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Anne-Marie Jarret-Musso nous propose un premier aperçu de son roman "Le bonheur est dans le conte"

Publié le par christine brunet /aloys

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Ouvrez ce recueil et vous y trouverez dans la première partie quatre contes philosophiques constitués de personnages qui ont comme seul fil conducteur la quête du bonheur.

 

Fata, la drôle de fée leur indiquera à sa manière le chemin jalonné de pièges. Seuls ceux qui les auront surmontés y parviendront.

 

La deuxième partie contient 2 récits inspirés de faits réels qui ont chacun leur particularité, mais ne dévoilons rien.

 

L’ensemble de ce recueil étant accessible à tout public, on pourra y voir deux aspectsbonheurconterecto.jpg d’interprétation.

 

Les enfants retiendront des histoires extraordinaires rassemblant des personnages attachants orchestrés par Fata la drôle de fée.

 

Quant à vous chers lecteurs :

 

A travers la simplicité de ces textes, vous pourrez lire en filigrane mes réflexions sur la vie.

Un peu comme des messages mis dans des bouteilles jetées à la mer, puissiez-vous les retrouver ?

A lire et à méditer.

De 7 à 77 ans.

(Textes adaptés à une lecture à voix haute)

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait première partie :

 

Le mur

 

 

 

Dans une contrée voisine vivait paisiblement un peuple en harmonie avec son environnement. Toutes les classes de la société y étaient représentées mais la plupart travaillaient dans la fabrique de biscuits implantée près du village depuis dix ans.

Un matin, un étrange magasin s’installa, à la devanture clinquante et à l’enseigne scintillante qui arborait des lettres de toutes les couleurs :

« Marchand de bonheurs »,

tel était son nom. Aussitôt tous les villageois s’y ruèrent...

 

Dès qu’on pénétrait dans cet antre singulier, on y trouvait une jeune fille, coiffée d’une longue chevelure brune, à l’allure d’une fée. Non loin d’elle, posé sur une étagère, on devinait un bâton qui ressemblait à une baguette, avec à son bout quelque chose qui rappelait une étoile.

Derrière elle, un immense mur martelé de deux rangées de portes se dressait majestueusement. A chaque extrémité, un escalier grimpait jusqu’à une coursive divisant le mur en deux étages, de telle sorte que l’on pouvait monter d’un côté et descendre de l’autre, facilitant ainsi le flux des visiteurs. Sur chaque porte figurait le nom de l’objet désiré et chacune d’elle représentait sa valeur.

De cette façon, sur les portes recouvertes de bronze, on pouvait lire « téléphone portable » « vélo » ou « téléviseur ». Sur les portes argentées, on lisait « séjour hôtel » « ordinateur » ou « moto ». Sur les portes dorées à l’or fin était gravé « voiture » « cuisine intégrée » ou « voyage » etc etc.

La jeune fille accueillit la clientèle avec un large sourire et lança d’une voix claire et distincte :

— Approchez mes amis. Pour dix euros seulement, vous pouvez acquérir l’objet de vos rêves en franchissant l’une de ces portes. Mais attention, faites-en bon usage. Vous ne pourrez revenir que deux fois, si vous n’obtenez pas satisfaction.

Elle prit le bâton et désigna d’un mouvement de bras gracieux l’ensemble du mur.

Soudain, face au comptoir une longue file d’attente se forma. Les uns plongèrent leurs mains dans les poches de pantalon pour en retirer un billet ou des pièces, les autres s’adressèrent à leurs voisins pour solliciter une avance et tous prirent leur mal en patience car cela valait vraiment la peine d’attendre.

Bien évidemment, les portes dorées à l’or fin étaient les plus convoitées.

Celles en argent attiraient déjà bien moins de monde, quant à celles en bronze, seuls les moins intéressés ou les plus pressés osaient les franchir, sachant qu’ils pourraient revenir plus tard pour les meilleurs gains.

Dès que la foule eut franchi toutes les portes, Fata la jeune fille compta avec un léger sourire l’argent de la recette, verrouilla sa caisse, ferma la boutique, et rentra chez elle la conscience tranquille. Le lendemain, elle ne revint pas, sachant pertinemment que personne ne remettrait les pieds dans son magasin avant trois jours, car il n’est pas facile d’avouer son insatisfaction. « Après tout pour dix euros, on ne va pas se plaindre » entendit-elle dans la foule.

 

Trois jours passèrent et…

 

Anne-Marie Jarret-Musso

Publié dans Textes

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Rock en rôle, un texte de Karl Chaboum alias Carol Trottier

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes2/trottieztete.jpg

 

 

Rock en rôle

 

tête de pierre ou caoutchouc

je me la frappe sur les genoux                                     

une bataille de femmes dures à cuir

me frappe au boulet du ventre

 

pas le droit d’en aimer deux à la fois

sinon on en fait notre chemin de croix

jusqu’à quand pourra se tolérer la déchirure

moi si sensible aux éraflures

et les deux de s’écrier Ola !

chacun des trois a ses droits

 

un ou une des trois est de trop

une des deux doit s’en aller

mon cœur peut-il se diviser en trois

est-il indivisible

est-ce qu’il est invisible

qu’on le voit pas se battre

mais il ne veut plus se battre

alors pourquoi avoir permis  cette bataille

avec deux êtres chers

cette chair est de la poudre aux canons

que j’avale

qui m’explose en dedans

qui m’expose à les perdre les deux

qui sera vainqueur

l’amour ou la raison

 

Karl Chaboum

http://www.bandbsa.be/contes2/solenversrecto.jpg

 

 

 

 

Publié dans Textes

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Une terrible beauté est née, une nouvelle de Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

                                    

desguin

 

Une terrible beauté est née.

 

Le soleil ouvre grand ses sourires, comme s’il connaissait de cette fille, aux yeux charbonneux et à la bouche en cœur, qui s’éclipse de l’immeuble, tous ses désirs engloutis, ses remous qui s’éveillent et ses futures trajectoires…

- Tiens, voilà Mado ! chuchote Jéromine tout en se penchant vers la copine assise juste en face d’elle, qui sirote son p’tit noir…

- Tu parles ! s’étrangle  Marie-Galantine en haussant expressément le ton pour que toute la terrasse du bistrot l’entende…

 

Et c’est gagné. Un gars style jeune cadre dynamique détourne son regard de son pc portable et sourit aux deux belles qui papotent.

 

Avec son accent parigot et ses petits gestes vifs qui lui font ressembler à Annie Girardot dans « Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas mais… elle cause »,

Marie-Galantine claque sa tasse de café sur la table et continue son cinéma…

- C’est pas croyable ! Mam’zelle passe en coup de vent, on ne la vaut plus, ma parole ! Visez-moi un peu ça ! Elle nous nargue, ma parole ! Elle nous nargue ! Put… 

 

Jéromine, l’air gêné, balaie du regard toute l’assistance, tout en se renfonçant de plus en plus sur sa chaise.

 

- Dis quelque chose, toi, au lieu de t’écrouler comme un vieux château de cartes ! C’est vrai quoi ! Quand on a partagé des années de turbin ensemble, on peut retourner la tête pour dire bonjour aux gens ! Non mais quand même ! Tout ça parce que mam’zelle beauté fatale s’est dégotée un mec dans une galerie d’lard ! Et que ça remue du popotin par-ci, et que ça remue du popotin par là…

Tu te souviens pas ? Elle était comme nous, vendeuse chez Monoprix …Et voilà que son mec, une espèce de fils à papa qui tape des couleurs sur des murs, il s’est fait un fameux paquet de tunes …Pire encore : mam’zelle beauté fatale a bousillé des murs, elle aussi et bingo : il paraît que son oeuuuuuvre est côtelée

 

Le jeune gars se lève, sort de sa poche un appareil photo….

- Mademoiselle, permettez-moi…Je suis réalisateur de film. Je vous écoute. Je vous observe. Vous êtes celle que je cherchais.

 

Carine-Laure Desguin

http://carinelauredesguin.over-blog.com/

 

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Publié dans Nouvelle

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Chiens de garde, Une nouvelle de Gauthier Hiernaux tirée de son dernier recueil, Nouvelles de l'Est

Publié le par christine brunet /aloys

 

gauthierhiernaux

 

 

« Mon Esdo est un Aquilien ! se lamentait Madame Boquerelle en servant Madame Nila, une vieille habituée de son commerce qui éprouvait, ce n’était un secret pour personne fût-il pourvu d’une paire d’oreilles en état de fonctionnement, la même antipathie pour les hommes de l’Est.

Quelle engeance ! Ils sont aussi sots que vilains !

D’un mouvement du nez, Madame Boquerelle désigna le barbare qui charriait les caisses dans l’arrière-boutique. C’était un jeune gaillard au front bas et au cheveu rare qui travaillait pour elle depuis presque une saison.

Et il ne parle pas un mot d’Idioma, Madame Nila ! Je suis obligée de gesticuler comme un primate pour lui donner ses ordres ! Imaginez-vous…

N’aviez-vous d’autre choix, Madame Boquerelle ? demanda la cliente qui se fichait de la file qui commençait à maugréer dans son dos.

Elle n’avait jamais fait grand cas des autres et, à soixante-dix ans, elle était trop âgée pour pouvoir changer.

Madame Boquerelle haussa sèchement les épaules.

Seuls les nobles ont le droit de choisir leur domesticité, Madame Nila. Les petites gens comme nous acceptent ce qu’on veut bien leur bailler et je n’ai point le sou pour m’acheter une domotique. Vous même n’avez point eu  droit au chapitre que je sache, Madame Nila ?

La cliente secoua la tête. Elle avait hérité d’une jeune femme docile qui se chargeait de la plupart des corvées ménagères. Elle ignorait tout de son histoire mais n’aurait pas été étonnée que son esclave-domestique ait perdu ses Droits Elémentaires après avoir été répudiée par son époux. Du reste, Monsieur Nila ne voulait pas d’une domotique à la maison, il ne faisait confiance qu’à l’humain.

Non, effectivement, grogna la septuagénaire.

Il n’empêche que j’ai vraiment hérité du fond du panier !

Madame Nila observa le jeune homme s’emparer de quatre caisses à la fois. A vue de nez, chacune d’entre elles devait faire dans les quinze kilos. Peu d’Impériaux auraient pu se vanter d’en faire autant, à commencer par son propre époux qui n’avait même jamais eu la force de lui faire des enfants. Cet échec avait contribué à forger le caractère acariâtre de Lucille Boquerelle.

Il semble qu’il vous rende quand même quelques services… commenta la vieille femme d’un ton admiratif qu’elle n’avait pas voulu.

Son interlocutrice coula un regard en direction du barbare.

Ca ! Il en a davantage dans les biceps que dans la tête !

Et… il a un nom ?

Les yeux de Madame Boquerelle volèrent jusqu’à sa cliente.

A quoi voulez-vous que cela me serve ? Je le hèle quand j’ai besoin de lui, voilà tout !

Un bruit épouvantable fit sursauter les deux femmes. La patronne fit volte-face vers l’origine du fracas. L’une des caisses venait de lâcher et les fruits – des agrumes, nota la cliente – qu’elle contenait s’étalaient aux pieds de l’Aquilien, figé dans un air d’hébétude presque comique. Madame Boquerelle entra dans une colère noire :

Regardez-le qui reste comme un crétin ! Ramasse ce que tu as laissé tomber au lieu de baîller aux corneilles !

Mais l’Esdo restait stupidement paralysé, regardant les agrumes  former une mare à ses pieds.

Rhôôôôô !!! grogna Madame Boquerelle en abandonnant ses clients pour fondre sur son homme à tout faire.

Elle se planta devant lui et désigna d’un doigt rageur les produits dont certains roulaient encore.

Le sac rempli à ras bord de denrées qu’elle avait payées, Madame Nila s’éclipsa alors que la commerçante agonisait son employé d’injures bien senties.

En se tournant, elle se heurta à une jeune femme du quartier. Son esprit chercha son nom l’espace d’un quart de seconde. Madame Nila était pourvue d’une mémoire d’éléphant.

Mademoiselle Cosé…

Madame Nila, répondit la jeune femme qui pria sa déesse tutélaire pour que leur contact s’arrête là. 

Adrienne Cosé avait vingt ans et était toujours célibataire. Une situation peu enviable que Madame Nila et Madame Boquerelle lui rappelaient sans cesse.

Adrienne n’aimait pas faire ses courses chez Madame Boquerelle mais elle n’avait pas le choix. Le commerce était situé à deux pas de son immeuble. Aller ailleurs impliquait de se trimballer dix livres de victuailles pendant plusieurs centaines de mètres, exploit qui lui était difficile à réaliser avec son petit cinquante kilos.

Elle était donc condamnée à subir les assauts de ces vieilles harpies. Ce qui était amusant, c’était que, si Madame Boquerelle encourageait le mariage de deux êtres, le sien avait été catastrophique. Le malheureux Monsieur Boquerelle  avait, du temps de son vivant, été traité avec la même sévérité que l’Esdo qui aidait actuellement la commerçante. En attendant son tour, Adrienne Cosé se demanda si les Dieux lui avaient permis de se réincarner loin de sa mégère…

***

Guido Jaret surnommé « l’anguille » dans son milieu était un ladre qui n’avait jamais connu l’échec. Il cambriolait des maisons depuis son enfance et pouvait se targuer d’être le meilleur voleur de sa bande.

Milo Barrabas, le maître-ladre, le complimentait souvent à ce sujet et pensait sérieusement à le prendre comme bras droit. Cette promotion lui attirerait bien des ennemis mais Guido Jaret s’en moquait : quand il serait aux côtés du patron, il n’aurait plus rien à craindre de son clan.

La raison pour laquelle « l’anguille » était tellement efficace pouvait se résumer en quelques mots : il était souple comme le poisson qui lui avait valu son surnom.

Il pouvait se faufiler à peu près par n’importe quelle ouverture et s’arrangeait pour choisir les lattes du parquet qui ne risquaient pas de craquer. Son mètre soixante et son faible poids l’aidaient en outre beaucoup dans son entreprise.

Ainsi, quand il s’introduisit dans le commerce de Madame Boquerelle en passant par le soupirail (une ouverture qu’empruntait le gros chat de la négociante), il songeait aux bénéfices qu’il pourrait retirer de cette nomination méritée.

Tout d’abord, il ferait pression sur Barrabas pour qu’il se sépare de Nils Boivin qui passait le plus clair de son temps chez les filles et négligeait ses devoirs de ladre. Cet individu était la honte de la profession et le clan de Barrabas aurait tout à gagner de s’en défaire.

Ensuite, il tenterait d’obtenir la couche de Radama Asni car elle était de loin la plus aérée et était située à l’opposé de celle de Piert Lonch, le ronfleur champion toutes catégories.

Il proposerait enfin quelques améliorations drastiques dans les méthodes du clan auxquelles il avait longuement songé.

Certains gagneraient à faire un peu de sport et affiner leur silhouette s’ils voulaient rapporter davantage.

Pour son infortune, Guido Jaret ne fut jamais nommé à ce poste car cette nuit fut la dernière qu’il vécut libre avant d’être incorporé à la Sixième Cohorte.

Pourtant, il avait mis en pratique ses techniques les plus affinées, avait graissé les serrures avant d’en tourner la poignée, éprouvé la solidité de chaque latte du parquet, et maté le silence en réduisant sa respiration à la limite de l’audible.

Tout s’était bien passé jusqu’à ce qu’il atteigne le salon de la veuve. Il s’était prestement emparé d’objets de valeur et  préparé à vider les lieux.

A vue de nez, il tenait là la prise de la semaine.

Un peu grisé par son avenir, il commit une erreur qui lui coûta cher.

Alors qu’il s’apprêtait à repasser la porte, il repéra dans la pénombre, une masse immobile. Elle était posée contre un mur et entièrement recouverte d’un drap.

La curiosité était une vertu cardinale chez les gens de son espèce, « l’anguille » s’approcha de la forme et souleva le drap, croyant découvrit un coffre-fort qu’un premier examen avait négligé.

La surprise de ce qu’il découvrit lui arracha un cri qu’il eut juste le temps d’étouffer dans son poing. Pour son malheur, le son réveilla tout de même l’individu.

Ses yeux s’ouvrirent, tout blancs, presque phosphorescents dans l’obscurité.

Guido recula d’un pas en tentant de saisir un objet contondant mais, avant qu’il ait pu s’en emparer, une main puissante jaillissait du corps et lui brisait le poignet. Quand il entendit le craquement sec de ses os, Guido grimaça mais retint sa douleur.

C’est quand il vit ses dents étinceler dans la nuit que la raison du ladre bascula vers une autre dimension.

Dans celle-ci, le bruit n’était qu’une notion dotée d’un sens qui lui échappait. C’est ce basculement inopiné (un retour vers la nature des choses en somme) qui lui fit faire la seule chose qu’il était censé faire. Il avait oublié tout son cursus de ladre, il n’avait plus qu’une seule chose en tête : hurler.

Il hurla jusqu’à réveiller les voisins.

Il hurla jusqu'à alerter une patrouille deux pâtés de maison plus loin.

Il hurla jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’air dans les poumons.

Il hurla même jusqu’à réveiller Lucille Boquerelle qui se targuait pourtant d’avoir un sommeil à toute épreuve.

***

 Un vol dites-vous ?

Madame Boquerelle  hocha la tête d’un air navré. Son chignon serré au-dessus de son crâne lui étirait le visage et la faisant ressembler à un oignon.

On n’est plus en sécurité nulle part ! On barricade sa boutique, on installe de solides verrous, on veille à bloquer son TeleCom et pourquoi ? Un ladre s’introduit chez vous et vous nettoie en un rien de temps ! Je dis bravo les patrouilles !

Madame Nila, la cliente, acquiesça, tremblante. Dès son retour à la maison, elle ferait pression sur son époux pour installer une version sûre du système de domotique et renverrait son Esdo. Peut-être que l’achat d’un chien de garde s’avèrerait également nécessaire.

Heureusement que Gerguld était là, sans quoi…

Gerguld ??? Est-ce de votre barbare que vous parlez ?

Madame Boquerelle eut un hoquet, sa bouche pincée se ferma davantage. Elle s’éclaircit longuement la gorge avant de répondre.

C’est exact. J’ai… hum… j’ai enfin réussi à lui arracher un son. Par le Dieu Aur, divinité du Hasard, je suis ravie qu’il ait été là… je veux dire, pour une fois !

Madame Nila lui décocha un regard où pétillait la malveillance. Un art dans lequel elle pouvait gagner un prix et pas le lot de consolation.

Quel dommage que vous ne puissiez le garder !

L’autre fronça les sourcils. Elle avait dû se perdre en chemin.

Que voulez-vous dire, Madame Nila ?

La cliente fit passer son panier de courses d’une main à l’autre. Normalement, c’étaient les Esdos qui se chargeaient de transporter les provisions mais la vieille femme préférait s’acquitter de cette tâche elle-même. Cela lui donnait l’occasion de quitter quelques heures la demeure familiale.

N’avez-vous point écouté les informations du Saint-Canal ce matin ?

Je dois avouer que j’étais fort occupée… ce vol m’a chamboulée…

C’est pourtant le devoir de chaque citoyen !

La patronne de l’épicerie recula. Elle se sentait poussée dans ses retranchements. Elle jeta un coup d’œil dans sa boutique mais, à cette heure, il n’y avait que la vieille Nila pour faire ses courses !

Je sais, je sais, Madame Nila mais, voyez-vous, je dois m’occuper seule de l’inventaire. Ger… je veux dire que je ne puis compter sur ce crétin pour m’aider !

Madame Nila lui adressa un sourire qu’elle n’aima pas.

Que… que disait-on ?

La cliente passa une main distraite sur sa coiffure et relogea une mèche de cheveux derrière son oreille.

Vous souvenez-vous de cet incident survenu la semaine dernière ? Un pauvre citoyen pris en otage et torturé par un barbare ?

Vaguement, oui, mentit la commerçante.

Le Saint-Siège a interdit l’emploi de ces dégénérés, même en tant qu’Esdos. Le pouvoir les trouve trop imprévisibles.

Ah… bon…

Un silence pesant s’installa entre les deux femmes. Madame Boquerelle fit le tour du comptoir et rangea vaguement quelques barquettes de champignons, tournant résolument le dos à son interlocutrice. 

Je vous apprends que vous allez devoir vous défaire de votre valeureux barbare, Madame Boquerelle.

La commerçante émit un petit bruit étranglé et soupira.

Juste au moment où il m’est utile ! Allons bon ! Que la vie est injuste !

Madame Nila resta un instant à observer la veuve puis tourna des talons. Elle n’en était pas sûre mais il lui avait semblé que la commerçante regrettait quelque peu de devoir se défaire de son Esdo.

Quelle idiote ! fit Madame Nila qui en parlait le soir à son époux. Elle héritera d’un autre Esdo, voilà tout ! Un Impérial, c’est quand même plus propre.

Son mari, plongé dans les nouvelles du Saint-Canal, approuva en silence.

La matrone ne put s’empêcher de remarquer qu’il lorgnait un peu trop souvent à son goût sur sa propre esclave-domestique.

***

Le lieutenant Bavas était né dans cette rue et connaissait le commerce de Madame Boquerelle depuis sa plus tendre enfance. Quand il n’était encore qu’un gosse, il accompagnait sa mère faire les courses et il se souvenait de la bienveillance de cette femme à son égard. Il ne partait jamais de cette boutique sans une sucrerie gracieusement offerte par la commerçante et ce souvenir lui revenait en mémoire chaque fois qu’il en passait la porte. Pourquoi ? Il ne le savait pas au juste, il avait tant de souvenirs heureux mais son esprit ne s’entêtait qu’à retenir celui-ci.

Il savait sa peine quand son époux, Gerald, était décédé et les épreuves par lesquelles elle avait dû passer. Il la plaignait sincèrement même s’il savait que Madame Boquerelle le rudoyait quotidiennement du temps de son vivant.

Il éprouvait pour elle un profond respect, ainsi, quand elle lui affirma que son Esdo aquilien avait quitté son établissement, il ne chercha pas à la questionner plus que nécessaire. Il se contenta de l’histoire qu’elle lui avait servie, toute chaude, en bouche.

Il m’a volé quelques bijoux, ce ladre ! Tu te rends compte Rudi ! Moi qui ai été si bonne envers lui !!!

Le gradé toussota d’un air gêné. Il n’appréciait pas vraiment être appelé par son prénom devant ses hommes mais il ne se voyait pas rappeler cette dame à l’ordre alors qu’elle l’avait connu les doigts dans le nez et la crotte dans le lange.

Et vous n’avez guère la moindre idée de sa destination, Madame Boquerelle ?

La commerçante haussa les épaules et écarta ses mains potelées dépourvues de tout ornement qui l’aurait encombrée.

Si je le savais, je te l’aurais indiqué ! Ah, le malandrin ! Il m’a dépouillée d’au moins mille crédit-impériaux !

Je comprends… hum…

Le lieutenant Bavas fit la moue. Il était temps pour lui de s’éclipser.

Et je ne vous parle point de ces caisses ! gémit-elle en désignant celles qui s’amassaient devant sa porte. Qui va m’aider à présent ?

Elle soupira avant d’ajouter :

Mais peut-être que de solides gaillards comme vous pourraient secourir une vieille veuve…

Elle les regarda tous les trois. Les dragons cherchèrent à fixer leur attention qui sur son TeleCom, qui sur les produits qui les entouraient. Leur chef tenta une parade désespérée :

Bien, Madame Boquerelle, nous allons alerter l’Office du Travail. Les Frères vous trouveront bien une aide quelconque, ce ne sont point les bras qui manquent !

Il tenta d’esquiver les yeux tristes de la commerçante et n’eut même pas besoin d’ordonner à ses hommes de vider les lieux ; ils étaient dehors avant qu’il ne termine sa phrase.

Madame Boquerelle prit une paire de secondes pour souffler avant de trottiner jusqu’à la porte de son magasin qu’elle verrouilla. Il était l’heure de faire ses comptes.

Elle fit le tour de son établissement puis ouvrit le rideau qui donnait sur son arrière-boutique. Après avoir fermé les lumières de son commerce, elle commença à gravir l’escalier.

La journée avait été épuisante, elle était éreintée et avait mérité une bonne nuit de sommeil.

Mais avant de gagner son lit, elle avait encore une chose à faire.

Elle grimpa jusqu’au grenier, retira une clé de sa poche et l’introduisit dans la serrure. Aussitôt qu’elle eut passé sa tête par la trappe, des yeux s’allumèrent dans la pénombre comme deux lampes blanches et, une dizaine de centimètres en dessous, un sourire reconnaissant se dessina. Madame Boquerelle  désigna du pouce l’escalier qui menait au rez-de-chaussée.

Allez, Gerguld, le travail t’attend. J’ai une vingtaine de caisses à placer dans l’office, il est temps que tu t’y mettes.

Elle disparut comme le grand corps du barbare se dépliait. Il était presque arrivé à la trappe quand la veuve réapparut.

Et tu penseras à passer par le frigo ; je t’ai préparé un plat de nouilles qui devrait être mangé ce soir.

Quand le géant posa le pied sur l’escalier qui gémit sous son poids, il remarqua que sa patronne l’observait en bas des marches.

Tu songeras également à remporter le matelas dans l’office aux aurores. Je n’ai aucune envie de perdre mes Droits Elémentaires pour avoir aidé une engeance comme toi.

Elle ferma la porte de sa chambre et s’adossa à la cloison. Madame Boquerelle  attendit que le pas lourd de son barbare s’évanouisse avant de commencer à se déshabiller.

Oui, elle devait bien le reconnaître ; Gerguld était un imbécile fini mais elle aurait beaucoup de mal à s’en défaire. Elle s’ouvrirait les veines plutôt que de l’avouer mais cette compagnie lui était définitivement agréable.

Qui plus est, il y avait quelque chose dans ses yeux qui lui rappelait ce malheureux Gerald. La réincarnation était une chose tout à fait naturelle au sein de l’Empire de la Nouvelle Ere, le Codex en parlait longuement. Parfois, il arrivait même que deux êtres se retrouvent dans une autre vie.

Madame Boquerelle haussa les épaules. Gerald était un brave type mais elle ne l’avait jamais vraiment beaucoup aimé. Elle eut un moment d’hésitation avant de retirer sa tunique. Les yeux grands ouverts, la main posée sur son vêtement, elle réfléchissait si fort que ses lèvres bougeaient toutes seules.

Gerald.

Gerguld.

La coïncidence était amusante.

De plus, ils avaient l’air d’apprécier tous deux les rudoiements quotidiens.

Tu es une sotte, Lucille, murmura-t-elle en se débarrassant de ses vêtements pour enfiler une robe de nuit d’une longueur très honorable.

Le masochisme n’était guère l’apanage de feu son époux.

Quoique…

Demain, elle essaierait de tirer l’affaire au clair.

Elle tenterait d’attirer l’Esdo dans sa couche en le menaçant de le livrer à la justice s’il ne succombait pas à ses maigres charmes. Même s’ils ne parlaient pas la même langue, le langage corporel était universel…

Fin prête, Madame Boquerelle se pelotonna dans les draps, le sourire aux lèvres.

Oui, si Gerguld refusait, il n’y avait plus aucun doute à avoir.

 

Gauthier Hiernaux

grandeuretdecadence.wordpress.com

 

http://www.bandbsa.be/contes3/nouvellesest.jpg

Publié dans Nouvelle

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Sophie Vuillemin a lu "Des éclats d'univers" de Josy Malet-Praud

Publié le par christine brunet /aloys

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Des éclats d’Univers

Josy Malet-Praud

 

J’ai découvert le deuxième ouvrage de Josy Malet-Praud: un recueil de onze nouvelles –dont trois primées lors de concours.

Onze histoires très différentes qui mèneront le lecteur de la Bretagne profonde à l’Italie, en passant par le quartier du Marais à Paris. Onze plongées dans des vies, minutieusement et finement observées par l’auteur, qui dérapent. Onze portraits criants de vérité ET onze surprises car Josy Malet-Praud maîtrise l’art de la chute. J’ai cru comprendre, j’ai imaginé deviner et elle a réussi à me surprendre à chaque histoire. Une professionnelle de la fausse piste. Arrivée au terme de certaines nouvelles – mince alors, elle m’a eue- je suis repartie au début et ai repris ma lecture à la lumière du dénouement. Ah oui, les indices sont bien là !!!

Quelle aventure que de lire le deuxième livre d’un auteur. J’ai retrouvé le style fluide et maîtrisé, ledes éclats d'univers souci pointilleux du mot et une écriture au service du rythme de l’action. Brève et dynamique ou ralentissant et se teintant de poésie lorsque nécessaire. Le lecteur est entraîné par des descriptions précises et des images fortes.

J’ai retrouvé aussi le goût prononcé de l’Homme, l’humain. Coincé dans une vie étriquée, étouffé sous le poids des héritages familiaux mais aussi héros, aventurier du quotidien. Des personnages éclatants de vie, de vérité, qui prennent aux tripes, qui amènent à sourire et, l’air de rien, posent des questions essentielles sur notre société.

Souvent, lorsqu’un livre me plaît, je me demande pourquoi. Et j’ai fini par comprendre qu’un des ingrédients est lorsque l’auteur aime ses personnages. Chez Josy Malet-Praud, le goût pour les personnages est un moteur essentiel et un vecteur d’émotions.

Pour terminer, voici la première phrase de la première nouvelle : « Personne ne se rend jamais par hasard dans le village de Quervennec. » : je vous laisse avec ce premier frisson. Vous en connaîtrez d’autres en lisant Des Eclats d’Univers…

 

 

Sophie Vuillemin

http://sophievuillemin.over-blog.com

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Christine Brunet a lu "La part d'ombre" d'Alain Magerotte

Publié le par christine brunet /aloys

ma photo

 

J'ai lu le dernier recueil d'Alain Magerotte, "La part d'ombre", ED. CHloé des lys...

 

 

 

Je suis une fan de ses nouvelles toujours surprenantes. 

 

En apprenant l'arrivée de "La part d'ombre", je n'ai pu résister. Ben oui, que voulez-vous, à chacun ses petites faiblesses...

 

Cet opus est différent des deux que j'ai dévorés ("Crimes et boniments" et "Tous les crimes sont dans la nature" parus chez le même éditeur).

 

J'ai dit différent... Non, pas par le style ou la richesse du vocabulaire...

Certaines descriptions sont succulentes, parfaites à force de réalisme et de dérision : tenez, comme " cette sorte de femme aux mamelles rebondies, pesantes, débordant de graisse, environnée d'abondants replis épais exhalant un relent de suif, femelle adipeuse, suante, gluante" ou ce " type pâlot affligé d'une incurable couardise, qui a passé sa vie à raser les murs, à rechercher les zones d'ombre plutôt qu'une place au soleil... un homme cafard, en somme, "a man blatte".

 

Cette science des mots amène immanquablement le lecteur à sourire d'unhttp://www.bandbsa.be/contes3/partombrerecto.jpg fait ou d'une situation qui demanderait le plus grand sérieux de la réflexion.

 

Voilà que je m'emballe ! Hummm.

 

Différent donc, ce recueil l'est sans conteste. Ses personnages stéréotypés sont esclaves de... leurs fantasmes, de leur conscience, de leurs obsessions dans un drôle d'univers clos, rythmé par le temps qui s'écoule inexorablement mais que chacun cherche à maîtriser à sa façon...

 

Maîtrise d'états extrêmes hors du temps, réflexions poussées jusqu'à l'absurde, mystères et circonvolutions de l'âme, puissance de l'esprit, lutte pour la survie de l'équilibre mental... autant de voies explorées par les héros et leur créateur.

 

Je crois qu'une phrase résume ce drôle d'univers doux-amer où le fantastique rejoint la fiction des élucubrations de l'esprit : " l'attrait pour tout ce qui dépasse le cadre strict de la raison".

 

" La part d'ombre" est un recueil différent, donc, tout aussi mordant que les précédents signé Alain Magerotte... A lire pour sourire, pour rêver et pour s'amuser !

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

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Le tilleul du parc, un extrait proposé par Jean Destree

Publié le par christine brunet /aloys

           

IMG 1738

 

 

Cahotant et grinçant des roues, le 78 remontait péniblement la rue de la Place. Il s'arrêta

au coin du théâtre et laissa échapper quelques voyageurs qui s'empressèrent de fermer

frileusement le col de leur manteau. Deux d'entre eux entrèrent au Café des Œuvres pour

y jouer leur quotidienne partie de manille.

 

       Six heures moins cinq. Il était inutile de regarder l'horloge de l'hôtel de ville. Le tram 78 était toujours à l'heure. Le grincement reprit, traversa la place et disparut derrière la banque, tandis que le grelot tintait dans le tournant de la Maison du Peuple. Jean-Michel frissonna dans son parka trempé par la fine pluie qui virevoltait. Les feuilles du grand tilleul du parc pleuraient lentement sur le banc de pierre.

 

        Le crachin s'épaississait, masquant par instants le fond de la place. Jean-Michel se leva, resserra son vêtement et sortit lentement du parc. Il se mêla aux employés qui sortaient de la banque, répondant d'un signe de tête à leur bonsoir discret. Il traversa la place en biais, s'attardant un court instant à la vitrine de l'encadreur qui lui fit un long coup de menton. C'était sa façon de saluer le passant.

 

        Jean-Michel descendit la Grand-Rue et passa devant l'église d'En-bas. Une femme, engoncée dans un manteau qui semblait trop grand pour elle, s'appuyait contre la grille qui entourait le parvis de cet édifice du XVème siècle. Jean-Michel tourna la tête, le temps d'apercevoir un visage pâle où brillaient des yeux qui devaient avoir pleuré. Il s'engagea dans la rue Blanche lorsqu'il sursauta. Avait-il rêvé? Quelqu'un appelait.

 

- Monsieur! Monsieur!

 

      Il se retourna et vit la femme lui faire un geste du bras.

 

- Monsieur! S'il vous plaît, Monsieur!

 

      Il fit demi-tour vers elle, mais elle se détourna et s'enfuit d'un pas rapide dans la rue des Remparts. Pendant un court moment, il songea à la suivre. "A quoi bon", pensa-t-il et il reprit son chemin dans la rue Blanche. Bizarre. La gendarmerie était encore ouverte, ce qui lui parut anormal puisque les services se terminaient à dix-huit heures et il était au moins dix-huit heures vingt. La camionnette bleue de la maréchaussée stationnait devant le porche. Jean-Michel s'approcha machinalement et risqua un œil à travers la lunette arrière. Il aperçut une tête blonde. Un gamin de quatre ou cinq ans  était assis, la tête enfoncée dans ses bras croisés posés sur la tablette.

 

     Le brigadier Gaudier sortit précipitamment, s'engouffra dans le véhicule et démarra en trombe. Sous le porche, le Premier chef Masson,  le visage rubicond d'énervement, gesticulait en invectivant un de ses gendarmes. Jean-Michel ne s'en inquiéta pas. Le chef avait l'habitude de passer sa mauvaise humeur sur ses subordonnés, surtout en fin de journée quand la "Trappiste de Chimay" lui chauffait la tête. Les gens du quartier en savaient long sur les crises du Premier chef. "Bah! se dit Jean-Michel, il a encore un peu trop forcé sur la bouteille. Au fait, j'en boirais bien une, moi aussi".

 

     Il était d'ailleurs trop tôt pour le souper. Il remonta la rue Blanche et entra au café des Clouteries, qui servait de cantine aux mineurs polonais du puits Saint-Alfred. Tadek, le patron, jouait aux dés avec Louis, le concierge du Théâtre et les frères Pozzo, déjà pensionnés, victimes de la silicose.

 

     Tadek quitta sa table et s'approcha de Jean-Michel, accoudé au comptoir, l'air absent.

 

- Salut, Jean-Michel.

- 'jour! répondit celui-ci.

- Fichu temps.

- C'est la saison.

- Hé! Tadek, cria Aldo, l'aîné des frères Pozzo, avec son solide accent des Abruzzes, c'est ton tour.

- Oui, minute! Je te sers, ajouta-t-il à Jean-Michel.

- Une "Saison". Chambrée.

- Tu reviens de la ville?

- Oui.

- Rien de spécial?

- Sais pas. Pourquoi? Il s'est passé quelque chose?

- Allez! cria de nouveau Aldo, si tu traînes, tu passeras ton tour.

- Fiche-moi la paix! T'as le temps. Avec tout ce que tu as à faire, tu peux bien patienter.

 

     Le gros Tadek, comme on l'appelait, était un vieux du quartier. Il était arrivé en 1945, après la guerre. Il s'était échappé de Pologne et avait atterri là, par hasard. Il avait fait vingt ans de mine et, sorti du charbonnage, il avait épousé la fille des cafetiers qui lui avaient laissé le commerce. Il parlait un français bizarre, bâtardé d'allemand, de polonais et de wallon local.

     Il servit la "Saison", lentement, en professionnel, puis se versa une petite goutte de sa fabrication,  sorte de vodka tord-boyaux dont il faisait grand usage et s'installa près de Jean-Michel, abandonnant ses partenaires de jeu. Les deux hommes s'étaient liés d'amitié depuis que Jean-Michel s'était installé en ville, appelé par ce qu'il appelait son travail de "professeur de langues étrangères". Il enseignait le français à l'École Moyenne de l'État à des élèves dont plus de la moitié étaient des enfants d'immigrés, dont une majorité d'Italiens.

 

- Tadek, tou né zoué plou? cria Aldo.

- Non, continuez sans moi.

- Si, ma tou dois la tournée.

- Ouais, ouais! Ça va! Dis, Jean-Michel, tu n'as pas vu un petit gamin qui avait l'air perdu?

- Si.

- Ah! Où ça?

- Chez les gendarmes, en remontant chez moi. Pourquoi?

- Ils sont venus vers les cinq heures. Aldo leur a dit qu'il avait vu le gamin près de l'entrée de la fosse. Hé! Aldo! Où il allait, le gamin?

- Zé né sais pas. Il avait oune pétit sac à sa main et il avait l'air dé vénir dé la Saussée dé Mons. Zé l'ai raconté à l'adzoudant qu'il é réparti tout dé souit' avé lé grand Lambert. Y sonté partis dou costè dou çarbonnazé et pouis y sonté répassés presqué tout dé souit' à tout' vitesse. Zé né sais rien dé plouss.

- Alors, ils l'ont retrouvé? demanda Tadek.

- Cela m'en a tout l'air, fit Jean-Michel.

- En tout cas, c'est bizarre, cette histoire de gamin.

- Oh! fit Carlo, l'autre frère Pozzo, à Napoli, on en perd des dizaines tous lé zours ma on finit touzours par lé rétrouver. Ne vous en fézé sourtout pas pour ça.

 

      Jean-Michel écoutait sans rien dire. Le récit du frère Pozzo dans un français mâtiné d'italien et de wallon lui aurait paru comique en d'autres circonstances. Il ne souffla mot de sa rencontre avec la femme aux yeux rouges et au grand manteau noir. Songeur, il vida son verre d'un trait, laissa la monnaie sur le comptoir et sortit après un clin d'œil à Tadek, abandonnant les autres à leur discussion.

 

      Sur le seuil du café, il réfléchit. Au lieu de rentrer directement chez lui, il remonta la rue du Charbonnage jusqu'à l'entrée de la mine. Le soir était tombé depuis un moment et le crachin s'était fait plus épais. Les lampes de la rue s'entouraient d'un halo qui les faisait ressembler à des lunes pâles.

 

      Jean-Michel frissonna. Il fit demi-tour. Il pensait. Mais à quoi? A tout. Au gamin, à la femme, aux quatre joueurs de dés, à leurs réflexions, aux gendarmes. Tout se mélangeait dans sa tête. Il ressentait une sorte de malaise, quelquechose d'indéfinissable, comme s'il pressentait un drame. "Je suis trop sensible" se dit-il.

 

    Il tourna dans la rue des Écoles puis remonta la ruelle qui débouchait dans la rue Blanche, au coin de la gendarmerie. Il eut soudain la sensation d'être suivi. Il se retourna. La ruelle était déserte. Il s'arrêta. Aucun bruit, sinon celui des gouttes qui tombaient des marronniers du jardin de la gendarmerie. Il se retourna encore et reprit sa route. Arrivé dans la rue Blanche, il décida de rentrer. Il tourna la clé dans la serrure, s'arrêta. Toujours la même impression d'être suivi. Sa main tremblait.

 

      "Merde! Je ne vais tout de même pas..."

 

      Jean-Michel avait mal dormi. Cela lui arrivait chaque fois qu'il était tracassé. Longtemps il avait ressassé les événements de la soirée. Il sa leva de fort méchante humeur. La journée serait certainement très pénible.

       Dehors, il pleuvait. Une pluie grise, enfumée. Il faisait froid. Le vent s'engouffrait dans la rue, chassant devant lui des rideaux de pluie sale. Jean-Michel se sentait emporté dans cette grisaille humide qui pourtant faisait briller les pavés. Il franchit un peu à regret la grille de l'école, traversa la longue cour bordée de marronniers et se calfeutra dans sa classe.

 

 

Jean destrée

Le tilleul du parc, extrait


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Christine Brunet a lu "Le coup du Clerc François" de Georges Roland

Publié le par christine brunet /aloys

ma photo

 

Le coup du Clerc François, de Georges Roland

Editions Chloé des lys

 

Il y a des livres qui attirent l’œil: la couverture, le titre, que sais-je ? Moi, c'est une photo qui a joué le rôle de déclencheur, celle de Georges Roland, un perroquet sur la tête : pas commun, le genre de cliché dont on se souvient bien malgré soi.

 
Bon, d'accord, il y a également le titre... et la couverture... Un vitrail ? Un dessin moyenâgeux. Alors un roman médiéval ? Je feuillette : des termes de la langue de Rabelais ou de Marot. J'adore ! Et si j'ouvrais le livre, à présent ?

 
Pas plutôt plongé dans le texte (au demeurant magnifiquement écrit) que tout s'arrête: le passé, le présent, le futur. Une vue de l'esprit du Clerc François ? peut-être l'auteur est-il tombé sur la tête ? la bombe atomique en plein Moyen-Âge ! l'amour courtois en plein XXIe siècle ? Le KGB (s'entend "képis, guêtres, bottes) côtoie la CIA (euh, non, pas la "Central Intelligence Agency"...)... Tout s'embrouille, tout se mêle et se superpose.

Mais les premières minutes de désorientation passées, on s'accroche ! C'est fou, on VEUThttp://www.bandbsa.be/contes2/clercrecto.jpg savoir ! On est pris par l'atmosphère totalement décalée, peut-être, sans doute, à cause de ce décalage, justement, ou du style d'une richesse impressionnante, fluide, qui se joue des anachronismes et nous donne en pâture un drôle de monde, médiéval sans l'être vraiment, en tout cas, très proche de notre vécu ! On sourit, on s'esclaffe, on jubile en découvrant de nouvelles tournures, de nouveaux mots.

Bon, d'accord, je ne parle pas de l'histoire...
Alors, c'est l'histoire...

Eh bien non ! Pas question de vous dévoiler les turpitudes et les calculs des uns et des autres !

Allez, je fais un effort: nous découvrons des royaumes qui se regardent en chiens de faïence, des rois très calculateurs, une reine très... spéciale, des "éminences grises" très grises...

 
Tout est prétexte à discussion comme si, là-haut, un oeil acéré disséquait les actes et les commentait pour mettre en lumière l'autre côté du miroir... Critique sociale, critique politique, critique aiguisée de l'âme humaine. Ne vous y trompez pas ! Ce roman, très ancré dans le présent, est capable de vous livrer aussi bien de la fantaisie que de la critique sociale... J'ai enfin découvert mon Rabelais contemporain !

Bravo pour ce livre passionnant qui nous livre un regard original mais sans concession de notre société...

 

 

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

www.aloys.me

www.passion-creatrice.com

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L'auteur de cette nouvelle ? Edmée de Xhavée !

Publié le par christine brunet /aloys

 

Edmee-chapeau

 

 

De bons poireaux, ça demande du travail (Edmée – auteur mystère)

 

Il se demandait comment il en était arrivé là… Josiane pelletait furieusement, repoussant cheveux et terre hors de sa bouche avec des pffffft réguliers et humides. Sous le vieux t-shirt taché de café, sa poitrine gesticulait comme si deux bébés chimpanzé y étaient accrochés. Un peu vers le haut, un moulinet vers la gauche, un soubresaut en piqué….

Lui, il tenait le sac poubelle, hébété. Il lui semblait que le contenu commençait déjà  à sentir, et deux mouches tentaient d’y pénétrer afin de pondre une bordée d’œufs qui ne connaîtraient pas la faim. La dernière chose qu’il avait vue était l’avant-bras droit, presque arraché à l’épaule par le travail de sauvage de Josiane, sur lequel la fameuse petite tache en forme de cœur lui avait ramené le souvenir de rires et de lendemains imaginés, couchés sur le lit. Laurette et lui.

Bien sûr, il avait toujours su qu’il ne quitterait pas Josiane. Il ne pouvait pas se le permettre. Laurette savait qu’il était marié. Quand ils évoquaient ces lendemains de bonheur hypothétique ensemble, il jouait à « et si seulement…. ». Sincère, oui. L’amour courait dans ses veines, sa moelle, emplissait son cerveau et les pores de sa peau. Mais il jouait à et si seulement. Et au bout de 5 ans, Laurette avait cessé de réagir à la magie de ces jours futurs encore plus irréels que la licorne. Son voisin de palier, disait-elle,  lui avait réparé le chauffe-eau. Puis lui avait fait avoir, par son boulot, un nouveau téléviseur énorme pour presque rien. Ca avait été suivi d’une caisse de champagne qu’il avait gagnée et qu’il avait partagée avec elle parce que pour lui tout seul…

Il revenait de chez elle de plus en plus abattu. Laurette allait lui fermer sa porte et devenir sourde à ses coups de fil, tout comme l’avaient fait Agathe et Pierina des années plus tôt. Il retrouvait Josiane, ronflant la bouche ouverte, les chimpanzés affalés sous le vieux pyjama déformé, et gardait les yeux ouverts toute la nuit, le cœur battant avec désespoir jusqu’au bout de ses doigts. Au matin, il était gris. Et Josiane se lamentait de ce qu’il ne fichait plus rien.

Elle savait, bien sûr. Ses sentiments et désirs, elle n’en avait cure. Elle trouvait des avantages certains à la situation : il avait cessé de lui pincer les fesses ou de se « réjouir » d’aller au lit ; il ne lui demandait plus d’écouter un poème qu’il lui lisait avec une voix d’acteur ; elle avait bien des soirées de paix pour regarder ses feuilletons favoris. Mariée sans les inconvénients de la compagnie, si on excluait la lessive et le repassage – qu’elle faisait rarement. Mais là… voilà qu’il devenait un problème sérieux.

Elle l’avait affronté. Avait feint la stupeur, la douleur, la rancœur – quoi ! de nouveau ! -  l’envie de suicide, les évanouissements, la crise de nerf, l’apathie, la perte d’appétit. Pour enfin le mettre au pied du mur. Elle ou moi. Et elle savait qu’il entendait clairement « elle et tes frusques et rien d’autre, ou moi et l’affaire familiale de papa ». Tout à fait perdu, la vie au bord d’un précipice, il avait consenti à « essayer de faire comprendre à Laurette petit à petit ». Comment aurait-il pu dire que c’était lui qui avait peur de la perdre depuis quelques mois, sans avoir l’air d’un imbécile en plus ?

Et il n’avait rien osé dire… Tétanisé, il attendait que quelque chose se passe, qui le libèrerait de devoir prendre une décision.

Ses vœux furent exaucés. Josiane avait abordé Laurette au marché, lui avait demandé une explication en tête à tête. « Tes ennuis sont finis ! » avait-elle dit sans ironie au retour. Sur le siège passager, Laurette avait l’air endormie si ce n’était un peu de bave rose qui se mouvait encore lentement sur son menton et un tournevis enfoncé dans la tempe. « Encore un mauvais moment à passer et puis on n’y pensera plus » avait-elle ajouté pendant qu’ils découpaient ce corps qu’il avait tant aimé dans la baignoire, nus pour ne pas salir leurs vêtements. Et il coupait. Sciait, cassait, forçait, tordait… Il ne savait plus penser.

Et puis il avait regardé Josiane qui pelletait avec l’énergie d’une pompe à pétrole dans la plate-bande où on allait bientôt piquer les poireaux comme chaque année, se couvrant de sueur et de terre. Et quand la bêche avait crissé contre ce qu’il pensait être une grosse pierre, il avait vu le sommet d’un crâne qui s’échappait d’un vieux tapis méconnaissable. Son cœur et sa respiration s’étaient unis dans une immobilité affreuse alors que le crâne se tournait lentement vers lui, les dents exhibées dans une joie obscène. Pierina ou Agathe ? Josiane avait levé les yeux vers lui et marmonné entre ses lèvres « Oui… au moins elles nous ont fait les meilleurs poireaux du quartier… autant qu’elles servent à quelque chose ».

Une fois la terre remise en place, il avait fini de penser à jamais. Josiane se cambrait en arrière, lasse et en sueur, les mains terreuses appuyées contre ses reins, et elle lui souriait.

« Allez ! Je te fais un bon café bien fort et demain, tu n’y penseras plus ».

 

 

Edmée de Xhavée

edmee.de.xhavee.over-blog.com

 

http://www.bandbsa.be/contes3/rivieresybilla.jpg


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Qui est l'auteur de cette nouvelle ? A vous de me le dire...

Publié le par christine brunet /aloys

point d'interrogation

 

 

De bons poireaux, ça demande du travail 

 

Il se demandait comment il en était arrivé là… Josiane pelletait furieusement, repoussant cheveux et terre hors de sa bouche avec des pffffft réguliers et humides. Sous le vieux t-shirt taché de café, sa poitrine gesticulait comme si deux bébés chimpanzé y étaient accrochés. Un peu vers le haut, un moulinet vers la gauche, un soubresaut en piqué….

Lui, il tenait le sac poubelle, hébété. Il lui semblait que le contenu commençait déjà  à sentir, et deux mouches tentaient d’y pénétrer afin de pondre une bordée d’œufs qui ne connaîtraient pas la faim. La dernière chose qu’il avait vue était l’avant-bras droit, presque arraché à l’épaule par le travail de sauvage de Josiane, sur lequel la fameuse petite tache en forme de cœur lui avait ramené le souvenir de rires et de lendemains imaginés, couchés sur le lit. Laurette et lui.

Bien sûr, il avait toujours su qu’il ne quitterait pas Josiane. Il ne pouvait pas se le permettre. Laurette savait qu’il était marié. Quand ils évoquaient ces lendemains de bonheur hypothétique ensemble, il jouait à « et si seulement…. ». Sincère, oui. L’amour courait dans ses veines, sa moelle, emplissait son cerveau et les pores de sa peau. Mais il jouait à et si seulement. Et au bout de 5 ans, Laurette avait cessé de réagir à la magie de ces jours futurs encore plus irréels que la licorne. Son voisin de palier, disait-elle,  lui avait réparé le chauffe-eau. Puis lui avait fait avoir, par son boulot, un nouveau téléviseur énorme pour presque rien. Ca avait été suivi d’une caisse de champagne qu’il avait gagnée et qu’il avait partagée avec elle parce que pour lui tout seul…

Il revenait de chez elle de plus en plus abattu. Laurette allait lui fermer sa porte et devenir sourde à ses coups de fil, tout comme l’avaient fait Agathe et Pierina des années plus tôt. Il retrouvait Josiane, ronflant la bouche ouverte, les chimpanzés affalés sous le vieux pyjama déformé, et gardait les yeux ouverts toute la nuit, le cœur battant avec désespoir jusqu’au bout de ses doigts. Au matin, il était gris. Et Josiane se lamentait de ce qu’il ne fichait plus rien.

Elle savait, bien sûr. Ses sentiments et désirs, elle n’en avait cure. Elle trouvait des avantages certains à la situation : il avait cessé de lui pincer les fesses ou de se « réjouir » d’aller au lit ; il ne lui demandait plus d’écouter un poème qu’il lui lisait avec une voix d’acteur ; elle avait bien des soirées de paix pour regarder ses feuilletons favoris. Mariée sans les inconvénients de la compagnie, si on excluait la lessive et le repassage – qu’elle faisait rarement. Mais là… voilà qu’il devenait un problème sérieux.

Elle l’avait affronté. Avait feint la stupeur, la douleur, la rancœur – quoi ! de nouveau ! -  l’envie de suicide, les évanouissements, la crise de nerf, l’apathie, la perte d’appétit. Pour enfin le mettre au pied du mur. Elle ou moi. Et elle savait qu’il entendait clairement « elle et tes frusques et rien d’autre, ou moi et l’affaire familiale de papa ». Tout à fait perdu, la vie au bord d’un précipice, il avait consenti à « essayer de faire comprendre à Laurette petit à petit ». Comment aurait-il pu dire que c’était lui qui avait peur de la perdre depuis quelques mois, sans avoir l’air d’un imbécile en plus ?

Et il n’avait rien osé dire… Tétanisé, il attendait que quelque chose se passe, qui le libèrerait de devoir prendre une décision.

Ses vœux furent exaucés. Josiane avait abordé Laurette au marché, lui avait demandé une explication en tête à tête. « Tes ennuis sont finis ! » avait-elle dit sans ironie au retour. Sur le siège passager, Laurette avait l’air endormie si ce n’était un peu de bave rose qui se mouvait encore lentement sur son menton et un tournevis enfoncé dans la tempe. « Encore un mauvais moment à passer et puis on n’y pensera plus » avait-elle ajouté pendant qu’ils découpaient ce corps qu’il avait tant aimé dans la baignoire, nus pour ne pas salir leurs vêtements. Et il coupait. Sciait, cassait, forçait, tordait… Il ne savait plus penser.

Et puis il avait regardé Josiane qui pelletait avec l’énergie d’une pompe à pétrole dans la plate-bande où on allait bientôt piquer les poireaux comme chaque année, se couvrant de sueur et de terre. Et quand la bêche avait crissé contre ce qu’il pensait être une grosse pierre, il avait vu le sommet d’un crâne qui s’échappait d’un vieux tapis méconnaissable. Son cœur et sa respiration s’étaient unis dans une immobilité affreuse alors que le crâne se tournait lentement vers lui, les dents exhibées dans une joie obscène. Pierina ou Agathe ? Josiane avait levé les yeux vers lui et marmonné entre ses lèvres « Oui… au moins elles nous ont fait les meilleurs poireaux du quartier… autant qu’elles servent à quelque chose ».

Une fois la terre remise en place, il avait fini de penser à jamais. Josiane se cambrait en arrière, lasse et en sueur, les mains terreuses appuyées contre ses reins, et elle lui souriait.

« Allez ! Je te fais un bon café bien fort et demain, tu n’y penseras plus ».

 

 

Alors ??????? Selon vous ?

Publié dans auteur mystère

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