Un nouveau prix pour Carine-Laure Desguin... avec "The end"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Un grand merci à tous les organisateurs du centre culturel de Braives-Burdinnes. Chaque année, un concours de nouvelles est organisé. Depuis quinze ans ! Cette année, mon texte « The end » est sélectionné! Waouwh!

Le thème a inspiré pas mal de participants car avouez que "Silence, on tourne", ça peut déclencher de sérieux coups de manivelle dans les neurones. Qui n'a rêvé d'un rôle dans un film? Je m'voyais déjà....

Et je viens de passer une superbe journée. Un troisième prix, ce n'est pas si mal. De nombreux participants, cent quarante-quatre si je me souviens bien. Dans la catégorie des adolescents et des plus jeunes, les textes étaient fameux, croyez-moi. 

 

Et, cerise sur le gâteau, trois auteurs étaient invités pour une séance de8-juin-2013--Marneffe-011.JPG dédicaces. Dont moi. Re-waouwh!

 

De belles rencontres donc, des avis que l'on se partage. Avec Régine Espreux, Bernadette Michaux...

 

Bravo encore aux organisateurs! Dans la salle de cette petite école, de très belles affiches de cinéma, des caméras. Tout un décor qui nous rappelait le monde cinématographique. Les premiers prix de chaque catégorie ont même reçu un fauteuil imprimé à leur nom. Vous savez, ce fameux fauteuil noir.

Comment? Guillaume Canet était-il là? 

Hum, je ne réponds pas.  Na. 

 

Voici les photos et le texte. Prenez du plaisir à lire "The end" jusqu'à la dernière ligne. Car moi-même, j'ai bien aimé l'écrire, ce texte. Et il m'a bien surpris, ce Clément Roekeart! Et vous?

 

8 juin 2013, Marneffe 010




                                                                  The end

 

— Clément Roekaert ! Mon pauvre garçon ! Dix-sept ans et vous êtes nul en tout, hormis dans un seul sport, celui de la drague, auprès de toutes ces minettes écervelées. Ça, je vous l’accorde. Forcément, avec votre dégaine de vedette ! Si j’avais un conseil à vous donner, je vous dirais de quitter les cours généraux…Mis à part dans l’industrie du cinéma, je ne vois pas dans quel domaine vous pourriez vous investir…

Voilà un énoncé clair et précis. Pour une fois, les propositions de ce vieux con me collaient à la peau. Ce vieux con, monsieur Lixon, prof de math et titulaire ! Ce jour-là, je me suis juré de lui entasser jusqu’à l’étouffement total ces paroles dégradantes, car le jour qu’il avait lâché ce morceau, cette espèce de tête de nœud aux yeux globuleux de grenouille, toute la classe s’était foutue de ma gueule. Je savais que je passais pour le roi des cons, mais entendre résonner ces vérités me restait en travers de la gorge. Vraiment.

Et ma gueule, parlons-en ! Ce soir-là, j’ai déambulé dans les rues de la ville et chaque vitrine de magasin me renvoyait l’image d’un gars qui avait une gueule à se pavaner devant les caméras. Car soit dit en passant, le septième art était le seul truc qui m’intéressait. Depuis que j’étais gosse, je rêvais de devenir une vedette de cinéma. Une star. Et ma mère ne me le cachait pas, il y avait dans mon regard quelque chose d’Alain Delon. Vous savez, ce type parti de rien ou de si peu de chose….Comme moi, en quelque sorte. Perso, j’aurais préféré ressembler à Léonardo Di Caprio ou Brad Pitt ou Tom Cruise, des gars de notre décennie mais le destin en a décidé autrement. Que le destin se débrouille à présent !

Alors, le cerveau allumé par les propos du vieux con et prêt à prendre une revanche, j’ai visionné tous les films de cet Alain Delon. J’ai étudié sa gestuelle, sa façon de lancer son regard félin et de l’accrocher sur la toile afin de ne jamais tomber dans l’oubli, sa démarche, cette brutalité qui sommeille en lui et qui se réveille au moindre bruit de porte, cette rapidité à dégainer, et cette soif de vivre qui vous éclabousse à chaque fin de phrase. J’ai passé des heures devant le miroir. J’avais tout ce qu’il fallait, la silhouette à la fois mince et musclée, les yeux bleus presque transparents, et même certaines intonations, au niveau de la voix.  

— Une coupe de cheveux comme Alain Delon ? Me demanda Dan, mon coiffeur. Tu rétrogrades mon vieux ! Soit ! C’est vrai que plus je te regarde, plus quelque chose de ce type émane de toi, je sais pas trop quoi, le regard sans doute…

 

Et toc ! En voilà encore un qui ne démentait pas les propos de ma mère ! Ah, ma mère, comme elle était heureuse à en baver de constater jour après jour l’allure de son fiston. Je brossais les cours, et elle s’en foutait complètement. Elle était persuadée que je deviendrais une très grande vedette de cinéma et déjà, elle annonçait autour d’elle mon arrivée au festival de Cannes au bras de Marion Cotillard ou de Mélanie Doutey, selon les disponibilités de l’une et de l’autre. Bien sûr, devant ses copines, elle en remettait une couche, inventant ma participation à des films imaginaires. « Oh, en ce moment, il tourne dans un long métrage, dans les rues de Bruxelles, je ne le vois presque plus à la maison ! Il loge sur place, vous comprenez…Et lorsqu’il revient, il me raconte des choses incroyables, les petites histoires intimes entre acteurs, vous savez, un peu comme dans la nuit américaine…, quand Jacqueline Bisset ou Nathalie Baye et bla bla bla et bla bla bla… »

Tout cela me confortait et de jour en jour, j’étais persuadé que je ne me trompais pas, que  mon destin était là et que, dans quelques années, j’aurais mon étoile sur les trottoirs de Hollywood.

Les filles étaient bien plus folles de mon corps depuis qu’elles voyaient en moi l’assurance et l’arrogance d’un futur très grand acteur. Faut dire que je les bassinais grave avec toutes sortes d’histoires du genre de celles de ma mère. Alors, ça en jetait.

Toute la journée, je me repassais les films de ce beau salaud. Dans Trois hommes à abattre, il était magistral ! Ah, conduire cette bagnole à toute allure ….Et cette lutte, entre les vagues ! Cette façon de boire la tasse, de plonger, de se débattre comme un Dieu et enfin de sortir de l’eau, avant de s’écrouler sur la plage. Et  L’homme pressé, vous vous souvenez ? Moi c’est la fin que je préfère, lorsqu’Alain —puisqu’on est presque pote lui et moi je me permets des familiarités— se paie cette crise cardiaque juste avant d’aller voir sa gonzesse, à la maternité. Vous avez remarqué comme il mourait bien dans ses films ? Magistral ! Quelles chutes !  

Et c’est qu’il a poussé la chansonnette aussi, le bougre. Alors, le samedi soir, je me payais quelques karaokés et je fredonnais « Comme au cinéma ». Vous auriez vu ça, toutes ces nanas qui gloussaient et se tortillaient lorsque je balançais le micro ! Putain ! Toutes ces filles en délire qui me demandaient des autographes, ça me confortait dans mes ambitions. Je ne me trompais pas, je devais persévérer. Car moi ce que je voulais, c’était me retrouver à l’affiche, tout en haut de l’affiche, avec mon nom en lettres capitales.

Un matin, je fumais une cigarette à la façon d’Alain dans Le toubib, j’étais concentré et je venais de visionner au moins dix fois cette scène. Je ne voulais rien perdre, j’étudiais tous ses gestes, rien ne m’échappait. Je me fondais dans ces petits gestes nerveux, presque électrisés.

— Alain !

— Oui, m’man !

Faut savoir que depuis que j’ambitionnais, ma mère m’appelait Alain. Ça m’aidait vachement.

— Descend et viens lire le journal ! Un casting sur Bruxelles ! Pour le remake de Deux hommes dans la ville ! La chance de ta vie, mon grand !

Quatre à quatre j’ai dévalé les escaliers et une fois arrivé auprès de ma mère, je me suis passé la main sur les cheveux et j’ai allumé une cigarette, l’air décontracté et sûr de moi.

Ma mère n’en revenait pas.

— Oh ! Comme c’est troublant ! s’écria-t-elle, la bouche en accent circonflexe et les yeux écarquillés.

Je lui décrochai un sourire à la façon de…et lus sur la page mise en évidence le paragraphe qu’elle venait de souligner.

« Casting / On recherche des débutants, jeunes et moins jeunes, masculins et féminins, pour le tournage du remake de Deux hommes dans la ville/ Premières auditions ce samedi entre 10H et 20H, dans la grande salle du cinéma Galerie, Galerie de la reine, 26 à 1000 Bruxelles.»

Ma mère et moi avons sauté de joie car nous savions que c’était du tout cuit. J’allais l’entendre enfin cette fameuse phrase : « silence, on tourne ! »

 

Ce matin-là, un peloton d’une centaine de personnes gesticulait dans un très long corridor. Une nana super canon nous a donnés des fiches que nous devions remplir et bla bla bla et bla bla bla. Ensuite elle a séparé les sujets masculins des sujets féminins et les gonzesses sont allées se coltiner d’autres papelards dans la salle juste à côté.

Après une trentaine de minutes, la nana est revenue et, tout en s’excitant sur son gsm, elle nous distribuait des numéros et murmurait des phrases que nous ne comprenions même pas.

Ses grands yeux de biche ont croisé les miens et à ce moment précis, j’ai compris que les choses se goupilleraient pour le mieux. On parlerait de moi, c’est certain. Je le voulais et je le sentais jusqu’au plus profond de mes tripes. Je voulais ce rôle, je le voulais, bordel. Gino Strabliggi, j’étais certain que j’endosserais ce nom. On n’allait quand même pas me fourguer le rôle de l’éducateur, non ! Ni celui de ce policier…comment s’appelait-il déjà ? Zut, je ne me souviens plus. Qu’importe !

— Numéro dix !

Gloups, c’était moi. Je suis rentré dans cette salle de cinéma et les premières rangées étaient occupées par les membres du jury. Impressionnant.

— Vous savez pour quel rôle vous êtes auditionné ? me demanda un chauve avec une voix d’eunuque.

— Oui, pour endosser le rôle de Gino Strabliggi ! je lui répondis du tac au tac et plein d’audace.

— Vous êtes certain de ce que vous dites ?

— Oui, avec la gueule que j’ai, je ne vais quand même pas me coltiner le rôle de Germain Cazeneuve ou celui de ce policier….

J’ai lâché ça avec de l’arrogance dans la voix et un petit sourire moqueur sur le coin des lèvres.

— Bingo monsieur…monsieur Clément Roekaert !

— C’est bien ça mais je désire changer de nom, prendre un pseudonyme. Vous savez, les vedettes prennent un pseudo.

— Soit, soit….Vous connaissez ce film, Deux hommes dans la ville ?

— Et comment ! Un de mes films préférés ! Quelle classe cet Alain Delon ! Un rôle qui lui collait à la peau. Une merveille de film !

— Vous souvenez-vous de cette scène ? Le policier rend visite à la fiancée de Gino et Gino arrive. Une dispute. Gino frappe si fort sur le flic qu’il le tue. Vous vous souvenez ?

— Et comment ! Rien que d’y penser, je sens la rage qui me monte. Je revois Gino. Il plaque au sol ce con de flic et cogne sa tronche sur le sol des dizaines de fois. Gino était habité par une telle rage, une rage invincible…

— Vous sentez-vous habité par cette rage ?

— Et comment !

— Faites rentrer le numéro onze, il fera le rôle du flic, c’est sans importance qu’il soit grand ou petit, ce qui nous intéresse pour le moment, c’est le rôle de Gino.

Mon cœur battait si fort que je sentais mon sang affluer à mes tempes. Je sentais la rage qui m’habitait. Bordel, quelle revanche ! La presse parlerait de moi !

L’eunuque a discuté avec les autres types du jury et puis a lancé :

— Allez-y, improvisez !

Le flic a pris un air saisi, a balbutié je-ne-sais-plus-trop-quoi et en un rien de temps, je l’ai plaqué au sol. Dans ma tête, tout était clair, je revoyais cette scène avec une grande clarté. Je voyais même la petite table à côté de laquelle le flic était étendu et j’entendais ma fiancée qui disait « Arrête Gino, arrête, tu vas le tuer. »

A califourchon sur le ventre du flic, je prenais sa tronche entre mes deux mains et je frappais de toutes mes forces, je claquais sa tête et du sang frais rougissait mes mains.

« Arrête Gino arrête », me répétait ma fiancée. Ma vue se brouillait, de la sueur me piquait les yeux. Je continuais, je n’arrêtais pas.

Dans le jury, j’entendais des voix qui criaient  « Ce type est formidable, c’est magistral ! Quelle gueule ! La première scène d’une star ! »

Alors, j’ai continué à claquer la tête du flic de plus en plus fort. Il me rappelait quelqu’un. Plus je cognais et plus me revenait en mémoire les paroles de monsieur Lixon. Et ce flic, là, sous mes coups…Sa tronche, bordel, sa tronche. Une tête de nœud aux yeux globuleux de grenouille. Alors j’ai cogné. Encore et encore.

Je me suis relevé, j’ai regardé les uns après les autres chaque membre du jury.

— Ce type ne méritait pas de vivre, une espèce de tête de nœud aux yeux globuleux de grenouille…Ces yeux-la me rappelaient ceux de quelqu’un…que j’ai détesté…

Devant moi, les visages affichaient un air médusé. Un silence blanc planait dans la salle.

Alors j’ai dit :

— Je savais qu’on parlerait de moi, un jour ! Rideaux !  

Ensuite, j’ai baissé le torse, j’ai levé la tête et j’ai transpercé de mon regard bleu piscine chacun des membres du jury.

Et puis, en souriant, j’ai salué la salle. 


 Carine-Laure Desguin

carinelauredesguin.over-blog.com

enfantsjardinr



Publié dans Textes

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P
<br /> Quel acteur ce Gino !!!<br />
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M
<br /> Qu'ajouter ? Que ta plume reste originale, vive et surprenante pour nous régaler encore de nouvelles qui, quel que soit le sujet, mettent de bonne humeur !<br />
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C
<br /> Merciiiii les zamis <br />
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J
<br /> Belle écriture ! Fluidité et naturel, construction sans reproche !<br />
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A
<br /> Comme quoi les désirs cachés sont parfois tout prêts à sortir... Et ça fait mal !<br /> <br /> <br /> Bravo pour ce texte bien enlevé et pour ce prix, Carine-laure ! Bises<br />
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C
<br /> Quand le rôle bouffe l'acteur... Avec toujours la même verve, la même "gouaille" ! <br /> <br /> <br /> Un grand bravo !<br />
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M
<br /> Du suspens, une belle progression, une jolie écriture. Que demander de plus ? Félicitations, Carine-Laure !<br />
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E
<br /> Elle monte avec le crime, le suspens, un zeste d'horreur, une pincée d'érotisme, et un grand grand talent! Bravo Carine-Laure, on est toujour surpris sauf par la constante de la bonne écriture!<br />
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S
<br /> Bravo Carine-Laure !  <br />
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P
<br /> Qui c'est qui monte, qui monte, c'est la Carine...<br /> <br /> <br /> Je n'ai pas le temps de lire le texte ce matin. Je pars pour une petite escapade de deux jours sous le soleil de la côte d'Opale.<br /> <br /> <br /> Bon weekend à tous. <br />
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