Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le sous-thème "" : "On a changé mon mari/ma femme" Texte 4"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

On a changé ma femme 

 

J’essaie de récapituler, pour comprendre comment ça a pu se passer…

 

Fanchon m’a dit « Et si on allait au marché, Clau-clau ? ». Déjà, ça m’a énervé. Elle était autrefois une fan de Cloclo François, et parce que j’ai le malheur de m’appeler… non pas Claude mais Clodion (mon père était professeur d’histoire et adorait Clodion le chevelu, ce qui n’a rien arrangé car à 20 ans j’étais chauve comme Charles), je disais donc que comme j’ai l’infortune de m’appeler Clodion, pour Fanchon je suis Clau-clau. 

 

À cette requête bien banale j’ai dit oui Fanchon. Avec le temps qu’il fait, on s’est vêtus comme des samouraïs. Sous-vêtements Damart à plastron, col roulé, cardigan, doudounes, écharpes, bonnets et, épidémie oblige, masque. Avec ses lunettes pour elle et mon appareil auditif pour moi, nous ressemblions à une publicité de couple Double-foyers et Sonotone subventionnée par les pneus Michelin.

 

Au marché, eh bien on avait beau être côte à côte, je la perdais ici et là. Elle tâtait les pommes de terre ici, analysait le regard d’un merlan là, revenait sur ses pas et fixait les fromages d’un air méfiant. Je m’ennuyais comme un rat mort, faut-il le dire, mais depuis des années de vie de couple, j’étais le porte-monnaie. À moi l’honneur d’enlever mes gants, de compter les monnaies ou déplier les billets, de sentir que derrière moi ça s’impatientait car je comprenais vingt au lieu de cinq et m’indignais, ou treize au lieu de seize et me faisais rabrouer quand je tendais mes quinze misérables euros qui ne suffisaient pas, étais-je sourd ou quoi ? Fanchon, elle, levait les yeux au ciel et faisait mine de ne pas me connaître, me laissant aussi le privilège d’avoir les paumes sciées par ces maudits sacs de plastique remplis de kilos superflus.

 

Toujours est-il que quand j’en ai eu assez – mes bras avaient la longueur de ceux d’un orang-outang et toucheraient terre si on restait une minute de plus -, j’ai usé de ce qu’elle appelle « mon air autoritaire », lui donnant un coup d’épaule assez vigoureux, et lui indiquant la direction de la maison d’un menton inflexible même si recouvert de l’écharpe et du masque. Elle a murmuré je ne sais quoi, m’a agrippé la manche en protestant, mais rien à faire, in-fle-xible et viril, j’ai mis les deux sacs d’un côté pour lui prendre le bras, et l’ai guidée de force. Elle jappait, plaintivement, et j’étais heureusement surpris : mon attitude décidée l’impressionnait. Hop, en avant, à la maison. Derrière nous un tintamarre se fit sentir, des hurlements féminins, la chute d’un étal, des cris de fureur, on parlait d’une victime, d’une tête écrasée sous les choux fleurs, de sang vraiment dégueulasse, raison de plus pour pincer le bras de Fanchon qui couinait d’effroi et trottinait en protestant.

 

Une fois dans le corridor, j’ai vu qu’elle tremblait. Elle ne voulait pas enlever sa doudoune, ni son bonnet – tiens, je n’avais jamais remarqué le pompon de fourrure… - et pleurait, pleurait. Ce n’étais pas d’elle, ça. Ça m’a attendri, j’étais tout chose. Je l’ai prise dans mes bras. Le bonnet est tombé, et au lieu de cheveux couleur eau de vaisselle, de belles boucles noires ont rebondi. Derrière les lunettes, des yeux noirs et vifs. Une peau lisse, pas comme le pécari habituel. Sous le masque enlevé, une bouche fraiche et arrondie par des questions sans réponse encore. 

 

« Mais… vous n’êtes pas Fanchon ? » « Non monsieur, je suis seulement Zinaïda, et je suis sans papiers. Ne me dénoncez pas... ». Heureusement… elle a une voix stridente, pour ne pas dire un klaxon. Une mélodie pour ce qui me reste de tympans.

 

On trouve de tout, au marché… On peut même y échanger une épouse infernale contre une gracieuse jeune femme sans défense et sans autre avenir sûr que… moi. 

 

Publié dans concours

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G
J'aime bien cette histoire farfelue et joliment écrite. Je vote pour cette nouvelle.
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M
Cette lecture m'a donné du plaisir. Rythme et métaphores font passer le film de l'histoire sur l'écran de l'imagination !
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M
Un texte fort amusant !
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S
Un texte plein de métaphores, d'humour et d'humanité, comme je les aime ! Bravo !
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B
Une fameuse histoire qui m'a fait rire du début à la fin ! Et je conseillerai au mari d'enlever ses appareils auditifs lors du retour de l'irascible Fanchon... Car c'est certain! Elle va lui lessiver les oreilles...
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C
Texte 4, je le retiens lui aussi. J'ai hâte de découvrir les auteurs de ces quatre premiers textes. Les imaginations sont débordantes.
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P
On va avoir du mal de choisir, moi, je vous le dis ! <br /> J'vous laisse, je vais au marché...
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C
ahahah !!!!!!!!!!!!!!!!!