Premier chapitre "les rendez-vous de Marissa" de Claude Danze, partie 2

Publié le par christine brunet /aloys

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Louxor : le complot II

 

 

 

Vint la nuit.

 

Au dîner maussade, Marissa ne parut pas, malgré l’insistance de Saadia, qui d’autorité avait par ailleurs renvoyé Nic à son assiette dès sa première tentative d’intervention. Il regarda Belaid d’un air interrogateur, les sourcils et les mains en points d’interrogation, comme les Arabes. Après le repas silencieux, le couple d’intendants regagna son appartement du rez-de-chaussée et Nick le salon. Il écarta le rideau. Les calèches surchargées ramenaient les derniers touristes, les amateurs de foot rentraient leurs chaises et leur TV, les joueurs de dominos pliaient bagage, les commerçants fermaient les uns après les autres.

 

Vint le calme de la nuit.

 

Un dernier bateau de croisière, moteur et sirène, troubla le silence, loin au milieu du fleuve. Nick tournait en rond. Il ne s’était plus préoccupé de quiconque depuis sa sortie du coma, après son accident d’avion, bien des années auparavant.

 

Il convoyait de Shannon à Ostende un Cessna Skyhawk privé, dont le pilote était tombé gravement malade en Irlande. Il était en finale quand un vieux cargo africain était passé au-dessus de lui malgré les injonctions de la tour et lui avait coupé la route pour se poser devant son nez. Au touch down, le Cessna, pris dans les turbulences du DC-8, s’écrasa sur le dos, dans un fracas d’étincelles et de métal déchiré. L’appareil n’avait pas pris feu. L’habitacle avait résisté au choc.

 

Nick fut extrait des débris avec un bel hématome sous-dural qui le laissa dans le coma pendant près de deux ans. A son réveil, il était paralysé des jambes et sa femme était rentrée en France depuis des mois sans donner d’adresse ni de nouvelles. Atterrissage en catastrophe sur la piste 26 de la vie, pensait-il quelquefois.

 

Quand il eut récupéré, la Flying, pour laquelle il travaillait déjà, ne l’avait pas licencié. On lui avait fabriqué sur mesure ce poste à Louxor, parce qu’il adorait l’Egypte et qu’il ne voulait pas rester à ne rien faire. Il avait la responsabilité de la Pilot’s Villa de Louxor.

 

En traversant le palier, il faillit frapper à la porte de Marissa mais se ravisa, alla se coucher. Il l’aimait bien, cette gamine, d’habitude si complice avec lui. Qu’est-ce qu’ils avaient déjà pu rigoler, avec les autres membres d’équipage, avec Saadia et Belaid… Mais aussi à eux deux, quand les autres préféraient le Sheraton et sa piscine à l’ambiance familiale de la Villa.

 

Il dormit un peu mais l’image de Marissa pleurant s’imposait à lui. Il se leva, passa un short et une chemise et gratta à la porte de la jeune femme, suffisamment fort pour qu’elle l’entende, suffisamment doucement pour la laisser dormir au cas où…

 

Il n’y tint plus, ouvrit la porte. Elle n’était pas dans son lit. Il la devina en contre-jour, assise par terre, contre le mur, le menton sur les genoux entourés de ses bras.

 

Il s’accroupit près d’elle, lui toucha le bras.

 

« Marissa ?

Mmm…

Tu as froid, ma belle. Mets-toi au lit. Enfile au moins quelque chose de chaud … » 

 

Il lui prit les deux mains, glacées, l’aida à se relever. Il prit un sweater au passage, le lui jeta sur les épaules, lui passa un bras derrière le dos. Elle acheva le mouvement, vint se blottir contre lui, comme un chaton. Ils restèrent un moment silencieux. Il l’emmena vers le divan du salon. Elle ne résista pas, ne dit rien, se serra contre lui de plus belle… Elle vivait peut-être là les cinq plus belles minutes de sa vie.

 

« Vas-y, je t’écoute, ma grande…

Voilà… D’abord, t’arrête de m’appeler « ma grande ». Je suis pas ta fille, et de toute façon, je suis plus petite que toi. »

 

Il craquait une fois de plus pour son français aux négations incomplètes et son accent, à peine plus marqué que celui de Jodie Foster.

 

« Puis, y’a un truc que tu dois savoir… Je voulais pas venir à la Villa ce week-end.

Pourquoi ? T’es pas bien ici avec nous ?

Non ! C’est les autres qui m’ont fait venir quand même, j’avais plus la force de discuter. En fait, quand j’ai commencé à venir, il y a deux ans, je t’ai aimé presque tout de suite...

Non mais, tu m’as vu ? J’ai tantôt vingt-cinq ans de plus que toi… Je suis plutôt déglingué et je pourrais être ton père.

T’arrête avec ça ! T’es pas mon père, t’es pas mon frère. Je t’aime, imbécile…

C’est pour ça que je voulais pas venir, plus jamais, en fait. J’en peux plus que tu sois gentil. Tu es l’homme que j’aime et tu me vois pas. En fait, tu me vois pour la première fois ce soir. Enfin, c’est pas parce qu’il fait noir. Je me comprends…

Heureusement…

Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Allumer la lumière et te regarder…

Non ! je suis sûrement moche. J’ai les yeux tout gonflés et une tête pas possible.

Faut savoir ce que tu veux. »

 

Il alluma la lampe sur la table basse.

 

« Allons, écarte les mains et laisse-moi te regarder.

Et qu’est-ce que tu vois ?

Une fille sympa… Bon, elle a peut-être un peu forcé sur les larmes, mais ça va.

Salopard, dit-elle, en le bourrant du coude dans les côtes. Oh, excuse-moi, je t’ai pas fait mal ?

Mais non. Je peux encore supporter ça… Je vois une des filles les plus adorables que je connaisse.

Ah… Et t’en connais beaucoup ?

… Hem, je corrige : je vois la femme la plus adorable que j’ai jamais rencontrée !

Et c’est déjà tout ? »

 

Il l’attira à lui et elle se laissa embrasser sur le coin de la bouche. Elle lui rendit son baiser sur la joue, se ravisa, l’embrassa longuement. Elle vint plus près de lui, il la serra un peu plus fort. Ils savourèrent le silence…

 

On peut ne pas le croire : ils s’endormirent…

 

 

Saadia, toujours vigilante, monta vers minuit, les trouva endormis, enlacés. Le patron, il allait avoir mal au dos au matin. Elle prit une couverture : à Louxor, les nuits sont froides, parfois, l’hiver. Elle alla se recoucher en souriant déjà de la tournure des événements.

 

« Ça marche, » fit-elle à Belaid…

 

 

Les rendez-vous de Marissa

Chapitre 1/2

 

claude-danze.over-blog.fr

 

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C
<br /> Je pense, aussi, que c'est une bonne formule. A voir avec les autres auteurs... Au fait, très bonne idée que tes posts en épisode... Voilà qui donne franchement envie de découvrir ton roman...<br />
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C
<br /> J'aime bien la programmation surpirse, moi. C'est sympa de découvrir son texte, soudain, sur Aloys. Merci Christine!<br />
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