Est-ce que ce monde est sérieux ? de Philippe Leclercq... un extrait...

Publié le par christine brunet /aloys

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Extrait du livre 


Assain frappe, comme un malade, dans le sac. Il décoche des coups de butoir dans cette saucisse obèse qui encaisse mollement. Il la fait tellement balancer, qu’elle gémit par l’anneau métallique qui la fixe au plafond.

Ça décuple son ardeur.

Il s’imagine qu’il cogne Sauveur, qu’il lui éclate sa petite gueule lisse et bien élevée. Les grincements du sac qui oscille deviennent des cris de supplication sous ses poings déchaînés.

Là, il vient de se taper trente minutes de corde 2x360 grammes, quinze minutes de  rameur à 150 watts, vingt minutes de musculation et trente secondes de Waow…

Me demande pas ce que c’est, je sais pas.

J’ai pêché ça sur le net.

Coco, l’entraîneur des boxeurs, le regarde à la dérobade depuis quelque temps. Qu’a-t-il donc à se démener ainsi ?

Son poulain, un déménageur de vingt-neuf ans, trois fois champion de la province, deux fois finaliste du tournoi des Jeunesses Nationalistes et cinq fois gant d’or à la kermesse aux Taureaux, enjambe les cordes et monte à l’instant sur le ring.

Il est beau comme un tracteur propre. Fier comme Artaban. Il semble très content d’être une brute, une plante ou une machine. Il fait rouler ses pectoraux en les contractant tour à tour.

Coco lui glisse deux mots pour le faire patienter. Il se dirige vers Assain, toujours en grande explication avec la vessie en cuir. En arrivant à sa hauteur, il risque de se prendre une droite enroulée destinée au sac.

Oh ! Marc ! Qu’est-ce qui te prend ? T’as trop de jus ce soir ?

L’inspecteur dégoulinant de sueur s’arrête, surpris d’être surpris. Il fait oui du nez, en se mouchant dans son gant.

Ok, j’aime ça. Eh bien, viens sur le ring, Manu a besoin de s’échauffer les poings…

Chouette ! Il en a marre de ce cadavre en couenne, incapable de riposter.

Cinq secondes plus tard, voilà les deux déréglés de la castagne face à face sur le ring. Ils ont enfilé le casque, tout de même.

Totalement inconscient, le flic se met en garde.

Je vais pisser un coup, lance Coco.

Puis, à son poulain.

Ne me l’échine pas trop, hein ?!

Et il disparaît en direction des waters.

Le gars, le Manu, il ne se méfie pas du tout. Pourquoi devrait-il, d’ailleurs ? Le poulet, n’est même pas boxeur.

A sa place, je me méfierais. Ce soir, le poulet est piqué aux hormones, élevé à la haine, aromatisé à la bave de venin de crotale.

Manu commence prudemment. Il lance quelques petits pif paf pas bien méchants. Assain fait un pas de retrait et lui gicle un jab sur la joue. Sans attendre, il plie les genoux, se casse en deux et lui décoche un droit fusé aux côtes flottantes.

Tu vas en baver, Sauveur ! lance-t-il.

Sauveur ? Mais qu’est-ce qu’il raconte, il s’appelle Manu, le gars.

Comme il se redresse pour préciser ce détail, futile, certes, mais identitaire, il se prend un slash du gauche, suivi d’un crochet du droit, ponctué d’un direct swingué à la mâchoire.

Ça va pas, non !

Attention, le champion prend la mouche ! Ça va chier pour le chieur ! Il entre dans le combat, fait la feuille face au prétentieux.

Mais Assain est intouchable, aujourd’hui. Un extraterrestre ! Le flic se figure, dans sa hargne héritée d’une journée de merde, qu’il est face au Médiateur Fédéral. Il va enfin pouvoir se libérer des multiples frustrations engrangées à son contact. Il n’a qu’une idée en tête : trouver une entrée dans la garde de son adversaire, lui bousiller les narines, tout en se réservant une sortie en cas de réplique.

Il se met à gesticuler du buste, comme Mike Tison, en avançant finement. D’un coup fulgurant, il lui décoche un uppercut du gauche qui lui décolle la sueur des cheveux, puis finit du droit avec un swing nucléaire au nez, qui explose sous le gant.

Bordel, Manu, qu’est-ce que tu fous ?

C’est Coco, de retour des chiottes.

Il n’en revient pas de voir son poulain à genoux, pisser le sang par les narines. Il est fou, ce type, il lui a esquinté son champion !

Assain est debout, en garde, fier d’avoir terrassé le champion de pacotille.

Il entend à peine les récriminations de l’entraîneur. Rien à foutre ! Il se glisse sous les cordes, sort du ring.

Ah ! Ça fait du bien !

Sans écouter les jérémiades de l’un et les imprécations de l’autre, il se dirige vers les douches.

« Ouf ! Ça va mieux, maintenant ! »

 

Il est déjà lavé, habillé et prêt à partir, que Coco est toujours en train de soigner le pauvre Manu, avec moult coton-tiges, pommade et glaçons…

Il est bien.

Soulagé.

Faut pas l’emmerder, Rhésus ! Quand il perd les deux, trois neurones qui lui donnent figure humaine, il devient une bête, une machine à démolir.

Vivement qu’il rentre chez lui !

Sa petite femme l’attend, toujours prête à lui éplucher la carotte, à l’accueillir généreusement entre ses jambes galbées. Il accélère…

Rien de tel qu’une bonne femme à la maison, à demeure. Toujours sous la main. Dès qu’il pointe le capot de la Mégane dans la rue, elle reconnaît le moteur et commence à se préparer. Rhésus adore la trouver à la cuisine, occupée à préparer le repas. Invariablement, elle a les fesses à l’air sous son tablier. Il doit à peine en écarter les pans pour glisser son boa brûlant entre les deux globes chauds.

Quel pied !

Ce qui l’excite le plus, c’est qu’elle continue de travailler, comme s’il n’était pas là. Il en fait ce qu’il veut, elle est à son service, comme une employée de maison, depuis des années.

Depuis des années…

Il la voit encore, la première fois qu’il l’a amenée chez lui. Il a dû tout lui apprendre. Elle ne parlait presque pas. Maintenant non plus, d’ailleurs.

Depuis, elle ne l’a jamais quitté.

Elle n’a pas intérêt.

 

Philippe Leclercq

Photo couverture leclerc

 

Publié dans Textes

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P
<br /> Non, il n'est pas sérieux ...<br />
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C
<br /> Ce monde est-il sérieux ? Bonne question ! <br />
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C
<br /> Du polar à la Bogart... Qunat à Rhésus, mieux vaut ne pas le croiser...<br />
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