Le chevalier noir, le feuilleton de Christian Van Moer. Episode 3
LE CHEVALIER NOIR
feuilleton par Christian VAN MOER
Au temps des heaumes et des hauberts,
il était une fois la forêt du Mauroi…
épisode 3 : Faune et Centaure
− Votre second adversaire est Noxdies, Baron. On l’appelle ainsi parce qu’il change d’apparence selon qu’il fait jour ou qu’il fait nuit. De jour, c’est un centaure, de nuit un faune.
− Ses pouvoirs, Sargasse ?
− Différents selon son avatar, ils sont redoutables.
En centaure, quoique plutôt de petite taille – cinq pieds à peine – il effraie parce qu’il est fou. Il galope, sans direction précise, au hasard, et tire ses flèches sur tout ce qui bouge. Avec l’intention de tuer, mais fort heureusement, c’est un piètre archer qui le plus souvent rate sa cible ou ne fait que l’égratigner. Mais on a intérêt à s’écarter en vitesse de son passage. S’il fait halte, attention à ses sabots : une seule de ses ruades peut vous tuer tout net. Un dément imprévisible et incontrôlable, Baron.
− Et la nuit ?
− En faune, il est beaucoup plus dangereux. Malgré ses petites cornes et ses sabots de bouc, il est d’une beauté à damner un saint. Et il use de son charme pour appâter les nymphes et les elfes. Au moindre clair de lune, au milieu de sa clairière, il trace le pentacle autour de lui et entame une danse sensuelle, lubrique même, merveilleusement envoûtante, irrésistible. Charmés, les curieux qui ont commis l’imprudence de s’aventurer dans la clairière, s’avancent vers lui en se dandinant langoureusement, avides de le toucher, de l’étreindre. Mais dès qu’ils ont posé les pieds à l’intérieur du cercle magique, ils sont perdus. Leur âme quitte leur corps, renvoyé au néant, et erre en peine, à jamais ballottée par les vents et secouée par les tempêtes. C’est ainsi que Noxdies dépeuple peu à peu notre grande forêt de ses nymphes et de ses sylphides.
Ne l’affrontez pas de nuit, Baron, vous n’auriez aucune chance de le vaincre : étant alors inabordable, il est invincible.
− Et quand il fait nuit noire ?
− On ignore où il se terre.
− Nous verrons cela, Sargasse. Lâchez votre corbeau.
« Dès que Beau m’aura indiqué le chemin, je rentre au manoir jusqu’à demain. Je laisserai Jais au repos et monterai Ebène, certainement plus rapide que le centaure fou. Oui, sorcière, je vais suivre ton judicieux conseil et affronter Noxdies de jour. Mon plan est déjà prêt : cela ne doit pas être bien difficile de piéger ce fou. En arrivant à son terrain de chasse, je me dissimule et reste patiemment aux aguets jusqu’à ce qu’il m’apparaisse. Ce qu’il me suffit de connaître, c’est sa taille exacte lorsqu’il galope. Enfant, j’étais passé maître dans l’art de poser des collets pour capturer les lièvres. Je vais en installer quelques uns à la mesure du dément, à des endroits propices. Je mets la main au feu que demain, il s’y collera aussi sûrement qu’une mouche dans une arantèle.
Beau s’arrête déjà ? A la prochaine, oiseau du diable ! »
Gilles met aussitôt son plan à exécution. Très vite, il repère les passages les plus creusés par les galopades du centaure et y dispose ses collets de fil de fer très fins, mais assez robustes pour étrangler un forcené au galop, qui ne s’attend certes pas à trouver ses voies habituelles piégées par un ennemi inconnu, tapi dans l’ombre.
Tout se déroule selon les espérances du Chevalier Noir. Posés en fin de matinée, les collets remplissent leur rôle en milieu d’après-midi. Le cri d’agonie du centaure sort le chasseur de son affût. Une tête de plus est tranchée, une nouvelle dose d’antidote est gagnée, ainsi qu’un temps précieux pour la détente et la réflexion.
[ © Christian Van Moer & Chloé des Lys ]
à suivre demain
épisode 4 : La Goule du Causse