Le sanctuaire de la vierge noire, un feuilleton signé Didier FOND

Publié le par christine brunet /aloys

 

Didier fond

 

LE SANCTUAIRE DE LA VIERGE NOIRE

 

Deuxième partie

 

Elle mangea et but très peu, parla encore moins. Lorsqu’on lui posait une question, elle répondait d’une voix monocorde, avec un sourire figé. Le Seigneur Hugues n’avait encore jamais vu sa fille dans cet état d’apathie si étrange. Elle qui était la vie même, qui aimait rire, plaisanter avec les invités de son père ! Elle ne parut s’éveiller que lorsque l’étranger rappela à voix haute la promesse qu’il avait faite à Hugues avant le repas.

 

« Vous avez eu l’obligeance, tantôt, de vous intéresser à la bague que je porte au doigt, dit-il en allongeant la main vers son hôte. Elle a une bien belle histoire. Elle m’a été donnée par un chevalier à qui j’ai sauvé la vie alors que, blessé, et incapable de combattre, il gisait dans une forêt, entouré par une meute de loups prêts à le dévorer. Il me l’a donnée en me promettant qu’elle m’attirerait la gloire et la richesse. »

 

« Elle est très belle », murmura Yolande, comme fascinée par cette pierre dont les feux semblaient tout à coup encore plus extraordinaires.

 

« Fixez-là bien, damoiselle, répondit l’étranger. Le saphir va vous révéler votre avenir. »

 

La physionomie de Yolande changea tout à coup. Sa beauté parut encore plus éclatante, mais une expression de dureté, de froideur, de méchanceté avait altéré les traits de son visage. Elle repoussa durement la main de l’étranger.

 

« Ce n’est que sottises et vantardises, répliqua-t-elle. Je ne vois rien. Vous m’ennuyez. Tout le monde ici m’ennuie. Cette habitude de réunir des gens qui n’ont rien d’intéressant à dire ou ne profèrent que des sottises est stupide. Renvoyez ces hommes chez eux, mon père, ils n’ont rien à faire ici. » Puis elle se leva et sans un regard pour les invités, stupéfaits, elle quitta la salle haute.

 

La transformation de sa fille en mégère mal élevée ne laissa pas d’étonner et de consterner Sire Hugues. Ses amis étaient ébahis car tous aimaient beaucoup Yolande qui s’était toujours montrée charmante à leur égard. Le seigneur des Roches Rouges présenta ses excuses à l’assemblée au nom de sa fille, et le repas se poursuivit dans une atmosphère devenue assez lourde, que quelques-uns tentèrent d’alléger par des plaisanteries, mais en vain.

 

Vers la fin du festin, l’étranger se tourna vers son hôte et lui demanda s’il voulait à son tour admirer la bague qu’il portait au doigt. Hugues se moquait bien à présent de ce bijou, mais la courtoisie l’empêcha de refuser. Ainsi fixa-t-il son regard sur le saphir. Sans attendre une quelconque réaction, l’étranger se leva et fit le tour de la table, présentant sa bague à chaque convive.

 

La troupe qui quitta le château à une heure tardive ne ressemblait en rien à celle qui y était entrée quelques heures plus tôt. Les hommes étaient devenus mauvais, querelleurs ; ils se cherchaient noise à tout propos et ne désiraient qu’une chose : en découdre avec le premier passant venu. Aussi se dirigèrent-ils vers le village endormi. Personne dans les ruelles. Nulle lueur dans les chaumières. Alors qu’ils s’apprêtaient à descendre de cheval et à fracasser quelques portes, les chevaux s’immobilisèrent puis avec un ensemble parfait, firent demi-tour et partirent au grand galop en direction du bas de la montagne.

 

Les paysans, le lendemain matin, trouvèrent les corps des convives dans l’abîme. Sans doute les chevaux s’étaient-ils emballés et, trop ivres pour les retenir, les cavaliers avaient été jetés dans le précipice. Ce fut la désolation dans les villages environnants car les seigneurs étaient aimés de leurs gens.

 

Au château, la réaction fut tout autre. Lorsqu’on apprit le drame à Sire Hugues, ce dernier se contenta de ricaner et de dire « ils ne viendront plus s’empiffrer ici à mes frais. » Quant à Yolande, elle n’eut qu’un léger haussement d’épaules. L’étranger se montra surpris d’une telle réaction.

 

« Ils étaient pourtant vos amis », dit-il à Hugues avec une pointe d’ironie dans la voix.

 

« Mes amis ! répliqua le Seigneur, méprisant. Des gueux que je recevais par charité, oui ! Ils se sont engraissés sur mon dos et ils ont été bien punis de leur avarice. Jamais un cadeau en remerciement pour mon hospitalité ! »

 

« Tout cela n’a pas d’importance, dit Yolande qui assistait à l’entretien. Montrez-moi encore votre bague, mon ami, et allons faire une promenade à cheval dans la montagne. »

 

« Volontiers, répondit l’étranger en tendant sa main. Vous pouvez la regarder autant qu’il vous plaira, belle demoiselle. Et quand tel sera votre désir, elle vous appartiendra, pour l’éternité. »

 

« Je n’en désire pas tant, répliqua Yolande en riant. Du moins pas tout de suite. Mais il est possible qu’un jour… » acheva-t-elle avec la moue la plus coquette qu’elle put trouver.

 

« Cesse ces minauderies, ordonna Hugues qui semblait de mauvaise humeur. Et laissez-moi seul tous les deux, je dois me rendre au village et vérifier que ces manants ne me volent pas. »

 

Tandis qu’on sellait leurs chevaux, Yolande et l’étranger discutaient dans la cour.

 

« Votre père a donc l’habitude de se faire voler par ses gens ? » demanda-t-il négligemment.

 

« Oh certainement, s’écria Yolande. Vous pensez bien qu’ils ne se gênent pas. »

 

« Jusque-là, il s’est montré trop confiant et trop gentil à leur égard. Il a raison de les surveiller et de demander des comptes. »

 

« Ce n’était pas vraiment son genre, continua la jeune damoiselle. Mais je crois que cela va changer. »

 

L’étranger hocha la tête. « Quand on a une fille aussi jolie et charmante que vous, le devoir d’un père est de protéger l’héritage de son enfant. Je pourrai lui donner quelques conseils car j’ai été élevé dans le souci de l’ordre et de la rigueur. »

 

On approchait les chevaux. L’étranger aida galamment Yolande à monter en selle puis sauta sur sa monture. « Nous reparlerons de cela ce soir, dit-elle. Je ne veux qu’une chose : chevaucher dans la montagne en votre compagnie. »

 

On l’aura constaté, les préventions et les répulsions de la jeune châtelaine envers son invité avaient totalement disparu. Et pendant les jours qui suivirent, ils ne se quittèrent plus. On les voyait sans cesse ensemble, bavardant sur le chemin de ronde ou se promenant dans la montagne.

 

Pendant ce temps, le Sire Hugues ne chômait pas. Lui qui ne s’était jamais occupé de demander des comptes à son intendant chicanait sur tous les chiffres, tempêtait sur la « fainéantise » des paysans et promettait des changements radicaux dans sa manière de gérer son domaine.

 

(A suivre)

 

 

 Didier FOND

 

fonddetiroir.hautetfort.com

L'annonciade

Publié dans Feuilleton

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Une bague maléfique !!!
Répondre
D
Et vous n'avez encore rien vu !
Répondre
E
Nous voici dans une toute autre ambiance, plutôt antipathique. Voilà que tout le monde perd sa douceur et sa bonté... et qu'on meurt et querelle... Et j'attends la suite pour savoir comment notre ami Didier arrivera à remettre de l'ordre dans son histoire!
Répondre
C
Ce saphir m'intéresse...
Répondre
C
Voilà que les choses se gâtent... J'aime moins le sieur Hugues et sa fille, à présent... Vont-ils se réveiller ? Se révolter ??
Répondre
J
Mon Dieu, la situation s'est envenimée de façon pire que je ne l'aurais imaginé ! Comment le sort néfaste va-t-il se transformer en sort de bonté ? La Damoiselle aurait-elle un tour dans son sac pour déjouer le pouvoir de cet invité maléfique ? A suivre .... avec impatience ...
Répondre