Le plus bel habit, une nouvelle signée Louis Delville
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LE PLUS BEL HABIT
C'est quand le roi a appris la nouvelle qu'il s'est réellement fâché !
Fâché comme jamais, le bon Roi Albéric… Fâché contre tout et contre tous. Il faut dire qu'il était trop bon, Albéric II. Il gouvernait son petit royaume avec sagesse et laissait parfois la situation se dégrader mais jamais trop ! Son premier ministre, un peu fourbe, lui cachait certaines informations et cela irritait de plus en plus le souverain.
Or donc, ce matin-là, la Princesse Pascaline avait dû avouer le terrible secret… Elle attendait un enfant et apparemment, elle ne connaissait même pas le père. Les festivités à l'occasion de ses vingt ans avaient été somptueuses et fort arrosées. Les danses les plus sages avaient fait place aux plus lascives et dans les bras de Pascaline, les princes les plus fortunés avaient cédé la place aux plus charmants…
Pascaline a bien sûr une idée mais elle refuse d'en parler avec qui que ce soit.
"Ma fille, vous resterez seule dans le donjon jusqu'à ce que vous vous décidiez à m'avouer le nom de votre amant !"
Et Pascaline reste seule de longs jours…
"Oyez, oyez, braves gens, notre bon roi Albéric promet la main de sa fille au prince qui avouera être le père de l'enfant qu'elle porte !"
La nouvelle parcourt le royaume et un beau matin, trois jeunes hommes arrivent au château. Trois garçons d'une beauté parfaite et de noble stature.
"Majesté, nous sommes venus ici pour vous demander la main de Pascaline."
"D'ailleurs, dit le premier, je suis le père de cet enfant, nous avons dansé jusqu'au bout de la nuit."
Le second plaide : "Sire, le père ne peut-être qu'un prince de sang et j'en suis."
Le troisième ose un timide : "Mais non, vous faites erreur, je suis assurément celui qui…"
Les trois prétendants semblaient prêts à s'entre-tuer jusqu'à ce que la vérité éclate !
"Je n'aime guère les tueries. Je vais vous soumettre à une épreuve. Celui qui triomphera sera digne d'être le père de cet enfant."
"Oyez, oyez, braves gens, notre bon roi Albéric vous convie à assister à l'épreuve qui désignera celui qui deviendra son gendre !"
Dès le lendemain, le peuple se rassemble. On amène les trois prétendants.
"Il faut vous présenter devant moi, dans le plus bel habit possible, avant la pleine lune, dans trois jours ! Je serai seul juge de la beauté et du port de l'habit !"
Quoi de plus beau que la soie, pense le premier qui se rend chez le meilleur tailleur du royaume.
Quoi de plus noble qu'une belle armure, pense le second. Aussitôt, il se précipite chez l'orfèvre le plus réputé.
Le troisième, le moins fortuné, réfléchit et part vers la forêt toute proche. C'est en chemin qu'il rencontre un drôle de petit personnage. Une grande plume orne le couvre-chef qu'il a sur la tête et il a les yeux brillants comme des diamants.
"Bienvenue, chevalier, que me vaut le plaisir de cette visite ?"
"Je suis à la recherche d'un costume merveilleux qui me permettra d'épouser la fille du roi… "
"Suis le chemin que tu vois là, devant toi. Il te conduira vers le meilleur faiseur !"
Et notre prince marche pendant des heures et des heures. Il traverse la rivière, contourne un grand champ de coquelicots, monte et descend mille collines. Le soleil est presque couché quand il arrive dans une clairière. Et là, devant une vieille cabane, une femme habillée de noir est occupée à tisser un merveilleux tissu bien plus fin que la soie et d'une couleur étonnante : une sorte de gris, légèrement bleuté.
- Tu viens pour un costume, n'est-ce pas ?
- Euh oui mais comment… ?
- Je sais tout. Regarde cette étoffe précieuse. Demain, à l'aube, tu l'auras ton habit !
Et elle disparaît dans la cabane.
Le lendemain, notre prince qui a dormi d'un seul œil dans la clairière, voit arriver la femme en noir avec une veste superbe et un pantalon parfaitement coupé.
- Parfait, c'est bien à ta taille…
- Comment vous remercier ? Comment vous payer pour ce travail ? Je suis bien pauvre…
- Sache que je ne désire pas être payée et que les amies qui me fournissent le fil ne demandent rien non plus ! Va, on t'attend là-bas !
Et notre prince repart. Il monte et descend mille collines, contourne le grand champ de coquelicots où il cueille la plus belle des fleurs. Il traverse la rivière et marche pendant des heures. En passant, il salue le petit homme aux yeux brillants comme des diamants qui lui sourit et il rejoint le palais.
Le roi Albéric n'a pas hésité longtemps, le prince au costume gris-bleu avec un coquelicot à la boutonnière lui a plu et Pascaline a évidemment accepté de l'épouser.
J'étais à la noce, on y a fort bien mangé et fort bien bu. Les meilleurs mets ont été servis. Tout le monde a apprécié les superbes vins sortant du cellier du roi. On a dansé jusqu'à la fin des festivités mais, cette fois, Pascaline n'a eu qu'un seul cavalier.
Quand le coquelicot a été fané, le prince et la princesse sont partis en voyage de noces. On m'a dit qu'ils étaient même passés par ici mais cela, c'est une autre histoire…
Par contre, quelques années plus tard, lorsque la princesse a succédé à son père, personne n'a compris pourquoi elle a décrété que les toiles d'araignée ne seraient jamais enlevées dans sa chambre à coucher. Vous savez, ces toiles d'une couleur étonnante : une sorte de gris légèrement bleuté.
(Extrait de "Petites et grandes histoires")
Louis Delville
louis-quenpensez-vous.blogspot.com