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Changement de cycle, une conte pour la rentrée de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

boland photo

 

CHANGEMENT DE CYCLE

 

1er septembre, jour de rentrée scolaire. Ben a beau avoir huit ans, avoir déjà l’expérience de deux rentrées à la "grande école", le cœur n’y est pas. Difficile de faire le deuil des jours de liberté, de jeux improvisés avec les cousins et les voisins, des pique-niques au jardin. Difficile de se séparer du cocon familial pour se plier aux exigences ce Monsieur Baudouin, un instituteur qui, voici des lustres, a déjà été celui de son père. Une sorte d’ogre exigeant. "Tu sais fiston, les premiers jours, je tremblais tellement face à lui, que mon écriture était devenue quasiment illisible. Heureusement, Oncle Bernard était dans ma classe. Il suffisait que je lui adresse un petit regard, pour reprendre courage…"

 

Qu’est-ce son père lui en a parlé de ce Monsieur Baudouin ! "C’est grâce à lui que l’ordre est devenu ma seconde nature. Le jour de Saint Nicolas, il a offert à chacun une flûte à bec en plastique. C’est lui qui nous a appris à en jouer. Mon goût pour la musique, c’est à lui que je le dois. Quand nous avions les yeux dans le vague, il nous interrogeait. Quand nous répondions bien, il disait que certains élèves ont l’air de rêver alors qu’ils réfléchissent. Il nous prouvait ainsi qu’il ne faut pas se fier aux apparences !"

 

Comment ne pas avoir peur de ce Monsieur Baudouin, sorte de super Papy tout puissant et omniscient que son père évoque avec une telle palette d’émotions dans la voix ?

 

Jusqu’alors, Ben n’a connu que des institutrices, jeunes, maternelles et spontanées. Cette année, cela change.  

 

Heure H…

 

Ben s’assied où Monsieur Baudouin le fait asseoir. Monsieur Baudouin commence par passer en revue les règles de vie en classe. Ce n’est pas gagné d’avance ! C’est en vain que Ben cherche à croiser le regard de ses copains Greg et Mathieu tandis qu’il recopie le règlement à la deuxième page de son journal de classe. Son écriture est tremblée comme devait l’être celle de son père. Tous, ils sont tous comme empruntés et timides face à cet instituteur qui les ouvre à un nouveau cycle.

 

Ben regarde un moment par la fenêtre. Même pas un oiseau dans le platane, même pas un ballon dans la cour. Soudain, il aperçoit Chipie. Oui, c’est bien sa chienne qui se trouve là au pied de l’arbre. Quelque chose de la douceur de la maison, ici, à l’école, en ce début septembre.

 

Chipie, aux aguets comme lui-même devrait l’être. Il n’est plus seul avec ses craintes. Pour affronter les aléas de la vie, il connaît des filles comme sa sœur aînée qui gardent la photo d’un ami ou d’un parent dans un coin du cartable ou du plumier. D’autres, comme sa mère, portent un médaillon que leur a offert un être cher. Lui, c’est un être vivant, sa fidèle compagne de jeux qui l’a accompagné jusqu’à l’école en ce jour particulier. Déjà, il se sent plus confiant.

 

Juste un regard de temps en temps vers le pied du platane, pour reprendre  pouvoir sur lui-même. Son écriture devient plus ferme, ses acquis lui apparaissent de nouveau maîtrisés. Quand Monsieur Baudouin lui demande de lire ce qui est écrit sur le tableau, Ben le fait d’un ton assuré.

 

Lorsque la sonnerie retentit pour annoncer la récré, il semble à Ben qu’il s’est déjà acclimaté au nouveau cycle.   

 

Dès qu’il est dehors, Ben cherche Chipie. Elle n’est plus là. Les caresses de remerciement, ce sera pour la fin de l’après-midi, juste avant de recouvrir les cahiers avec ce papier bleu qu’il a pris tant de plaisir à choisir…

 

Micheline Boland

homeusers.brutele.be/bolandecrits

Publié dans Nouvelle

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Philippe Desterbecq a lu "Trop plein" de Nadine Groenecke

Publié le par christine brunet /aloys

 

Phil D

 

Nouvelle découverte pour moi : Nadine Groenecke.

photo couverture nad

Dès les premiers mots, Nadine a réussi à m'embarquer dans ses histoires qui forment le recueil intitulé - Dieu sait pourquoi - "Trop plein". Sur la couverture, la coupe déborde, voilà peut-être la raison du titre donné à cet assemblage de dix nouvelles à lire absolument.

Mais interrogeons l'auteure à ce sujet. Nadine, pourquoi ce titre?

Trop-plein sous-entend un trop-plein d'émotions. Le cocktail de la couverture du livre les symbolise : un mélange qui déborde. Il existe six émotions de base (peur, tristesse, joie, dégoût, surprise, colère) et je pense les avoir toutes relatées à travers mes nouvelles.

Le crabe.

"Faire le vide dans ma tête. Ne plus penser. Me laisser bercer par la musique ambiante..." Les premiers mots de cette première nouvelle annonce la couleur : L'héroïne n'est pas bien, pas bien dans sa tête qu'un crabe dévore lentement, pas bien dans son corps.
"Ca y est, j'ai lâché prise, je suis ailleurs, si loin ... je suis à nouveau une petite fille." Les souvenirs affluent et sont reliés au présent par un lien que le lecteur ne découvrira qu'à la fin.

Double métamorphose.

Imaginez que vous êtes une jeune femme sans grand intérêt, au physique ingrat et que vous rencontriez Apollon en personne. Que seriez-vous prête à réaliser pour un seul regard de lui? Accepteriez-vous une totale métamorphose de votre personne? Elodie a tout fait pour plaire à l'homme dont elle est secrètement amoureuse mais ... n'a-t-elle pas subi toutes ces transformations pour rien? Le dénouement n'est pas celui que le lecteur attend.

La retrouver.

 Carole n'a plus vu son amie Bérénice depuis 10 ans et voilà que celle-ci se rappelle à son bon souvenir. Carole est tout excitée à l'idée de la retrouver mais c'est sans compter sur le destin qui se charge de changer le cours des choses.

Retour de mission.

 Cécile n'en peut plus; elle est seule pour élever ses deux enfants et s'occuper de tout. Son mari est militaire et se trouve dans le golfe du Mexique; il lui promet son retour pour samedi ...

Goute.

 Le lycée. L'adolescence. L'héroïne est secrètement amoureuse d'un garçon un peu différent des autres. Le destin les réunira-t-il?

Sept roses rouges.

Cyrielle attend son mari. C'est aujourd'hui le septième anniversaire de leur mariage et elle est sûre que Vincent va lui faire une surprise. Mais la surprise n'est pas celle qu'elle attendait...

A n'ouvrir qu'une fois dans l'avion.

 Sabine part seule en Crête. Là-bas elle rencontre un homme charmant avec qui elle passe des moments merveilleux. Au moment de se quitter, il lui donne un petit paquet à n'ouvrir qu'une fois dans l'avion...

Le nouvel atelier.

Mathilde se rend pour la première fois dans un atelier de peinture. Là-bas personne ne l'attend...

Peut-être la nouvelle que j'ai préférée par l'ambiance que Nadine a réussi à créer.

Le jardin d'Eden.

Un couple emménage dans une nouvelle maison. Le jardin leur faisant face est un véritable paradis. L'héroïne de cette nouvelle n'aura de cesse que de construire son propre paradis...

Tout peut arriver.

 Madame Robinet est enseignante dans un lycée, elle a quelques classes très difficiles à gérer. Un jour, elle se casse le col de fémur. Sa remplaçante saura-t-elle faire face?

Ces dix nouvelles sont très bien écrites, les mots bien choisis, le style fluide et clair. Voilà quelques textes à lire sur la plage ou ailleurs cet été. Un très bon recueil qui a reçu le prix Victor Hugo.

A lire aussi, de Nadine Groenecke : Sauvetages, roman.

 

 

 

Philippe Desterbecq

philippedester.canalblog.com

philibertphotos.over-blog.com

Publié dans Fiche de lecture

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Poème pour un mécanicien, des vers de Georges Roland

Publié le par christine brunet /aloys

 

rolandtete

 

POEME POUR MECANICIEN

 

 

Extrait du grand florilège : Pour faire pleurer Margot,

Voici l’histoire - la triste histoire - histoire réservée

Aux mécaniciens d’automobile, voici donc l’histoire

Navrante, mais authentique, du Piston et de la Bielle.

La valse, bien sûr, sera à quatre temps.

 

Un piston était amoureux d’une bielle

Rencontrée au grand bal de la chaîne de montage

Le piston mit sa chemise la plus belle

S’étant plus tout de suite ils conclurent mariage

Il s’unit pour toujours à sa tendre amie

On alluma des bougies pour la fête

On fit venir des culbuteurs de la famille

On défila devant eux arbre à cames en tête

Mais voici qu’un beau jour la perfide bielle

S’amouracha d’un vilebrequin odieux

Qui habitait le même palier qu’elle

Dont le port élégant lui avait ravi les yeux

Et le piston pleurait de tous ses segments

Ses larmes inondaient la petite bielle

Mais sans vergogne la perfide et cruelle

Continuait de danser au bras de son amant

 

Alors le piston brisa leur alliance inutile

Le segment de feu arracha sa chemise

Quelque chose clocha dans l’automobile

La bielle repentante coula et ce fut la crise

 

(extrait de « Chansons de Roland »  éditions bernardiennes)

 

Georges Roland

www.georges-roland.com

Publié dans Poésie

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Christine Brunet a lu "A fleur de peau" de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

Photo Christine Brunet NB

 

Méfiez-vous des coups de chaleur ! Fuyez la retraite ! Ce recueil est celui des "bleus à l'âme, du vague à l'âme". Il est celui des mesquineries, des coups de sang, des travers peu reluisants de l'âme humaine. Le ressort se brise, un dixième de seconde et tout bascule... Folie d'un instant, capital.

A côté de cela, comme des pauses musicales, des nouvelles douces-amères, tristes, qui nous préparent à la suite.

Des textes courts, des personnages taillés au scalpel dans la pâte à modelerNouvelles-peau-1.jpg de la vie... réfléchissez... Et si cette femme exaspérée, c'était vous ? Oui, vous ! Vous qui avez sans doute déjà ressenti ce qu'elle ressent... Il ne manque plus que l'instant fatal... Cet instant furtif qui ne vous a pas encore échappé...


Site auteur : homeusers.brutele.be/bolandecrits

Blog : micheline-ecrit.blogspot.com

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

Publié dans Fiche de lecture

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Reine Bale : "Je n'ai pas besoin d'admirateurs, mais de lecteurs"

Publié le par christine brunet /aloys

Reine Bale... Avant tout un nom pas courant, une intervention remarquée sur le forum Chloé des lys et une première de couverture... Quoi ? Vous ne l'avez jamais vu ? Pas possible ! Et bien sachez qu'elle est sans doute à l'origine de cet interview... Pourquoi ?http://www.bandbsa.be/contes2/agederaison.jpg Parce qu'elle est tout sauf banale, tiens !

 
Reine Bale, une petite présentation ?
Reine Bale : nom d'auteur. Mon vrai nom ? Je le garde pour moi. La raison : je suis aussi prof de lettres et ne souhaite pas que mes élèves sautent sur les scènes croustillantes de mes romans pour me tailler une réputation. La création est une liberté qui n'admet pas l'auto-censure. Quant à me présenter intimement, je pense que mes livres le feront mieux que moi. Ou d'autres personnes. Mais pas moi..

Je suppose que ce nom de plume a une histoire... Tu nous la racontes ?
Ce nom de plume est mi-fabrication, mi-héritage : Reine, mon second prénom est le prénomhttp://www.bandbsa.be/contes2/balereine.jpg legs de ma grand-mère. Après tout, chez un écrivain plane l'esprit des ancêtres et il se trouve que ma grand-mère était une femme que j'adorais. Endosser son nom, c'est un hommage mais aussi un défi, une invitation à "accroître sa puissance d'agir" pour paraphraser Spinoza. Et puis il y a "Bale", une combinaison de syllabes de mon nom marital et de mon nom de jeune fille. Ce nom croise ainsi toutes les identités, passées et présentes qui se sont fixées en moi. Ah ! j'oubliais...J'aime bien le côté désuet de ce pseudonyme.

Depuis quand écris-tu? Pourquoi ? Un déclencheur ?

Il n'y a pas eu un déclencheur du type catastrophe ou événement révélateur ; la littérature, j'ai grandi avec et je ne peux pas dire comment ni pourquoi il s'est avéré indispensable d'écrire à mon tour. C'est une histoire d'émancipation intellectuelle par rapport à des modèles littéraires particulièrement révérés. C'est venu à l'adolescence, à l'âge de la révolte et des métamorphoses physiques.
 
Lesquels ? Ceux que tu cites plus bas ? Pourquoi ceux-là ?
Ceux cités plus bas (Philip Roth, Saul Bellow, Tolstoï...) sont effectivement ceux avec lesquels je dialogue quand j'écris. Ils me rappellent à chaque fois ce qu'un roman contemporain peut être : une prise de liberté dans le ton et la narration (comme les Face-FS86-Ngen3-Yael2.jpgdigressions de P. Roth dans Portnoy, ou bien les réflexions qui, écrites en italiques dans Herzog de Saul Bellow, imitent le désordre et la spontanéité de la pensée au coeur de l'événement), une fine observation des milieux à un instant de l'Histoire (guerres napoléoniennes dans Guerre et Paix, voir le dialogue qui ouvre le roman) et ce que ces modifications historiques (sociales, économiques, techniques) génèrent chez les individus (dans leur façon d'appréhender le monde de façon très intime).

Donne-moi une définition de l'écriture :
L'écriture est, à mon sens, ce qui fait le lien entre le corps et l'esprit. Les mots forment un univers physique de sons, et de sensations tout en convoquant ce qu'il y a de plus immatériel chez l'homme : sa pensée, son imaginaire.
 
Définis ton style :
Le style que j'ai adopté est celui qui tente sans cesse de mettre la fiction au service de la réflexion ; ce n'est pas une écriture directe, (faite simplement du premier degré de l'écriture, à savoir dire pour déverser sentiments ou émotions). Non, je souhaite parvenir, en général au terme d'un travail important de correction et de re-écriture à dessiner -au-delà de la phénoménologie- une fiche d'identité des grandes problématiques de la société contemporaine. Une fois que l'idée est claire, je laisse à la spontanéité le soin d'offrir une carnation à mon propos.
 
Je n'ai pas encore lu ton livre mais... Tu sembles parler d'engagement au travers de l'écriture ou plutôt de reflet de notre société... Pourquoi choisir cette approche et pas une approche plus détachée, moins sociologique ?
D'engagement, non. Je n'imagine pas détenir une vérité qu'il faudrait absolument que je transmette ! Je laisse aux fous le soin d'évangéliser leur monde de leurs paroles insensées100_2704.JPG ! J'essaie simplement d'atteindre une forme de justesse "typologique" si l'on veut. Un roman met en place des personnages qui doivent être, pour n'importe quel lecteur, reconnaissables : à mon sens, il est important de respecter le critère de vraisemblance qui permet l'identification. Pour dresser des portraits fins et surtout justes, échapper à la caricature ou au contraire traduire la caricature quand c'est "vrai", il faut bien un peu observer, s'intéresser, s'informer ! Il y a ce que l'on connaît (certes, c'est une base), ce que l'on sent et ce qu'il manque à notre connaissance pour éviter les lieux communs. Par exemple, en ce moment, j'achève un roman dont le personnage est une très vieille dame qui finit sa vie en maison de retraite ; il m'a tout de même paru indispensable de me déplacer dans des maisons de retraite pour tenter de répondre à la question importante dans nos sociétés contemporaines : qu'est-ce que finir sa vie quand on l'achève dans une maison de retraite ? Vue d'ici, la réponse aurait pu être "c'est horrible, quelle horreur..."; bien sûr, on découvre cet aspect des choses. Mais quand on va voir de plus près, on s'oblige à nuancer. On rencontre des personnes aux parcours variés et qui n'ont pas toutes la même vision de ce qu'elles vivent. A partir de ces données contrastées, je fais une synthèse et c'est comme ça qu'un personnage de roman prend forme.
 

Du coup, j'aimerais savoir comment tu construis tes personnages, s'ils sont le reflet de ton environnement et, au-delà, de notre société. T'attaches-tu à tes personnages ? As-tu du mal à les quitter après le point final ? Peut-être ne sont-ils que des moyens de reproduire ton environnement ?
Un personnage n'est jamais qu'une synthèse fictive ; je n'en suis plus au stade où je crois que l'on brûle avec sa création ! (adolescente, j'imaginais l'artiste en proie à d'horribles tourments...Bon, on grandit, on travaille et on quitte la version romantique de l'écrivain en fusion avec son sujet.) Empathie, oui ; schizophrénie, non ! Un personnage est lié à l'auteur puisqu'il en émane ; il nous révèle inconsciemment. Mon effort est celui de dépasser le "je" pour atteindre un "on" ; que les traces de la société soient visibles sur le personnage. 
 
Ton univers littéraire :
mon univers littéraire est fait d'auteurs américains (P.Roth, S
aul Bellow), d'auteurs russes (Tolstoï surtout).
Tiens... Tolstoï est, sans doute, l'auteur russe de cette époque le moins engagé et le plus formel... j'aurais cru que ton approche de l'écriture t'aurait plutôt rapprochée de Dostoïevski... : pour Tolstoï, il y a méprise, je pense. C'est un des rares auteurs qui a tenté de mettre en pratique ses idées (et on sait à quel prix ! au prix de presque deshériter ses propres enfants, d'éloigner sa femme au nom du renoncement à ses richesses...) Et quand on lit Anna Karénine, il y a certes le portrait d'un adultère maiscouvreine-bale.jpg aussi avec le couple Kitty/Lévine (qui reproduit les idées de Tolstoï) la mise en place d'une émancipation de la condition paysanne maintenue jusqu'alors dans le servage. Justement, Tolstoï me plaît parce qu'il avait des idées ! Quant à Dostoiëvski, il y a un côté "mystique religieux christique" qui me dérange par moments. 

Et il y a également les auteurs français qui ont érigé le roman en oeuvre d'art aboutie (Flaubert, Proust, Balzac) et puis de tous ceux qui n'ont pas relégué le roman à la tentation du divertissement ou à la plus abrupte théorie.
Donc, pour toi, le roman, c'est quoi, exactement? et surtout, que doit-il être ?
Soyons clair : je ne veus pas m'ériger en théoricienne du roman. Néanmoins, beaucoup de gens écrivent des romans. Beaucoup, beaucoup...Certains confondent "roman" et "déversoir"; "roman" et "fabulette", "roman" et "objet de distraction" (remplaçant avantageusement une émission de télé sur la plage). A ce train-là, c'est gentil un roman, ça se lit comme on se fait un bon resto...Bon, d'accord, c'est une possibilité. On peut aussi envisager les choses autrement : l'art est exigeant ; il réclame du travail, des connaissances, et le plaisir de l'effort. Il réclame, pour ne pas être confondu avec le reste des productions écrites, une signification et au minimum, de la part du créateur de s'être interrogé un peu : qu'est-ce que je veux dire ? pourquoi écrire ? quelle réflexion j'amène ...?
 
Ton rapport avec tes lecteurs : difficile d'être lue? Pas du tout ? Ecris-tu pour toi, pour les autres? Explique...
ll n'est pas difficile de me lire parce que je déteste ennuyer. Je tente (et j'espère y parvenir) donner à chaque passage de mes romans une matière à sentir, à penser, à rire, à se révolter. C'est pourquoi, je corrige beaucoup. L'action (psychologique ou évènementielle) doit être savamment dosée pour permettre à la lecture de ne pas s'enliser. Ensuite, il y a l'écriture elle-même : j'aspire à atteindre une sorte de sobriété formelle où les mots, assemblés avec fluidité, retentiraient comme des évidences. Est-ce que cette intention est ressentie par les lecteurs ? Cette question, je ne peux y répondre : on m'accuserait de forfanterie ou de fausse modestie. Mais j'attends beaucoup de la publication de mon roman : il me permettra, je l'espère d'élargir, la base de mes lecteurs et donc d'obtenir (peut-être) des retours contrastés. Ce serait intéressant. J'aime que le livre soit l'occasion d'un échange : l'écriture est quand même un acte de communication au sens le plus noble du terme.
 
L'écriture n'est-elle pas, avant tout un moyen très personnel de s'exprimer, de se dévoiler ? (le pourquoi de ton nom de plume, par exemple). Quant à l'acte de communication, il faut qu'il y ait retour du lecteur, sinon il ne reste que dans un seul sens... ce retour est loin d'être systématique, parfois même pauvre... Non ? L'écriture sera-t-elle alors aussi satisfaisante ?
Dans le fond, en tant que lectrice passionnée, je n'ai pas besoin que Tolstoï soit à mes côtés pour lui parler...Le livre établit une communication si profonde qu'elle peut se faire en l'absence de la personne physique. Quand je parle de communication, je parle...allez, osons le mot, de lien spirituel. Je n'ai pas besoin d'admirateurs, mais de lecteurs. J'espère simplement en avoir quelques uns car on écrit pour être lu. Pas forcément un grand nombre. Ni de très bavards. Quelques uns au-delà de mon cercle à moi.
Vous désirez en lire un peu plus au sujet de Reine Bale ? http://reinebale.canalblog.com/link

Christine Brunet
www.christine-brunet.com
www.aloys.me
www.passion-creatrice.com
  
  

Publié dans interview

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L'étranger du square, un texte de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

 

delvilletete

 

L'ÉTRANGER DU SQUARE

Il ou elle est assis(e) sur un banc. Pas d'ici. Mais d'où ? Il ou elle paraît un peu perdu(e).

Vous l'observez du coin de l'œil. Et alors ?

 

Le vieil homme s'est assis là, il semble somnoler et pourtant à chaque bruit, à chaque passage, il a observé, il a écouté.

 

Un chien est venu près de lui. Un de ces chiens sans race qui traîne ses puces dans les jardins publics à la recherche d'un peu de nourriture ou d'une hypothétique caresse.

 

L'homme a probablement tendu la main, le chien s'est approché prudemment puis est venu se frotter contre la jambe du vieil homme. Déjà, ils semblaient amis, la main s'était attardée sur la tête de l'animal.

 

Pendant de longs moments, ils sont restés ainsi, liés par cette caresse. Le chien s'est assis et a posé la tête sur les genoux de l'homme avant d'oser y mettre une patte puis deux.

 

Le contact s'est fait plus intime. Maintenant, le chien est couché sur le vieil homme. Ils semblent ne plus former qu'un seul et même personnage étrange à tête d'homme et à pattes de chien : Le symbole même de l'amitié et de la connivence...

 

Tout le monde n'a d'yeux que pour eux. Pourtant personne n'ose s'avancer plus près. Il y a bien deux ou trois touristes qui osent une photo mais en faisant attention à ne pas troubler leur doux repos.

 

Le guide s'éloigne à pas feutrés, le groupe suit.

 

"Et maintenant, Mesdames et Messieurs, après "le dresseur de chien" de Rodin, nous passons à la statue suivante, "Hercules et Apollon"…

 

Le lendemain, en repassant par ce jardin public rempli de statues, j'ai revu Héraclès, Apollon et bien d'autres. À la place du banc et de l'étrange couple de bronze représentant un guerrier grec et son compagnon à quatre pattes, il n'y avait qu'une pancarte : "Les chiens doivent être tenus en laisse".

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

 

Publié dans Textes

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Trio... Une nouvelle d'Anne Renault... Deuxième partie !

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

renaultanne

      TRIO, suite...

 

 


 

Marie envisagea avec une sensation de grand malaise l'éventualité d'une crise de larmes. Mais Sarah reprit, plus calmement:

              - Pardon, dit-elle, voilà, je vous explique. J'ai une amie, Carine, ma meilleure amie en fait, on peut dire que nous sommes très proches. Elle est malade depuis quelque temps déjà, et hospitalisée. C'est moi qui m'occupe d'elle. Une autre femme seule, eh oui... Je vais la voir tous les soirs en sortant du travail, je prends soin de sa maison, je lui relève son courrier, je tâche de la réconforter aussi. Ce n'est pas toujours facile... On m'a appelée ce matin, de l'hôpital, il est impératif que je lui apporte des vêtements aujourd'hui. C'est pour cela que je dois me rendre chez elle, et après à l'hôpital. Alors, vous pensez, quand j'ai vu que je n'y arriverais pas, j'ai paniqué, vous êtes ma dernière chance.

         Marie pensa que tout cela était un peu exagéré, Sarah semblait exaltée. Mais enfin, elle pouvait comprendre, l'amie malade, gravement peut-être, la fatigue de la semaine, et puis se heurter à cette impossibilité de transport, le froid, la pluie, les déplacements inutiles dans la ville, on pouvait imaginer de l'angoisse, comme si le monde s'était ligué contre elle pour l'empêcher de rejoindre Carine, de l'aider.

D'un ton apaisant, elle dit:

           - Ne vous inquiétez pas, Sarah. Moi, je m'appelle Marie, et quel hasard, n'est-ce pas, je suis seule aussi et tout à fait libre de mon temps, ce soir. Dites-moi où vous voulez aller et, après, je vous conduirai à l'hôpital.

          Et à énoncer ces simples mots, à se trouver ainsi près d'une inconnue, à qui elle était en mesure de rendre un service apparemment important, Marie sentit une chape de douceur, légère et chaude, l'envelopper tout entière. Comme un apaisement, la mise en place d'énergies vacantes et, elle s'en rendait compte maintenant, plutôt lourdes à porter. Des paroles montèrent à ses lèvres, qu'elle retint de justesse: « Savez-vous que c'est moi qui vous suis redevable ? Cela me fait du bien, vraiment, de pouvoir vous aider ». Mais dire cela, c'était trop... personnel. Eh puis, elles n'étaient pas là pour se faire part de leurs états d'âme.

                  - Indiquez-moi le chemin et allons chez Carine, dit-elle.

La voiture repartit, roula quelque temps dans des rues calmes, loin du trafic du centre.

                  - C'est ici, dit Sarah.

Un immeuble jaune, banal. Marie se gara en face de l'entrée, sur le parking d'une petite supérette, qui flamboyait dans la nuit. Des gens entraient et sortaient, chargés de paquets, de sacs garnis de provision pour le week-end. Chacun allait vers son refuge, sa cage, son nid. Presque tous se retrouveraient en famille, tourneraient le dos à la froide nuit de Novembre, feraient les préparatifs d'un repas plus détendu, sans la perspective d'un lever trop matinal, le lendemain.

 Marie éprouva vivement le caractère improbable de sa situation, être là, assise dans sa voiture, à attendre une inconnue, qui devait rejoindre une autre inconnue, et qui plus est, dans un hôpital. Lui échappaient aussi la cause de l'agitation de Sarah, ainsi que du caractère urgent de sa mission. N'importe, elle se sentait bien, on avait besoin d'elle, pour un temps elle échappait à la redoutable solitude, et, qui sait, cette rencontre pourrait avoir des suites, une amitié, au moins une relation, peut-être... Elle se morigéna immédiatement. Ne rien attendre, prendre ce qui est bon, et surtout ne rien attendre, ne rien imaginer. Mais c'était difficile...

Sarah ressortit de l'immeuble, un grand sac à la main et s'engouffra rapidement dans la voiture dont Marie lui avait ouvert la portière.

  - Merci, dit-elle, j'ai essayé d'aller vite pour ne pas vous faire attendre. Et puis - elle se tourna vers Marie - vous êtes vraiment tout à fait sûre que cela ne vous dérange pas de m'emmener à si loinl ? Vous pouvez peut-être me laisser simplement à la gare, il est bien possible qu'il y ait des taxis, maintenant.

Il était vrai que l'hôpital était très excentré, il faudrait bien une vingtaine de minutes pour l'atteindre.

            - Je vous ai dit que j'avais tout mon temps, et c'est beaucoup plus commode que je vous emmène. Votre taxi, ce soir, ce sera moi.

Marie avait voulu mettre un peu de légèreté, voire de gaîté dans sa réponse, mais Sarah n'y fit pas écho.

        - Encore merci, se borna-t-elle à dire, vous me rendez vraiment un très grand service.

            Puis elle se tut.

           Marie glissa un regard vers elle. Certes, elle ne distinguait presque rien de la femme assise à côté d'elle, mais elle aperçut son profil et, à la tension des mâchoires, à une immobilité qui confinait à la raideur, ainsi qu'à la courbure du dos, le cou rentré dans les épaules dans une position défensive, elle devina une tension écrasante.

Elles roulaient maintenant sur le grand boulevard qui traversait toute la ville, du Nord au Sud et elles avaient retrouvé une circulation dense. Les  feux mal coordonnés les ralentissaient. Encore beaucoup de monde sur les trottoirs. La pluie avait tout à fait cessé, mais les arbres noirs éparpillaient des gouttes, agités par un petit vent acide, désagréable.

Bientôt, elles distinguèrent l'énorme masse carrée et trapue de l'hôpital, avec, sur sa terrasse, des feux clignotants pour l'atterrissage des hélicoptères. La route s'élargissait, elles furent doublées en trombe par une voiture du SAMU, qui se précipita vers l'entrée des urgences, gyrophare flamboyant.

Sarah demeurait silencieuse, Marie eut l'impression que l'angoisse de l'autre femme avait encore augmenté. Elle la sentait fortement présente, à des signes infimes, le corps près d'elle qui semblait s'être replié, les mains qui s'étaient resserrées sur les brides du sac.  Elle-même commençait à en éprouver les effets, le bien-être de tout à l'heure, le plaisir du service rendu avaient disparu. Pourtant elles touchaient au but, Sarah allait pouvoir rejoindre son amie, lui apporter ce dont elle avait besoin.

« Peut-être est-elle très malade », se dit Marie, s'apercevant à cet instant qu'elle n'avait posé aucune question à ce sujet, ne voulant pas assombrir l'atmosphère de cette rencontre inespérée. De plus, un problème se posait : allait-elle demander à Sarah si elle souhaitait  qu'elle l'attende? Et si celle-ci refusait, comment ferait-elle pour rentrer en ville ? De toute évidence, Marie se devait de la ramener. Mais c'était engager un peu plus avant leur relation, et, depuis qu'elles étaient reparties, Sarah, par son silence,  n'avait rien fait pour aller dans ce sens. Marie préféra attendre qu'elles se séparent  pour voir comment les choses allaient tourner.

               - Si je vous dépose  à l'entrée principale des visiteurs, cela vous convient-il ? demanda-t-elle, je pense que c'est le plus court chemin pour atteindre n'importe quel service.

              - Tout à fait. C'est donc là que nous allons nous séparer. Je vous remercie  encore infiniment de ce que vous avez fait pour moi ce soir.

Marie attendit la suite. La voiture était maintenant à quelques mètres du grand porche de l'hôpital. La lumière blanche qui en émanait ruisselait sur le terre-plein qui y menait, comme une coulée de lait. A l'intérieur, on devinait des allées et venues incessantes. Des infirmières, des soignants sortaient, par petits groupes, riant, discutant.

Marie avait laissé le moteur allumé, afin de ne pas paraître attendre de Sarah des remerciements supplémentaires, et pour ne pas la retarder.  Aussi fut-elle surprise de la voir, au lieu de quitter la voiture, se tourner vers elle.

Un temps de silence, suspendu. Sarah baissa la tête, puis la releva après une profonde inspiration,  regardant maintenant Marie bien en face.

 - Je ne vous ai pas dit de quoi il s'agit vraiment, murmura-t-elle d'une voix sourde. Voilà, dans ce sac, il y a des vêtements, mais aussi des sous-vêtements, et des chaussures, un collier aussi. Ce n'est pas pour une sortie, non... C'est sa tenue pour la mise en bière. Carine est morte ce matin, à cinq heures.

          Elle pivota rapidement et quitta la voiture, laissant Marie sans voix. Sur le siège du passager, un rectangle blanc se détachait dans l'obscurité. Une des lettres, oubliée...

 

 

Anne Renault

annerenault.over-blog.com

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"Trio"... Une nouvelle de... mais de qui, au fait ? première partie !

Publié le par christine brunet /aloys

point d'interrogation

                                                        TRIO

 

 

 

 

 

Marie regarda une fois de plus par la fenêtre. Non, il ne pleuvait plus, vers quatre heures les trombes d'eau avaient cessé, faisant place à un temps menaçant. Des nuages bleu-noir se gonflaient entre les arbres du boulevard, leurs cimes atteignant le niveau de son appartement du septième et dernier étage. En bas, elle avait vu le toit de sa voiture,  garée contre le trottoir, qui luisait comme le dos d'un gros insecte. La circulation avait repris avec intensité, on était vendredi soir, dans une grande ville.

Puis elle revint au petit tas de courrier, posé sur la table. Les six enveloppes blanches, fermées, timbrées, attiraient le regard dans la pièce qui commençait à s'assombrir. Electricité, téléphone, internet... des factures pas urgentes, certes, mais qu'il faudrait poster. Marie pensa un instant que les lettres lui demandaient avec insistance de les prendre, de les mettre dans son sac et de les emporter. « Occupe-toi de nous ! ». Elle soupira. De plus en plus, depuis quelque temps, les choses semblaient s'animer, dire ou réclamer, une chaise de travers insistait pour qu'on la remît droite, un couteau tombé cherchait à l'apitoyer pour qu'elle le ramasse et le range, le coussin bleu du canapé, le soir, devant la télévision, lui susurrait: « prends-moi contre toi, contre ton ventre, j'ai besoin de chaleur ». Rien d'inquiétant, ce n'était pas réel, elle le savait. Mais l'était-ce beaucoup moins que ce que lui disaient ses collègues de travail, ou la caissière du super-marché... A vivre seule, on a besoin de peupler  l'univers qui vous entoure, il est bon que l'on vous demande et que vous donniez, sans cela la vacuité, le « pour rien » de sa vie devient par trop insoutenable. Alors pourquoi ne pas écouter les choses familières, dont on sait qu'elles ne vous feront aucun mal, parce que vous vivez en bonne harmonie avec elles depuis de nombreuses années.

Marie attrapa son sac, prit le paquet de lettres et les y rangea, enfila l'imperméable accroché dans l'entrée. En sortant de l'appartement, elle vit s'entr'ouvrir la porte d'en face, sur le palier. La vieille madame Kieffer se pencha dans l'entrebâillement.

  - Grisou n'est pas remonté, j'aimerais  bien qu'il rentre, voudriez-vous jeter un coup d'oeil dans la cour, en bas, et le mettre dans l'escalier si vous le voyez ?

Elle ajouta:

   - Vous sortez par ce vilain temps ! Et avec cette pluie, en plus, on est glacé !

   - Des lettre à poster ... Marie tapota son sac.

Au rez-de-chaussée, pas de Grisou. Le chat reviendrait bien, il revenait toujours, sachant d'instinct rester à l'arrière de l'immeuble, à l'écart du boulevard et de ses dangers.

Au premier feu, Marie regretta d'être partie. Il lui faudrait au moins vingt minutes pour atteindre la Poste, le trafic ne s'écoulait pas, la file de voitures restait bloquée malgré l'autorisation de passer, les véhicules de l'autre côté du croisement n'ayant pas bougé.

Quelle idiote ! Elle aurait dû aller à pied, à la boîte pas toute proche, certes, mais quand même, s'engager dans cette pagaille du vendredi soir, très mauvaise idée !  Puis elle pensa qu'elle n'était pas sortie depuis le début de la semaine, en dehors des aller et retour à son travail, qu'elle avait fait du ménage, regardé la télévision, qui la guettait encore ce soir  - des films, des films, à force, elle les mélangeait - que c'était le week-end et que personne parmi ses connaissances ne lui avait fait signe. A vrai dire, elle non plus...

Elle finit par voir apparaître l'imposant immeuble de la Poste, en face du terre-plein central du Boulevard Béranger où les vestiges du marché aux fleurs disparaissaient à grande vitesse, les fleuristes repliant leurs tentes, rangeant les plantes dans de grands pots de fer à l'arrière des camions, abandonnant sur le sol pétales froissés et tiges arrachées.

Il faisait sombre maintenant, les lampadaires n'allaient pas tarder à s'allumer. Pas question de se garer pour faire une petite visite au Printemps, qui brillait de tous ses feux, à cent mètres à peine. On était en plein centre ville, pas une place de parking. Elle se rangerait trois secondes avec ses feux de détresse dans l'espace laissé libre devant les boîtes, y jetterait ses lettres, et il faudrait bien rentrer... Elle mit son clignotant pour changer de file et se rapprocher du bâtiment, n'évitant cependant pas un coup de klaxon prolongé et un appel de phares, qui lui firent battre le coeur un instant.  Les agressions, elle supportait mal.

Comme elle encastrait la voiture dans l'étroit espace devant les boîtes, la pluie se remit soudain à tomber, une averse orageuse si violente que les gouttes se transformaient en lignes brillantes, qui faisaient un bruit d'enfer en frappant la carrosserie. Pourtant, pas question d'attendre, d'autres pouvaient venir poster leur courrier. Elle prit les lettres, les glissa sous son imperméable, inspira profondément et se jeta dehors. D'un bond, elle atteignit la borne jaune et glissa le paquet dans la fente. D'un autre bond elle regagna l'habitacle, les cheveux trempés, les mains ruisselantes. L'averse, les moteurs qui tournaient...il lui sembla que les bruits de la ville étaient multipliés par dix. Ils l'assourdissaient, ils frappaient à ses tempes. Il fallait s'échapper de là, vite.

Elle allait obliquer pour tenter de s'insérer dans la file de véhicules, prévoyant des difficultés car les conducteurs devaient être exaspérés, quand un coup assez fort fut frappé à la vitre du passager. Stupéfaite, elle arrêta sa manoeuvre, se pencha et tenta de voir qui l'avait donné. Impossible, la fenêtre était emperlée, le temps trop sombre. Sans doute quelqu'un qu'elle connaissait, ce n'était pas le quartier des mendiants ou des SDF. Elle actionna un bouton et la vitre s'abaissa. Elle vit un visage de femme, des yeux effrayés, un sourire hésitant, des cheveux noirs plaqués par la pluie sur le front plissé. L'inconnue cria presque, afin de se faire entendre dans le tumulte environnant:

   - Pardonnez-moi, s'il vous plaît, je sais que ça ne se fait pas, mais j'ai un grand service à vous demander. Vous comprenez, les bus sont en grève, je n'ai pas de voiture, et il me faut absolument aller quelque part. Si vous pouviez m'emmener, si cela ne vous dérangeait pas... Je n'ai pas l'habitude d'interpeller les gens, croyez-moi, mais cette fois, oui, cette fois, c'est une urgence. Je suis confuse...

Marie n'hésita pas. Elle se pencha un peu plus et ouvrit la portière. Une seconde plus tard, la femme était assise à côté d'elle. D'abord, elle ne vit d'elle qu'une silhouette qui s'agitait, un  manteau sombre trempé, un parapluie qu'elle tentait de coucher au sol.

   - Je vais vous mettre de l'eau partout. Ah! vraiment, je suis désolée ! Je suis venue   à l'arrêt de bus, ici.

Elle tendit un bras en direction de la Poste et Marie distingua le panneau jaune, l'abri de plexiglas, désert. Personne pour attendre, juste les allées et venues rapides de passants pressés.

     - Mais vous voyez, pas un bus ! quelqu'un m'a dit qu'un conducteur avait été attaqué, hier soir, et aujourd'hui, eh bien, ils sont tous en grève. Je suis allée à la  gare, à la station de taxis, j'ai attendu une demi-heure, pas un seul de libre. Alors, je suis revenue ici, je sais que les gens peuvent stationner une minute pour poster leur courrier, et j'ai pensé...

Marie ne l'entendait plus. Un conducteur compatissant venait de lui laisser l'espace suffisant pour qu'elle prenne place dans la file, qui avançait au pas.

      - Excusez-moi, dit-elle, je ne vous ai pas bien écoutée, c'est si difficile de circuler. Je me dégage d'ici, je trouve un endroit tranquille, et vous me direz où vous voulez aller.

Comme la femme ne répondait pas, Marie tourna la tête vers elle, intriguée. Elle vit son visage de profil, contracté, regardant fixement devant soi. Elle comprit que l'autre était au bord des larmes. Le soulagement ? Cette « urgence », une situation difficile ? Bah, elle ne risquait rien, la femme n'avait pas l'air perturbée, ses explications étaient plausibles. Et puis, elle avait du temps, tellement de temps, par cette soirée vide...

La pluie violente avait cessé. Subsistait une bruine froide, qui faisait luire les capots des voitures et entourait d'un halo les enseignes lumineuses maintenant allumées.

Marie tourna à droite, dans une rue tranquille et se gara sans difficulté. Elle se tourna vers sa passagère.

            - Ouf ! fit-elle, nous voici au calme, c'était vraiment la folie tout à l'heure.

L'habitacle recevait la lueur blanche d'un lampadaire, mais la femme se trouvait à contre-jour et Marie distinguait mal ses traits, seulement une masse de cheveux sombres et bouclés, une silhouette assez fine engoncée dans un manteau noir. Une odeur de laine humide, insistante mais pas désagréable, s'en dégageait.

- Alors, si vous me disiez en quoi je puis vous être utile, j'ai du temps ce soir, je vous emmènerai où vous voulez.

            - Je m'appelle Sarah.

     Marie, à nouveau, fut surprise de l'angoisse que trahissait le ton étranglé. L'émotion de la femme était intense et ne se justifiait pas par le simple service rendu, si insolite fût-il. La passagère fit une pause puis reprit avec plus de calme, en parlant lentement et en détachant nettement les mots, dans l'évidente intention de se maîtriser.

  - Vous n'imaginez pas à quel point ce que vous faites est important pour moi. Voyez-vous, je suis une femme seule...

Là-dessus Marie retint un sourire amer. «  Bienvenue au club », pensa-t-telle, formule qu'elle regretta immédiatement. Elle n'était pas ici pour s'apitoyer sur elle-même par personne interposée.

Sarah poursuivit:

             - Vous savez, quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de bus, pas de taxi, j'ai téléphoné pour qu'on vienne me chercher et m'emmener. Mais ils sont tous sur répondeur. C'est le week-end, ils veulent être tranquilles, ils ont déjà fait leurs plans pour la soirée.

 Marie les connaissait bien, ces « ils », les copains, les relations, les collègues, parmi eux personne d'absolument fiable, fidèle, sur qui l'on pût s'appuyer, quelle que soit la situation.

               - Alors, j'ai cru que je ne trouverais personne, personne, et alors, ça aurait été une catastrophe, vraiment.


Le timbre de la voix s'engagea dans l'aigu, en même temps qu'il faiblissait. 

 

 

A suivre demain....

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Qui est Anne Renault ?

Publié le par christine brunet /aloys

renaultanne.jpg

 

Qui est Anne Renault ? Nous l'avons vu sur le site de Bob lors d'une manifestation du livre... Un petit rappel s'impose donc !

 

Je suis née il y un peu trop de temps au coeur de la Charente, pays des vignes et de la lenteur, dans la lumière dorée du Sud-Ouest. C'est l'amour de ce lieu d'enfance et le désir de le faire renaître avec mes mots qui est à l'origine de mon écriture.

J'ai exercé le métier de professeur de français, après avoir obtenu un CAPES de Lettres Modernes et  une maîtrise de Littérature Comparée sur Kafka, Borges et Buzatti à la faculté des Lettres de Poitiers. Je vis en Touraine et écris des nouvelles depuis une dizaine d'années. Mon premier recueil « Suicide dans l'après-midi » est en cours d'édition chez  Chloé des Lys.

Ma deuxième source d'inspiration, je l'ai trouvée dans le Nord, particulièrement à Ostende, ville avec laquelle j'ai un rapport que l'on ne peut qualifier que d'amoureux. Ici, le ciel est plus grand qu'ailleurs, une promenade sous la colonnade qui longe la plage est un parcours magique, et la mer du Nord me murmure les histoires de personnages bizarres, douloureux et presque fous, que n'accompagne que leur solitude.

En exergue de mon recueil de nouvelles se trouve une citation de Kafka: « Le sens de la vie, c'est qu'elle a une fin... ». Et en effet, la mort, redoutée, subie ou souhaitée, la mort donnée à l'autre aussi, est le ressort de mes récits. Mais c'est une mort comme enchassée dans la douceur et la beauté sensuelle du monde, de ses paysages, de ses atmosphères, qui s'imposent à mes personnages d'une façon parfois presque insoutenable.

Un deuxième recueil de nouvelles est en phase d'achèvement. Il y sera toujours question d'Ostende, mais dans une tonalité plus apaisée, même si mes histoires expriment toujours, comme le dit Camus dans « L'étranger », « l'amour » mais aussi « le désespoir » de vivre.   

 

 

Anne Renault

Publié dans présentations

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Terreurs nocturnes, une nouvelle d'Adam Gray - partie 2

Publié le par christine brunet /aloys

 

PHOTO pour 4me de COUVERTURE (ADAM GRAY)

 

 

 

Terreurs Nocturnes…

 

« Si l’œil pouvait voir les démons qui peuplent l’univers, l’existence serait impossible. »

 

(Le Talmud)

 

Part II

 

Deux yeux les guettaient, cruels, à une vingtaine de mètres à peine, entre deux trembles.

Deux yeux d’un jaune anormalement éclatant…

Ils étaient là, perçants, quand Élizabeth et Luke avaient franchi la porte de la cabane pour fuir l’enfer où ils étaient tombés.

 

La jeune femme, dont les cris eussent pu briser du verre, tira violemment son homme en arrière. Ce dernier referma si fort la porte qu’elle se fendît en son centre. Haletant, il resta accroché à la poignée. Son cœur eût pu jaillir de sa cage thoracique… comme arraché par la main de ce grand prêtre fanatique dans Indiana Jones et le Temple Maudit.

 

« Kalima !… Kalimaaa !… Kalimaaa…… Choptidééé !!!!!! »

 

Élizabeth se mit à sangloter.

Luke lâcha finalement le bouton de porte pour regarder par la fenêtre. Son épouse agrippée à un bras, il poussa, de l’autre, le vieux rideau en dentelle.

Les yeux, collés à la vitre, se fixèrent aussitôt sur lui…

– Nom de Dieu ! s’écria-t-il, se glaçant jusqu’aux os.

– Tire le rideau ! hurla Élizabeth à s’en faire exploser les cordes vocales. Tire le rideau !!!

– Mais qu’est-c’que tu es ?… marmotta Luke, le front perlant de sueur.

Et, d’une manière on ne peut plus brusque, il repoussa sa femme, dont les ongles étaient toujours plantés dans son muscle brachial.

Il sortit alors comme un fou…

– Tu veux quoi, espèce d’enculé !?! TU VEUX QUOI !!!???!!!

Les portières de leur Impala, précédemment disparues dans les cieux, ou ailleurs… fendirent la nuit et retombèrent à quelques centimètres de ses pieds, avec la force d’une météorite. Il eut juste le temps de se jeter sur le côté pour embrasser le sol. Il se retourna, non sans difficulté, et réussit à se mettre sur son séant.

Un brouillard dense surgit des arbres et vint lécher le bout de ses baskets, l’obligeant à reculer sur le cul et se barricader de nouveau.

Fébrile, Élizabeth regarda son mari se faire saigner à force de donner, furieux… frustré… de violents coups de poing sur les poutres horizontales.

 

– On va pas crever ici, Beth, affirma-t-il. Beth ? Tu m’écoutes ? Beth !!!

Il la gifla pour obtenir une réaction.

– On va s’en sortir, O.K. ? On va s’en sortir et…

– Non, le coupa-t-elle. C’est un démon… C’est le diable. Le DIABLE !!!

Et elle se remit à hurler…

– Élizabeth, tu vas la fermer, ta gueule, maintenant !?! Tu me gaves, là !

 

Il fronça les sourcils… Mit une main sur la bouche de sa femme.

– Qu’est-ce que c’est ?…

Ils se précipitèrent à la fenêtre, juste à temps pour voir leur Chevrolet disparaître dans les entrailles de la terre…

– Élizabeth, assieds-toi, supplia-t-il, et essaie de reprendre tes esprits. Sans quoi on va finir par péter un câble…

Élizabeth s’exécuta, mais la chaise, glissant sur le sol, fut projetée contre un mur, se brisant en mille morceaux. Luke se précipita. Élizabeth riait… Il commença à baliser sérieusement.

– Beth, me fais pas ça, Beth. On va sortir d’ici. Vivants ! ajouta-t-il.

– Mais non, bébé ! On va mourir ! rétorqua-t-elle, prise d’une crise de rire incongrue. Boo ! Une chaise qui fonce sur un mur… Boo ! Qu’est-c’que ça fait peur !

– Mais qu’est-ce qui te prend !?! déplora le mari, affligé. Ne baisse pas les bras, Beth. Pour l’amour de Dieu…

Elle se mit à tourner sur elle-même, telle une petite fille, les bras écartés et la tête penchée en arrière, complètement… hilare.

– Pour l’amour de Dieu ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! L’amour de Dieu !…

Luke fit un pas vers sa femme pour la secouer, l’extraire de cette folie ubuesque…

Il fut projeté dos au mur.

Une force le souleva vigoureusement et le stoppa net. Beth se figea, incapable – redevenue lucide –, de faire autre chose que crier : « Laissez-le ! Mais laissez-le !!! »

La force la souleva à son tour et la fit tournoyer comme une vulgaire toupie.

– Fils de pute ! vociféra Luke. T’as pas de couilles !

Ils retombèrent très lourdement sur le plancher, comme si la chose qui s’amusait avec eux s’était brusquement évaporée.

 

TOC ! TOC ! TOC !

 

TOC ! TOC ! TOC ! de nouveau.

On frappait maintenant à la porte…

 

– Foutez-nous la paiiiiiiiiiiiix !!! aboya Élizabeth, toute contusionnée.

Des lames de rasoir, comme des griffes, traversèrent le bois, et une voix caverneuse articula : « Tu vas crever, connasse… »

– Ce n’est pas possible ? demanda Élizabeth à son mari. Il n’exis… te pas ?…

Mais Luke, terrorisé, ne put répondre.

« IL », c’était Freddy Krueger, le tueur d’enfants brûlé vif appartenant à la saga horrifique initiée par le cinéaste Wes Craven, d’après, selon ses dires, ses propres cauchemars…

– Freddy ne tue que dans les rêves, murmura-t-il.

– Quoi ? fit l’épouse.

– Freddy ne tue que dans les rêves ! Or nous ne sommes pas endormis, Beth !

Les griffes se retirèrent aussitôt et Beth, excédée, s’élança à l’extérieur pour… rentrer aussitôt… C’était moins une : un Grand-duc fondit sur elle, manquant lui arracher un œil.

– On ne s’en sortira pas, dit-elle.

– Non, répondit Luke.

 

Le soleil revint.

De toute la journée, ils n’osèrent pas mettre le nez dehors.

Et la nuit revint… accompagnée d’une inquiétante lune rouge.

Rapidement, les TOC ! TOC ! TOC ! reprirent.

– Je n’en peux plus, Luke. Je n’en peux vraiment plus…

– Tiens bon, amour… Je suis là.

Le bruit, infernal, éprouvant rudement leurs nerfs, dura une bonne quinzaine de minutes, s’arrêta puis recommença. Ne cessa, finalement, qu’au bout d’une heure.

Découragé, Luke se mit à pleurer, sans tressaillement, aussi discrètement que possible. Sa femme, d’ailleurs, ne se rendit compte de rien.

– Les yeux… Ils sont là ? hésita-t-elle.

Luke alla jusqu’à la fenêtre, balayant ses larmes d’un revers de la main.

– Que Dieu Tout-Puissant nous vienne en aide, dit-il à mi-voix.

– Mais quoi !?! s’enquit Élizabeth.

– Des… Des…

– Des quoi !?! Mais dis-le !!!

– Des… cadavres !… Des cadavres de tous les côtés, Beth ! Des cadavres qui !… Qui marchent…

Élizabeth s’évanouit. Sa tête heurta très violemment le sol.

Luke s’efforça de bloquer la porte avec ce qu’il pouvait avant de déposer son épouse sur le lit, puis il retourna à la fenêtre. Il n’en croyait pas ses yeux. Et pourtant…

Les corps dégingandés marchaient sans but, très lentement, bras tendus. Par moments, même, ils s’entrechoquaient.

Un mort, peut-être pas tout à fait décérébré, fit pivoter son horrible tête, dépourvue de mâchoire inférieure, vers la cabane. Il renifla la vie…

Tous les cadavres, alors, tournèrent leur tête.

Quelques secondes plus tard, ils étaient tous à tambouriner sur les murs de la cabane.

– Cassez-vous !!! Mais, putain, cassez-vous, bande d’enculés !!! s’égosilla Luke, se remémorant ses terreurs nocturnes d’antan, quand le clip de Michael Jackson, Thriller, le traumatisait…

Élizabeth, peu à peu, revint à elle. Dodelinant de la tête, elle remarqua un tisonnier accroché à la cheminée.

Elle se leva, s’en saisit, et, l’arme à la main, se rua sur la porte.

Luke eut toutes les peines du monde pour l’empêcher de sortir se faire dévorer vivante.

Toute la nuit, émettant des grognements primitifs, les morts cognèrent contre les murs.

Quand un nouveau jour se leva, ils avaient disparu…

 

Le couple, somnolent, était lessivé. Si personne ne venait à leur secours, ils allaient sombrer dans la folie, s’ils n’étaient pas morts de peur avant.

Ou de faim.

Ou ne s’étaient entretués, l’un poursuivant l’autre au milieu des arbres…

 

Luke s’étira, tout ankylosé après cette nuit quasi blanche. Il se leva et, faisant le signe de croix, alla écarter le rideau en dentelle.

– Fais attention… murmura Élizabeth, prenant appui sur ses mains pour aller le rejoindre.

Ni zombies ni yeux jaunes. Rien de tout ça ; il faisait beau.

Alors, prudents, ils sortirent de la cabane. Explorèrent, accrochés l’un à l’autre, les environs.

Que des arbres… Des chemins de terre… Des arbres… Des chemins de terre… Un vrai dédale… Et des arbres.

Ils entendirent klaxonner. Se dévisagèrent, perplexes. Presque soulagés. Puis se précipitèrent dans la direction d’où venait  le bruit.

 

Mais les voilà finalement de retour à leur point de départ. À la cabane…

Des heures durant, ils avaient tourné en rond.

Sans fil d’Ariane, comment retrouver son chemin au milieu d’arbres et de chemins analogues ?

Leur Chevrolet les attendait… jouant des phares dans la nuit tombante. Une nuit de plus. Le klaxon, c’était « elle »…

Luke et sa femme, résignés, ignorèrent totalement le véhicule, veiné de racines et débordant de terre et de vers.

Ils retournèrent à l’intérieur de leur geôle, puis s’allongèrent sur le lit, se remémorant quelques plaisants souvenirs aussi longtemps que leur résistance au sommeil le leur permît.

 

Minuit…

Ils dormaient profondément.

La jambe droite de Luke se déplaça tout doucement vers l’extérieur du lit… Il porta une main à son visage pour repousser la main qui lui caressait la joue…

– Hum, se plaint-il. Laisse-moi dormir, Beth.

La main insista. Descendit, tout doucement. Sur son torse. Son ventre. Son entrejambe…

– Mais qu’est-c’que tu fais ? demanda-t-il à Élizabeth en baillant aux corneilles.

Il obligea sa tête, affreusement lourde, à se redresser. Ouvrit péniblement les yeux, pensant voir sa femme et non…

 

– Les yeux jaunes… chuchota-t-il.

 

L’homme se raidit. Quelque chose d’invisible le caressait… Et les yeux jaunes le fixaient, sournoisement.

Il se mit à transpirer… Son cœur… à battre la chamade !… S’il réveillait Beth, il risquait de la mettre en danger de mort.

– Pourriture, marmotta-t-il, les lèvres retroussées.

 

Deux mains incroyablement puissantes enserrèrent alors son cou. Il tenta bien de se contorsionner mais… impossible de se libérer de ce serpent qui se contractait davantage à chaque tentative, veine, de respirer.

– Beth… Beth… suffoqua-t-il.

Il sentit alors ses chevilles attrapées par d’autres mains, qui le tirèrent hors du pieu.

Élizabeth se réveilla en sursaut et murmura le prénom de son mari, qui était maintenu au sol.

Le feu dans la cheminée s’embrasa tout d’un coup. Élizabeth se remit à trembler, contenant un cri de terreur – un autre –, et se pencha au-dessus du lit.

Sur le plancher, elle découvrir Luke qui luttait contre la mort.

Son visage était écarlate.

Il tendit une main désespérée vers sa femme.

 

Ça se passa très vite.

 

Luke fut trainé sur quelques mètres, tel un sac de patates, les jambes soulevées.

Tout près de la fenêtre, elles se soulevèrent un peu plus, puis les fesses, le dos… et le corps tout entier de Luke fut comme… aspiré de l’extérieur de la cabane à travers la vitre.

Éclats de verre…

Élizabeth hurla.

Luke s’agrippa de toutes ses forces à l’encadrement de la fenêtre malgré les à-coups d’une violence inouïe. Il y laissa un annulaire, tranché par le verre.

 

Quand il disparut, avalé par les ténèbres, il ne resta plus que trois ongles sanguinolents restés plantés dans ledit encadrement.

 

À suivre…

 

 

Adam Gray

Publié dans Nouvelle

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