Cyriaque Maixent Ebenga nous propose un extrait de son ouvrage "Reconstruire le Congo-Brazzaville: une approche contractualisée"

Avant-propos
La situation politique, économique, sociale et culturelle des pays anciennement colonisés est dramatique. Elle l’est davantage que celle des pays développés, du fait non seulement de leurs ressources limitées ( ?) mais surtout parce que nulle perspective radieuse n’est envisageable pour leur population, en particulier les jeunes. Et si, de façon générale, elle est déjà difficile pour les pays qui n’ont pas connu de guerres civiles, ethniques ou des génocides, ceux qui les ont vécus en souffrent davantage – c’est notamment le cas du Congo-Brazzaville.
Songeons que les trois générations qui composent la société congolaise actuelle ont, du fait des bouleversements sociaux, politiques et culturels, trois univers quasiment inconciliables. Les plus âgés qui ont connu l’époque de la colonisation avec ses peines et parfois ses joies, mais surtout sa stabilité d’abord, ensuite la révolution – époque héroïque si chargée mais si exaltante – et enfin la démocratie ‘‘tropicalisée’’, avec ses malheurs et drames. Ceux-là critiquent les décennies d’indépendance. Les adultes, jeunes et moins jeunes, eux n’ont pas de souvenirs bien nets de l’époque révolutionnaire. Ils se sont retrouvés au sortir de l’adolescence, embarqués dans des guerres fratricides : s’engager de gré ou de force pour survivre, donc tuer ou se faire tuer. Aucun repère ne leur reste sinon la peur, l’hostilité sociale, le manque d’affection, bref ils ont plus appris à haïr, à détruire qu’à aimer et à construire. Enfin les plus jeunes qui sont les plus nombreux. Ils n’ont malheureusement ni l’école pour s’instruire, ni la société pour s’initier, ni les médias pour s’informer, ni même une famille pour s’épanouir puisque celle-ci est disloquée. Les parents sont séparés ou décédés et, dans la plupart des cas, la seule responsable reste une mère analphabète, démunie, qui entretient une famille nombreuse et miséreuse. Ces jeunes, n’ayant plus d’interlocuteurs ne sont même plus rassurés, ni écoutés, encore moins intégrés. C’est la voie ouverte à la délinquance, à la déviance sociale, au désespoir, à la vie au quotidien, sans réflexion sur le présent, encore moins sur l’avenir. Et en corollaire, la fuite en avant dans les solutions de facilité, le refuge dans la foi, les religions bricolées (à la carte), voire le prosélytisme.
A la base de cette situation apparaît le manque de culture : même l’histoire locale est mal connue.
Il s’avère impossible dans le cadre familial, communautaire, scolaire et universitaire, d’apprendre l’histoire actuelle, celle de la vie comme des peuples, des communautés, des tribus, des groupes sociaux, culturels… bref de la nation congolaise, qu’il s’agisse de la colonisation, de la révolution, de l’expérience démocratique, des guerres civiles, de la paix armée ou du libéralisme sauvage.
Cette inculture manifeste, ce manque total de repères et de perspectives, conduisent à se poser les questions suivantes :
Comment, un pays doté par ses potentiels naturels considérables, sa population, sa littérature, sa musique, sa culture en général au point d’être considéré comme le quartier latin de l’Afrique Equatoriale, a-t-il pu basculer dans la violence aveugle ?
Comment un pays, symbole d’une révolution éclatante et de l’engagement anti-impérialiste, est-il tombé dans le libéralisme sauvage ?
Comment un pays, où régnait la cohabitation ethnique pacifique, a-t-il pu tomber dans des guerres interethniques successives ?
Comment un pays qui avait des perspectives de développement a-t-il pu décliner au point de ne pouvoir ni scolariser, ni soigner, ni même nourrir ses populations ?
Ce sont là quelques questions parmi les plus douloureuses.
Une des explications avancées est le mauvais usage de l’argent du pétrole, qui, pour l’essentiel, sert à enrichir des classes de prédateurs malhonnêtes et d’irresponsables, mais aussi à financer les guerres. Mais cette explication, malgré sa pertinence, se révèle insuffisante, dans la mesure où dans les pays pétroliers tels que le Nigeria, le Gabon etc. des guerres ne se sont pas multipliées. Remarquons en particulier qu’au Congo, le pétrole n’a pas été la cause véritable du délicat problème de succession.
Reste à approfondir le travail de recherche, comme nous allons tenter de le faire.
Mais d’autres questions apparaissent qui ne tiennent pas au passé. Elles concernent l’avenir, la reconstruction ou la construction d’un pays, d’une nation : de la nation congolaise.
Comment faire pour reconstruire le pays ? Quel projet de société adopter ? Comment mobiliser les forces et les ressources ? Comment entretenir la mobilisation de façon durable ?
A ces questions, il est difficile de répondre car un regard rétrospectif n’est pas pertinent, les conditions socioculturelles ayant fondamentalement changé.
L’histoire universelle nous aide à garder espoir et à enrichir la réflexion. Dans cette perspective, la diaspora a une grande responsabilité. Elle est plus éloignée des contraintes sociales et économiques, plus détachée des contingences quotidiennes, plus ouverte aux autres, plus concernée par le regard des autres, notamment dans les pays d’émigration ou d’exil. Elle a le recul nécessaire à une appréciation plus sereine de la situation, à l’élaboration ou tout au moins à l’esquisse de solutions même transitoires. Elle peut être handicapée cependant par l’ignorance de certaines réalités ou la méconnaissance.
C’est ainsi que de jeunes congolais, sans préjugés idéologiques ni socioculturels, se sont retrouvés du fait de « l’exil difficile » à discuter, tenter de comprendre et à expliquer le drame et esquisser quelques pistes de cheminement. Ils invitent les aînés à témoigner, pour écrire une histoire dépassionnée du pays ; les jeunes à explorer ce passé douloureux et les intellectuels à dégager des solutions.