"Et si 2012 voyait la fin de l'humanité ?" ... Texte 8

Publié le par christine brunet /aloys

SAYONARA

 

Amiko l’aperçoit de loin, lui, le vieil illuminé hirsute à la longue barbe blanche qui, chaque jour, scande que la fin du monde est pour cette fin d’année 2012, qui est l’année du Dragon.

Slalomant entre les véhicules roulant au pas et les pousse-pousse traditionnels, elle traverse la route pour ne surtout pas croiser la sienne, car il lui fait terriblement peur.

C’est avec tristesse, après une nouvelle journée « sans » à faire des poches vides, que l’enfant regagne la bicoque délabrée qui lui sert d’abri, non loin de la plage de Tsutsumigaura. À douze ans et des poussières, on devrait penser à ses copines, à la Wii. Aux garçons, peut-être. Mais quand on se retrouve sans famille, à cause d’un incendie déclenché par des parents inconscients enchaînant les paquets de cigarettes comme les paquets de bonbons, et qu’on s’est enfuie de chez son oncle un peu trop affectueux, un peu trop « tactile », on n’a plus vraiment les aspirations d’une enfant. Ni les yeux. Il faut bien manger. Il faut bien survivre. Dieu ou pas, Bouddha lui pardonnera sûrement.

Les chaussures ensablées, Amiko pousse la porte cassée, s’allonge sur le vieux futon, puis pose la tête sur le Mushu en peluche ramassé dans une poubelle et qui lui sert, depuis, d’oreiller. Dans un cadre posé là, à côté, elle a mis le dessin d’un enfant qu’elle a fait elle-même. Elle fait comme si c’était la photo de son p’tit frère, Li, disparu dans les flammes. Tous deux avaient la passion de l’origami, et le culte, encore tout récent chez eux, du vieux bonhomme en rouge et de provenance occidentale. Mais Amiko, après la tragédie, délaissa l’imposteur. Qu’est-c’que ça veut dire, Noël, quand ses parents se moquent de tout ? Sinon sortir en pleine nuit, les laisser seuls, parce qu’il n’y a plus de clopes à la maison.

En réalité, Amiko n’a jamais vraiment été toute seule. Elle a un ami. Dont elle ne sait pas le nom, c’est vrai. Il ne lui a jamais dit. Elle s’est réveillée, une nuit, et il était là, juste là, assis paisiblement à l’autre bout du futon. « Qui es-tu ? » demanda l’enfant. « Un ninja ? » « Les ninjas ont-ils des ailes ? » répondit l’homme, amusé par la question. « Je suis un ange du Seigneur ». « Oooh ! » fit Amiko en ouvrant de grands yeux. « Mon frère Li et moi nous faisons souvent des anges en papier, tu sais ! » « Je sais. Et je suis venu voir cela de mes propres yeux ».

Amiko, Li et ce fils du ciel étaient devenus très proches. Et quand elle s’est retrouvée à la rue, son oncle n’ayant pas signalé sa disparition… il a pris soin d’elle. Comme un père.

Alors non, elle n’a jamais vraiment été toute seule, la petite Amiko.

Mais qu’est-c’que cela ? De l’eau qui s’infiltre sous la porte, dans la bicoque.

Amiko fronce les sourcils. On frappe. Elle va ouvrir, inquiète. Elle n’est tout de même pas responsable de la montée des eaux ! Mais tout va bien, ce n’est que lui, son ange.

– Tu apparais comme par magie, d’habitude, lui fait-elle remarquer.

Mais il entre sans répondre, affichant un air mi-effrayé mi-compatissant.

– J’ai la pire des nouvelles à t’annoncer, assène-t-il.

– À voir ta tête, on dirait que c’est la fin du monde, plaisante la jeune fille.

Mais l’inquiétude la gagne vite, car l’ange ne répond pas à son humour noir.

– Tu es grande. Je vais donc aller droit au but : des mégatsunamis sont prévus sur toute la planète d’ici… quelques minutes. Tout est terminé. C’est brutal, je sais… Mais voilà.

– Quoi !?! Tu es sérieux ? Mais Bouddha, Dieu, ou quel que soit son nom, que fait-il ?

– Papa ? Papa en a ras-les-baskets ! Vu la politique des hommes, leur folie meurtrière, leur façon de traiter leurs frères, il a décidé de tourner son regard ailleurs dans l’espace.

– Mais il y a des innocents, ici, c’est injuste ! Et toi, tu ne peux rien faire du tout ?

– Des dommages collatéraux… Il s’en fout. Quant à moi, je ne suis qu’un ange, Amiko. Du moins, je l’étais. J’ai renoncé à mes ailes pour vivre ces dernières minutes sur Terre avec toi. En tant qu’ami. Ou… en tant que père. Ta famille n’est plus là. Je ne pouvais pas te laisser toute seule quand la vague géante… (Il ne finit pas sa phrase.)

– J’aimerais me répandre en sanglots, cher ange, parce que la vie est vraiment…

– Merdique ? Elle l’est. Éclate en sanglots ! Tape des pieds, si ça t’aide. C’est ce que je ferais, si je n’étais pas adulte. Je ne comprends pas sa décision, mais c’est sa décision. Il ne veut plus accorder aux hommes de circonstances atténuantes. Il refuse de les sauver.

– Je vais juste pleurer, dans ce cas. Serre-moi fort quand la vague va nous pulvériser, s’il te plaît. Et… est-c’que je peux te dire : « Je t’aime » ?

– Oui, tu peux. Cela me plairait beaucoup.

– Je t’aime, mon merveilleux ange… rien qu’à moi toute seule. Mon ami, et mon papa.

– Je t’aime, chère petite. Je suis heureux d’être ici avec toi, à la fin de toutes choses.

Et l’immensité bleue se retira, de façon impressionnante. Et ces gens qui prenaient des photos, pour vite les partager sur leur mur ! À croire qu’ils n’avaient pas de vie, en dehors !

Une vague colossale se profila soudain. Elle grossit, grossit… Si belle. Si terrible.

– J’ai peur, murmura Amiko à son ange, blottie contre lui. Je voudrais vivre encore…

– Moi aussi, répondit-il, le visage mouillé de larmes. J’ai terriblement peur de mourir. Mais dis-toi que nous mourons tous les deux, parce que nous sommes une famille.

En une seconde, il ne resta plus rien. Ni vies humaines ni constructions. Plus d’Amiko ou d’ange si bon. Le monde prit fin sous cette vague, qui déferla comme le Dragon furibond.

Publié dans concours

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G
<br /> pas mon style, merci<br />
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P
<br /> Avec ce texte, c'est vraiment la fin du monde. Pas de pitié pour les hommes!<br />
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J
<br /> Atmosphère vraiment prenante. Texte original. Un très beau travail !<br />
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A
<br /> Je ne comptais pas pleurer le dimanche de Pâques... <br />
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R
<br /> Émouvant et magnifique ! <br />
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E
<br /> Oh! C'est tout beau... Acceptation et amour. J'aime beaucoup de texte! Merci...<br /> <br /> <br />  <br />
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