Le randonneur, une nouvelle de Marie-Noëlle Fargier - 2e partie
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Le randonneur- 2ème partie et fin
- Re-bonjour, nous sommes là depuis presqu'une heure mais le chemin était tellement difficile, comme vous nous l'avez dit d'ailleurs (ajoute t-il avec un petit sourire moqueur), que nous avons du mal à récupérer, me dit Casquette d'une voix presque éteinte d'où je perçois une volontaire exagération.
- Allez vous baigner, ça vous détendra ! répliqué-je.
- Non, j' ai eu trop chaud et la fraîcheur de l'eau pourrait me faire prendre froid. Un autre du groupe de Casquette rajoute : " et c'est dangereux de se baigner ainsi, nous risquons une hydrocution !"
- Mais vous me dîtes que vous êtes là depuis une heure ! Ce n'est plus dangereux, au contraire ! réponds-je, un peu agacée, je l'avoue.
- Ce Monsieur a raison, il faut être prudent après l'effort que nous avons fourni et toutes ces émotions ! intervient une femme du groupe au jogging bien repassé.
- "émotions" ? mais que vous est-il donc arrivé ? demandé-je en me disant que dès qu'ils seront repartis, j'en profiterai pour me baigner. Bob a déjà repris sa marche en nous saluant de la main.
- Si ce Monsieur n'avait pas été là (désignant Casquette), je ne serais plus de ce monde aujourd'hui !
- Une bête vous a attaquée ? demandé-je , étonnée qu'une telle fatalité puisse se produire sur des chemins salutaires. A ma question, Casquette ne peut dissimuler un sourire.
- Bien pire ! j'ai eu un malaise cardiaque mais ce Monsieur m'a sauvée ! me répond la dame au jogging bien repassé d'une voix catastrophée.
- N'exagérons rien, Madame, vous étiez simplement en train de faire une insolation et il m'a suffit de vous asperger d'eau.
Doutant qu'une personne puisse autant abuser, je lui demande si elle est soignée par un cardiologue. Elle me répond :
- Non pas jusque là. Mais je vais prendre un rendez-vous, puis s'adressant à Casquette, elle lui précise:
- Avec ce que nous venons de vivre, appelez moi par mon prénom, je m'appelle Hortense.
- Entendu, Hortense, mais je vous assure qu'il ne s'agissait que d'une insolation, lui répond Casquette de sa voix rassurante.
Un jeune couple s'approche de Casquette et s'introduit dans la conversation :
- Merci Monsieur, sans vous, nous aurions fait la bêtise de nous arrêter en plein soleil et nous aurions eu le même sort qu'Hortense.
- Je pratique la randonnée depuis longtemps et je connais ses pièges, (Casquette est tellement heureux de cette reconnaissance que je m'abstiens de lui parler du rectangle jaune sur le rocher) puis s'adressant à une petite dame, du nom d'Agathe, restée en retrait, il poursuit :
- Avez-vous récupéré ? Vous êtes encore un peu pâle. Je suis désolé de vous avoir rudoyé en vous ordonnant presque de ne pas faire de pause.
- Vous aviez sans doute raison mais n'êtes pas responsable. En fait, je sors juste d'une longue maladie qui m'a laissé quelques traces mais je récupère, le rassure Agathe.
- Pourquoi ne pas me l'avoir dit ? lui demande Casquette.
- Vous étiez si préoccupé par... Hortense, ( répond gentiment Agathe en adressant un sourire à cette dernière, murée dans un visage fermé), que je n'ai pas voulu vous rajouter du tracas. Après un moment de réflexion, Agathe rajoute prudemment : Et puis en vous observant... je me suis revue avant ma maladie, toujours prête à aider les autres, certainement pour me sentir exister et lorsque je suis tombée malade , j'ai repensé à toutes ces mains tendues vers moi auxquelles j'avais répondu, tel un bon soldat, mais peu d'entre-elles ont été présentes pendant ce long combat que j'ai mené. Aujourd'hui, je continue à aider les autres, c'est ma nature, mais en leur apprenant à se responsabiliser eux-mêmes. Ils en ressortent plus forts, reconnaissants et je me sens plus légère. A ces mots, je ne peux m'empêcher d'intervenir tant ils me paraissent justes :
- Vous avez beaucoup de sagesse, Agathe (que j'appelle naturellement par son prénom).
- Pas tant que ça, sinon je vous aurai fait confiance et j'aurai choisi votre chemin, me répond-t-elle.
- Vous n'êtes pas en cause. Je ne sais pas m'imposer et imposer aux autres mes choix car j'ai horreur d'empiéter sur la liberté d'autrui et puis je doutais un peu mais très peu, d'emprunter ce chemin non balisé, rétorqué-je.
- Pour être sincère, votre allure m'a également déroutée, me déclare Agathe.
- Mon allure ????
- Je veux dire votre chapeau bariolé, votre tee-shirt qui vous arrive presqu'aux chevilles..., votre air un peu rebelle.
- Mais, je ne suis pas rebelle, peut-être pas complètement dans "la norme", lui réponds-je en souriant.
- C'est une aventure qui va porter ses fruits car chacun d'entre nous peut en tirer une leçon, souligne la petite dame en me rendant mon sourire.
Casquette, qui nous écoute attentivement et observe mes réactions, déclare en riant :
- Je ne suis pas d'accord avec vous Agathe, ce chapeau lui va très bien !
- Peut-être, mais comme Agathe, vous n'avez pas fait confiance en....mon chapeau, répliqué-je en riant.
- J'ai dû sentir ce petit doute, me répond Casquette d'un ton très sérieux.
- Cet imperceptible doute sur lequel vous vous êtes volontiers jeté ! réponds-je en riant de plus belle. D'ailleurs, le reste du chemin est-il balisé ?
- Oui bien sûr, vous pouvez continuer avec nous si vous le souhaitez, car vous me semblez tout de même imprudente et peut-être même impulsive. En fait, rajoute t-il en riant : Vous m'avez fait penser à la chèvre de Monsieur Seguin, attirée par l'herbe grasse.
- "Imprudente" !!! Je pense avoir été la plus sage vu "l'état" de votre petit groupe même si les apparences étaient contre moi ! et je ne regrette pas ce que vous appelez "mon impulsivité" que je qualifie plutôt d'instinctivité car grâce à elle, j'ai passé un très agréable moment pendant ma balade. C'est vrai, j'ai eu la même attitude que cette petite chèvre mais n'a t'-elle pas été plus heureuse qu'attachée à son piquet ?
- Je vous rappelle qu'elle en est morte, mangée par le loup.
- Oui, mais même si sa vie a été plus courte, elle était LIBRE et HEUREUSE ! Elle n'a pas subi le temps en ayant peur de lui, elle l'a vécu ! Comme moi cette après-midi et... sans m'épuiser, ni m'insoler, n'est-ce-pas Hortense ?
- Nous devons partir tout de suite ! répond vivement Hortense au jogging bien repassé mais qui n'est plus le centre d'intérêt. Un silence lui répond. Aussitôt elle s'approche de Casquette, feignant une douleur à la jambe en lui demandant :
-Puis-je m'appuyer sur votre bras ? Je suis si fatiguée ! restes, certainement de cette insolation et j'ai hâte de retrouver le confort de ma voiture.
Très souriant, Casquette propose son bras à Hortense. Son air ravi, laisse penser qu'il est satisfait qu'Hortense lui donne raison en reconnaissant son insolation et rassuré qu'elle ait besoin de son soutien.
- Merci Monsieur, mais je ne vous accompagne pas, dis-je en ignorant la remarque de la dame au jogging bien repassé. Je compte profiter encore de cette belle après-midi et me baigner avant de repartir. Vous devriez en faire autant ?
Casquette, tête basse, regarde sa montre, puis la rivière avenante, il cogite. J'essaie d'imaginer sa pensée. Le parcours doit s'effectuer en trois heures, ils doivent repartir, ils ont perdu assez de temps à se reposer, les trois heures seront largement dépassées et Casquette se sent responsable de ce groupe, en particulier de la fragile Hortense. Agathe me regarde en haussant les épaules à la vue d'Hortense s'appuyant lourdement sur Casquette. Je souris, en me disant que Casquette doit avoir un problème d'audition car apparemment il n'a pas entendu le message de la petite dame mais qui sait ? peut-être un jour...
- Non ! me répond Casquette d'un ton sec, (je comprends alors que mon invitation à la baignade a été perçue comme une provocation chez cet homme, habitué à porter les autres et de ce fait à ce que les initiatives lui appartiennent, et puis peut être est-il un peu perturbé par les paroles d'Agathe...). Puis adoptant un ton plus jovial, il poursuit : Nous devons repartir, il reste encore une quarantaine de minutes de marche ! Bonne route à vous et bon... vent ! D'ailleurs, charmante dame, attention qu'il ne vous emporte pas votre adorable chapeau !
- Je vous rassure, je n'ai pas peur du vent, ni de l'eau, ni du soleil ! et vous Monsieur, de quoi n'avez vous pas peur ? demandé-je à Casquette d'un ton un peu ironique ?
- De l'habitude, Madame, de l'habitude seulement, me répond sobrement Casquette après un moment de réflexion.
- Je comprends, l'habitude vous ressemble, elle porte tant de monde ! Cependant, vous aimez faire des randonnées, et....comme c'est le cas aujourd'hui (rajouté-je en souriant), il y a des imprévus quand on part sur des chemins inconnus !
- Oui, mais le but final est de partir d'un point et de revenir à ce même point, ce que l'on fait toujours.
- C'est une façon de voir les choses. En fait, si je suis votre raisonnement, pour vous, la randonnée n'est qu'une boucle ?
- Oui, une toute petite boucle, Madame.
- Bon retour, Monsieur ! lancé-je en regrettant déjà de devoir retrouver ma voiture.
- A vous aussi, Madame ! me répond t-il en souriant.
Je m'apprête à lui dire "bonne chance !" puis me ravise, pas la peine, Casquette ne doit pas croire en la chance...
La dame au jogging bien repassé, affiche un air comblé. Le groupe se remet en route. Casquette m'adresse un dernier regard où se lit peut-être un certain regret mais il repart d'une allure sûre et sportive comme lors de son arrivée à "la croisée des croix" avec en plus, Hortense à son bras. Quant à moi, je glisse délicieusement dans l'onde, mon amie fidèle, avant de reprendre le chemin balisé comme une vraie écolière de la randonnée buissonnière.
Je compris plus tard que le rectangle jaune que Casquette avait cru reconnaître était bien en fait un rectangle mais avec en dessous de ce dernier, une flèche presque invisible, délavée par le temps, indiquait un changement de direction, nouvelle codification que j'avais prise pour la croix habituelle et Casquette pour le rectangle à suivre absolument....Comme quoi, nous sommes vite perdus dès que nos repères changent....même si les nouveaux nous indiquent un meilleur chemin :)
PS : Si vous trouvez un chapeau bariolé sur un chemin, merci de me le ramener. Un jour de grand vent, il s'est envolé, mon chapeau arc en ciel...
Marie-Noëlle Fargier