L'annonciade, de Didier Fond, portraits

Publié le par christine brunet /aloys

L'annonciade

 

Portrait des commerçants du quartier

 

Les pâtissiers

 

La pâtissière avait une cinquantaine d’années et c’était une femme avenante, arborant un généreux tour de taille et une poitrine tout aussi généreuse qui faisait loucher bon nombre de messieurs du quartier. Le pâtissier ne connaissait pas sa chance ; il faisait partie de ces bienheureux artisans qui avaient autre chose à pétrir que leur pâte à gâteaux. Sainte Marie mère de Dieu, il y avait là de quoi remplir la main d’un honnête homme !

 

Le couple Galibert ne passait pas inaperçu. Ils étaient l’un et l’autre l’objet de certaines plaisanteries qui, si elles leur étaient revenues aux oreilles, ne les auraient guère réjouis. Personne ne s’était cependant avisé d’aller les leur répéter, pas même Emeline Lemaire, parce que tout le monde les aimait bien et qu’on ne voulait pas leur faire de peine. C’était des gens sympathiques, honnêtes, travailleurs. Bon, les gâteaux n’étaient pas toujours réussis, c’était vrai ; il fallait par exemple éviter les mille-feuilles, c’était visiblement le point faible de Monsieur Galibert. Les éclairs au chocolat ou à la vanille avaient tendance à manquer de chocolat ou de vanille ; mais les tartes aux fruits étaient succulentes. Là, le pâtissier donnait toute sa mesure, tout son talent, tout son génie. Comment pouvait-on rater systématiquement les mille-feuilles et réussir cette pâte brisée qui vous fondait dans la bouche et vous donnait un avant-goût du paradis ? Mieux valait ne pas chercher à comprendre.

 

Aux impressionnantes rondeurs de sa femme, de petite taille, mais entièrement bâtie en courbes souples et voluptueuses, Julien Galibert opposait une maigreur osseuse de fil de fer, une stature qui frôlait le gigantesque, (« il est long comme un jour sans pain » disait de lui les dames du quartier, obligées de rejeter la tête en arrière pour lui parler) et des épaules si ridiculement étroites que vous vous demandiez par quel miracle cet homme n’avait pas encore été balayé par les bourrasques du vent du Nord et aplati, tel une crêpe, contre un immeuble. Comment ce couple, à la limite du burlesque, s’y était-il pris pour fabriquer trois enfants ? Autre mystère. L’imagination pourtant débordante des gens des Pentes n’avait pas réussi à aller au-delà de certaines limites.

 

 

Cette hilarante dissemblance leur avait valu le sobriquet de « Mardi-Gras et Vendredi Saint », surnom trouvé par le mari de la laitière, qui ne ratait jamais une occasion d’épingler le ridicule de ses concitoyens. On avait estimé que c’était très méchant, mais très juste, et tout le quartier en avait ri sous cape pendant une semaine. Et puis, le comique s’était estompé ; mais le surnom était resté.

 

Didier Fond

fonddetiroir.hautetfort.com

Publié dans Textes

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J
<br /> Après le portrait de la laitière, celui-ci est tout autant délicieux!<br /> <br /> <br /> MDR avec la comparaison Hollande-Gayet!<br />
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N
<br /> Chez nous, dans le même genre, on a Hollande-Gayet !<br />
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C
<br /> Didier décrit ses personnages, heuuu, non, comment dire? Il leur donne vraiment le souufle de la vie. <br />
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P
<br /> Deux portraits bien dressés. On les rencontrerait dans la rue, on les reconnaitrait sans peine.<br /> <br /> <br /> Bon dimanche.<br />
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