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Un Noël si ancien, une nouvelle signée Micheline Boland tirée du recueil "Contes à travers les saisons"

Publié le par christine brunet /aloys

Un Noël si ancien



 

Ses pas l'avaient machinalement guidé vers cette exposition de crèches. Pourquoi vers cette exposition plutôt que vers l'un des nombreux chalets installés pour le marché de Noël ou encore vers le gigantesque sapin dressé à la périphérie de la place ou vers la crèche joliment composée sous le porche ? Il ne pourrait le dire. Il y a bien longtemps qu'il ne retenait de Noël que la vaste entreprise commerciale. Il n'avait plus en pensée le mystère qui y était lié ou tout simplement la joie. Demain, 24 décembre, il passerait un réveillon ordinaire avec des amis qu'avec le temps, il jugeait tout aussi ordinaires. Il y aurait des huîtres, de la bisque de homard, de la dinde, des fromages, une bûche, du champagne et de la musique. Il y aurait le sapin, la nappe et les serviettes d'une blancheur immaculée, des décorations rouges, vertes, dorées. On ferait la fête comme pour un quelconque anniversaire. Puis on s'en irait l'âme creuse, la pensée vide vers des jours tout ordinaires eux aussi.

 

Son cœur se mit à battre la chamade face à elle, l'unique, la merveilleuse. Face à elle, pareille à la crèche de ses dix ans. De minuscules personnages disposés dans un coquillage. Qui eut cru que cela pouvait encore exister ? D'un coup lui revinrent pêle-mêle des chants religieux, des paroles des Écritures, des caresses de sa mère, des parfums de sapin et une foi plus tenace que toutes ces croyances accumulées en cinquante ans d'existence. Il retrouvait ses dix ans, avec leurs émotions, leurs certitudes, leurs valeurs, leurs idées, leurs relations, leurs amis, leur confiance.

 

  Cela ne pouvait être qu'elle. Il l'aurait reconnue parmi des dizaines d'autres fort semblables. Elle seule pouvait raviver ainsi sa mémoire, son sentiment. Il devait en retrouver le propriétaire. Ça ne pouvait être qu'un membre de sa famille. A dix-huit heures, il ne pouvait guère espérer qu'une de ces deux bénévoles qui accueillaient les visiteurs puissent le renseigner. Mais son désir était si grand qu'il allait tenter l'incroyable. Avec la force, avec la détermination, avec ce goût de la réussite de ses dix ans, il s'approcha de la femme la plus âgée, celle dont le regard était en partie dissimulé par des lunettes. Alors, sans qu'il eut dit un mot, elle l'appela par son prénom. Elle lui prit la main. "Nous t'avons attendu tant et tant d'années mes frères, mes sœurs et moi."

 

Il reconnut l'aînée de ses cousines aux intonations chaudes de sa voix. Il l'avait perdue de vue tout comme les autres membres de sa famille suite à une sordide question d'héritage. Il l'avait perdue de vue, comme il avait perdu de vue sa foi, son innocence, son enfance suite aux événements qui avaient suivi le décès accidentel de ses grands-parents paternels.

 

D'un coup, il avait retrouvé tout ce qui lui manquait à présent sans qu'il ait jamais pu le nommer.

 

"Attends-moi un peu, dans une demi-heure je pourrai m'en aller".

 

Il était prêt à attendre plus longtemps que l'heure de fermeture de l'exposition, pour retrouver ce qu'il avait cherché sans le savoir. Il était prêt à abandonner tous les réveillons luxueux pour en organiser un de bonheur, de retrouvailles, d'espérance, d'amour.

 

  Ce n'était pas sa crèche, c'était une des crèches offertes par sa grand-mère à ses petits-enfants lors de son dernier Noël, mais que lui importait ? Le souvenir et l'émotion avaient plus de poids que tous les trésors matériels !



 

Micheline Boland (extrait de "Contes à travers les saisons")

 

 

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Le vieux de la zéro/vingt-trois, un recueil de poèmes signé Carine-Laure Desguin. Poème 1

Publié le par christine brunet /aloys

1

 

le vieux de la zéro/vingt-trois



 

pendule sa montre 

aux barreaux froids 

de son lit

un rien l’amuse

désormais

 

le fil électrique de la commande

(celle du lit)

c’est pour lui une longue histoire 

torsionnée

 

chaque nœud une aventure

depuis son arrivée

dans ce 

dans ce 

danse valse tango rock

se divertir il dit

pour ne pas ne pas

ne pas s’affoler

rigoler d’un rien

se forcer pour

 

le café refroidit

le nuage de lait

a plu

 



 

In recueil Le vieux de la zéro/vingt-trois

http://carineldesguin.canalblog.com/

 

Publié dans Poésie

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Christine Brunet nous présente son nouveau thriller SF "Declassified" avec un court extrait

Publié le par christine brunet /aloys

Synopsis Declassified

 

L’émergence sur Terre d’une organisation conçue pour élargir la paix et maintenir les équilibres,

Des disparitions étranges, l’apparition de groupuscules transhumanistes violents, un laboratoire secret pour créer génétiquement le prédateur parfait...

Quelle puissance occulte est en passe de prendre le pouvoir sur notre planète ? 

L'affrontement est inévitable… 

 

Il ouvre les paupières sur les barreaux d’une cage. Une semi-obscurité baigne le réduit et les parois creusées dans une roche noire, dense et granuleuse. La lueur verdâtre vient du couloir, derrière la grille. D‘où exactement, il n’en sait rien. Il n’est pas seul : des gémissements, des cris, des hurlements lui vrillent les oreilles.

Il est recroquevillé dans un coin. Il a froid. Il baisse les yeux, contemple ses… non, pas des mains, plus de la chair, mais une sorte de cuir granuleux comme celui des pattes de poulet… Mais pourquoi penser à ça maintenant ? Et ces longues griffes… Pas d’ongles, mais des lames de rasoir terrifiantes.

Il parle de chair, de mains, mais… les mots sont encore là, mais les images se sont effacées.

Il essaie de se souvenir : son nom, d’abord… 

?

Son cœur cogne soudain dans sa poitrine dans un désordre assourdissant. Il ne se souvient plus de rien… Plus d’avant… Plus d’après… Il est, mais quoi ? 

Sa gueule s’entrouvre et laisse filtrer un mugissement déchirant, interminable…

 

(Début seconde partie)

Publié dans Présentation, extraits

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Rolf Morosoli interviewé par Kamal Benkirane pour son recueil de nouvelles "Clin d'oeil"

Publié le par christine brunet /aloys

https://youtu.be/4B4I3Jqsr-w

Publié dans interview, vidéo

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J’ai lu Pourvu qu’il pleuve de Bernard Depelchin... Une chronique signée Edmée De Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

 

J’ai lu Pourvu qu’il pleuve de Bernard Depelchin – Edmée De Xhavée

 

Un mariage qui se fatigue un peu, en douceur. Un souvenir d’enfance qui surgit dans les souvenirs, Anna. La découverte du visage de l’Anna de maintenant. Les mille questions, les retours aux infinies possibilités, les reproches – pourquoi l’avoir laissée se faire perdre de vue ?

Anna, la gente enfant à protéger à la lointaine époque du preux chevalier en culottes courtes. Elle n’a pu devenir que douce et belle… Plus douce et plus belle. L’obsession s’installe, se répand, refuse de s’apaiser. Le mariage fatigué tombe dans un brouillard bienveillant, à quoi bon trop y penser alors qu’Anna se révèle, au fil des rencontres, de plus en plus nette et envoutante. Le premier baiser, les confidences, les sourires, l’époux d’Anna qu’elle avoue aimer même si… L’attente brûlante de son retour de vacances en famille…

Il est si facile de rendre un amour impossible, dit l’auteur, le narrateur. Il suffit de ne pas avoir gardé le contact, d’avoir mis assez de temps entre les deux amants potentiels.

L’auteur est belge, et donc ce « pourvu qu’il pleuve » est surprenant : aucune incantation n’est nécessaire pour que la pluie s’invite. Et cependant, c’est à mes yeux une partie délicieusement romantique et lumineuse dans le récit, ce qui se passe juste avant la pluie. Une déclaration qui contient tout, avec décence mais aussi impudeur. Décence pour Anna et impudeur pour son ancien preux chevalier en culottes courtes.

J’ai suivi les espoirs et projets du narrateur et ses rencontres avec Anna en quelques soirées de lecture, sans hâte. Un voyage agréable, un peu fou, surprenant, une vénération du souvenir, de l’enfance, d’une période où certes toutes les options existaient encore. Une aventure vécue à coups d’attentes folles et nimbée des fantasmes de la mémoire.

Et puis, l’espoir de la pluie, en beauté !

 

Edmée de Xhavée

https://edmeedexhavee.wordpress.com

 

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Christine Brunet en invitée du blog Aloys avec le prologue de son dernier thriller policier, Malfarat

Publié le par christine brunet /aloys

 

Ceyreste. Février 1943

 

 

Il fait nuit. Il gèle à pierre fendre dans les ruelles pavées du petit village provençal. Toutes les fenêtres sont tendues d’un lourd tissu noir ou barricadées derrière les volets en bois. Pas une lumière ne filtre. Tout semble endormi. Pas un bruit.

 

Pourtant, en y regardant de plus près, une ombre rase les murs, avance avec circonspection, oreille aux aguets. Elle s’arrête sous un balcon, observe à droite puis à gauche, se déporte dans une zone plus éclairée et observe ce premier étage : un mouchoir esseulé et raidi par le froid pendouille sur une corde à linge. C’est le signal : la voie est libre.

Agile comme un singe, l’ombre grimpe le long de la gouttière, passe la rambarde, retire le mouchoir et tape le volet du bout de l’index. Le battant s’ouvre puis se referme immédiatement sur le visiteur.

 

L’intérieur de l’appartement est commun à toutes les maisons de village : tommettes en terre cuite rouge au sol, murs blanchis à la chaux, chaises en paille installées autour d’une lourde table ronde. Sur la droite, le coin cuisine avec sa pile en pierre de Cassis et le poêle à bois qui ronronne doucement. Dessus, un poêlon en terre garde au chaud le repas de la semaine.

 

Une jeune femme se jette au cou de l’homme, l’embrasse avec emportement :

  • Joseph ! Mon Dieu ! Tu es là, enfin ! Ce que j’ai eu peur ! s’exclame-t-elle en détaillant le petit gabarit fluet aux courts cheveux noirs plaqués sur le crâne. Tu en as mis du temps !

 

Elle regarde le pantalon, élimé comme sa parka, l’écharpe tricotée, les bottines usées, remonte vers la ceinture et devine la présence rassurante du Lüger qu’il trimbale partout.

  • Ça a été chaud… Hum, ça sent bon ! Les enfants ?
  • Au lit.
  • Les boches ?
  • Rien d’inhabituel. Tu as tes instructions ?

 

Il élude les questions pour ne pas mettre son épouse trop en danger.

  • Je mange et je repars.
  • Tu rentreras quand ?
  • J’en sais rien…

 

Il hésite et décide de lui en dire plus : elle est forte.

… Je dois partir sur Lyon…

  • Lyon ! Oh Bonne Mère ! Mais…
  • Chut… Ultra secret.

 

Elle essuie ses mains tremblantes à son tablier : elle est plus pâle que d’habitude.

  • Et j’aurai des nouvelles ?
  • Tu sais bien que non…  

 

Il évite son regard et s’installe à table sans aller voir ses deux gosses : pas l’envie qui lui manque, mais la pudeur peut-être, ou la crainte de ne plus avoir le courage de repartir.

  • Je te sers tout de suite…

 

Empressée, elle court vers l’évier, sort de dessous un bol puis se déporte vers le poêle et remplit l’écuelle qu’elle pose devant son mari avec un morceau de pain noir.

  • Des rutabagas… Rien trouvé d’autre.

 

Il grogne, mais enfourne la nourriture à toute allure.

  • Au fait, Mireille, fais attention aux Figuières. Ils fricotent avec les schleus.
  • Très bien… Mais notre Victor et leur fils jouent ensemble à la sortie de l’école. Je fais quoi ? Difficile de les en empêcher sans qu’ils posent tout un tas de questions…
  • Je sais… Mais tu dois être très prudente avec ce que tu dis aux enfants… Tu m’as compris ?
  • Je sais, mon chéri… murmure-t-elle en s’essuyant à nouveau les mains à son tablier fleuri. Tu sais que le père Figuières a disparu ?

Joseph acquiesce et passe simplement l’ongle de son pouce en travers de la gorge : exécuté.

  • Sur les ordres d’en haut… Un collabo de moins, c’est toujours ça… siffle-t-il, les sourcils froncés, mauvais.

 

Un caillou contre le volet. Il bondit comme s’il est monté sur ressort.

  • Il est temps, ma chérie. Fais bien attention à toi et aux gosses.
  • Attends ! J’ai quelque chose pour toi…

 

Elle sort d’un tiroir un papier plié avec un mot écrit à l’encre bleue qu’elle lui tend… « Llm Malfarat »

 

Il prend la missive[1], contemple l’écriture, fronce vaguement les sourcils très noirs, l’ouvre, en parcourt le message et empoche le papier sans plus d’explication.

  • Sois prudent !
  • Évidemment…

 

Il se lève, la prend par la taille, l’embrasse avec emportement et quitte le petit logement pour le balcon. En un clin d’œil, il a disparu dans la nuit. 

 

Texte de l’ordre de mission

« Pour la Question de font Chapelle ji serai le Samedi 9 Courant 13h

Ne manqueS paS di Etre ce Jour

GilReilGer »

 

 

 

 

Mars 1943

 

Des hurlements, des pleurs, des supplications… Au premier étage de la maison de village, quatre agents de la Gestapo mettent le petit appartement provençal à sac. À leurs côtés, deux Français de la Milice en long manteau noir, croix gammée au bras, montrent un empressement suspect. Une paire de boucles d’oreille en or disparaît dans l’une des poches avec quelques pièces de monnaie et deux tickets de rationnement découverts dans l’un des tiroirs renversés au sol. Les deux enfants et la femme sont poussés sans ménagement sur le palier puis dans les escaliers.

En bas, une voisine pomponnée, en robe fourreau décalée pour l’endroit et talons hauts, petit chapeau perché sur une coiffure sophistiquée, observe la scène, sourire mauvais aux lèvres : elle a dénoncé ses voisins sans états d’âme. Des communistes à ce qu’on dit, peut-être même des juifs… Le mari est toujours absent, dans le maquis à ce qu’on raconte.

Elle est du côté de la loi. Son mari l’était aussi ! Un bon Français éliminé par ces traîtres à leur Patrie, ceux qui se disent ‘Résistants’… Résistants à quoi, on se le demande !

Elle regarde la femme et ses deux rejetons partir vers la place où un camion bâché les attend. Enfin débarrassée… Enfin vengée !

 

Son regard croise celui de Mireille, haineux, puis celui de l’aîné, Victor, le copain de classe de son fils Paul et enfin les yeux noir charbon de la cadette. C’est une autre étincelle qu’elle y décèle, frissonne puis se reprend : quelle importance ? Ceux qui partent avec la Gestapo disparaissent à jamais.

 

Elle peut dormir sur ses deux oreilles…

 

[1] Cette lettre existe vraiment avec ses fautes… Seule la signature a été modifiée… Et ce n’était pas un ordre de mission… Du moins a priori !

Publié dans extraits, l'invité d'Aloys

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"C’est compliqué" un texte signé Edmée De Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

C’est compliqué – Edmée De Xhavée

 

Je sais être un enfant adopté. Ma foi, j’aurais pu plus mal tomber, mes parents sont le top. Parents Un et Deux : Abbott et Costella. Papa Abbott, extrêmement bavard, a une claire voix de soprano, et maman Costella chasse le poil superflu même quand on va au restaurant, elle sort son miroir de sac et s’épile les piquets de barrière comme elle dit, c’est souvent gênant quand le serveur arrive et doit balayer la nappe avant d’y déposer le pain… Mais sinon, ils sont top, et ont gagné le prix Chromo-Cock ( pour Chromosomes cocktail, si vous ne le ne savez pas ) l’année dernière. Le trophée – une statuette de la liberté rouge nue avec pénis et seins multicolores se déplaçant latéralement au claquement des doigts – fait notre fierté. 

Papa Abbott, ce matin, s’est de nouveau plaint : l’opération n’a pas fonctionné à 100%, il a encore ses règles et a sali son short de tennis car il avait oublié d’insérer son Toujours Nette dans le boxer. Et maman a ri : et moi je n’en ai jamais eu, nananère ! Un couple dans le vent, décomplexé et tout et tout. 

L’autre jour je suis tombé par hasard sur une énigme. Je suis, comme tout le monde, inscrit sur Rep-Bin (répertoire de binettes), et en particulier sur le groupe Hier, que c’était moche. On y montre des photos, tableaux et cartes postales d’autrefois, et ça nous fait souvent bien rire. Il y avait en effet une photo de classe amusante mais qui m’a donné un bref regret pour ce passé-là : tous les élèves étaient montés sur les bancs, ornés de piercings de tailles variées, vêtus d’oripeaux de prix, la peau souvent indiscernable sous des tatouages fantastiques. Certains avaient la cornée de l’œil noire ou rouge, ou des cornes, les dents sciées en pointes, une fille avait un trousseau de clés accroché à la lèvre inférieure – c’était génial, ça ! – et un garçon – enfin je ne suis pas certain… - avait un chemisier très décolleté plongeant qui offrait au regard une poitrine XXL et hyper velue. J’ai contemplé ce souvenir d’autrefois avec enchantement, et dans les commentaires j’ai lu qu’un/e certain/e Épiphanien Luette de Portici écrivait « c’est ce jour-là que le fêlé du 3ème banc à droite m’a engrossé/e. J’étais fait/e à la colle… » À quoi un/e Andrea Papagallo répondait « oh shitty stuff ! Tu sais qu’il est mort l’année suivante lors d’une escalade à mains nues et en maillot de l’Everest pour réagir à un défi ? Il a su que t’avais son poisson dans le bide ? Oh shitty stuff, j’espère que le goujon ne lui ressemblait pas… » Et puis un laconique : « Ben non, je l’ai déposé tout frais et frétillant près d’une tente de migrants le long du canal. Je savais qu’au moins là les assistantes sociales passaient souvent… » Quelques félicitations pour sa bonne idée, des compliments sur sa mine, et une allusion à faire un jour une réunion de classe avec les survivants, et puis rien.

Or… je sais avoir été trouvé devant la tente d’un candidat réfugié syrien qui m’a recueilli, m’a fait passer pour son enfant et a ainsi obtenu son séjour par la voie rapide. Il a dit que je m’appelais Masood et que ma mère, la pauvre et sainte femme, était morte en tombant à l’eau juste après l’accouchement, se retournant pour me serrer dans les bras, puis avait hélas été aspirée par un tourbillon sous ses yeux éplorés - ; qu’il s’occupait de moi tout seul depuis deux jours et acceptait de me confier à l’assistance pour m’assurer un avenir plus serein. Cinq ONGs se sont fait concurrence pour se vanter de notre sauvetage si touchant, et recevoir des royalties pour de nombreuses apparitions sur des plateaux de télévision, sur lesquels j’ai presque vécu en Special Guest les six premiers mois de ma vie. Non non clamait mon « père », il ne me réclamerait jamais, et son abnégation lui a valu un poste d’importance au service des adoptions. Donc Épiphanien Luette de Portici est ma mère, très probablement. 

Son profil, eh bien, je m’y perds : ma mère est Directeur de Portici Green, une énorme société dont le logo est Gaïa Ma Sainte Mère en lettres d’or entourant un portrait de la grande prêtresse Greta emmêlé à un feuillage dans un camaïeu de verts. Je ne sais pas ce qu’ils produisent car ils refusent de le révéler et sont sous contrôle judiciaire européen depuis l’ère post Ursula mais continuent à produire ce qu’on ne sait pas. Mais pour en revenir à ma mère, elle a le crâne rasé, une moustache à la Tarass Boulba – oui oui, je connais ça, j’ai trouvé un vieux livre en papier ! -, un bandeau rose fluo sur l’œil et une invasion de botox car son visage semble fait de ciment, et l’œil encore en vie est fixe sous les extensions de faux-cils d’une belle longueur. 

Mais finalement, j’ai envie de connaître mes racines, et avec le consentement de Papa Abbott et Maman Costella, je lui envoie une demande de copinage avec un message : bonjour, je m’apaille Masood et je swi votre fils, j’aimeret vous konnaître

Le message reste lu et sans réponse, puis au bout d’une semaine : Je n’ai pas de fils et encore moins un Masood.

Je ne suis pas du genre à reculer si facilement, et donc je persévère : une kaissète de rékupairation avec « Moulles de Zélente frèches » écri dessut, et un baibai enfonssé dent un choffe-piès daicoré de Miquets, sa vous di kailque chause ? Abandonnet le lon du kanalle devan une tante de migrand… ? C’est ainsi qu’autour d’un steak de vers asiatiques et salade croustillante de sauterelles au curry, ma mère m’a reçu au mess de Portici Green et m’a expliqué sans méandres que ben oui, que voulais-je, elle avait 16 ans, son père était la vedette du cabaret Drag Mother Queen, sa mère pole dancer, sa sœur routier longue distance… M’abandonner à un meilleur avenir avait été un geste de charité et ma grande chance. Ah… et ma tante routier, elle vivait encore ? Oui naturellement, elle avait fondé une colonie dont elle était le gourou, une religion toute nouvelle qui avait fait la une et la deux pendant quelques mois à cause de vieillards kidnappés pour les forcer à enseigner l’orthographe et les bonnes manières aux enfants de la secte.  

Il faut se faire à son époque, Maman Costella ne cesser de le répéter. Elle est heureuse que je ne sois plus un Tanguy depuis trois ans – j’ai quitté la maison à 38 ans et demi -, et me reçoit volontiers avec mon robot de compagnie une fois par semaine. Bientôt nous serons parents, le robot et moi, car le laboratoire L’avenir se décline sans frontières a mélangé mon sperme à des vitamines et l’a inséré dans la reconstitution par ADN d’un ovule réfrigéré d’une actrice qui plaisait beaucoup, paraît-il, à ma grand-mère, fan de vieux machins : Lauren Bacall. Nous sommes tous extrêmement excités… 

 

Edmée de Xhavée

https://edmeedexhavee.wordpress.com

 

Publié dans Textes

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J’ai lu La 7ème vague, de Gauthier Hiernaux – Edmée De Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

J’ai découvert l’auteur il y a longtemps déjà, avec son ouvrage Lucioles, paru chez Chloé des lys également. Je me promettais depuis lors de le lire à nouveau, et c’est chose faite. 

 

La 7ème vague, eh bien elle nous plonge dans de vilains scenarii possibles, imaginaires ou probables dont la pandémie a annoncé les multiples décors et tyrannies administratives. Les confinements interminables qui rendent fous et poussent à la désobéissance en grande pompe, la chasse au moyen de drones, le surprenant trafic d’une chose désormais censurée par les minorités fanatiques, les puissantes amazones ( il y a aussi les amazzones, que je vous laisserai découvrir ) qui étêteraient volontiers les hommes avec les dents – et il reste cependant des obsédés téméraires qui jouent avec le feu, le souci écologique poussé à la démesure, les tests médicaux dont on ne sort qu’à peine vivant si on en sort, des offres de travail issues d’une éthique qui a perdu pied et que les hommes ont perdu leur humanité, des jeux sordides… 

 

On est dans un monde triste, désespéré et désespérant que contrairement aux histoires de science-fiction ou de vampires, on ne peut pas totalement écarter d’une rassurante chiquenaude car peut-être… qui sait… ça pourrait bien se diriger vers certaines de ces nouvelles, très bien présentées par l’auteur. 

 

Ce n’est ni noir de noir, ni vraiment sanglant, c’est anthracite avec des gouttes de sang et bien des larmes ici et là. Et c’est un très très bon livre ! 

 

La septième vague et autres nouvelles

Gauthier Hiernaux

Editions Chloé des lys

27,20 €

194 pages

 

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Pile ou face vers une autre dimension, une texte signé Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

Pile ou face vers une autre dimension

   

   Pour Niels Schuid, un Basique parmi des milliards d’autres Basiques, la journée de bio-travail prend fin. Et, pour l’employé de cette méga-multinationale « MOZERODEFO », les heures linéaires qui suivront ne seront ni moins harassantes ni moins mystérieuses que celles qui viennent de s’écouler. Il lève la tête, la techno-cellule juste en face de la sienne est restée vide de toute forme de vie encore ce jour. Niels Schuid n'entrevoit aucun mouvement humain ni même robotisé, aucune lumière n’éclaire les ordinateurs et les machines n’émettent aucun bruit. C’est le troisième jour que sur le dérouleur bicolore accroché au-dessus de la vitre de cette techno-cellule on peut encore lire les nom et prénom de son supposé occupant, Dave Coppens. Et, c’est le troisième jour que Dave Coppens reste invisible. Lorsqu’un Basique est absent pour une raison ne figurant pas dans le règlement de la boîte qui l’utilise, ses nom et prénom sont effacés illico et l’individu ne réapparaît jamais. Dave Coppens est donc clean de ce côté-là et sans doute reviendra-t-il à son poste un de ces prochains cycles circadiens. Un doute taraude cependant l’esprit affûté de Niels Schuid. Depuis plusieurs péricycles, certains de ses collègues s’absentent et, lorsqu’ils reprennent leurs fonctions, quelque chose en eux s’est modifié, leur visage semble figé comme si la moindre grimace leur était devenue impossible à réaliser et esquisser un sourire leur demande un effort surhumain. Niels Schuid est déterminé à rester attentif au comportement et au physique de Dave Coppens - du moins ce qui lui est autorisé de percevoir de son collègue - et ce dès que celui-ci reprendra sa fonction. Ce qui ne sera pas une mince affaire, la Hiérarchie œuvrant d’une façon drastique pour que chaque individu reste une énigme ou presque pour l’autre. Et ces techno-cellules juxtaposées aux vitres transparentes ne collent d’ailleurs pas avec la politique générale de la Hiérarchie, sans nul doute un subterfuge de plus pour brouiller les pistes et provoquer la confusion chez les Basiques les plus futés. Tout n’est que contradiction dans cette société, en conclut Niels Schuid. 

   Les téléchargements du jour prennent fin, les ordinateurs suspendus aux parois de la techno-cellule clignotent dans tous les sens.  Subsiste le stress quotidien des dernières minutes : une voix métallique annoncerait sur un ton réprobateur, Une partie de vos recherches est irrationnelle, recommencez vos opérations, agent Niels Schuid. Ce qui impliquerait pour l’agent l’obligation de rester coincé dans cette techno-cellule d’une superficie de cinq mètres carrés tout au plus jusqu’au moment où un des robots maculés d’une chair à l’apparence humaine, une surpeau poreuse et verdâtre s’avancerait dans le volume asphyxiant et délivrerait le message attendu, Contrôle travail effectué départ imminent programmé pour l’agent Niels Schuid.

   Téléchargement correct cent pour cent, voilà le message libérateur que Niels Schuid, à demi-soulagé, entend à l’instant. À ce moment-là, l’agent exténué par des heures de concentration intensive parcourt tant bien que mal sur la paume de sa main gauche un hologramme projeté via un des ordinateurs de sa techno-cellule, hologramme représentant l’itinéraire obligatoire à emprunter pour ce mercredi 20 juillet 2102. Tout ce singulier processus pour atteindre la sortie de l’immeuble. Chaque agent de la multinationale « MOZERODEFO » reçoit, une fois ses heures de bio-travail effectuées, un itinéraire obligatoire à emprunter jusqu’à la sortie de la boîte et un autre itinéraire, renouvelé lui aussi chaque jour, pour rejoindre la multi-gare des aérobus-citoyens. La raison véritable de ces itinéraires labyrinthiques, aucun Basique ne la connaît vraiment. La Hiérarchie veut-t-elle se donner bonne conscience en freinant un maximum la propagation des virus qui circulent sans cesse depuis la pandémie dévastatrice de 2020 ? Ou éviter de futures connivences voire amitiés entre Basiques ? Cette seconde hypothèse semble plus que plausible. Trop de contacts entre humains impliqueraient la possibilité de créations de groupuscules nuisibles à la Hiérarchie. Des micro-révolutions ont déjà fomenté un peu partout sur Gaïa ces dernières années et la Hiérarchie a mis fin à ces soulèvements d’une façon ultra-rapide. Les Basiques ne sont pas dupes, ils ne sont que des numéros, ou bien pire encore. Et ce « bien pire encore » devient peu à peu aux yeux de beaucoup, une triste évidence.

    D’un regard circulaire Niels Schuid vérifie pour la énième fois que rien ne traîne dans sa techno-cellule, aucun papelard codé, aucune pilule protéinée, aucune graine. La cellule de Dave Coppens, à cette heure-ci, est toujours inoccupée et les ordinateurs sont inactifs. Le trajet jusqu’à la sortie est plus long que d’habitude, Niels Schuid croise très peu de Basiques et tous ces visages lui sont totalement inconnus, à croire que le cheptel de Basiques a été renouvelé. Il lui semble reconnaître au loin, à sa démarche, Dave Coppens. Mais une fois arrivé à la hauteur du supposé agent volatilisé, et surpris par des fouilles numériques successives, il déchante. Son voisin de cellule était plus petit et la Hiérarchie ne se permettrait quand même pas d’étirer les membres des Basiques ou alors ce serait une méthode inédite. Tout est possible désormais sur la surface de Gaïa depuis que la Hiérarchie s’est imposée manu militari dans tous les pays de la planète bleue. Des Hybrides mutants qui se matérialisent et se dématérialisent à chaque coin de rue au supposé contrôle des pensées en passant par les fouilles numériques intempestives, rien ne peut encore étonner les Basiques, ces esclaves de la Hiérarchie.

   Arpenter un labyrinthe de couloirs sombres et froids aux échos métalliques, attendre une reconnaissance faciale devant chaque ascenseur sous les orbites creux et glauques d’un robot, c’est chaque soir et chaque matin une épreuve morale déstabilisante. Parfois via des souffleries tubulaires vissées de part et d’autre sur les murs de ces couloirs ténébreux s’exhalent des senteurs printanières ou encore marines et des sons ad hoc se font entendre : des gazouillis d’oiseaux, des claquements de vague contre des récifs, des sirènes de bateaux, ou encore des chants mélodieux de baleines blanches. 

   Traverser les rues de la ville s’apparente à un safari dans une ville atomisée. À cette heure tardive, Niels Schuid ne croise encore des Basiques, des hommes, des femmes, des androgynes, des asexués, et des indéterminés qui, tous sans exception, scrutent sur leur paume de leur main gauche l’itinéraire obligatoire jusqu’à l’aérobus désigné. C’est seulement depuis le péricycle dernier que la Hiérarchie a instauré le système holographique. Avant cela, les Basiques entendaient les itinéraires via un implant auditif mais des interférences d’origine inconnue ont provoqué des mortelles bousculades dans les allées centrales. Chacun sait que le système holographique ne sera que provisoire, la Hiérarchie prenant soin d’éviter toute accoutumance. 

   Tout le long de ce trajet, ce ne sont que hauts bâtiments vides aux vitres éclatées, aux portes fracturées. Parfois s’échappent d’une ouverture des cris stridents et des odeurs pestilentielles. Au loin on devine les vestiges d’anciennes cités minières. Dave Coppens est-il en train de crever dans un de ces fourbis ? Dès que Niels Schuid attarde son regard et ses pensées sur l’un ou l’autre de ces lieux désertés, l’agent subit une salve de fouilles numériques. Son corps entier est scanné et ses pensées les plus profondes et intimes sont sondées et sans doute enregistrées. Résigné et afin de ne plus songer à Dave Coppens, il fixe dans son imagination un épais mur de pierres. 

   L’aérobus vingt-neuf atterrit sur l’esplanade avec trente minutes de retard. Une quarantaine de Basiques attendent l’engin volant aérodynamique. Cette agglutination de Basiques ne présage rien de bien, se dit Niels Schuid avant de revisiter au plus vite son épais mur de pierres. De fait, un robot débarqué de nulle part, une manifestation présentielle immédiate, se pointe et vomit des numéros. Une vingtaine de Basiques s’avancent sans broncher et suivent illico le robot à la surpeau verdâtre qui les invite à suivre un autre trajet vers une lointaine esplanade en les nommant comme étant devenus désormais des « surnombrés ». 

   Quelque part dans un caisson oxygéné de la base « X.NEXIAM » située à deux mille kilomètres sous la croûte terrestre de Gaïa :

  • Général Kundall, je viens de vous transférer les informations du Noyau Galactique. Le jeu continue.
  • Tous les Basiques doivent être éliminés ? Ou uniquement les « surnombrés » demande Kundall d’une voix presque tremblante au Président de la Hiérarchie.
  • Éliminés n’est pas le terme précis. Utilisons le mot adéquat, toujours. Disons qu’une fois la dernière phase des opérations terminée, ils seront tous remplacés, Basiques et « surnombrés » par des hybrides d’autres galaxies.
  • Tous, vraiment Monsieur le Président ?
  • Tous, Kundall, tous. Dans six péricycles tout au plus, plus aucune émotion ne sera visible sur les visages des supposés Basiques de Gaïa. Les mots rire, joie, amusement seront bannis à tout jamais de notre vocabulaire. Les Basiques des multinationales « MOZERODEFO » des grandes villes de Gaïa prestent un excellent techno-travail sans rien soupçonner de ces manipulations. 
  • Et nous ? Et nos familles, Monsieur le Président ?
  • Les hommes de notre base et les familles font partie du Grand Jeu. La Hiérarchie suprême, commanditée par une injonction du Noyau Galactique, jouera à pile ou face lors d’un pseudo-événement ou l’autre. Nous sommes tous, je dis bien tous, de minables et expérimentales marionnettes, mon très cher Kundall. 

 

Carine-Laure Desguin

 http://carineldesguin.canalblog.com/

Publié dans Textes

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Evelyne Culot nous présente son ouvrage "Girafon ou Culbuto"

Publié le par christine brunet /aloys

1* court extrait

 « - La mise bas s’effectue debout, et le girafon tombe d’une hauteur de près de deux mètres.

- Il ne se fait pas mal, Maman ?

- (…) Le girafon est un des animaux les plus vulnérables à sa naissance, mais après une heure, il est debout sur ses pattes et il ne ressemble en rien au petit être qu’il était quand il est sorti de sa mère. Le girafon qui se redresse est une tout autre créature.

- (…) Alors le girafon c’est pas un bulbuto : après être tombé du haut de deux mètres, il se met debout, vertical, mais il n’est plus le même. »

 

2* biographie

« Girafon ou culbuto ? » est mon deuxième roman. Mon premier roman (paru en octobre 2022) a pour titre ‘Même pas peur’. Il a fait l’objet de deux séances de dédicaces, dont une en Bretagne (Guilvinec), au café librairie ‘De l’Encre à l’Ecran’.

J’ai découvert l’écriture à 60 ans et y ai découvert un réel plaisir. Mon plaisir est tout aussi grand de partager avec le lecteur.

 

3* résumé de votre livre

Qui n’a jamais chuté dans la vie ? Personne. L’essentiel est de se relever en étant plus fort, plus grand, comme le girafon.

Cédric va découvrir les nuances de la vie, discriminer, aligner son comportement et ses valeurs, se faire confiance et s’aimer. Il sera girafon et non culbuto, ce jouet traditionnel qui se redresse et se remet à la verticale, quelle que soit sa chute. Il n’évolue pas.

Publié dans Présentation

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