

20 janvier

 

Je l'aperçois, au loin, sortant du bureau de poste et mon cœur est en joie. Aurais-je encore l'occasion un jour ou l'autre de poser un baiser sur sa joue ? Qu'y aura-t-il de plus entre nous qu'un "bonjour", qu'un hochement de tête, qu'un signe de la main ?

 

En suis-je vraiment restée à mes rêveries d'adolescente ?

 

"Défiance est mère de sûreté."

 

 

22 janvier

 

Mon mari me dit que Philippe est en déplacement aux États-Unis jusqu'au 6 février, qu'il l'a chargé de veiller sur sa mère comme il le ferait sur sa propre mère.

 

Aucun commentaire. Aucune question. Juste une sorte de douleur qui monte dans ma poitrine. Le chagrin de rester sans le voir.

 

"A chaque jour suffit sa peine."

 

 

25 janvier

 

Mon mari revient de chez la mère de Philippe. Il tient en main une boîte remplie de massepain. "Une friandise faite maison pour me remercier de ma gentillesse", m'a-t-il confié avec un rien de pourpre aux joues.

 

"A l'œuvre, on connaît l'ouvrier."

 

 

29 janvier

 

Ce sont des truffes maison que la mère de Philippe vient d'offrir à mon mari. Toujours ce pourpre aux joues pour justifier ce ballotin.

 

"Chat échaudé craint l'eau froide."

 

 

9 février

 

Nous allons à la messe célébrée pour les défunts du mois de janvier. Quand nous arrivons dans l'église, il ne reste que deux places libres derrière eux. Mon mari et moi les occupons. Une odeur de vétiver chatouille mes narines. Je suis ses moindres mouvements. Je serais incapable de faire état du contenu des lectures et du prêche. Je feins une quinte de toux, je fais tomber une pièce de monnaie lors de la collecte, je parle un peu à mon mari pour faire entendre ma voix. J'attends vainement qu'il se retourne pour un quelconque signe de paix après le "Notre Père".

 

L'office terminé, il se dirige avec sa mère vers l'autel consacré à la Vierge, ils y allument un cierge tandis que nous gagnons la sortie.

 

Dimanche pluvieux. Dimanche de mélancolie. Dimanche gâché.

 

"Autant en emporte le vent."

 

 

13 février

 

Demain, Saint Valentin. Cupidon sera-t-il au rendez-vous ? Je passe une nuit d'insomnie, drapée dans la mousseline du doute…

 

"Il ne faut jamais jeter le manche après la cognée."

 

 

14 février

 

Il est seul sur le marché. Je l'observe qui achète des légumes. Je vais vers lui. Je lui souris, je tends la main, je pose un baiser sur sa joue. Il me regarde, il me sourit.

 

"Excuse-moi. Je suis pressé. J'achète un petit bouquet de fleurs pour la femme de ma vie. C'est un grand jour, je vais faire ma déclaration".

 

Je tremblote, je rougis. Je fais : "Ah oui ???"

 

"Oui, c'est pour Rita, la petite infirmière qui a si bien soigné Papa."

 

Le sol se dérobe sous mes pieds. Je vacille. Il me rattrape par le bras. "Eh attention… Ne tombe pas. Cela ne fera pas venir le printemps plus vite !"

 

Son rire me ronge le cœur, l'esprit, l'espoir.

 

Il n'y aura plus de baiser sur la joue, d'attente infantile, de rêves de rencontres. Le bleu de ses yeux me paraît soudain moins intense…

 

Le soir, mon mari rentre du travail, avec du champagne et du homard. "Soirée cocooning au menu", m'annonce-t-il en m'embrassant tendrement.

 

Ses lèvres sont douces. Ses bras sont chauds. Je m'y blottis comme aux premiers temps de nos fiançailles. Je pense à Philippe, à Rita, à mes douze ans, à mes vingt ans, aux lettres d'amour que mon mari m'envoyait à la Cité Universitaire. Je pleure. Mon mari essuie une larme sur ma joue. "Des couples comme le nôtre, il n'y en a pas beaucoup", conclut-il.

 

"Les chiens aboient, la caravane passe."

 

 

22 février

 

On m'a dit qu'on avait vu mon mari attablé dans un salon de thé avec la mère de Philippe.

 

On m'a dit qu'elle lui tenait la main, qu'ils se regardaient tendrement. On m'a dit et j'ai laissé voguer le soupçon, la crainte, la colère. Puis j'ai goûté au cocktail de la jalousie.

 

On m'a dit… Je ne parviens pas à gommer ce qu'on m'a dit, j'en frémis encore…

 

"Il n'y a pas de fumée sans feu."

 

 

Mars et début avril

 

Les gaufres succèdent aux confitures, aux pâtés. Chaque bouchée que je mastique porte son interrogation.

 

On m'a dit que mon mari était allé répandre de l'engrais sur la pelouse du jardin, chez la mère de Philippe.

 

On m'a dit que la mère de Philippe, une femme si dévote, se confessait chaque samedi, depuis le décès de son époux.

 

On m'a dit que la mère de Philippe se rendait à présent chaque mercredi chez l'esthéticienne.

 

On m'a dit. On me dit et j'assimile les mots comme des mets indigestes.

 

J'ai rencontré Philippe chez le boulanger. Il a posé un baiser sur ma joue. Il m'en est demeuré sur la peau une sorte de sensation d'humidité ou plutôt de viscosité désagréable...

 

"Les grandes douleurs sont muettes."

 

 

19 avril

 

Mon mari et moi allons à la veillée pascale. Rita, Philippe et sa mère se trouvent deux rangées derrière nous.

 

Comme la plupart des ouailles, après la célébration, nous nous rendons à la salle paroissiale pour prendre le verre de l'amitié. Philippe et Rita se tiennent la main, se dévorent des yeux. Ils sont tellement beaux, tellement attentifs l'un à l'autre.

 

Il y a peu de temps, j'aurais dit : "Bravo pour la convivialité, Monsieur le Curé". A présent j'en veux à ce prêtre d'avoir organisé cette réception.

 

Au bout d'une demi-heure, tandis que je grignote quelques cacahuètes, tandis que j'écoute mon amie Danielle conter ses derniers exploits sportifs, tandis que je commence à être grisée par les effluves d'alcool et d'amitié, tandis que je commence à glisser dans la douceur des parfums floraux des bigotes coquettes, tandis que des conversations joyeuses commencent à me tenir lieu de balises, à deux pas de moi, la mère de Philippe pose un baiser sur la joue de mon mari…

 

Alors et alors seulement, je décide que bientôt j'aborderai un univers où il n'y aura probablement plus d'odeur de vétiver, ni de confitures faites maison, ni de réceptions conviviales, ni d'hommes aux beaux yeux bleus… Là où tout sera grisaille. Là où le rêve sera la bouée de sauvetage. Là où l'adolescence s'achève, quel que soit l'âge.

 

"La faim chasse le loup hors du bois."

 

 

20 avril

 

En ce dimanche pascal, je reçois mes parents et mes beaux-parents. Dès le lever du jour, je cuisine. Au menu, boudins au saumon fumé et aux filets de sole, potage froid aux asperges, vol au vent aux fruits de mer, gigot, gratin dauphinois, mousse au roquefort, nid. Tandis que mon mari dresse la table et se rend chez le pâtissier pour acheter le nid, je termine la mousse de roquefort, une de mes réalisations les plus réussies, dit-on. J'en prépare donc deux terrines, une pour mes convives du jour, une pour la mère de Philippe que j'assaisonne ainsi que me le dicte mon émotion. Mon mari est ravi que j'aie pensé à la mère de Philippe. Sitôt, les vins débouchés, il va lui porter mon fromage.

 

L'après-midi passe agréablement à bavarder, à boire, à manger. Je tremble à peine lorsque je présente ma mousse de roquefort. Je laisse aux autres le soin de l'entamer. Je reçois les compliments habituels. "Quelle délicieuse alliance des fruits et du fromage ! Quelle onctuosité ma chérie" !   

 

Après le repas, nous jouons aux cartes. Le dimanche se termine en notes joyeuses et souriantes.

 

"Le soleil luit pour tout le monde."

 

 

21 avril

 

Dès huit heures, le téléphone sonne. Mon mari décroche. Philippe est à l'hôpital, ses heures sont comptées. Rita a dû subir un lavage d'estomac. La mère de Philippe est indemne, elle n'a mangé ni champignons, ni mousse de roquefort, ni gâteau. Elle a un si petit appétit ces derniers temps.

 

Je ne sourcille pas. Je laisse mon mari aller la rejoindre à l'hôpital. Après, j'assumerai jusqu'au bout…

 

"Qui ne risque rien, n'a rien."

 

 

23 avril

 

Je viens d'être interrogée par un policier. Je pense n'avoir rien laissé percevoir de mon trouble. J'ai gardé les mains posées à plat sur la table, j'ai respiré amplement.

 

"Comme on connaît les saints, on les honore."

 

 

22 mai

 

Je viens de lire dans un journal local, que les champignons des bois servis par la mère de Philippe lors du repas pascal seraient à l'origine de tous les maux ! Des champignons congelés, dégelés, recongelés, laisse entendre l'article.

 

Ma vie se poursuit, calmement sans que le remords se manifeste.

 

Mon mari va moins souvent rendre visite à la mère de Philippe. Il faut dire que depuis peu, Rita est venue s'installer chez elle.

 

Dans une semaine, à l'occasion de l'Ascension, je reçois des amis. Je sais déjà qu'il n'y aura pas de mousse de roquefort au menu…  

 

"Autres temps, autres mœurs."

 

 

Extrait de "Nouvelles à travers les saisons", chez Chloé des Lys

 

Micheline Boland

micheline-ecrit.blogspot.com

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Une poésie de Jean-Marc Brogniez... Tripel karmeliet's blues

Publié le par christine brunet /aloys

 

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TRIPEL KARMELIET'S BLUES.

La fée des estrans
alerte de godets, de danses et de chants,
chemine le long des fortifications
dans les brumes crépitantes de l'aurore
de bien après Carnaval.

Les cheveux rouges travaillés en de multiples tresses africaines
balayant des épaules seulement fragiles d'apparence,
insensible au froid des clameurs et des gens,
vêtue d'une simple chasuble en dentelles,
elle sème derrière elle
un apaisant parfum d'allégresse et de sincérité.

A ses côtés,
des chevaux de trait puissants, attentifs,
attendent les marées à crevettes
entrecoupées de processions et de promenades dans les dunes.

Les maisons basses,
les canaux,
les jardins populaires
somnolent encore.
Il n'y aurait qu'à de pencher,
qu'à demander à se reposer,
qu'à recueillir la rosée ébahie des songes.
Oui, mais pourquoi importuner?

Les ailes immobiles,
silencieuses,
privées de voiles,
des moulins
chantent la berceuse
des marins disparus à la pêche en Islande.


La mer ne se tient pas loin
mais pourtant, déjà, on ne l'entend plus.

Alors,
assis,
hébété de sérénité,
vient l'instant où l'on se demande
s'il ne serait pas utile
de simplement devenir fou
ou alors d'apprendre à prier.

 

 

Jean-Marc BROGNIEZ

 

 

 

 


Publié dans Poésie

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Galerie royale, Ostende, une nouvelle d'Edmée de Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

 

Edmee-chapeau

 

-Galerie royale, Ostende – Edmée De Xhavée

 

1958 - Quand la porte de la galerie s’était ouverte, il avait levé les yeux de son journal. Dehors il pleuvait, et le froid s’était installé autour de ses os, raidissant ses gestes et sa pensée. La plage était grise et mitraillée de gouttes de pluie, et la mer et le ciel gris s’unissaient dans la brume. Oh, une exposition à Ostende la reine des plages lui avait semblé une splendide opportunité de découvrir le nord. Rien à voir avec Ostie et son sable noir, où il avait grandi dans de joyeuses courses avec ses amis d’enfance, rêvant déjà des secrets du monde.

C’était l’été pourtant, mais un été belge. Un mauvais été belge, lui avait-on affirmé en frissonnant.

Elle était là, en imperméable, et enlevait son foulard, libérant de courts cheveux bruns qui s’ébrouèrent lorsqu’elle secoua la tête. Les deux enfants qui l’accompagnaient semblaient indifférents à ses mains qui faisaient glisser les capuchons et essuyaient un peu leurs visages de ses mains nues. Elle avait l’air éteinte de l’intérieur, habitée par l’absence. Mue par des réflexes, de l’automatisme.

Il s’était avancé, content de cette occasion de dissiper son sentiment d’inutilité, et s’était présenté. Renato Baldassare, l’explorateur responsable de cette collection de sarbacanes,  têtes réduites,  flèches à l’élégance mortelle. Les enfants étaient fascinés par les bouches cousues de ces petites têtes à l’expression morne, et lui posaient des questions. Explorateur…  ils en avaient une idée de cinéma, et il pouvait voir qu’ils l’imaginaient pourfendant la jungle à la machette sous la menace des flèches trempées dans le curare et traversant l’air moite avec un bruit soyeux se terminant par le hurlement court d’un guide malchanceux.

Lui, il la regardait, elle. Elle souriait avec timidité, polie, amusée de son empressement. Il cherchait dans ce regard lointain et nimbé de solitude ce qui pourrait l’animer. Au bout d’un moment, il réalisa qu’elle s’apaisait, peut-être était-ce son timbre de voix – cette voix italienne, un peu étouffée, feutrée, douce comme le froissement du velours – qui chassait son agitation, il avait souvent constaté cet effet. Détendue elle invitait les enfants à toucher, comme il les y encourageait, les plumes rubis d’une flèche, ou à examiner la photo d’une femme aux cheveux noirs et lisses allaitant un cochon de lait. Leurs questions trouvaient leur écho chez elle, elle levait un regard animé vers lui, quémandant la réponse pour ses enfants, le visage fendu d’un sourire en demi-lune. Et lui, il se surprit à ne répondre que dans le lac de ses yeux verts, chuchotant, le cœur basculant vers bien autre chose que ce qu’il aurait voulu.

Elle avait fini par réagir. Une expression un peu perdue, soudain méfiante, les lèvres rigides, le corps se redressant comme dans un mouvement de fuite. Elle avait déplié son foulard et l’avait remis sur ses cheveux, incitant les enfants à se préparer pour s’en aller, l’heure de leurs crêpes au beurre sur la promenade Albert était là…

« Revenez ! » avait-il soufflé comme un homme déchiré. Et il l’était. Pourquoi, il ne le savait pas vraiment, mais il ne voulait pas la perdre…  Elle ne répondit pas, le remercia en chœur avec les enfants, avec  une insouciance feinte et, il le vit bien, en fuite. 

 

Edmée de Xhavée

edmee.de.xhavee.over-blog.com

 

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Publié dans Nouvelle

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