Le chevalier noir, le feuilleton de Christian Van Moer. Episode 8
LE CHEVALIER NOIR
feuilleton par Christian VAN MOER
http://christianvanmoer.skynetblogs.be/
Au temps des heaumes et des hauberts,
il était une fois la forêt du Mauroi…
épisode 8 : Le Loup-garou du Sablon
− L’heure de votre dernier duel est venue, Baron ! Apportez-moi l’amulette de Garin, le Mauleu, et je vous remets l’élixir promis. Je dois reconnaître que vous l’aurez bien mérité.
− Qui est-il, ce Garin, sorcière ?
− Un lycanthrope, Baron, un loup-garou, pour parler comme nos vilains.
− Un homme normal en apparence qui, on ne sait trop pourquoi, devient loup la nuit, n’est-ce pas ?
− Oui. Ce loup-garou se déchaîne et tue les nuits de pleine lune. Je ne peux rien vous apprendre de plus à son sujet, si ce n’est qu’il vit dans l’ancienne sablonnière du Mauroi. C’est lui qui détient la septième amulette et qui se présente comme mon rival au sabbat du solstice.
Alors, Baron, Beau vous emmène au Sablon ?
− Vous savez pertinemment que je ne suis pas en mesure de refuser, sorcière !
* * *
« Le Mauleu, le mauvais loup, qui sévit les nuits de pleine lune ! C’est plutôt maigre comme indication. Sargasse m’a-t-elle une fois de plus caché l’essentiel ? »
Le Chevalier Noir aborde les dunes désolées du Sablon sans la moindre idée de la manière dont il va s’y prendre pour dérober l’amulette à Garin. Il aperçoit une maisonnette blanche dans un creux de sable et décide de frapper hardiment à la porte. Un homme de taille moyenne, déjà chenu, mais encore très vif, l’accueille avec un sourire triste.
− Entrez, je vous en prie, Messire Le Galois.
− Vous me connaissez donc, maître Garin ?
− Non seulement je sais qui vous êtes, mais je connais aussi le but de votre visite : l’amulette d’Abraxas.
− Exact, maître Garin. Allons-nous nous affronter ou nous entendre ?
− Asseyez-vous, Messire. Ecoutez d’abord tranquillement mon histoire, je vous prie.
− Soit, maître Garin. Je vous écoute, mais je ne baisse pas ma garde. Au moindre geste suspect, je tire l’épée.
− Ne craignez aucune fourberie de ma part, Messire. Je ne suis dangereux que la nuit, lorsque je me métamorphose en loup. Le jour, je suis un être humain comme vous. Très vulnérable et, en ce moment, à votre merci.
− Je ne tirerai l’épée que si je m’y vois contraint, maître Garin. Poursuivez votre récit sans crainte.
− Merci. Sachez d’abord pour quelle raison la fée Sargasse ne vient pas m’affronter elle-même. Chaque fée a son talon d’Achille, Messire, qu’elle s’efforce bien sûr de garder secret. Celui de Sargasse, c’est le sable ! Elle peut évoluer sur terre, dans l’eau ou dans les airs, mais pas sur le sable. Sous ses pas, l’arène devient mouvante. Elle s’y enfoncerait irrémédiablement et le Sablon serait son tombeau.
Mais voici mon histoire.
J’étais jadis un honnête charbonnier, plutôt jovial et bonasse. Un jour, un pèlerin moribond à qui j’ai tendu ma gourde, m’a fait don d’un anneau merveilleux. Une bague en argent sertie d’un béryl, une aigue-marine aux vertus magiques. Le temps d’une nuit, son possesseur détient le pouvoir de changer un homme en n’importe quel animal. Cet anneau ne peut être détruit que par l’eau. J’ai accepté ce cadeau empoisonné, Messire, sans avoir vraiment l’intention de recourir un jour à ses pouvoirs.
J’habitais déjà cette petite maison et je croyais être seul à y vivre. Un soir, occupé à ma toilette – j’avais bien sûr déposé ma bague à côté de ma bassine – une lame du plancher s’est soulevée et une main blanche s’est emparée de l’anneau. En retirant deux lames du plancher, j’ai alors découvert avec effarement qu’elles dissimulaient l’ouverture d’un puits, fort étroit mais très profond. Presque aussitôt, un gnome difforme, albinos, m’est apparu, le béryl à l’annulaire. Je l’entends encore me crier en ricanant : « Les nuits de pleine lune, Garin, tu mettras un cœur humain pour me nourrir, dans une besace que tu suspendras ici, si tu ne veux pas que je te change en pâture pour araignées. » Aussitôt après, il s’enfonce et disparaît dans sa galerie et moi, je me retrouve métamorphosé en loup noir ! C’est ainsi chaque nuit, Messire, et comme je ne tiens pas à être changé en mouche, les nuits de pleine lune, je tue des pauvres gens pour leur arracher le cœur.
J’en souffre chaque jour. Ah ! si vous pouviez me libérer de cette taupe immonde, je vous donnerais l’amulette bien volontiers. Mais j’en demande trop sans doute, car vous pouvez me la prendre maintenant, alors que je suis sans défense.
– Rassurez-vous, Garin. Je ne tue que lorsque je ne puis faire autrement.
Voyons ensemble comment conjurer le sortilège de votre nabot.
Il est exclu que nous allions le déloger de son antre nous-mêmes. Le goulot du boyau est beaucoup trop étroit et friable. L’éboulement du sable, inévitable, nous étoufferait à coup sûr. Il faut donc l’obliger à venir à nous. Il ne remonte que les nuits de pleine lune pour accrocher puis décrocher son outre sanglante, m’avez-vous dit. La pleine lune est déjà passée et il n’est pas question d’attendre la prochaine. Il faut à tout prix lui faire remonter la galerie sans tarder.
– Certes, mais comment, Messire ?
– C’est simple. C’est un être vivant, il a donc besoin de respirer. Si nous obstruons l’entrée du goulot par un sac de sable, l’air va finir par lui manquer et il va devoir grimper pour détruire notre bouchon. C’est là que nous l’attendons.
– J’ai bien déjà pensé à remplir carrément le puits de sable pour l’étouffer purement et simplement, mais on ne connaît pas le volume de sa réserve d’air, là-dessous. Son agonie peut être si lente qu’il aurait tout le loisir de me changer en mouche.
– Vous avez raison, Garin. C’est pourquoi, il nous faut guetter sa remontée.
– J’entends bien, mais comment le saisir ? Il est si vif ! A la première alerte, il se laissera retomber.
– Je vois que vous avez là une bonne guisarme, Garin. Nous allons en faire un solide harpon.
Dès que notre sac de sable craque sous ses efforts, je frappe. Harponné par le crochet de la guisarme, il ne peut nous échapper. Il aura beau plonger au plus profond du trou, nous n’aurons plus qu’à tirer sur le filin pour l’en extirper.
– Et lui reprendre l’anneau maudit.
– Afin de le détruire aussitôt qu’il aura permis votre retour parmi les hommes.
* * *
L’horreur apparaît au bout du harpon. Une larve humaine, glabre et blafarde, d’un blanc vitreux, ensanglantée. Un corps informe, aux bras démesurés, aux jambes atrophiées, secoué de convulsions, se tortillant comme une esche accrochée à l’hameçon. Un visage morveux, hideux, haineux, éructant de sanglants borborygmes.
Le coup d’épée du Chevalier Noir abrège les souffrances du gnome déchiqueté et Garin, surmontant sa répugnance, arrache du doigt qui se rétracte déjà l’anneau maléfique, retire la guisarme et rejette l’immonde dépouille au fond du boyau.
– Je vais le combler de sable. Me voici, grâce à vous, enfin libéré du sortilège, Messire. Voici l’amulette comme promis. Mais si je peux me permettre de vous donner un conseil, méfiez-vous de Sargasse. Cette fée est fourbe et sans pitié.
– Je sais fort bien à qui je peux me fier, charbonnier. On ne peut plus vous appeler Mauleu désormais, n’est-il pas vrai ?
– Non, je suis heureux de pouvoir reprendre mon vrai métier.
– Mais confiez-moi également la bague, je vous prie. Je la jetterai moi-même dans la rivière. Qu’elle ne fasse plus jamais de mal à personne.
– La voilà. Adieu, Messire, je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir ramené à la lumière et à la vie. Puisse le Ciel vous rendre votre enfant.
[ © Christian Van Moer & Chloé des Lys ]
à suivre
épisode 9 : L’Elixir de Vie
feuilleton par Christian VAN MOER
http://christianvanmoer.skynetblogs.be/
Au temps des heaumes et des hauberts,
il était une fois la forêt du Mauroi…
épisode 8 : Le Loup-garou du Sablon
− L’heure de votre dernier duel est venue, Baron ! Apportez-moi l’amulette de Garin, le Mauleu, et je vous remets l’élixir promis. Je dois reconnaître que vous l’aurez bien mérité.
− Qui est-il, ce Garin, sorcière ?
− Un lycanthrope, Baron, un loup-garou, pour parler comme nos vilains.
− Un homme normal en apparence qui, on ne sait trop pourquoi, devient loup la nuit, n’est-ce pas ?
− Oui. Ce loup-garou se déchaîne et tue les nuits de pleine lune. Je ne peux rien vous apprendre de plus à son sujet, si ce n’est qu’il vit dans l’ancienne sablonnière du Mauroi. C’est lui qui détient la septième amulette et qui se présente comme mon rival au sabbat du solstice.
Alors, Baron, Beau vous emmène au Sablon ?
− Vous savez pertinemment que je ne suis pas en mesure de refuser, sorcière !
* * *
« Le Mauleu, le mauvais loup, qui sévit les nuits de pleine lune ! C’est plutôt maigre comme indication. Sargasse m’a-t-elle une fois de plus caché l’essentiel ? »
Le Chevalier Noir aborde les dunes désolées du Sablon sans la moindre idée de la manière dont il va s’y prendre pour dérober l’amulette à Garin. Il aperçoit une maisonnette blanche dans un creux de sable et décide de frapper hardiment à la porte. Un homme de taille moyenne, déjà chenu, mais encore très vif, l’accueille avec un sourire triste.
− Entrez, je vous en prie, Messire Le Galois.
− Vous me connaissez donc, maître Garin ?
− Non seulement je sais qui vous êtes, mais je connais aussi le but de votre visite : l’amulette d’Abraxas.
− Exact, maître Garin. Allons-nous nous affronter ou nous entendre ?
− Asseyez-vous, Messire. Ecoutez d’abord tranquillement mon histoire, je vous prie.
− Soit, maître Garin. Je vous écoute, mais je ne baisse pas ma garde. Au moindre geste suspect, je tire l’épée.
− Ne craignez aucune fourberie de ma part, Messire. Je ne suis dangereux que la nuit, lorsque je me métamorphose en loup. Le jour, je suis un être humain comme vous. Très vulnérable et, en ce moment, à votre merci.
− Je ne tirerai l’épée que si je m’y vois contraint, maître Garin. Poursuivez votre récit sans crainte.
− Merci. Sachez d’abord pour quelle raison la fée Sargasse ne vient pas m’affronter elle-même. Chaque fée a son talon d’Achille, Messire, qu’elle s’efforce bien sûr de garder secret. Celui de Sargasse, c’est le sable ! Elle peut évoluer sur terre, dans l’eau ou dans les airs, mais pas sur le sable. Sous ses pas, l’arène devient mouvante. Elle s’y enfoncerait irrémédiablement et le Sablon serait son tombeau.
Mais voici mon histoire.
J’étais jadis un honnête charbonnier, plutôt jovial et bonasse. Un jour, un pèlerin moribond à qui j’ai tendu ma gourde, m’a fait don d’un anneau merveilleux. Une bague en argent sertie d’un béryl, une aigue-marine aux vertus magiques. Le temps d’une nuit, son possesseur détient le pouvoir de changer un homme en n’importe quel animal. Cet anneau ne peut être détruit que par l’eau. J’ai accepté ce cadeau empoisonné, Messire, sans avoir vraiment l’intention de recourir un jour à ses pouvoirs.
J’habitais déjà cette petite maison et je croyais être seul à y vivre. Un soir, occupé à ma toilette – j’avais bien sûr déposé ma bague à côté de ma bassine – une lame du plancher s’est soulevée et une main blanche s’est emparée de l’anneau. En retirant deux lames du plancher, j’ai alors découvert avec effarement qu’elles dissimulaient l’ouverture d’un puits, fort étroit mais très profond. Presque aussitôt, un gnome difforme, albinos, m’est apparu, le béryl à l’annulaire. Je l’entends encore me crier en ricanant : « Les nuits de pleine lune, Garin, tu mettras un cœur humain pour me nourrir, dans une besace que tu suspendras ici, si tu ne veux pas que je te change en pâture pour araignées. » Aussitôt après, il s’enfonce et disparaît dans sa galerie et moi, je me retrouve métamorphosé en loup noir ! C’est ainsi chaque nuit, Messire, et comme je ne tiens pas à être changé en mouche, les nuits de pleine lune, je tue des pauvres gens pour leur arracher le cœur.
J’en souffre chaque jour. Ah ! si vous pouviez me libérer de cette taupe immonde, je vous donnerais l’amulette bien volontiers. Mais j’en demande trop sans doute, car vous pouvez me la prendre maintenant, alors que je suis sans défense.
– Rassurez-vous, Garin. Je ne tue que lorsque je ne puis faire autrement.
Voyons ensemble comment conjurer le sortilège de votre nabot.
Il est exclu que nous allions le déloger de son antre nous-mêmes. Le goulot du boyau est beaucoup trop étroit et friable. L’éboulement du sable, inévitable, nous étoufferait à coup sûr. Il faut donc l’obliger à venir à nous. Il ne remonte que les nuits de pleine lune pour accrocher puis décrocher son outre sanglante, m’avez-vous dit. La pleine lune est déjà passée et il n’est pas question d’attendre la prochaine. Il faut à tout prix lui faire remonter la galerie sans tarder.
– Certes, mais comment, Messire ?
– C’est simple. C’est un être vivant, il a donc besoin de respirer. Si nous obstruons l’entrée du goulot par un sac de sable, l’air va finir par lui manquer et il va devoir grimper pour détruire notre bouchon. C’est là que nous l’attendons.
– J’ai bien déjà pensé à remplir carrément le puits de sable pour l’étouffer purement et simplement, mais on ne connaît pas le volume de sa réserve d’air, là-dessous. Son agonie peut être si lente qu’il aurait tout le loisir de me changer en mouche.
– Vous avez raison, Garin. C’est pourquoi, il nous faut guetter sa remontée.
– J’entends bien, mais comment le saisir ? Il est si vif ! A la première alerte, il se laissera retomber.
– Je vois que vous avez là une bonne guisarme, Garin. Nous allons en faire un solide harpon.
Dès que notre sac de sable craque sous ses efforts, je frappe. Harponné par le crochet de la guisarme, il ne peut nous échapper. Il aura beau plonger au plus profond du trou, nous n’aurons plus qu’à tirer sur le filin pour l’en extirper.
– Et lui reprendre l’anneau maudit.
– Afin de le détruire aussitôt qu’il aura permis votre retour parmi les hommes.
* * *
L’horreur apparaît au bout du harpon. Une larve humaine, glabre et blafarde, d’un blanc vitreux, ensanglantée. Un corps informe, aux bras démesurés, aux jambes atrophiées, secoué de convulsions, se tortillant comme une esche accrochée à l’hameçon. Un visage morveux, hideux, haineux, éructant de sanglants borborygmes.
Le coup d’épée du Chevalier Noir abrège les souffrances du gnome déchiqueté et Garin, surmontant sa répugnance, arrache du doigt qui se rétracte déjà l’anneau maléfique, retire la guisarme et rejette l’immonde dépouille au fond du boyau.
– Je vais le combler de sable. Me voici, grâce à vous, enfin libéré du sortilège, Messire. Voici l’amulette comme promis. Mais si je peux me permettre de vous donner un conseil, méfiez-vous de Sargasse. Cette fée est fourbe et sans pitié.
– Je sais fort bien à qui je peux me fier, charbonnier. On ne peut plus vous appeler Mauleu désormais, n’est-il pas vrai ?
– Non, je suis heureux de pouvoir reprendre mon vrai métier.
– Mais confiez-moi également la bague, je vous prie. Je la jetterai moi-même dans la rivière. Qu’elle ne fasse plus jamais de mal à personne.
– La voilà. Adieu, Messire, je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir ramené à la lumière et à la vie. Puisse le Ciel vous rendre votre enfant.
[ © Christian Van Moer & Chloé des Lys ]
à suivre
épisode 9 : L’Elixir de Vie